Mme Marie-Pierre Mescam, que nous accueillons, préside la filière métal de la Federec, fédération professionnelle créée en 1945, qui regroupe l 100 entreprises, des multinationales aux PME, dont l'activité consiste principalement en la collecte, le tri et la valorisation matière de la ferraille.
Nous souhaitons connaître cette filière, ses potentialités, ses marges de développement et de valorisation, qui sont intimement liées à la filière métallurgique électro-intensive. De ce point de vue, les enjeux climatiques sont majeurs. Nous souhaitons également connaître la structuration de cette organisation professionnelle.
Pouvez-vous nous présenter brièvement la Federec et ses relations avec les entreprises sidérurgiques et ses homologues des pays membres de l'Union européenne, afin de savoir si le recyclage de l'acier est pensé à l'échelle européenne ? Quel est le poids du recyclage dans la filière sidérurgique ?
Que pensez-vous du contrat stratégique de filière (CSF) « Mines et métallurgie », pour son volet relatif à l'approvisionnement responsable, la transition écologique et l'économie circulaire ? Quelles sont vos propositions, notamment financières, pour développer le recyclage au sein de la filière sidérurgique ? À cet égard, quel regard portez-vous sur les marchés du carbone, en particulier sur le marché du carbone européen ? Que pensez-vous de l'idée d'une taxe carbone aux frontières ?
Je terminerai par une dernière question plus technique : que pensez-vous du procédé développé notamment en Australie, qui consiste à ajouter des pneus au coke métallurgique afin d'obtenir un meilleur rendement des fours à arc électrique ? Cette méthode est-elle utilisée en France ?
Sur ce dernier point, je ne pourrai pas vous répondre, car cela concerne nos consommateurs. La Federec est la fédération des entreprises du recyclage.
Elle regroupe douze filières.
Environ 800 établissements travaillent sur les métaux ferreux et non ferreux : 40 % sont des grands groupes, 60 %, des PME. En effet, ce qui compte, c'est la proximité, notamment pour les approvisionnements.
En 2017, 12,8 millions de tonnes ont été collectées, soit une augmentation de 5,7 % par rapport à 2016, et 12,3 millions de tonnes de métaux ferreux ont été vendues. L'Union européenne a importé 1,14 million de tonnes d'acier et en a exporté 12,9 millions.
Federec entretient des liens très étroits avec les consommateurs, par le biais d'A3M, notamment pour ce qui concerne le projet du recyclage de demain et le contrat spécifique de filière « Mines et métallurgie ». Elle s'intéresse aussi aux véhicules hors d'usage (VHU). Nous cherchons à quantifier les futurs flux d'acier, d'aluminium et de cuivre issus des VHU, la nature et la qualité des futurs alliages à l'avenir, pour savoir ce qu'il faudra récupérer dans dix ans. On cherche à développer des actions visant à rendre le recyclage plus efficient, avec des possibilités de tri avant déconstruction ou broyage : il s'agit d'améliorer la qualité, notamment pour revenir à la première fusion.
Ce le sera dans les années à venir, mais ce n'est pas encore le cas. Un véhicule hors d'usage a été construit 10 à 15 ans plus tôt.
En d'autres termes, le recyclage est encore balbutiant avec les consommateurs. La filière automobile travaille-t-elle avec vous sur de tels procédés afin d'élaborer un process de fabrication permettant un démontage plus facile, lorsque le véhicule arrive en fin de vie ? Est-ce encore marginal ou une pratique régulière et intégrée ?
Nous touchons là au sujet de l'écoconception et en sommes encore au démarrage. Pour notre part, nous nous trouvons en bout de chaîne. Les acteurs travaillent encore en silos : certes, l'écoconception se fait en laboratoire, mais cela ne correspond pas à la recyclabilité réelle, technique et économique, dans nos sites.
Il n'y a donc pas de coopération entre les consommateurs et ceux qui sont amenés à recycler les produits sur la façon de concevoir ses produits.
Sans dire qu'il n'y a pas du tout de corrélation avec les techniques de recyclage, on pourrait largement faire mieux ! La coopération entre les filières est malheureusement insuffisante. Le développer fait partie de l'une des réflexions que nous menons. Il faut en effet une concertation dès la mise en marché. Ce message est tout sauf un frein à l'innovation : il peut y avoir des innovations, mais il faut que les recycleurs puissent les anticiper et les intégrer pour mieux prévoir la fin de vie de certains produits.
Pour notre part, nous parlons d'« éco-recyclabilité ». Ce n'est pas parce qu'un produit est éco-conçu qu'il est facilement recyclable.
La difficulté, c'est que cette définition est évolutive : elle dépend des conditions économiques et techniques du moment. Le recyclage ne se réduit pas à la collecte et au traitement : il faut que la matière puisse être réutilisée et revendue. Sans cet équilibre économique, le recyclage est impossible.
Dans la filière des ferreux, le modèle existe depuis longtemps. Notre inquiétude porte sur la disparition de consommateurs. Ainsi, Ascoval fonctionne à 100 % à partir de ferraille recyclée, ce qui n'est pas le cas d'autres usines du groupe ArcelorMittal par exemple. Lorsque le prix du produit recyclé est supérieur au prix du minerai, le pourcentage de ferraille utilisée baisse. Le débouché n'est alors pas du tout le même.
Le marché de la ferraille est-il en évolution ? Quel est le coût de la ferraille ? Quelle est la tendance en matière d'évolution des prix ?
Une usine qui consomme de la ferraille peut avoir un coût de matières premières et un coût de produits finis supérieurs à celui des usines qui fabriquent de l'acier à partir de minerai de fer. Ces dernières années, le prix de l'acier est plutôt à la hausse, car sa production devient de plus en plus technique. Les procédés de récupération et de tri sont plus capitalistiques et plus coûteuses. Par ailleurs, c'est un produit qui a tendance à se raréfier. L'industrie du recyclage des métaux ferreux forme une boucle. Si les ménages ne consomment pas et changent leurs machines à laver ou leur portail moins fréquemment, la quantité de ferraille diminuera ; si l'industrie automobile ou les entreprises du bâtiment ne produisent pas, la récupération de l'acier usagé est moindre. Il faut que le coût de démolition d'un bâtiment soit compensé par l'achat de la ferraille. Quand les prix baissent et que la main-d'oeuvre augmente, cela devient compliqué.
La tendance sur les cinq dernières années est plutôt à la hausse. Dans les hauts fourneaux, une variation de 3 % ou 4 % du prix de coke de charbon ou de minerai de fer peut avoir des incidences fortes.
Je Pouvez-vous préciser les volumes et les prix. Ce qui est intéressant, c'est de connaître le différentiel entre le prix de la matière primaire et le prix de la même matière recyclée. La question est de savoir si le delta est insurmontable ou si, grâce à quelques mesures incitatives, il serait possible de favoriser le recyclage.
La compétitivité de la valorisation de la ferraille dans la filière classique est-elle différente de la filière 100 % électrique ? Cela compense-t-il l'augmentation du coût ? L'incorporation de la ferraille dans les hauts fourneaux pourrait-elle être moins compétitive que l'utilisation de la ferraille dans des filières intégrées électro-intensives ?
Ce ne sont pas du tout les mêmes marchés. Les aciéries 100 % électriques ne fabriquent pas le même type de produits. Pour les petites fonderies, qui ont une forte valeur ajoutée, ou les petites aciéries, les autres entrants sont tellement nombreux que le prix de la ferraille n'a pas le même impact. En revanche, d'autres usines, comme Celsa France, sont en concurrence directe avec les usines d'autres pays, comme la Turquie ou la Chine : leur valeur ajoutée est moindre et elles n'ont d'autre choix que de consommer de la ferraille 100 % recyclée. À partir du moment où il y a une trop forte corrélation entre le prix de la ferraille et celui du minerai, elles deviennent difficilement compétitives sur leurs marchés et ont du mal à remplir leurs carnets de commandes.
Une partie significative de la ferraille est vendue à l'étranger. Pourquoi ? Est-ce parce qu'elle ne trouve pas preneur sur le territoire national ? Est-ce une question de qualité de la ferraille ? Qu'est-ce qui motive cette exportation ?
Aujourd'hui, le coût du transport est déterminant. Si le consommateur français se trouve trop loin, ce n'est pas rentable. Si les chutes d'acier produites dans l'industrie sont consommées sur le territoire français, la ferraille de démolition est beaucoup plus compliquée à travailler, tout simplement parce qu'aujourd'hui on ne construit plus les mêmes bâtiments qu'il y a 50 ans et que les produits issus de ces démolitions ne conviennent pas nécessairement. Certes, on peut transformer la ferraille, mais cela suppose que le consommateur soit en mesure de payer le surcoût de préparation.
Certaines ferrailles ne peuvent pas être consommées en France. Les usines utilisent des produits à haute valeur ajoutée pour lesquels la ferraille n'est pas adaptée en termes de densité, de pureté, de propriétés. Certaines d'entre elles ne veulent pas utiliser de la ferraille peinte. Or le décapage de la peinture coûte cinq fois le prix de la ferraille.
Si j'ai bien compris, le volume de ferraille produit est globalement identique au volume de produits semi-finis qui entrent. C'est étonnant. À terme, cette ferraille exportée a-t-elle vocation, dans une logique d'économie circulaire, à trouver son marché en France ou en Europe ?
Oui, pour des raisons de coût de production. Aujourd'hui, 40 % des métaux ferreux partent à l'export ; au moins 20 % pourraient être conservés en France, mais, pour des raisons de coût de production, une usine française ne pourra pas les acheter au même prix qu'une usine en Turquie.
Quel est le taux de besoin d'énergie primaire pour le recyclage des matières ferreuses ?
Je l'estime à environ 50 %.
L'acier fabriqué à partir de minerai de fer est parfois plus compétitif que l'acier fabriqué à partir de recyclages. Est-ce une question de qualité ?
Ce ne sont pas toujours les mêmes produits et ce ne sont pas les mêmes propriétés. En fonction du cours du minerai, une usine en France peut faire évoluer le taux d'incorporation de matières premières recyclées secondaires. Une usine qui produit uniquement à partir de ferraille n'a pas le choix. En revanche, elle pourra être concurrencée par des usines espagnoles.
Y a-t-il des marges d'évolution sur la façon dont on recycle ? Peut-on envisager une limitation du coût du recyclage ?
C'est le contraire ! Plus on recyclera, plus le coût du recyclage augmentera. Certes, on peut vouloir séparer aujourd'hui pièce par pièce une voiture, mais il faut démonter chaque pare-chocs à la main, sauf à inventer une machine : il faut alors que tous les constructeurs se regroupent pour définir des standards communs, car aucun constructeur automobile n'attache son pare-chocs de la même façon.
Vous touchez là un problème fondamental de notre industrie, à savoir la concurrence avec l'acier comme matière vierge, dont le cours varie. Cette situation a une incidence sur la demande en produits recyclés. Les deux sont extrêmement liés. Dans une logique d'économie circulaire et de pérennité de la demande en ferraille recyclée, c'est un sujet important. Il faut tenter de décorréler cette dépendance.
La variation avec le prix de la matière brute peut-elle être très importante ?
Quand le prix de la ferraille est de plus de trois fois supérieur au prix du produit brut, il existe une incidence sur la rentabilité. Cela arrive régulièrement. Qui plus est, cela peut durer plusieurs mois. Nous venons de traverser une période difficile. Certes, la rupture du barrage minier au Brésil a récemment fait s'envoler le cours du minerai de fer.
Un travail partenarial renforcé entre le mode de fabrication des grands consommateurs - filière automobile -et la filière de recyclage en amont, c'est-à-dire une écoconception partagée, permettrait-il des gains de production suffisants ?
Non, mais cela permettrait d'avoir moins de mélanges dans les matières et des matières plus nobles. Ainsi, les constructeurs automobiles voudraient ne plus acheter de l'aluminium de première fusion, mais de l'aluminium recyclé, à condition qu'il soit plus pur. Cela représente une faible part des volumes du recyclage.
Sur ce sujet, nous travaillons avec la région Hauts-de-France sur un mécanisme de marché inspiré des mécanismes certificats d'économie d'énergie ou les produits phytosanitaires. Dans le cadre de Rev3, des programmes tels que NER300 (New Entrant Reserve 300) permettraient de mettre en place des mécanismes de marché. Ainsi, pour une industrie consommatrice, acheter telle quantité de produits recyclés lui fait bénéficier de certificats qu'elle peut ensuite revendre sur un marché. C'est une incitation économique, qui ne crée pas de fiscalité supplémentaire et pas de dépenses pour l'État. C'est un système vertueux.
Vous voulez dire un système identique à celui des certificats carbone ?
On donnerait à une industrie donnée le droit à un certain nombre de certificats par an. Dans le cas où elle en aurait trop, elle pourrait en revendre à une autre industrie.
Elle en est à son tout début. Nous travaillons avec Philippe Vasseur sur la manière de la faire démarrer à l'été 2019 dans le programme Rev3.
Pourriez-vous nous transmettre plus d'informations sur l'appel à projet européen NER300 ?
Je vous enverrai ces éléments.
Quel est le différentiel de consommation d'énergie entre une tonne d'acier issue du recyclage et une tonne d'acier issue de minerai ?
Le recyclage économise 40 % de la consommation d'énergie et 57 % des émissions de CO2. Nous menons aussi des discussions à Bruxelles pour intégrer les économies de CO2 du recyclage du métal dans le système ETS (Emission Trading Scheme) de l'Union européenne. Ce n'est pas le cas aujourd'hui
La Commission est à l'écoute, mais c'est un gros paquebot qui manoeuvre difficilement... Il faut respecter le cycle triennal du système ETS. La Commission nous a donc dit de revenir quand le nouveau cycle serait en préparation.
L'EuRIC, équivalent de la Federec au niveau européen, a parfois des difficultés à se faire entrendre.
Pour vous, quels sont les points les plus bloquants pour le recyclage de la ferraille ? Quelles seraient vos préconisations ?
Le premier besoin est d'avoir des consommateurs.
Arcelor, le groupe Riva en région parisienne, de petites fonderies qui travaillent pour l'automobile, mais aussi l'aéronautique et les produits du bâtiment.
En effet. Il faut gérer le post-recyclage : plus on fait de la qualité, plus le déchet final est un déchet ultime. Plus les méthodes de tri, comme le post-broyage pour les voitures, sont avancées, plus le déchet ultime est difficilement ré-employable. Avec la saturation des installations de stockage des déchets dans certains départements, nous avons pu être amenés à fermer provisoirement pendant un mois ou deux nos capacités de recyclage.
Nous connaissons en effet une crise majeure depuis fin 2018. Nous produisons un déchet ultime que nous ne pouvons qu'enfouir. Mais la loi fixe l'objectif de diviser par deux le volume des quantités enfouies d'ici à 2025. En tant qu'entreprises du recyclage, nous ne pouvons que saluer un tel objectif, mais il ne dit rien de ce que nous devons faire des 8 millions de tonnes qui ne devraient pas être enfouies. Nous sommes à la croisée des chemins sur ce point.
Nous pourrions développer l'incorporation des déchets et l'utilisation du combustible solide de récupération (CSR). Ce dernier est composé de plusieurs déchets ultimes : plastique, textile, résidu de broyage. Son pouvoir calorifique est très important. En France, il n'y a que les cimenteries qui l'utilisent.
À l'étranger, c'est différent.
Certes, mais elle est réalisée dans des installations classées.
Existerait-il des procédés pour faire cela sans émission excessive de CO2 et sans risque sanitaire ?
Il y a toujours un risque. Mais le CSR est conforme à la règlementation européenne.
L'émission de CO2 due à la combustion est-elle comptabilisée dans l'empreinte carbone de l'acier recyclé ?
Non, mais l'utilisation de ce produit fait baisser la consommation d'hydrocarbures.
De toutes manières, nous avons besoin d'énergie...
Le recyclage de la ferraille produit une part de déchets ultimes et deux solutions s'offrent à nous pour le traiter : soit on l'enfouit, soit on le brûle. Chacune des solutions a des inconvénients, mais la question est : quelle solution faut-il préconiser pour traiter une matière qui existe de toute façon ? Le sujet est devant nous.
Il y a des appels à projet pour créer des usines de CSR.
Vous nous dites que ce sont les cimentiers qui brûlent ce combustible - et en effet, ils savent tout bruler. Ils produisent une tonne de CO2 pour une tonne de ciment pur. Il pourrait être intéressant de rencontrer des cimentiers pour connaître les ratios carbone des différentes sources d'énergie.
S'ils utilisent ce combustible, c'est qu'ils y trouvent un intérêt.
Aujourd'hui, 300 000 tonnes de CSR sont consommées, mais nous sommes capables d'en produire 900 000 tonnes. Il y a donc un réel besoin de consommation pour réduire l'enfouissement.
Les sites sont fermés.
Vos consommateurs, donc vos clients, nous disent qu'ils ont besoin de plus en plus de pureté de l'acier. Cette évolution vous amènera à vouloir vendre de plus en plus de ferraille à l'extérieur. Plus on recycle la ferraille et plus elle change de propriétés. Peut-on craindre une séparation entre votre production et les besoins des clients ? Mesurez-vous ce décalage ? Serez-vous contraints à vendre à l'extérieur ?
C'est une très bonne question. La tendance pourrait en effet nous conduire à nous tourner vers l'extérieur. Mais pourquoi nos consommateurs veulent-ils des aciers de plus en plus purs ? Parce qu'on y ajoute de plus en plus de choses. La fabrication de l'acier devient de plus en plus compliquée. C'est pour cela qu'il faut garder chez nous des entreprises capables de faire de l'acier selon des procédés spécifiques et pas seulement des sidérurgistes qui produisent de l'acier affecté au nucléaire, par exemple. Nous avons besoin de conserver des usines produisant de l'acier à moindre valeur ajoutée. Mais il leur faudra des incitations pour qu'elles puissent concurrencer les aciers turcs ou chinois.
Il faudrait travailler sur le déconstruction avec la filière automobile. Selon l'un de mes interlocuteurs chez Renault toutefois, le producteur d'automobile ne sera pas mobilisé sur cet aspect avant vingt ans. Non ! La rupture d'innovation ne se fait pas en claquant des doigts.
Exactement. Nous voulons des voitures qui ne rouillent plus, qui durent cent cinquante ans... Tout cela est moins facile à recycler. Plus vous rajouter du manganèse, ou de la fibre carbone pour alléger votre voiture, plus le recyclage est difficile. Nos process de tri sont de plus en plus fins. Mais le petit bout d'aluminium de moins d'un millimètre, personne ne sait le récupérer. Plus on avance, et plus c'est compliqué.
Ce qui est choquant, c'est qu'on ne soit pas plus avancé dans un mode de fabrication qui prenne cela en compte. Lors du Grenelle de l'environnement de 2007, nous avions mis ces sujets sur la table. J'aurais cru que nous aurions avancé depuis. On pourrait imaginer davantage de partenariat...
La ferraille recyclée est un produit à très faible valeur ajoutée. Mais le secteur automobile demande de plus en plus d'aluminium recyclé. Est-ce pour une question de coût ?
Oui. Un autre problème est que, même si nous sommes la fédération du recyclage, nous sommes souvent oubliés. Les grands groupes comme Peugeot ou Arcelor sont consultés, mais ce n'est pas eux qui vont chercher la ferraille à recycler et la travailler. Nous, nous prenons tout ce qu'il y a, nous ne choisissons pas !
Arcelor a-t-il besoin de la ferraille dans son process de fabrication, ou ne l'utilise-t-il que pour réduire ses coûts ?
Il en a besoin pour protéger certaines parties de ses produits. Certaines de ses usines, comme Industeel par exemple, consomment 100 % de ferraille recyclée.
Y compris les hauts-fourneaux ? Est-ce pour des raisons techniques ou financières ?
Pour des raisons essentiellement techniques. Il leur faut entre 8 et 15 % de ferraille recyclée.
Nos priorités sont l'écoconception et les débouchés. Un projet de loi sur l'économie circulaire est annoncé. La version à laquelle nous avons eu accès ne fait pas preuve d'une très grande ambition sur ces deux sujets...
Il pourrait y avoir un taux minimum de recyclé. Mais cela pourrait constituer un frein à la compétitivité ; pour l'éviter, le mieux serait une incitation économique à incorporer de l'acier recyclé.
Et en termes de réglementation ou de législation, quelles sont vos préconisations ?
La limitation des capacités de stockage nous inquiète beaucoup, sachant qu'une grande partie de ces capacités ne sont pas utilisées pour des déchets issus du recyclage. Nous travaillons sur un projet de labellisation des centres de tris performants pour que de tels centres qui apportent des déchets ultimes puissent avoir un droit prioritaire au stockage sur les autres déchets.
Nous avons vu dans une aciérie des déchets accumulés alors qu'ils pourraient être utilisés comme sous couche dans les routes. On extrait du matériau dans les carrières, alors que ce matériau est disponible ; c'est dommage !
Les régions les plus touchées sont Provence-Alpes Côte d'Azur (Paca) et le Grand Est. À moyen terme, nous plaidons pour l'incorporation et le CSR. Mais dans l'urgence, il faudrait que les capacités de stockage soient...
bien pensées.
oui, et dans l'urgence, augmentées pour les déchets ultimes. Ceux issus du refus de tri des déchets ménagers font l'objet de marchés publics à qui les centres d'enfouissement donnent la priorité. Les plans régionaux uniques de prévention et de gestion des déchets (PRPGD) engendrent un cloisonnement régional. On n'envoie pas son déchet n'importe où mais il peut être très compliqué, dans les zones tendues, de en pas aller dans la région limitrophe. Ces règles manquent de pragmatisme.
Un dernier exemple sur les emballages : Citeo vous dira que les fabricants se sont dotés d'une structure qui valide les processus d'écoconception, le Cotrep, centre de ressources et d'expertise sur la recyclabilité des emballages ménagers en plastiques. Mais les recycleurs n'y sont pas représentés ! Or ce Cotrep a confirmé que les bouteilles en PET opaque étaient éco-conçues, alors qu'elles ne le sont pas. Elles perturbent le recyclage des autres, et ne sont donc pas recyclables.
Elles sont peut-être conçues avec des produits peut-être plus écologiques que d'autres, mais il faut prendre en compte toute la vie de l'objet.
C'est incroyable. Nous voyons bien là la nécessité que les différentes filières doivent se parler !
A côté du CSF « Mines et métallurgie », existe un autre CSF « Transformation et valorisation des déchets », ayant six projets structurants, dont l'écoconception : un Centre d'expertise du recyclage devrait être créé pour rassembler toutes les parties prenantes sur ce thème.
Si vous souhaitez visiter des sites, sachez que Mme Mescam est à la direction de Derichebourg, qui possède un site à Gennevilliers.
Nous recevons maintenant M. Ludovic Weber, directeur général de Saint-Gobain Pont-à-Mousson, fleuron de la métallurgie lorraine.
Votre entreprise compte en effet sept sites sidérurgiques lorrains, dont des hauts fourneaux employant plus de 300 personnes. Elle dispose également de nombreuses implantations en Europe et dans le monde. Cette audition sera l'occasion de se pencher sur le positionnement de votre groupe et de connaître votre analyse de l'environnement économique et concurrentiel de la sidérurgie. Vous pourrez aussi évoquer l'actualité, à savoir un éventuel partenariat avec un groupe chinois, qui inquiète de nombreux élus nationaux, en particulier en Lorraine, tant votre entreprise fait partir de son patrimoine collectif.
Monsieur directeur général, nous vous remercions de nous apporter votre éclairage.
Quel regard portez-vous sur la stratégie de filière mise en oeuvre par le Conseil national de l'industrie et le Comité stratégique de filière mines et métallurgie ? Participez-vous à ses travaux, et les « projets structurants » vous concernent-ils ? Comment jugez-vous le dialogue entre l'État et les industriels, et comment l'améliorer, le cas échéant, pour mieux définir une politique industrielle française et européenne ?
La filière sidérurgique nous apparaît comme étant au coeur de la transition énergétique. Cette transition peut être vécue comme une contrainte : dans le cadre du système d'échange de quotas d'émission européen, des quotas gratuits sont alloués aux entreprises de la filière afin d'éviter le phénomène de « fuite de carbone » et le seront encore jusqu'en 2030, mais leur volume diminuera. Sans diminution des émissions, les entreprises du secteur devront donc acheter des quotas supplémentaires sur le marché. L'industrie sidérurgique pourrait, dans les années à venir, subir un surcoût non négligeable pour ses émissions de gaz à effet de serre, et affronter un effet de ciseau : la diminution des quotas gratuits, d'une part, et l'augmentation du prix de la tonne de carbone européen, d'autre part. Quelle proportion de vos émissions de gaz à effet de serre est actuellement couverte par des quotas gratuits ? Le rythme d'évolution des quotas est-il calé sur l'évolution de votre production ? La taxe carbone aux frontières vous semble-t-elle être l'outil qui permettrait de protéger la compétitivité de l'industrie européenne tout en augmentant le prix du carbone en Europe ?
Le coût de l'énergie revêt une importance centrale pour les entreprises du secteur, qui sont très souvent des électro-intensives. Est-ce votre cas ? Si oui, quelle appréciation portez-vous sur les dispositifs de soutien aux électro-intensifs, comme l'abattement de tarif d'utilisation des réseaux publics d'électricité (Turpe), l'interruptibilité ou encore la « compensation carbone », qui compense les coûts des quotas de CO2 répercutés sur le prix de l'électricité ? Estimez-vous disposer d'une visibilité suffisante sur vos coûts d'approvisionnement en électricité ?
Je suis très honoré d'être auditionné par votre mission d'information. Étant messin, je suis attaché au développement de l'industrie lorraine. Pont-à-Mousson, entreprise créée en 1856, a fait le choix stratégique de se concentrer sur un produit, le tuyau en fonte, et un marché, l'eau potable. Les besoins étaient immenses à l'époque, et ils le sont toujours. Ce choix dicte encore la stratégie de l'entreprise aujourd'hui. Nous nous sommes développés à l'international, avons fait de nombreuses acquisitions et ouvert le marché de la fonte pour l'eau potable partout dans le monde dès le début du XXe siècle. Nous avons beaucoup innové : poids des tuyaux, revêtements intérieurs et extérieurs, joints, questions sanitaires et environnementales. En 1970, Pont-à-Mousson fusionne avec Saint-Gobain. Les deux entreprises étaient alors de même taille ; à ce jour toutefois, Pont-à-Mousson ne représente qu'une faible part de l'ensemble, mais Saint-Gobain y reste néanmoins très attachée. À ce sujet, elle veut demeurer un actionnaire important, ce qu'il faut souligner au regard du projet que vous avez évoqué de recherche d'un nouveau partenaire.
Pont-à-Mousson est donc un acteur de référence qui emploie 5 500 personnes dans le monde, dont 2 000 en France, essentiellement en Lorraine, avec une présence en Europe, au Brésil et en Chine et des ventes partout dans le monde, sauf aux États-Unis - en raison du Buy american act -, au Japon, pour des raisons de normes, et en Inde, pour des raisons de coût. Pont-à-Mousson compte aussi un centre de recherche et développement qui emploie 150 personnes. Dernièrement, les marchés européens se sont contractés de moitié à la suite de la crise de 2008 et de celle des dettes souveraines de 2012-2013. Pourtant, les besoins de construction de nouveaux réseaux et de renouvellement existent, mais les moyens publics se sont raréfiés.
Deuxième fait majeur : l'explosion des marchés asiatiques. À ce jour, près d'un tuyau sur deux vendu dans le monde l'est en Chine et un sur quatre l'est en Inde. L'Europe représente quant à elle 5 % du marché mondial. Nos concurrents chinois et indiens ont d'immenses capacités financières et d'innovation, ce qui change la donne pour nous, à l'export et sur le marché européen, sur lequel les Indiens sont très présents. Ces évolutions sont telles que nous sommes dans une situation financière assez difficile. Nous connaissons des pertes depuis trois ans : un haut fourneau représente un coût fixe qui demeure quel que soit le volume de vente. Malgré tout, nous pensons revenir à l'équilibre rapidement grâce à des plans d'investissement pour moderniser nos usines notamment à Pont-à-Mousson, à la fermeture d'une usine en Allemagne, avec, en contrepartie, le recrutement de 80 personnes à Pont-à-Mousson. Le but est d'être, en Europe, compétitif par rapport aux Chinois et aux Indiens.
Nos principaux postes de dépense sont le minerai de fer, le coke, la main-d'oeuvre, et, en ce qui concerne l'énergie, le gaz naturel puis l'électricité - nous sommes une industrie électro-intensive, même si nos installations consomment moins qu'un four à induction utilisée pour fondre de la ferraille ; un haut fourneau ne consomme pas d'électricité, il consomme du coke. Nous percevons entre 200 000 et 300 000 euros chaque année au titre de la compensation carbone et bénéficions d'une exonération de taxe intérieure sur la consommation finale d'électricité (TICFE). En revanche, nous ne bénéficions pas d'abattement de TURPE, car l'on considère que nous ne sommes pas suffisamment soumis à la concurrence internationale, ce qui peut surprendre. Un changement sur ce point pourrait intervenir en 2021.
Votre facture carbone est-elle importante une fois vos quotas gratuits déduits ?
Actuellement, nous sommes intégralement couverts par les quotas.
Nous espérons trouver une solution raisonnable. Nous sommes favorables à la mise en place d'un dispositif de taxation du carbone, lequel nous serait intrinsèquement favorable face à nos concurrents, face au plastique, la fonte étant de ce point de vue très intéressante. Le haut fourneau est la « pire » technologie en termes d'émissions carbone ; la solution serait un cubilot ou un four électrique, mais l'un et l'autre ne sont pour le moment pas compétitifs : le haut fourneau consomme du minerai de fer, le cubilot consomme du coke et de la ferraille et le four électrique ne consomme que des ferrailles. Si l'on taxait le carbone, ces technologies deviendraient rentables. Si rien n'est fait dans dix ou quinze ans, il n'y aura plus de haut fourneau à Pont-à-Mousson. Ou alors il faudrait une innovation majeure.
Avec de la ferraille, pouvez-vous produire de la fonte pour construire les tuyaux ?
Oui, des tuyaux de même qualité.
Vous pourriez donc passer à une production plus électro-intensive sous réserve qu'il y ait des compensations à la frontière. Que représente votre facture carbone en dehors des quotas gratuits ?
Puisque nous ne payons pas le carbone, il m'est difficile de vous répondre. J'ai en tête un montant de l'ordre de 500 000 tonnes de CO2 par an. Nous sommes donc favorables à une taxation du carbone aux frontières pour rééquilibrer les importations de Chine et d'Inde. Sans cela, nous arrêterons le dernier haut fourneau de Lorraine pour le remplacer par une technologie plus vertueuse, mais nous conserverions le site. De même, si l'on veut continuer à exporter hors d'Europe depuis Pont-à-Mousson, il faudra un mécanisme de rééquilibrage par rapport à cette concurrence indienne et chinoise. Si nous exportons vers le Moyen-Orient en payant pour notre carbone, au contraire des Indiens et des Chinois, la création d'un mécanisme aux frontières européennes ne résoudrait rien. Au contraire, notre compétitivité en serait pénalisée.
La taxe carbone aux frontières et son rééquilibrage pour la partie des exportations est-elle plus importante pour vous que des mesures antidumping ?
L'antidumping, c'est du court terme ; le carbone, c'est du long terme.
Une autre solution existe, développée par ArcelorMittal à Florange : l'enfouissement du carbone émis par le haut fourneau. Cette technologie est encore très chère et je doute que nous y soyons prêts avant dix ans. La solution la plus probable pour nous, c'est de remplacer le haut fourneau par un cubilot ou un four électrique.
Au moins 30 à 40 millions d'euros. Un haut fourneau doit être remplacé tous les dix à quinze ans. Sur les trois que nous possédons, un ne fonctionne plus et les deux autres fonctionnent alternativement. Parmi ces deux derniers, l'un devra être refait dans environ deux ans et l'autre dans environ sept ans. Cela représente un investissement de 10 millions d'euros pour une période de quinze ans. Il faut donc que nous soyons convaincus que cet investissement est rentable.
À l'horizon de deux ans, c'est peu probable. En revanche la question se pose pour le fourneau qui doit être remplacé dans sept ans.
Le coût de l'électricité est un élément essentiel pour un four électrique. Le principe d'un cubilot consiste à fondre de la ferraille avec du coke pour produire de la fonte ; avec un four électrique, ce processus s'obtient par des moyens électriques, ce qui en fait un équipement bien plus vertueux en termes de carbone. Nous ne maîtrisons pas tous les paramètres économiques, ce qui en fait un sujet de long terme. Je doute que nous soyons prêts dans deux ans pour décider de remplacer notre deuxième four par un four électrique.
S'agissant des mesures antidumping, il s'agit d'un sujet très important, et de très court terme. Sur le marché européen, aucun groupe chinois ne nous concurrence ; en revanche, de grands groupes indiens sont présents, Electrosteel et Jindal en particulier. Ils pratiquent le dumping ; nous les avons attaqués, et nous avons gagné : ils ont dû s'acquitter de droits antidumping. Nous les avons aussi attaqués pour des aides d'État car le gouvernement indien taxe les exportations de minerai de fer, ce qui revient à décorréler le prix du minerai indien des cours mondiaux. Cela ne nous dérange pas tant que les entreprises indiennes vendent en Inde ; mais, dès lors qu'elles viennent en Europe, cette pratique du gouvernement indien s'apparente à une subvention d'État. Sur ce sujet également, nous avons eu gain de cause devant la Commission européenne, malgré le caractère dérisoire des droits institués. Malheureusement, les Indiens étant très procéduriers, ils viennent d'obtenir gain de cause en appel. La Cour de justice de l'Union européenne, sans remettre en cause l'existence du dumping et de la subvention, a cassé la décision d'instituer des droits antidumping visant l'un de ces acteurs, Jindal, pour des motifs de détails très techniques concernant les modalités de calcul. Nous voudrions faire appel. Celui-ci étant suspensif, les droits seraient maintenus jusqu'à réinstruction du dossier ; a contrario, la suspension des droits crée un appel d'air. Nous ne parvenons pas, hélas, à convaincre la Commission. Elle indique qu'elle va réinstruire le dossier, mais, à court terme, l'absence de droits constitue, pour nous, un préjudice, sachant, évidemment, que le dumping est illégal, et que, si la Commission ne fait pas appel avant la fin du mois de juin, le dossier sera clos.
Je voudrais évoquer les inquiétudes relatives à l'acquisition éventuelle par un groupe chinois d'une partie de l'activité de Pont-à-Mousson. Trois questions : à quelle logique cette volonté de partenariat répond-elle, sachant que des investissements ont été réalisés à hauteur de près de 300 millions d'euros sur quatre ans dans les sites lorrains ? Par ailleurs, quelles seraient les modalités et les conditions d'une telle cession, en particulier en termes de maintien de l'emploi et des technologies sur le territoire français ? Y aurait-il prise de contrôle de l'entreprise ? Enfin, sur ce dossier, comment dialoguez-vous avec les différentes autorités publiques, à savoir l'État et la région ?
Cette prise de participation du groupe chinois XinXing dans Pont-à-Mousson est une rumeur qui n'est pas fondée. La seule information exacte est que Saint-Gobain a commencé, mi-février, à discuter avec une dizaine d'acteurs, dont XinXing, pour réfléchir à un partenariat. Cette piste chinoise est donc l'une parmi d'autres ; les discussions sont très lentes et très loin d'être parvenues à leur terme. Nous comprenons que ces bruits inquiètent, mais, malheureusement, nous ne pouvons rien y faire. C'est au nom de la pérennité de l'entreprise, de l'emploi et des sites que nous menons ces discussions. Tout partenariat, quel qu'il soit, devra respecter ces conditions, ce qui est cohérent avec les investissements que nous avons réalisés. Nous n'investissons pas 130 millions d'euros pour que le site ferme dans deux ans !
En termes de nombre d'emplois et de nature de l'activité maintenue sur le site, que pouvez-vous nous dire pour nous rassurer ?
Le maintien de l'activité actuelle et du nombre d'emplois fait partie des objectifs prioritaires de cette recherche de partenariat. En l'occurrence, Pont-à-Mousson recrute ; nous ne modifierons pas cette tendance. Pourquoi ce partenariat ? Actuellement, l'Europe représente 5 % du marché - c'est là que nous sommes forts -, la Chine 50 %, l'Inde 25 %. Nous avons une usine en Chine, mais elle est toute petite. Autrement dit, nous nous privons d'un énorme marché alors que notre marque est connue et reconnue partout dans le monde.
N'avez-vous pas vendu votre usine en Chine ? Ou est-ce encore une rumeur ?
Nous avons dû la fermer pour des raisons environnementales, avant de vendre le terrain. Nous avons subi de plein fouet la nouvelle politique environnementale chinoise à Xuzhou, petite ville sidérurgique méconnue : 12 millions d'habitants, trente hauts fourneaux, dont le nôtre. Un jour de pic de pollution aux particules fines, la ville a pris, sans consultation et sans préavis, une réglementation avec application immédiate. Les standards édictés étaient tellement exigeants- il s'agissait, en gros, de ne plus produire de poussière du tout - qu'ils étaient impossibles à respecter d'un point de vue technologique. Le lendemain de la publication de la nouvelle réglementation, les vingt-neuf autres hauts fourneaux de la ville ont été arrêtés. Quant à nous, nous avons reçu pénalité sur pénalité, jusqu'à l'arrivée des médias, sur le thème : « Saint-Gobain se croit au-dessus des lois ». Nous avons fini par cesser toute activité sur le site. Je précise que cette réglementation n'était pas dirigée contre Saint-Gobain. Dans cette ville chinoise, 200 000 emplois ont été d'un coup supprimés au nom des intérêts supérieurs de l'environnement. Actuellement, sur les trente hauts fourneaux, cinq seulement ont rouvert. Voilà pour les avanies auxquelles a été confrontée l'une de nos deux usines chinoises - il nous en reste une.
Nous sommes donc affaiblis du côté de notre base compétitive à bas coût, qui nous permettait, en combinaison avec notre base française, d'être efficaces à l'export sur les marchés moyen-orientaux ou africains. Privés de cette base, nous voulons désormais agir en partenariat avec un autre acteur, en Chine, en Inde ou ailleurs.
Devons-nous comprendre que vous fondez vos ambitions de développement à l'export sur la recherche de partenariats de ce type ?
Tout à fait. Mais nous ne savons pas, à ce stade, si nous allons trouver un partenaire.
Si je comprends bien, il s'agirait d'investissements partagés avec un groupe, chinois ou un autre, afin d'installer des unités de production sur d'autres continents et de conquérir des marchés sur place ?
Sur place, et à l'export. Il s'agit de retrouver un outil compétitif.
La législation chinoise autorise-t-elle ce genre de partenariats croisés ? Permet-elle à un groupe chinois et à un acteur européen, par exemple, de se partager des unités de production ?
Notre marché, celui de la canalisation en fonte, est en Chine totalement ouvert, contrairement à ceux de l'automobile ou de l'aéronautique.
La loi permet à un groupe chinois d'investir en France ; la réciproque est-elle vraie ?
Oui. Nous possédons d'ailleurs, en Chine, une usine appartenant à 100 % au groupe Saint-Gobain. La Chine se protège sur les secteurs qu'elle juge stratégiques ; notre secteur n'en fait pas partie. On peut donc acheter à 100 % une usine chinoise. Nous pourrions même, si nous étions compétitifs, exporter depuis Pont-à-Mousson vers la Chine. Il n'existe pas, en Chine, de mécanisme analogue au Buy American Act. Sur nos marchés, la Chine est plus ouverte que les États-Unis.
Pouvez-vous nous parler des comités stratégiques de filière ? Que pensez-vous de la qualité du dialogue entre l'État et les industriels ?
Nous participons au comité stratégique de filière Eau, nouvellement créé, et pas au comité Mines et métallurgie car nous ne nous considérons pas comme vendant de l'acier ou de la fonte : nous vendons une solution de canalisation pour les réseaux d'eau. Autrement dit, nous sommes un acteur de l'eau plus qu'un acteur sidérurgique, et nous parlons davantage avec Suez ou Veolia qu'avec ArcelorMittal, bien que nous puissions avoir, avec ce dernier, des synergies sur les achats de minerais. Pour revenir au comité stratégique Eau, nous le voyons d'un oeil positif, dans la perspective de travailler à l'export avec les autres acteurs de l'eau.
Quelles sont vos relations avec les acteurs publics, l'État, la région ?
Nous sommes très proches des pouvoirs publics, nos clients principaux étant les collectivités locales, les communes, les syndicats des eaux. Nous nous entendons très bien avec eux.
Et en termes de stratégie industrielle, de développement de sites, de reconversion professionnelle lorsque l'activité fluctue ? Comment anticipez-vous, de ce point de vue, les évolutions ou les difficultés ?
Lorsque nous avons mis en oeuvre un plan de redressement, qui passait par une réduction d'effectifs, suite à la chute de nos résultats, nous l'avons présenté à tous les élus avant de l'annoncer ; tous l'ont compris et l'ont soutenu. Les choses, actuellement, se compliquent un peu, autour de la question du partenariat - c'est normal : les élus expriment les inquiétudes de leurs mandants.
L'État vous accompagne-t-il dans les périodes sensibles, ou les discussions n'ont-elles lieu qu'à l'échelle régionale ?
Nous échangeons beaucoup avec le préfet - nous nous entendons très bien avec lui -, très peu avec le ministère.
Vous mentionnez par ailleurs les sujets de formation et d'attractivité. Nos métiers font partie des métiers en tension. Actuellement, Pont-à-Mousson recrute 80 personnes pour la reprise de l'activité de l'usine de Sarrebruck. Nous avons énormément de mal à recruter, et notamment à attirer des jeunes. L'environnement poussiéreux de nos sites ne correspond pas forcément à leurs aspirations. Il faut donc que nous travaillions visuellement, en termes d'image et d'attractivité de la filière sidérurgique.
Y a-t-il, dans les bassins d'emploi, des problèmes de vivier et de formation ? Ou n'est-ce qu'un simple problème d'image ?
Le sujet de la formation professionnelle doit et va être revu. Sur certaines compétences spécifiques, il existe un manque important et nous avons du mal à recruter : automaticien, ingénieur de maintenance, ingénieur digital. Nous sommes ravis d'être installés à proximité du Luxembourg, mais, s'agissant du recrutement de jeunes diplômés, la concurrence des salaires avec le Grand-Duché est difficile à affronter.
Vous avez évoqué une forte baisse des marchés européens ; a contrario, vous partez avec de bons arguments dans la concurrence avec le plastique, en termes de durabilité et de limitation des fuites. Dans le domaine des rénovations de réseaux, quelles parts de marché perdez-vous ? Quelles sont celles que vous pouvez espérer regagner ? Comment ?
Notre premier concurrent est le plastique. L'avantage du plastique est qu'il est moins cher à l'achat ; le gros avantage de la fonte est qu'elle est durable et résistante. Elle permet de supprimer le risque de fuites, sachant que, en France, plus d'un litre d'eau sur cinq en circulation dans les tuyaux est perdu. La fonte a des vertus écologiques Les bilans carbone faits sur la durée de vie du réseau la donnent largement gagnante par rapport au plastique, peu recyclable et qui contient du pétrole et du carbone. La fonte, elle, est recyclable à l'infini, sans perte de propriétés mécaniques. Mais ces avantages sont difficilement valorisables dans le cadre des appels d'offres publics. Nous plaidons donc pour l'intégration dans les appels d'offres publics de critères sociétaux ; une telle évolution serait favorable à la fonte, mais surtout à l'environnement. Je précise que nous ne perdons plus de parts de marché au profit du plastique. Toutefois, ce dernier a beaucoup progressé dans les cinquante dernières années. Nous pensons pouvoir en reconquérir des parts de marché !
Si les élus prennent conscience des vertus de la fonte pour renouveler les réseaux, l'avenir peut être intéressant.
Exactement. Malheureusement, à cause de la baisse des financements publics, nos réseaux collectifs ne sont pas assez renouvelés. Le taux de renouvellement est de 0,6 % ; cela signifie qu'il faudrait 160 ans pour renouveler le réseau, ce qui n'est pas économiquement tenable.
La réunion est close à 16 heures.