Mes chers collègues, je vous souhaite la bienvenue au Palais-Bourbon, qui accueille ce matin notre réunion de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, sur un sujet important, puisque nous avons à examiner collectivement le travail de nos deux rapporteurs sur l'évaluation de l'application de la loi du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique.
Nous sommes au coeur de nos responsabilités, puisque c'est en application de son article 47 que l'Office doit évaluer l'application de cette loi. Cet article est issu d'un amendement qui avait été voté en son temps à l'unanimité par le Sénat et repris par l'Assemblée nationale. Cette volonté convergente d'évaluer l'application de la loi de bioéthique n'est pas nouvelle, puisqu'en novembre 2008, l'Opecst a déjà évalué l'application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Cet examen, conduit par Alain Claeys et Jean-Sébastien Vialatte, avait permis d'éclairer les débats préparatoires à la loi du 7 juillet 2011.
Nous avons nommé rapporteurs, le 8 février dernier, Mme Annie Delmont-Koropoulis, pour le Sénat, et M. Jean-François Eliaou pour l'Assemblée nationale. Ils nous ont transmis leur projet de rapport hier après-midi, ce qui ne nous a pas donné suffisamment de temps pour que nous puissions nous l'approprier avant d'en délibérer pour parvenir à un consensus. Pourquoi un consensus ? La vocation de l'Office parlementaire est d'évaluer des dispositions législatives d'un point de vue scientifique. Autant nous pouvons avoir des points de vue très différents sur les aspects sociétaux, ce qui est normal, compte tenu de nos comportements plus innovants ou plus conservateurs, plus ouverts ou plus prudents, plus « partageux » ou, au contraire, privilégiant l'effort personnel qui conduit à la réussite individuelle dont on pense qu'elle tirera la totalité du « chariot collectif ».
Bref, la politique, cela existe et la politique est faite de différences. Rien de choquant à cela.
Me tournant vers mon voisin, scientifique confirmé, j'ajouterai que la science tente, elle, d'échapper à ces polémiques, essaie de parvenir à des lois communes. Cet état d'esprit doit être celui de notre Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques : il s'agit de dresser l'état de l'art à un moment déterminé pour nos commanditaires, c'est-à-dire les parlementaires, chacun pouvant en tirer des conséquences, en termes de comportement et d'organisation de la société.
C'est la raison pour laquelle notre débat est très important. Et se donner le temps de réfléchir ne serait pas complètement inutile pour s'approprier ce rapport et pouvoir défendre le travail de nos rapporteurs, qui, ils vont nous l'expliquer, se sont astreints à une approche scientifique rigoureuse.
Disant cela, j'espère ne pas avoir trahi le point de vue des sénateurs. Le premier vice-président va exprimer son point de vue et celui des députés.
Depuis le début de notre binôme à la présidence de l'Office, nous avons toujours trouvé sans difficulté des points d'accord et des façons de procéder qui nous conviennent parfaitement. Cette fois-ci ne fera pas exception.
Quelques précisions qu'il importe de bien avoir à l'esprit.
En premier lieu, la loi de bioéthique est une matière excessivement sensible, mais aussi excessivement technique. Le projet de rapport qui vous a été communiqué, long, délicat, mérite une vraie attention. Le projet de rapport vous a été diffusé hier, en tout début d'après-midi, dès que cela a été possible. Je sais que nos rapporteurs ont travaillé de façon acharnée pour rendre leur copie à temps. Hier matin encore, à 11 heures, ils se voyaient au Sénat pour de derniers échanges qui ont été, en fait, une longue réunion permettant de passer en revue les derniers arbitrages.
En second lieu, j'insiste sur le fait que nous nous situons à deux croisements délicats.
Premier croisement, dans la notion même de loi bioéthique, puisqu'il s'agit presque d'un oxymore. D'un côté, la loi qui définit une norme commune de la société et, de l'autre, l'éthique qui renvoie aux convictions et aux choix personnels. La loi de bioéthique est déjà en soi une espèce d'être un peu singulier, qui traduit bien l'hésitation de la société, lorsqu'elle doit adopter des lois sur des sujets qui nous renvoient à nos convictions personnelles.
Second croisement délicat, dans le point de rencontre entre l'expert et le politique, la science nous apportant des faits autant que possible, des analyses qui doivent toujours éclairer le politique, mais en aucun cas s'imposer à lui. La parole scientifique est très importante pour éclairer des questions délicates, mais ne dispense en rien du travail de conviction, d'éthique, ce que chacun d'entre nous porte en lui sur ces sujets. Je suis entièrement d'accord avec le président Gérard Longuet. Après notre discussion d'aujourd'hui, il conviendra de nous donner quelques jours de réflexion, afin que chacun, chacune puisse méditer, réfléchir et se dire, en son âme et conscience, voilà où nous en sommes.
Enfin, je rappellerai deux choses. D'une part, l'examen de ce type de rapport par l'Office ne conduit pas à l'adoption du rapport à proprement parler, mais seulement à l'autorisation de sa publication. La version officielle du rapport publié comprendra le compte-rendu de nos réunions et fera clairement apparaître les positions des uns et des autres. Il ne s'agit pas, sur ces sujets, d'imposer une version qui convienne à tout le monde. Chacun doit se faire entendre, s'il y a lieu. D'autre part, je vous rappelle que ce rapport constitue l'une des nombreuses étapes du processus de révision de la loi de bioéthique. L'ont précédé un rapport du Conseil d'État, un débat public, les deux avis du Comité consultatif national d'éthique (CCNE), le rapport de l'Agence de biomédecine. À l'Assemblée nationale, la Conférence des présidents a décidé, au printemps dernier, de constituer une mission d'information sur cette révision des lois de bioéthique. Notre collègue rapporteur, Jean-François Eliaou, est membre du bureau de cette mission d'information. Les auditions sont encore en cours jusqu'au début novembre. Je serai moi-même auditionné par la mission au titre de personnalité impliquée dans les sujets liés à la bioéthique et à l'intelligence artificielle, qui constituent aussi l'un des axes de ces travaux sur la bioéthique.
Au total, nous devons veiller, d'abord, à disposer de tous les éclairages possibles, ensuite, à ne franchir aucune étape à la légère, mais à chaque fois à tout bien peser.
Je m'exprimerai dans la continuité du premier vice-président Cédric Villani. Sur un sujet comme celui dont nous nous saisissons aujourd'hui, objectivement nous n'avons pas pu lire le rapport en détail pour notre réunion de ce matin. Or, un tel sujet le mérite. Ce serait effectivement une bonne chose que nous nous donnions quelques jours avant de nous prononcer formellement.
Cela pose éventuellement la question du nombre de présents lorsque nous délibérons, sur quelque rapport que ce soit d'ailleurs, et je me demande s'il ne conviendrait pas de réfléchir à la fixation d'un éventuel quorum. Même si le vote porte uniquement sur l'autorisation de publication du rapport, il engage tout de même l'institution.
Pour finir, je saluerai le travail des rapporteurs qui sont vraiment restés sur cette ligne consistant, ce qui est extrêmement important, à distinguer deux aspects. En matière de bioéthique, des sujets ont trait à la recherche et d'autres aspects sont sociétaux. Vous avez eu une position courageuse, je dois le dire, non que les questions sociétales ne soient pas importantes et pertinentes, mais simplement elles ne relèvent pas de l'Office. Vous êtes demeurés sur cette ligne-là, ce qui mérite d'être salué, parce que, par voie de conséquence, vous contribuez à assurer la crédibilité de l'Office. Nous n'avons pas à franchir cette « ligne rouge », au-delà de laquelle nous pourrions susciter des controverses sur le travail de l'Opecst.
Ni la loi qui régit l'Office ni notre règlement intérieur ne prévoient de quorum, mais rien ne nous interdit de considérer, s'agissant d'une question aussi emblématique, qu'un effort particulier d'expression, sans exiger forcément la présence physique au moment de la délibération, puisse prendre la forme de commentaires écrits éventuellement transmis au préalable ou d'une délégation confiée à un collègue pour s'exprimer en son nom.
Je partage totalement ce point de vue. Quelle que soit la façon que pourraient choisir pour s'exprimer nos collègues, membres de l'Office, je tiendrai compte de leur expression et je m'efforcerai de l'intégrer dans la mesure où elle est formalisée, dans le travail de notre Office. Je comprends très bien l'attente de l'opinion. Je comprends très bien également l'émotion, les interrogations, les passions parfois, que suscite cet oxymore : « loi de bioéthique ». En tant que parlementaires, nous devons garder notre sang-froid et travailler, individuellement et collectivement, dans un esprit de responsabilité.
Ce rapport a nécessité dix mois de travail, une trentaine d'heures d'audition d'experts, de médecins, de chercheurs et de hauts fonctionnaires, comme Mme Anne Courrèges, directrice générale de l'Agence de la biomédecine, de même que les anciens rapporteurs dans le processus ayant conduit à l'adoption de la loi de 2011, MM. Alain Claeys et Jean Leonetti.
Jean-François Eliaou et moi-même avons été heureux de travailler sur ces sujets essentiels, à un double titre. En tant que parlementaires des deux chambres du Parlement, mais aussi en tant que médecins avec des expériences de la médecine différentes mais complémentaires, étant donné que Jean-François Eliaou est professeur de médecine, médecin chef de service d'un grand CHU et que je suis moi-même médecin généraliste médico-social d'une banlieue peut être un peu difficile, mais un médecin de terrain. Notre mission, au-delà des postures, a été une mission d'écoute, de transparence, de recherche de consensus. Nous sommes des humanistes et nous croyons en la médecine au service de l'humain, en une déontologie qui protège des excès et qui met l'humain à la place centrale.
La motivation de ma collègue sénatrice et de moi-même a consisté à tenir compte du fait que nous venions après un certain nombre de rapports et de travaux. Pour rechercher quelle valeur ajoutée apporterait la contribution de l'Office, il n'était pas question pour nous de reproduire ce qui avait été déjà énoncé par l'excellent travail du Conseil d'État ou du CCNE ou les États généraux. Nous avons cherché ce qu'on pourrait appeler « une niche », et, s'agissant de l'Opecst, il ne pouvait s'agir que d'une niche scientifique.
Nous nous sommes attachés, vous verrez par vous-même si c'est le cas ou non, à rendre un rapport aussi précis que possible sur le plan scientifique, pour pouvoir justement établir les bases, éventuellement, d'une construction de la révision des lois de bioéthique en 2019.
Je voudrais rendre hommage au président Gérard Longuet pour sa volonté de mettre un peu de distance entre ce que l'on va dire ce matin, qui sera d'abord un exposé, et même un exposé d'explications, et l'expression de la position finale de l'Opecst. Ces questions sont compliquées, ne se résument pas à l'AMP (assistance médicale à la procréation). Nous devrons, d'abord en tant que membres de l'Opecst, puis en tant que législateurs, avoir une position forte pour finalement trancher ces questions. La meilleure des positions est de trancher après avoir été informé, le plus précisément possible, des données scientifiques et médicales.
Il y faut une discipline intellectuelle qui ne va pas de soi, parce que chacun de nous a ses convictions, sa façon d'aborder les choses, mais, en tant que législateur, nous devons nous astreindre à cet exercice difficile consistant à ne pas mettre en avant nos convictions, mais à travailler à une loi faite pour le plus grands nombre.
Nous avons été amenés à examiner différentes thématiques : les examens et conseils génétiques, le prélèvement et la greffe d'organes, les dons de gamètes, l'assistance médicale à la procréation intra-conjugale, post mortem par exemple, l'auto-conservation des ovocytes, les recherches sur l'embryon et les cellules souches, les neurosciences et les innovations technologiques, comme l'intelligence artificielle.
Ce rapport commence par un important chapitre sur les examens et le conseil génétiques. Après un rappel sur les bases de la génétique, si tant est qu'on puisse donner des bases génétiques dans un rapport de l'Opecst, sous forme de quelques éléments lexicaux si je puis dire, nous avons abordé les différents thèmes qui sont ceux de la loi de 2011.
Je ne ferai pas la lecture des conclusions, vous les avez, mais je vais m'attacher à préciser un certain nombre de points.
Avec les technologies les plus récentes, et en particulier le séquençage du génome humain, nous sommes parfois confrontés à ce qu'on appelle les découvertes incidentes, c'est-à-dire que, pour un patient donné, l'analyse génétique, à côté du motif de la consultation, du motif de la prescription, pourra déterminer et définir d'autres éléments d'information génétique qui n'étaient pas le motif initial de celle-ci. Que faire de ces découvertes incidentes ? Doit-on les communiquer au patient ou ne doit-on pas les communiquer au patient, puisque ce n'était pas le motif initial de la consultation ? Un certain nombre de travaux ont envisagé cette question, en particulier ceux du Conseil d'État et du CCNE. Nous nous sommes inscrits dans la ligne de leurs avis qui consistent à dire que, normalement, le principe de base est de ne communiquer les informations génétiques que lorsqu'elles correspondent exactement au motif de la prescription.
Ceci dit, en face de découvertes incidentes, la loi, qu'il ne nous semble pas nécessaire de modifier sur ce point, insiste sur l'importance de préciser aux patients les risques de ne pas savoir et notamment les risques au niveau familial. Imaginons qu'il y ait, lors de ces découvertes incidentes, un gène qui s'accompagne d'un risque de maladie héréditaire : il est alors normal que le médecin puisse alerter son patient sur ce risque. On se situe toujours sur la ligne de crête entre le fait de donner des informations à certaines personnes qui bénéficient de ces analyses sans les donner à la population générale. Si l'on ouvre cette porte, on risque de se voir confronté à la différence de traitement juridique avec la population générale qui dira : « pourquoi eux et pas nous ? ».
Il faut faire attention à un certain nombre de conclusions que l'on pourrait tirer, parce que justement il existe toujours cette volonté, de la part de nos concitoyens, de savoir. Or, ils ne le peuvent pas en l'état actuel de la législation.
Deuxième point, il faut donner au patient l'information de la façon la plus explicite possible, pour recueillir son consentement éclairé, et j'insiste sur le mot : « éclairé ». Lorsqu'un patient est atteint d'une maladie pour laquelle l'analyse génétique ne porte pas sur un seul gène, mais sur une série de gènes qui peuvent intervenir dans la causalité de cette pathologie à des degrés divers, nous insistons sur le fait qu'en vue de recueillir son consentement éclairé, il importe de lui expliquer pourquoi on analysera non pas un mais plusieurs gènes.
À cette occasion, si on découvre une anomalie lors de l'étude des gènes, à part pour l'étude en cause, on ne donne pas l'information.
Nous ne sommes pas dans la position du législateur, nous formulons seulement des préconisations. Choisir de donner l'information ou pas appartient au législateur. En tout cas, si on communique une information liée à une découverte incidente, il convient de dire au patient : attention, cela peut avoir un impact sur vous et vos descendants.
Il existe deux types de génétique, si je puis dire. En premier lieu, la génétique pour laquelle les gènes sont directement responsables de la survenue de la maladie. Par exemple, une délétion d'un gène peut entraîner une mucoviscidose : quand la mutation du gène est présente, la maladie se développe, mais en l'absence de délétion du gène, non. Il s'agit d'une maladie monogénique, à transmission récessive dominante. En second lieu, il y a ce qu'on appelle des gènes de susceptibilité, qui sont nombreux. Ils sont associés à une susceptibilité accrue à la maladie : l'asthme, le diabète, le cancer, etc., les maladies auto-immunes, bien entendu. Le mot : « association » recouvre le fait qu'un certain nombre de gènes ne présentent pas de mutation, mais sont sur-représentés dans la population de patients par rapport à la population témoin. On parle alors d'association.
Nous émettons un avis défavorable à ce que des recherches génétiques portent sur une série de gènes, permettant de définir ce qu'on pourrait appeler « un profil de susceptibilité » ; dans ce cas, ce profil signifie que les personnes concernées pourront peut-être un jour développer la dite pathologie. Nous exprimons notre opposition à ce qu'on appelle « la génétique prédictive », car, en réalité, elle ne prédit pas grand-chose. Il s'agit seulement de gènes qui sont associés.
Avec la possibilité, cependant, de revenir sur ce dispositif en fonction de l'évolution scientifique.
Nous nous inscrivons dans une cinétique législative. Nous travaillons aujourd'hui en prévision de la loi de 2019. Mais il y aura une nouvelle loi en 2026, etc. Il sera possible de revenir sur ce point à plus long terme.
Je pense néanmoins que si on débouche sur la découverte d'une anomalie génétique sans en informer le patient, s'il n'existe pas d'option curative en l'absence actuelle de traitements, on peut peut-être garder en réserve le diagnostic et le révéler quand on aura trouvé le traitement adéquat. En revanche, si on dispose déjà d'un traitement, je m'interroge tout de même sur la possibilité d'en informer le patient.
À cette génétique de susceptibilité, il existe une exception mentionnée dans le rapport : la susceptibilité au cancer du sein et au cancer de l'ovaire, portés par des gènes de susceptibilité et non de responsabilité, en l'espèce les gènes BRCA1 (Breast cancer 1) et BRCA2. C'est une exception permise par la loi. Il est clair qu'on ne remet pas en cause le fait que, dans une famille dans laquelle une femme est atteinte d'un cancer du sein ou d'un cancer de l'ovaire, on connaît déjà le sujet porteur de cette pathologie. Par dérogation, on réalise dans ce cas une analyse génétique sur des gènes de susceptibilité, dans la parentèle féminine de ces patientes. Nous ne remettons pas cela en cause, même s'il s'agit de gènes de susceptibilité.
Nous sommes en revanche opposés à l'utilisation des analyses génétiques dans la population générale. Toute analyse génétique doit être prescrite par un médecin généticien agréé, les analyses génétiques étant réalisées dans des structures et des laboratoires qui sont accrédités. Les mots ont une importance : l'accréditation est donnée par les agences régionales de santé (ARS) pour une durée de cinq ans, dans un contexte multidisciplinaire, où il n'y a pas que le seul médecin mais aussi des psychologues, des pédiatres, des gynéco-obstétriciens, c'est-à-dire un contexte d'annonce et d'encadrement du patient qui doit être absolument préservé, parce que le patient ne peut pas être laissé seul face à ses résultats.
Enfin, nous insistons sur le fait qu'aucune discrimination ne peut être tolérée entre les personnes au prétexte de leurs caractéristiques génétiques, que ce soit dans le monde professionnel, assurantiel, familial, etc. D'où l'interdiction d'une d'accessibilité aux données génétiques, qu'elles soient disponibles à la suite d'un examen réalisé dans un contexte constitutionnel ou somatique, je vous renvoie au rapport pour le détail de la différence.
Dernière chose relative aux examens génétiques, à propos de laquelle nous avons une différence de vue avec ma collègue rapporteure du Sénat : les examens génétiques à des fins diagnostiques sur une personne décédée. En tant que rapporteur de l'Assemblée nationale, les examens génétiques post mortem me posent le problème de la source de cellules à partir de laquelle on extrait l'ADN. Il existe deux sources : soit des cellules qui ont été congelées avant le décès de la personne, soit des cellules issues d'une autopsie, ce qui n'est quand même pas le plus fréquent.
Je pose la question du consentement éclairé de la personne au fait que des tissus, des cellules ou des morceaux de son corps, en cas d'autopsie, soient utilisés dans une vision, ou dans un but diagnostique, alors qu'a priori elle n'en était pas informée. Cette situation conduit à devoir accepter de dire : cette personne n'était pas informée mais nous prenons un certain nombre de mesures dérogatoires. Personnellement, je n'y suis pas favorable.
Nous avons approuvé une proposition de loi au Sénat, qui prévoyait justement les examens génétiques à des fins diagnostiques sur une personne décédée. Au Sénat, il existe un groupe d'études sur le cancer, en lien avec de nombreux cancérologues. Ils nous ont parlé de leur difficulté à pouvoir utiliser des tissus prélevés sur une personne décédée, à des fins diagnostiques, pour d'autres problèmes découverts dans la famille et de façon à disposer d'autres possibilités thérapeutiques pour les descendants et le reste de la famille. Le Sénat a approuvé cette proposition de loi. J'en ai fait mention dans le rapport.
Vous avez raison de le dire, parce que la ministre de la santé était favorable à la proposition, au fond, mais a indiqué que c'était prématuré compte tenu de l'examen du projet de loi de bioéthique qui était alors attendu.
Pour bien comprendre la nature du débat, quand on pratique une autopsie, c'est-à-dire une action invasive sur l'enveloppe charnelle du défunt, quelle est la différence, dans la nature de l'information, entre ce diagnostic génétique et un diagnostic qui serait réalisé avec des moyens plus classiques, différence qui justifierait toute la prudence dont fait preuve notre rapporteur de l'Assemblée nationale ?
Dans le cas du prélèvement d'organes en vue de greffes, le consentement est présumé, sauf si le refus d'un tel prélèvement a été exprimé. Cela ne rejoint-il pas cette problématique : « qui ne dit rien consent » ?
Les motivations de mon opposition, qui reste ouverte à la discussion, tiennent à la cohérence de la notion de consentement éclairé. Toute personne à qui on prescrit une analyse, surtout une analyse génétique, s'en est vu expliquer les raisons pour y consentir en toute connaissance de cause. Si vous avez déjà vu les formulaires du consentement éclairé, ils comportent dix à quinze pages. On y explique tous les risques, les raisons de l'examen, etc. À partir de ce moment-là, la personne est éclairée, et j'insiste sur ce terme, sur ce qu'on va lui faire, auquel elle consent ou non.
Il ne s'agit pas d'une question de source des prélèvements, ni de distinguer entre ce qui est invasif ou non, car disposer de cellules ou de morceaux de tissus n'est pas un souci. Il s'agira vraisemblablement de tissus issus d'anapathologie. Ce qui est en cause, c'est la question du consentement et de sa cohérence juridique. Il faudra prévoir des mesures dérogatoires et ces mesures dérogatoires peuvent en effet être du même type que celles prévoyant que toute personne est présumée donneur d'organes ou de tissus jusqu'à preuve du contraire. C'est une voie possible, puisqu'on dispose de ce substrat juridique, sur lequel fonder éventuellement la possibilité de dérogations pour des analyses post-mortem.
Une découverte incidente, lors d'un examen génétique, peut être mise en parallèle avec une découverte incidente lors d'un examen médical clinique...
en effet. À l'heure actuelle, le médecin n'a plus cette vision paternaliste consistant à ne pas donner l'information. Ne reprocherait-on pas au médecin de ne pas donner une information clinique, radiologique ou biologique ? Je considère qu'on se doit de donner l'information. La génétique en est encore à un stade où l'on ne dispose pas forcément des solutions. Dans ce cas-là, effectivement, on peut ne pas donner l'information. Mais cette information doit-elle rester le secret du seul médecin ? Cela me paraît un peu lourd à porter.
Dans la même perspective, afin de bien comprendre les tenants et aboutissants, si le médecin découvre par hasard une configuration génétique qui demande un traitement préventif, sans gravité, n'est-ce pas son devoir de le signaler ? Pour l'instant, les informations génétiques n'aboutissent guère à des situations comme celle-ci. Le jour où cela se présentera, et de la même façon que pour l'imagerie, pour une pathologie qui n'était pas prévue, mais qu'il faut soigner et qu'on peut soigner, n'est-ce pas le devoir du médecin de s'en charger ? Quelle est la pratique, la doctrine du médecin, qui, j'imagine, détient une marge de latitude pour apprécier son devoir ?
Depuis 2011, avons-nous observé, pour le séquençage de gènes et les analyses, des révolutions ou des évolutions technologiques fortes qui facilitent la réalisation de ces analyses, les rendent plus rapides, au plan national ou international ? Je perçois très bien toute la dimension éthique, mais ce qui m'intéresse, comme homme politique, c'est l'implication pour le « grand nombre », les « gros bataillons ». Jean François Eliaou a insisté sur le risque d'une société clivée entre, si je veux faire un peu de provocation, ceux qui ont « la chance d'être malades » et qui vont être analysés et tous ceux qui « n'ont pas la chance d'être malades au bon moment », et vont demeurer porteurs sans pouvoir se soigner à ce moment-là. Mais est-ce que les gros bataillons sont gérables aujourd'hui et si non, le seront-ils demain ?
Ils le seront de plus en plus demain, en raison de l'évolution de la médecine.
Depuis 2011, il ne faut pas parler d'évolution, mais de révolution. Actuellement, la mise à disposition de séquenceurs de troisième génération est devenue commune. En 2011, seuls quelques séquenceurs existaient. Le séquençage coûte de moins en moins cher. La partie technique dure quelques heures, la partie interprétative est plus longue, mais il existe aujourd'hui suffisamment de programmes notamment d'intelligence artificielle pour aider au diagnostic. La lecture des séquences est extrêmement simple. Cela se pratique au niveau national et au niveau international. La seule différence tient au fait qu'il n'est pas possible, en France, en l'état actuel de la législation, de s'auto-prescrire des analyses génétiques. Mais, dans le même temps, BFM TV diffuse des publicités, pour une démarche coûtant une quinzaine de dollars, consistant à envoyer un écouvillonnage de cellules de l'intérieur de la bouche, aux États-Unis. Le séquençage est réalisé dans la nuit. Évidemment, une avalanche d'informations vous arrive. C'est la raison pour laquelle je pense que l'encadrement doit être prévu afin que l'analyse, et surtout le rendu des informations, soient réalisés dans le cadre d'un colloque singulier, ou pluriel, avec le patient, le généticien, le psychologue, etc.
S'agissant des découvertes incidentes, je me suis fondé, avec une petite différence avec ma collègue sénatrice, sur la loi de 2011. Pour l'instant, en l'état actuel des connaissances en 2018-2019, il y a très peu de chance que, pour des raisons techniques, l'on fasse des découvertes incidentes lorsqu'on réalise une analyse génétique, par exemple, sur des cellules tumorales, donc de génétique somatique. Pourquoi ? Tout simplement, parce qu'en réalisant un séquençage, on ne fait pas un séquençage du génome entier, on cible les portions du génome que l'on veut analyser. Dans ce ciblage et donc dans ce séquençage, lorsqu'on obtient la séquence des gènes, même s'il y en a une grande quantité, il existe très peu de chance, voire même pas de chance du tout, que l'on trouve un gène dont la mutation ou dont le variant n'est pas simplement associé, mais corrélé à la survenue de la maladie.
Il peut exister des cas où l'on est porteur d'une mutation qui, si son compagnon ou sa compagne a la même mutation, peut aboutir chez l'enfant à une maladie héréditaire. Mais c'est exceptionnel, parce qu'on ne regarde pas suffisamment de gènes. Bien entendu, avec un séquençage extensif, on pourrait trouver des variants, par exemple pour la mucoviscidose. Sinon, non.
Personnellement, si on devait informer le patient d'une découverte incidente et lui indiquer qu'il existe un risque, il devrait s'agir d'un risque présent en raison d'une mutation d'un gène causal et dont on est sûr que si son compagnon ou sa compagne présente la même mutation d'un gène causal, alors leur descendance développera la pathologie. Mais je suis opposé, parce que j'ai beaucoup travaillé là-dessus, à « donner la frousse » à un patient, en lui disant qu'il a peut-être un risque de développer une maladie d'Alzheimer demain, en considération de la présence de gènes de susceptibilité, qui ne sont pas mutés, mais qui sont simplement présents plus fréquemment dans la population malade que dans la population témoin. Si l'on informe de la présence de simples gènes de susceptibilité, on peut « prédire » un certain nombre de pathologies et si cette information tombe entre des mains malveillantes, le risque est réel que cette personne soit stigmatisée pour un profil génétique auquel n'est associé qu'un risque.
Je suis résolument optimiste par rapport à l'évolution de la science. La révolution des techniques a concerné aussi les possibilités de réparation, au niveau génétique, avec la découverte des ciseaux moléculaires, pour une utilisation qui vise préférentiellement l'ARN. Je suis tellement enthousiasmée par ces découvertes nouvelles que je me dis qu'il serait dommage d'éviter une perte de chance pour le patient.
Nous sommes ici au coeur de la responsabilité de l'Office parlementaire. Annie Delmont-Koropoulis se dit confiante dans les possibilités de réparation. Jean-François Eliaou nous appelle à la prudence : entre les hypocondriaques et les « marchands de rêves », il existe un danger de commercialisation, de marchandisation de toute une série de choses. On n'a pas la certitude qu'ouvrir le marché soit possible, parce qu'on n'a pas la certitude que la réparation fonctionne. En même temps, si on ne se pose pas la question, on risque de ne pas mobiliser les moyens disponibles.
Je suis très sensible au propos de Jean-François Eliaou sur la différence entre gène de susceptibilité et gène de causalité. Cela me semble vraiment fondamental. On touche à la rigueur du raisonnement. Il me semble extrêmement dangereux de partir de la notion de susceptibilité. En me plaçant uniquement sur le fondement de la rigueur du raisonnement, je rejoindrais la position exprimée par Jean-François Eliaou.
Nous sommes au coeur du sujet en effet. Pour donner leur avis respectif, le rapporteur et la rapporteure invoquent la pratique, des espoirs, une différence d'appréciation sur les cas qui pourraient se présenter aujourd'hui ou dans le futur. Le regard est très différent selon qu'on se place dans le futur hypothétique, ou que l'on considère les cas réels, qui n'arrivent guère en pratique aujourd'hui.
Ce débat souligne aussi les nuances entre possibilité, susceptibilité, probabilité, causalité, c'est-à-dire des questions de statistiques et d'interprétation des résultats pour lesquels bien des médecins ne seront pas eux-mêmes à l'aise. Dans un monde parfait, on laisserait au praticien le soin d'apprécier en son âme et conscience ce qui est dans l'intérêt du patient, en faisant la balance entre l'inquiéter pour rien ou le soigner. Dans le monde réel, peut-être est-il plus prudent d'avoir un filet de sécurité plus déterministe ? Cela me rappelle exactement les commentaires entendus à l'Académie nationale de médecine dans un débat consacré à l'intelligence artificielle et à la médecine. Un collègue de l'Académie de médecine disait que le vrai danger avec la médecine prédictive sur le génome est de « donner la frousse », à propos de ce qui va pouvoir nous arriver, les gens passant leur temps à se demander si telle ou telle pathologie à laquelle ils sont peut-être prédisposés, va se réaliser.
Pourquoi faire une exception pour les seuls gènes de susceptibilité aux cancers du sein et des ovaires ? Il existe d'autres gènes de susceptibilité, notamment pour le cancer du côlon. Le diabète peut-être ? En toute logique, ou on n'accepte aucune exception ou on en accepte quelques autres, qui doivent être déterminées par les instances médicales.
Sur la médecine prédictive, je me souviens avoir assisté à une réunion organisée au Sénat, où effectivement les médecins, en matière de médecine prédictive en oncologie, évoquaient une assez grande précision, même si l'information devait être encadrée et transiter pas des généticiens, capables d'analyser les résultats et les risques de développer certaines maladies au regard des gènes considérés.
S'il suffit d'envoyer un coton-tige aux États-Unis pour obtenir cette analyse, la mondialisation, le développement des transports et l'Internet ont pour conséquence que des lois uniquement applicables en France ne sont plus très utiles. Pour ma part, j'estime qu'il vaudrait mieux que cela soit bien encadré en France, notamment par un médecin généticien. Il me semble préférable de franchir ce pas que de tout interdire. Sinon, lorsque les gens feront réaliser une analyse ADN, ils consulteront leur médecin généraliste qui aura bien du mal à leur donner des explications et ils ressortiront de leur consultation peut-être encore plus inquiets.
Ce débat est aussi intéressant que technique. Si l'on est confronté à des analyses visant à rechercher des maladies rares, le dossier « qui tombe du scanner » comporte nombre de données médicales qui n'ont finalement aucune incidence et le médecin, courageusement, ne vous dit donc pas tout. Je trouverais étonnant que le législateur décide de ce qui doit, ou pas, être dit. C'est le propre du métier de médecin de déterminer ce qu'il doit dire, parce que des conséquences peuvent en être tirées. Il faut lui laisser une latitude de décision, au lieu de lui imposer, par la loi, de communiquer le résultat de la seule analyse prescrite.
La question de l'information se pose du fait des progrès fantastiques de la science. Lors d'une audition récente, le professeur Dominique Stoppa-Lyonnet nous a dit qu'il y a encore deux ans, il fallait un mois et des dizaines de milliers d'euros pour séquencer 2 000 gènes alors qu'aujourd'hui, trois jours et 2 000 euros suffisent. Il s'agit donc d'une accélération considérable de l'accès à l'information. La question principale demeure cependant : « à qui appartient l'information ? ». C'est la question de base, à partir de laquelle s'articulent toujours les mêmes arguments. Quand j'étais étudiant à la faculté de médecine, externe, on disait : « Monsieur Untel a un cancer du pancréas, on ne le lui dit pas parce qu'il va mourir dans six mois. » L'information appartenait aux médecins. Aujourd'hui, il est inimaginable de procéder ainsi. Ces comportements existent peut-être encore, mais ne sont plus d'actualité. La société a évolué. L'information médicale appartient à la personne concernée. La politique, c'est sa noblesse, doit organiser le fait que délivrer l'information médicale ne génère pas d'angoisse excessive au niveau individuel, sans, pour autant, dissimuler l'information.
Si le Sénat a adopté la proposition de loi sur les tests post mortem sur les prélèvements - et il est exact qu'il s'agit d'une dérogation au consentement -, c'est parce que les généticiens ont appelé notre attention sur le cas de personnes décédées relativement jeunes, brutalement, et pour lesquelles on découvre qu'ils étaient porteurs d'une maladie génétique, avec des conséquences sur leur entourage. En vérité, les médecins donnent déjà l'information, alors que c'est illégal. Ils nous l'ont dit. Ils nous ont demandé de légiférer pour « légaliser » une pratique qui existe de fait, non pas de façon anecdotique, mais récurrente. C'est le sens de la proposition de loi déposée par M. Alain Milon, le président de notre commission des affaires sociales. Les généticiens ont cette information et estiment qu'ils n'ont pas à la garder pour eux-mêmes, parce qu'elle ne leur appartient pas.
Sur la question de l'autopsie, nous avions estimé, lors de l'examen de cette proposition de loi, qu'il ne fallait pas que cela débouche sur des exhumations. Quatre-vingt-dix-neuf fois sur cent, il s'agit de prélèvements et de tissus disponibles. Nous avons considéré qu'une demande d'exhumation pour procéder au test causerait un trouble beaucoup plus important. Il appartient au législateur d'assumer des responsabilités qui sont éminemment politiques, qu'il ne doit reporter ni sur les professionnels, ni sur d'autres.
Dans le projet de rapport, vous proposez, par exemple sur la question de la fixation de l'âge maximum d'accès aux techniques d'assistance médicale à la procréation, de confier la décision à l'Agence de la biomédecine. Je considère qu'il s'agit d'une responsabilité politique, qui appartient éminemment au législateur. Du point de vue scientifique, il n'y a pas de limite réelle. C'est alors à la société, dans ses choix politiques, qu'il incombe de fixer la limite. J'appartiens, comme quelques collègues parlementaires, au conseil de surveillance de l'Agence, et n'ai pas envie de devoir y traiter ce sujet. Il me paraît plus légitime que les députés et les sénateurs se saisissent de la question.
Les sujets les plus complexes et difficiles ne sont pas ceux dont les médias se sont volontiers fait écho à l'envi.
C'est absolument passionnant, à l'articulation de la science, de la technique et de la déontologie. Les médecins suivent leur devoir déontologique face aux attentes de la société, balayée par le grand vent du large, puisque aujourd'hui plus aucun pays ne peut revendiquer le splendide isolement de l'Albanie d'Enver Hodja.
Sur le point qui nous occupe, je distinguerai deux familles de problèmes, entre les informations corrélées, et les informations de susceptibilité. Il convient d'avoir un regard différent sur chacune. Pour les informations corrélées, dès lors qu'il existe un traitement disponible, il convient évidemment de donner l'information, même si la collecte de cette information intervient à l'occasion d'une découverte incidente. Dès lors qu'il n'existe pas de traitement, je pense personnellement qu'il faut néanmoins donner l'information, tout en l'entourant de précaution, avec une procédure qui permette d'accompagner la personne afin qu'elle soit capable de supporter cette information et de gérer son partage éventuel avec son entourage familial. C'est un processus compliqué.
S'agissant des informations de susceptibilité, ne pourrait-on pas imaginer un processus spécifique ? Il est possible aujourd'hui de déposer chez son notaire des informations qui ne seront révélées que sous certaines conditions. Ne pourrait-on pas imaginer une banque sécurisée d'informations, qui pourraient être examinées par un comité d'experts, de façon à déterminer leur communication ou non en fonction de l'évolution des connaissances ? Le statut de l'information évoluera avec le temps. Une information de susceptibilité deviendra peut-être une information de corrélation, avec l'avancée des connaissances. Il existera alors peut-être des traitements envisageables.
Le risque existe d'être bousculés, voire dans certains cas, balayés, par l'information de masse et le traitement de masse d'informations qui ne peuvent être, en fait, vraiment comprises que par des médecins, par de vrais professionnels qualifiés, mais qui peuvent être exploitées par d'autres, dont les objectifs seront de nature très différente.
Nous avons bien différencié les deux cibles distinctes que sont les gènes de susceptibilité et les gènes de responsabilité. Les généticiens auditionnés ont unanimement défendu l'approche suivante : « Accord pour les maladies monogéniques, pour les gènes directement causes de la pathologie, des gènes étiologiques pourrait-on dire ; refus pour les gènes de simple susceptibilité ».
Un gène de susceptibilité n'est associé à une pathologie que dans une approche probabiliste. Quand on passe de la probabilité, des grands nombres, au cas individuel, il ne s'agit plus d'un risque relatif, mais d'un risque absolu. Et le risque absolu de développer la maladie, en raison de la présence d'un gène de susceptibilité dans son génome, n'a rien à voir avec le risque relatif. La question pour l'individu est binaire : ayant le gène de susceptibilité, ai-je ou développerai-je la pathologie, oui ou non ?
Pour répondre à notre collègue à propos du diabète et d'autres maladies, prenons le cas de deux vrais jumeaux, totalement identiques sur le plan génétique, non seulement sur leur gène de susceptibilité mais sur l'ensemble du génome. L'un d'entre eux développe un diabète, par exemple un diabète de type 1. On se pose la question de savoir quelle est la probabilité ou le risque pour le second jumeau de développer cette pathologie. En fonction des études, la réponse est seulement de 30 % à 40 %. Le composant génétique du diabète n'est que de 30 % à 40 %, le reste tient à l'environnement. Le gène ou les gènes de susceptibilité resteront toujours des gènes de susceptibilité, ils ne vont pas, à cause des progrès de la médecine, passer du statut de gène de susceptibilité à un statut de gène de causalité. Pour des pathologies telles que le diabète, les maladies auto-immunes, éventuellement le cancer, l'important est l'interaction du composant génétique - qui ne compte que pour 30 %, et encore s'agit-il d'une maladie qui est fortement pénétrante -, avec l'environnement et les mécanismes de cette interaction.
Le gène ne fait pas tout, surtout dans les maladies complexes ou multifactorielles. Comptent aussi, par exemple, l'expression des gènes, l'interaction des gènes avec leur environnement, les mécanismes au niveau moléculaire.
En ce qui concerne BRAC 1, les études ont montré que, dans un contexte familial, il s'agit de gènes que l'on peut considérer comme oncogènes et que, dans ce contexte familial, la susceptibilité, le risque de développer cette pathologie est très grand. On ne demande pas pour autant à toutes les femmes concernées de subir des mastectomies. On leur demande seulement une surveillance. On renforce la surveillance pour BRAC 1 et BRAC 2. C'est tout et c'est bien. Mais cela pose la question de savoir pour quelles raisons on ne ferait pas la même chose dans la population générale. Si on le décide pour la population générale, il n'y a pas de raison de ne pas le faire prendre en charge par l'assurance maladie, ce qui signifie augmenter le nombre de médecins, augmenter le nombre de structures, etc. On répondra que les considérations d'argent n'ont pas à intervenir dans la santé. L'impact budgétaire doit pourtant être pris en considération, ne serait-ce que parce qu'à partir du moment où on ouvre une possibilité, il faut le faire correctement. Je précise que j'ai évoqué la notion d'agrégation familiale dans les cas de cancer du sein ou de l'ovaire, mais on ne procède dans ces cas, bien sûr, au « screening » que de la parentèle féminine.
Je voudrais à ce stade poser la question de savoir si on apporte en France une réponse « à la française » à ce sujet. Nous sommes des législateurs et chacun s'exprime comme il veut. Nous avons cependant un corpus bioéthique, spécifique à notre pays. Certains pensent que nous sommes en retard, d'autres que nous sommes en avance, d'autres encore que nous sommes un modèle, d'autres que nous sommes rétrogrades. Toujours est-il que nous avons un corpus bioéthique, considéré traditionnellement comme spécifique à notre pays. La question qu'il faut se poser, de façon générale, est de savoir si la loi doit « courir après » toutes les découvertes scientifiques, la concurrence internationale ou la mondialisation, ou bien si nous devons, en tant que législateur, définir des limites. Mais je ne donne pas de réponse.
Le propos de Jean-François Eliaou me laisse perplexe. Prenons l'exemple d'un gène de susceptibilité. Si ce gène de susceptibilité devient beaucoup plus facile à diagnostiquer, à un coût moindre, et qu'on découvre qu'il constitue un moyen de « screener » une partie de la population, si on dispose ultérieurement d'un nouveau marqueur, coûteux à mettre en place, mais qui, corrélé avec le gène de susceptibilité, donne une plus grande certitude sur le fait de conclure à une association ou une vraie responsabilité à raison du couple gène-marqueur, la loi nous permettrait-elle d'ouvrir le diagnostic du gène de susceptibilité à un plus grand nombre, de façon à pouvoir ensuite recibler, au sein de cette population, ceux pour lesquels on pourrait trouver ce marqueur plus spécifique ? Dans un certain contexte, il ne faudrait pas que la loi nous empêche d'avoir accès à ce premier filtre, pour aller plus loin.
En l'occurrence, nous n'avons pas décidé de ce que devrait selon nous être la future loi de bioéthique. Je rappelle que nous sommes seulement chargés d'évaluer l'application de la loi de 2011.
S'agissant des données incidentes, nous proposons d'apporter au patient une information claire lui permettant de donner un consentement éclairé. Les données incidentes sortent actuellement du champ du consentement éclairé, mais le législateur a la liberté de les y intégrer, comme de trouver des dérogations. Pour l'instant, et c'est très important, lorsqu'on prescrit une analyse génétique, c'est l'information complète qui est donnée. On a évidemment le droit de changer les règles, je n'y suis personnellement pas opposé. En tant que médecin, cependant, comme ma collègue, je pense que c'est compliqué de « camoufler » les choses.
La loi de bioéthique permet de réaliser des études biomédicales avant de prendre une décision d'évolution législative. Si l'on considère que « le jeu en vaut la chandelle », il est loisible de prévoir dans la loi la réalisation d'une étude bioclinique qui permettra, après trois ans, de tirer un certain nombre de conclusions permettant, à ce moment-là, d'appuyer la décision du législateur.
Quelle serait une proposition de synthèse ?
Est-il envisageable, et si oui à quel horizon, qu'on puisse passer d'un gène de susceptibilité à un gène de causalité ?
Les associations entre les gènes peuvent-elles être susceptibles de découvertes ?
Je vais prendre l'exemple du gène de susceptibilité à une maladie appelée la narcolepsie - une baisse de tonus suivi d'un endormissement. C'est un gène dit HLA, comme pour les gènes de transplantation. L'allèle, c'est-à-dire le variant d'un des gènes HLA - en l'espèce, le variant DR 15, mais cela importe peu ici - va se trouver chez pratiquement tous les patients atteints de narcolepsie. En revanche, dans cette salle de réunion, il y sans doute cinq ou six personnes qui « sont DR 15 ». Il s'agit d'un gène de susceptibilité : manifestement personne ne s'est endormi !
Un gène de susceptibilité signifie que, dans la population, des gens « DR 15 » ne sont pas narcoleptiques, mais que pratiquement la totalité des patients narcoleptiques sont « DR 15 ».
Pour ces gènes de susceptibilité, maintenant que nous nous sommes techniquement outillés pour travailler dessus, pourquoi ne pas évoquer cette possibilité ? Cela me semble être l'avenir.
S'agissant du diagnostic préconceptionnel, qui consiste à faire une analyse génétique des gamètes des deux partenaires, un certain nombre de nos auditions témoignent du souhait de pouvoir faire un diagnostic préconceptionnel généralisé sur un certain nombre de gènes de causalité. Il ne s'agit plus de gènes de susceptibilité, mais de causalité, pour savoir si un enfant issu des deux partenaires risque d'être porteur d'une pathologie héréditaire non traitable.
La question qui se pose est celle de savoir quel gène analyser. L'audition des généticiens a été claire là-dessus : il faut analyser les plus fréquents. Mais il s'agit d'une notion relative. S'agit-il de tous les gènes des près de 2 000 maladies génétiques ? Se pose également un problème de limite à la prise en charge et à la capacité d'encadrement médical, indispensable pour donner la réponse issue du diagnostic. Il s'agit tout de même de dire à ces personnes qu'elles ne pourront pas forcément avoir d'enfant indemne de la maladie ou que, pour un certain nombre de ces enfants, les grossesses se termineront par une interruption thérapeutique. Je ne dis pas qu'il ne faut pas le faire, mais c'est un risque grave.
Je ne comprends pas l'intérêt de ce type de test. On pourrait le limiter au cas où un des parents ou les deux parents ont des maladies génétiques déjà identifiées. Mais alors, ils peuvent recourir à la fécondation in vitro avec un diagnostic préimplantatoire.
Dans un tel couple, qui va faire appel à l'assistance médicale à la procréation, et c'est notamment le cas des couples infertiles, il s'agirait avant de concevoir un embryon in vitro, de savoir si les parents sont indemnes de maladies.
Cela pose la question de la généralisation à la population, mais aussi à l'égard des personnes qui ne connaissent pas un ou leurs deux parents. Si on ouvre une telle possibilité, les personnes nées sous X ou après une assistance médicale à la procréation avec don de gamètes pourront se sentir discriminées. Au regard du principe d'égalité, on risque toujours de rencontrer quelqu'un qui dira : « vous nous avez oubliés. ».
S'agissant du diagnostic préimplantatoire (DPI) pour une pathologie donnée présente dans la famille, réalisé sur un embryon de 16 ou 32 cellules, on doit prélever deux ou trois cellules, sans que cela ait a priori de conséquences sur la vie de l'embryon. On pourrait ajouter, au cours de cette analyse, la recherche d'aneuploïdies, des anomalies du nombre de chromosomes, pouvant conduire à des pathologies de l'embryon, puis du foetus, des pathologies qui vont empêcher la nidation et donc susciter des fausses couches, ou conduire à des malformations qui ne sont pas forcément létales.
La question de notre collègue est légitime. Mais, dans ce cas également, on retrouvera la problématique des personnes « qui ont la chance d'être malades » et donc d'avoir recours au diagnostic préimplantatoire d'aneuploïdies (DPI-A). Si un diagnostic préimplantatoire d'aneuploïdies montre que la grossesse n'ira pas jusqu'au bout, on introduit une inégalité entre les populations, celles qui sont pathologiques et pour lesquelles il y a une exploration concomitante et celles qui ne le sont pas et pour lesquelles l'aneuploïdie est aussi grave et ne permettra pas à la grossesse d'aboutir.
Nous sommes tous les deux favorables à ce diagnostic préimplantatoire, à condition de garantir son innocuité, c'est-à-dire d'avoir l'assurance que la réalisation d'un DPI et d'un DPI-A ne porte pas préjudice à l'embryon ni au succès de la grossesse.
Lorsqu'on fait de la recherche, on réalise un caryotype, ce qui prend du temps, pendant lequel l'embryon passe de 16 à 32, puis à 64 cellules. À un moment donné, il va falloir vitrifier l'embryon pour attendre le résultat. La vitrification puis le réchauffement de l'embryon ont un impact sur le pronostic de la grossesse. Sur le plan législatif, cela ne soulève pas de difficultés, alors que, techniquement, il existe un risque pour l'embryon, pour la grossesse. Il faudra effectivement prévoir un encadrement dans la loi, peut-être une explication destinée au couple, très précise, bien comprise et contrôlée parce qu'expliquer est toujours faisable, mais pas suffisant : il faut aussi que cela soit compris.
Aujourd'hui, le DPI-A ne peut pas être proposé au couple. Il s'agit d'une demande des associations et des spécialistes, ce qui est logique sur le plan médical.
Cette demande ne s'appuie sur aucun changement scientifique qui garantisse que sa réalisation soit sans risque ?
Toute intervention médicale présente un risque.
Je pense aussi aux femmes, qui, dans le parcours d'assistance médicale à la procréation, doivent subir une stimulation ovarienne, avec des heures de préparation, beaucoup de difficultés aussi parfois, avec le risque de thromboses. Ce n'est pas anodin. Mais éviter des fausses couches à répétition liées aux aneuploïdies a du sens.
Le diagnostic préimplantatoire tend à vérifier qu'il existe toutes les chances de survie de l'embryon, pas de pathologie incurable. En cas d'introduction du DPI-A, apparaît un rapport coûts/bénéfices, avec la possibilité de nouvelles connaissances, mais aussi d'autres risques. En quoi cela diffère-t-il fondamentalement du choix d'un médecin entre deux traitements, chacun avec ses avantages et ses inconvénients, si la finalité est d'obtenir un embryon en bonne santé. Pourquoi se préoccuper en particulier de ce cas de figure ?
Parce que le risque n'est pas nul et que, comme l'a rappelé notre collègue, aboutir à un embryon de 16 ou 32 cellules est un parcours compliqué pour un certain nombre de couples, et, dans un certain nombre de cas, le DPI est fait parce que, dans ce couple infertile, une pathologie présente justifie d'y recourir. Réaliser un DPI n'est pas systématique. Certains médecins souhaiteraient d'ailleurs la recherche systématique des aneuploïdies, mais prélever 3 ou 4 cellules serait prendre un risque supplémentaire pour les couples pour lesquels aboutir à un embryon de 32 cellules est déjà compliqué. C'est pourquoi nous n'y sommes pas défavorables. Nous appelons simplement l'attention sur ce point. Dans leurs préconisations, le Conseil d'État, comme le CCNE, sont favorables à ce que l'on mette en place des études biomédicales d'expérimentation avant de légiférer de façon définitive. Au niveau médical, il existe encore vraisemblablement des aspects à affiner. Nous sommes donc favorables à une expérimentation de trois ou quatre ans pour évaluer l'apport d'une combinaison DPI/DPI-A.
Il s'agit toujours de questions génétiques et diagnostiques. Dans les sujets précédents, la question centrale était d'informer ou non. Dans ce cas-ci, en revanche, il s'agit d'un point médical plus classique, mais aussi plus technique, qui a trait à la génétique, à l'implantation, et qui entre donc bien, de ce fait, dans l'évaluation de l'application de la loi de bioéthique.
Dernier aspect, la loi prévoit aujourd'hui la possibilité de réaliser le DPI-HLA. De quoi s'agit-il ? Par exemple, prenons le cas d'une famille dont un enfant est atteint d'une leucémie. La chimiothérapie constitue un traitement de la leucémie, mais le traitement effectivement curatif est l'allogreffe de cellules souches hématopoïétiques, c'est-à-dire la greffe de cellules sanguines. Une telle greffe ne peut se faire qu'en cas de compatibilité HLA entre le donneur et le receveur.
Le DPI-HLA consiste donc, et j'insiste sur le fait que j'y suis défavorable, à trier les embryons jusqu'à obtenir celui qui a le bon HLA pour donner ses cellules, quand l'enfant sera né, à son frère ou à sa soeur. Cette pratique avait été expérimentée en application de la loi de bioéthique du 6 août 2004, puis confirmée en 2011. On l'a appelée « le bébé-médicament », ou plus hypocritement « le bébé double espoir », celui d'avoir un deuxième enfant et de guérir le premier, malade, grâce à lui. La charge psychologique dans ce cas est hallucinante. Techniquement, la réalisation en est très complexe. En réalité, depuis 2014, plus personne ne le pratique en France.
Quelques-unes, notamment à l'hôpital Antoine Béclère à Clamart. C'est techniquement très compliqué, parce qu'on ne dispose que de deux cellules pour l'analyse HLA.
En ce qui concerne les prélèvements et les dons d'organes, dans la législation française, toute personne est présumée donneur sauf mention contraire. La loi est bien appliquée, mais les résultats sont variables selon les régions. Globalement, le taux de refus est de 30 %, ce qui n'est pas négligeable. Des différences existent selon les régions. Par exemple, en Vendée, le taux de refus est très faible. En Île-de-France, il est beaucoup plus important. Dans le sud, en Provence-Alpes-Côte d'Azur, le taux de refus est beaucoup plus important que de l'autre côté de la frontière, en Espagne. On ne comprend pas très bien quelles en sont les raisons.
L'attitude des professionnels de santé qui entourent les décès joue peut-être un rôle. Lorsque quelqu'un est décédé et que ses organes ont la possibilité d'être prélevés, on vérifie d'abord l'absence d'expression contraire par la personne décédée, puis on demande à la famille ou à l'entourage s'ils auraient eu connaissance, même verbalement, d'un refus de prélèvement de la part de la personne décédée. Je pense que c'est la raison pour laquelle on atteint encore 30 % de refus. Ceci dit, les prélèvements dits de la catégorie de Maastricht III, sur les personnes après un arrêt cardiaque contrôlé à la suite d'une décision d'arrêter les traitements, ont permis d'augmenter le nombre de greffes.
On n'arrive pas à greffer toutes les personnes en attente et cela varie selon les organes. On ne comble pas les besoins avec les prélèvements après mort encéphalique. Depuis quelques années, la France a travaillé sur d'autres alternatives, notamment en effet sur les prélèvements relevant de la catégorie dite de Maastricht III, qui nécessitent cependant une logistique importante ; ainsi que sur les donneurs vivants.
N'y a-t-il pas des recherches pour reconstituer des organes à partir de cultures cellulaires ?
Oui, des recherches sont en cours.
Les équipes de coordination de transplantation, parce qu'elles sont très bien entraînées, ont permis de faire baisser le taux de refus et la loi laisse, à l'appréciation de l'équipe de transplantation, une certaine latitude en l'absence manifeste d'expression d'un consentement ou d'un refus. Si la personne n'a rien dit, elle est présumée consentante, mais le fait est que des membres de la famille s'y opposent. Dans ces cas-là, c'est à l'équipe de transplantation de prendre la décision.
Les membres de la famille peuvent toujours dire qu'ils ont entendu la personne manifester son opposition de son vivant.
Le don croisé, tel que la législation le prévoit actuellement, consiste à ce qu'un receveur de rein trouve un donneur dans sa famille, quelque part en France, par exemple à Lille. Un autre receveur a également un donneur dans sa famille, par exemple à Nice. Si le donneur de Nice n'est pas compatible avec le receveur de Nice et si le donneur de Lille n'est pas compatible avec le receveur de Lille, on regarde, sous le contrôle de l'Agence de la biomédecine, si le donneur de Lille serait compatible avec le receveur de Nice et le donneur de Nice avec le receveur de Lille. Si la réponse est positive, la législation actuelle impose que la greffe, le transport, l'intervention se fassent de façon simultanée entre Nice et Lille. La synchronisation est absolument fondamentale dans la loi actuelle.
Compte tenu du taux de refus des prélèvements sur personnes décédées, les spécialistes et l'Agence de la biomédecine préconisent d'augmenter le nombre de couples donneur/receveur concernés. Au lieu de deux couples, on passerait à dix, vingt, voire trente couples.
Augmenter significativement le nombre de couples concernés signifie cependant, dans le même temps, qu'il devient impossible d'imposer la simultanéité des gestes interventionnels. La question que doit se poser le législateur est celle de la synchronisation. Si les interventions ne sont plus réalisées de façon simultanée, cela soulève un vrai problème médical, et un vrai problème d'éthique. Il existe en effet des moyens opérationnels de conserver le rein sous perfusion, avec des machines à cet effet. Mais lorsque l'on met un rein sous perfusion, même si la perfusion est très opérationnelle, il existe un risque d'impact sur le pronostic.
Les bons résultats des transplantations entre receveur et donneur vivant, tiennent au fait que la personne étant prélevée dans le bloc A, on apporte le rein dans le bloc B, à dix mètres de distance. Le rein est toujours vivant. À partir du moment où on place le rein dans une machine à perfusion, on augmente le risque de rejet.
J'ai lu que le passage dans le liquide de perfusion améliorait parfois la qualité du rein.
Des calculs ont été faits pour déterminer le nombre minimal de couples qu'il serait utile de considérer, six ou dix, par exemple, sachant qu'on ne peut pas dépasser un certain nombre, même si aux États-Unis, le nombre de couples est beaucoup plus important, jusqu'à 50.
Le deuxième élément à introduire, selon l'Agence de la biomédecine, consisterait à amorcer la chaîne soit par un donneur altruiste, qu'on appelle « le bon samaritain », soit plutôt au moyen d'un prélèvement post mortem.
Depuis 2011, l'évolution a tenu à la pratique des prélèvements dits Maastricht III, c'est-à-dire après arrêt circulatoire suite à la décision de l'arrêt des traitements. Le débat éthique consiste à s'assurer qu'il n'y a pas de pression pour arrêter les traitements. Un protocole de l'Agence de biomédecine encadre totalement cette pratique, ce qui évite tout conflit d'intérêts.
Enfin, je soumettrai à votre sagacité, mes chers collègues, un problème soulevé par l'Agence de la biomédecine et un certain nombre de médecins néphrologues et de chirurgiens transplanteurs. En France, prévaut le principe de l'étanchéité totale entre le donneur et le receveur, étanchéité absolue liée au principe du don anonyme, gratuit et volontaire. Dans le cas des donneurs familiaux, l'étanchéité n'est, par définition, pas respectée. La loi impose actuellement au donneur de passer devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant pour garantir l'absence de pression et rétablir en quelque sorte l'étanchéité entre le donneur et le receveur. La justice apporte cette garantie. Des demandes se font cependant jour pour alléger la procédure, en supprimant l'étape de l'expression devant le juge. Je ne suis pas favorable à une telle remise en cause, le décloisonnement entre le donneur et le receveur pouvant recouvrir des formes de pression, voire de marchandisation.
N'y a-t-il pas cependant un problème d'urgence, compte tenu de l'encombrement de la justice ?
Il s'agit d'un cas de donneur vivant, il n'y a pas d'urgence.
Le consentement du donneur vivant est consolidé après un entretien avec le juge ?
Le consentement est exprimé devant le juge.
Il faut comprendre la charge émotionnelle qui se créé lorsque quelqu'un donne un organe à une autre personne, à qui il donne d'une certaine manière à nouveau naissance. Le receveur lui en est éternellement reconnaissant, peut-être de façon un peu exagérée d'ailleurs. Le donneur fait effectivement un sacrifice parce qu'il sait que s'il a ultérieurement un accident par exemple, n'ayant plus qu'un rein, il devra passer en dialyse si ce rein restant ne fonctionne plus. Le poids émotionnel est intense, même dans le cas où le receveur a rejeté le rein de son donneur. Une double culpabilité peut s'installer dans ce dernier cas, consistant à ce que le receveur se dise : « je n'ai pas été capable de garder le rein », et le donneur : « je n'ai pas été capable de sauver mon frère », par exemple. Il faut absolument s'assurer du fait que le donneur a pris toutes ses responsabilités. Le passage devant le tribunal me semble sacraliser ce moment, la justice impartiale apportant sa caution.
Je vous propose de poursuivre l'examen de ce projet de rapport lors de notre prochaine réunion, jeudi prochain, à 8h30, et vous propose que cette seconde réunion se tienne au Sénat. Nous pourrons également examiner le projet de note scientifique sur les enjeux sanitaires et environnementaux de l'huile de palme, que nous présentera notre collègue députée Mme Anne Genetet.
La réunion est close à 12 h 15.