Nous poursuivons nos travaux sur le projet de loi relatif à la bioéthique avec l'audition de M. Jean-Marie Le Méné, président de la Fondation Jérôme Lejeune. Avant de donner la parole à notre invité et alors que nos auditions touchent à leur fin, je rappelle que les auditions plénières ne sont pas nos seuls travaux et que les auditions des rapporteurs, qui sont nombreuses, sont ouvertes à l'ensemble des membres de la commission spéciale. Elles sont le lieu d'échanges aussi interactifs qu'approfondis, ce qui est moins le cas en formation plénière où le nombre des intervenants contraint parfois les débats. Les auditions des rapporteurs ne sont donc pas des sous-auditions.
Les demandes d'auditions sont très nombreuses. Je m'en réjouis, car elles témoignent de l'intérêt porté à nos travaux ; mais elles ne peuvent être toutes satisfaites. On peut le regretter, mais on peut noter également que les travaux du Sénat ne partent pas d'une table rase : ils bénéficient de l'ensemble des travaux antérieurs, notamment de ceux des États généraux de la bioéthique, qui ont permis une très large expression. Nos choix sont humains, ils sont donc imparfaits. En revanche, je récuse les procès d'intention sur les orientations supposées qui gouverneraient nos choix et dont j'observe qu'ils émanent de structures ayant des points de vue très différents. Le pluralisme, l'écoute et le respect sont la marque de nos travaux et j'entends, en ma qualité de président de cette commission spéciale, y veiller.
Ce n'est donc pas une brimade que de proposer une audition par un rapporteur. C'est néanmoins bien volontiers que nous accueillons, à sa demande, notre invité avec une captation vidéo.
Je vous suis très reconnaissant d'avoir accepté de m'auditionner. Je concentrerai mon propos sur deux sujets : le diagnostic préimplantatoire des aneuploïdies (DPI-A) et la recherche sur l'embryon.
J'ai quelques scrupules à commencer par un sujet qui n'est pas dans le texte transmis par l'Assemblée nationale, mais qui a été porté par un amendement centriste, rejeté par le Gouvernement et non adopté par l'Assemblée nationale, qui pourrait resurgir au Sénat. Cet amendement visait à étendre le diagnostic préimplantatoire (DPI) aux aneuploïdies et donc, notamment à la trisomie 21. Il s'agit, selon ses promoteurs, d'améliorer le taux d'implantation de l'embryon et de diminuer le nombre de fausses couches, dans le cadre de la procréation médicalement assistée (PMA).
Le DPI est légal pour les parents qui recourent à la PMA parce qu'ils sont porteurs d'une maladie génétique d'une particulière gravité. Mais la question d'étendre ce DPI à d'autres maladies d'origine génétique, mais non héréditaire - notamment en examinant les chromosomes de l'embryon -, fait débat depuis plusieurs années. Il s'agit du DPI-A, communément appelé « DPI de la trisomie 21 », mais qui recouvre aussi d'autres types de trisomie. À l'occasion de cette troisième révision de la loi Bioéthique, la revendication d'étendre le DPI à la trisomie 21 a donc resurgi au motif d'améliorer les performances de la PMA.
Le premier argument utilisé par Mme Agnès Buzyn, ministre de la santé, pour rejeter l'amendement, c'est l'argument de l'eugénisme : elle a considéré que le DPI était eugéniste par nature. Je cite ses propos : « autoriser cette pratique conduirait manifestement à une dérive eugénique », « je sais depuis le début de l'élaboration de ce projet de loi que ce serait la question éthique la plus fondamentale et la plus complexe », « une telle décision est lourde à l'échelon collectif, je suis par conséquent très mal à l'aise. »
Son deuxième argument est scientifique, car l'extension du DPI repose sur des arguments scientifiques controversés. En effet, la diminution du nombre de fausses couches après un DPI-A n'est pas établie et la littérature scientifique en ce domaine est divisée ; il n'y a aucun consensus scientifique dans ce domaine, y compris dans les articles récents. Le Pr Bonnefont l'a confirmé lors de son audition par la mission d'information de l'Assemblée nationale sur la révision de la loi relative à la bioéthique: « l'augmentation des chances de grossesse après un test d'aneuploïdie n'a jamais été formellement démontrée. » Bien au contraire, il est courant et connu que certaines de ces anomalies se régularisent d'elles-mêmes dans les premiers jours du développement de l'embryon, avant l'implantation. Plusieurs travaux, y compris récents, sont parus sur cette autocorrection de l'embryon. Le Pr Bonnefont a aussi montré que ces techniques de DPI étaient délicates et qu'elles exposaient à des risques de faux positifs ou de faux négatifs : des aneuploïdies peuvent être limitées au placenta et laisser l'embryon sain. Enfin, le DPI-A peut abîmer, voire détruire, l'embryon. Il y a donc des incertitudes suffisantes pour ne pas élargir cette technique à d'autres pathologies, ainsi que l'a confirmé Mme Buzyn.
Le troisième argument de la ministre, auquel je suis assez sensible, est la question du financement et du coût de cette extension, car une généralisation serait inévitable. L'amendement ne proposait l'extension du DPI qu'aux couples qui ont recours à une PMA, mais qui étaient éligibles au DPI pour une maladie héréditaire, mais pas pour tous les couples ayant recours à la PMA. On va donc avoir deux types de couples qui ont recours à la PMA : ceux qui ont droit au DPI parce qu'ils ont une maladie héréditaire familiale - la myopathie par exemple - et les autres couples, qui sont beaucoup plus nombreux, et qui ont recours à la PMA pour des questions d'infertilité, mais qui ne sont pas éligibles au DPI. Je ne vois pas très bien quel argument on va pouvoir invoquer pour dire que l'extension du DPI ne sera ouverte qu'aux uns et pas aux autres ! Or ces deux groupes sont dans un statut d'égalité totale au regard de la trisomie 21, qui est certes une maladie génétique, mais pas une maladie héréditaire. Mme Buzyn s'est donc interrogée sur ce point : quelle garantie avons-nous, si nous passons ce cap, de ne pas aller au-delà ? Car les chiffres donnent le vertige : on passerait d'une moyenne annuelle de 250 couples concernés par un DPI à 150 000 ! Une PMA avec DPI coûte près de 20 000 euros, cela ferait donc une dépense de l'ordre de 3 milliards d'euros.
Cet amendement ouvrirait la boîte de Pandore : c'est toujours par la trisomie 21 que l'on commence, mais ensuite, dans la mesure où nous avons accès à l'ensemble du génome, il n'y a aucune raison de ne pas en profiter pour vendre d'autres diagnostics. Les laboratoires y trouveront leur compte ! Le Pr Bonnefont a également souligné « l'enjeu financier tout à fait intéressant pour les laboratoires, en particulier les établissements privés, qui vont développer ce type de tests ». « Faisons attention à ne pas nous laisser intoxiquer par des professionnels qui auraient des arrière-pensées plus financières que médicales », nous dit le Pr Bonnefont.
Permettez-moi, en tant que président de la Fondation Jérôme Lejeune, qui a créé la plus grande consultation médicale d'Europe spécialisée sur la trisomie 21 et d'autres pathologies avec retard mental et qui a relancé une recherche à visée thérapeutique, d'ajouter un élément important, qui est le fruit de notre expérience : on ne peut pas soutenir le projet d'une société inclusive et dégrader en même temps l'image de la trisomie 21 en la rendant responsable des déboires de la PMA. Car il s'agit bien de cela : éliminer des embryons qui sont susceptibles de dégrader les performances statistiques de la PMA. Or les dépistages conduisent d'ores et déjà, dans 96 % des cas, à éliminer cette population trisomique : en pratique, il ne naît plus d'enfants trisomiques 21, hormis bien sûr le souhait des parents. Nous sommes donc déjà dans une société qui élimine certains types d'anomalies génétiques ou certains types de disgrâces physiques détectées par des machines et des algorithmes : disons les choses comme elles sont ! Je le dis souvent : c'est la première fois dans l'histoire de la médecine que la médecine a rendu mortelle une pathologie qui ne l'est pas ; la trisomie 21 est une affection qui est certes grave, mais pas mortelle - nos patients les plus âgés ont entre 70 et 75 ans et leur espérance de vie continue de progresser. Comment peut-on espérer changer notre regard sur les personnes handicapées si l'eugénisme se renforce à chaque évolution technique, qui n'est pas forcément un progrès ?
Il existe un risque que cet amendement soit redéposé au Sénat parce que les principales institutions interrogées ou qui se sont prononcées lors du débat à l'Assemblée nationale sont favorables à cette extension du DPI : le Conseil d'État, le Comité consultatif national d'éthique (CCNE), l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPESCT), la mission d'information parlementaire, l'Agence de la biomédecine (ABM). Mme Buzyn a tenu ferme sur ce point : c'est une sage décision.
Nous recevons 10 000 patients chaque année, de la pédiatrie à la gériatrie. Le plus difficile n'est pas d'accueillir les patients et leurs familles. Comment progresser sur la thérapeutique quand on entend des propos tels que ceux qui ont été tenus à l'Assemblée nationale en séance publique ? Le député Philippe Berta a osé parler des enfants trisomiques en les comparant à des « légumes » ! Le député Philippe Vigier a eu ces mots terribles : « il faut traquer, oui je dis : traquer, les embryons porteurs d'anomalies chromosomiques. » Dans quel pays, à quelle époque vivons-nous ? Quel message les pouvoirs publics envoient-ils aux personnes que nous accueillons dans nos consultations ? Ces propos relèvent d'un racisme chromosomique. Ils sont méprisants, donc méprisables.
J'ai eu la chance, ou l'honneur, de suivre l'élaboration des quatre lois de bioéthique, mais de cinq révisions du cadre de la recherche sur l'embryon, car, étonnamment, il y a plus de révisions du cadre de la recherche sur l'embryon que de lois de bioéthique : en 1994, la loi interdisait la recherche sur l'embryon ; une dérogation temporaire a été ouverte en 2004 ; cette dérogation a été pérennisée en 2011 ; la recherche a été autorisée sous conditions en 2013 ; une dérogation à la dérogation, pour faciliter la recherche qui améliore la PMA, a été prévue en 2016 ; et finalement, toutes les conditions vont être supprimées en 2020. Deux de ces modifications du cadre juridique de la recherche sur l'embryon n'ont pas fait l'objet de lois de bioéthique, alors qu'elles auraient dû le faire.
Le sens de cette évolution témoigne d'un malentendu. Les parlementaires, les médias, les experts se félicitent régulièrement des garde-fous posés par les lois de bioéthique ; mais cette saga législative française d'un quart de siècle démontre exactement le contraire : on est passé de l'interdiction de la recherche sur l'embryon à l'interdiction de s'y opposer, du respect de l'embryon, qui était premier il y a 25 ans, au principe de son non-respect aujourd'hui. Les lois de bioéthique n'ont eu de cesse de déréguler la recherche sur l'embryon ; elles n'ont pas protégé la dignité de l'embryon, elles ont protégé l'intérêt des chercheurs.
La technoscience a fait croire à la médecine, qui a fait semblant de le croire, que si les embryons surnuméraires n'étaient pas utilisés, ils ne devaient pas être inutilisables, leurs cellules souches étant promises à un grand avenir thérapeutique. L'ABM, créée en 2004 à cet effet, a alors autorisé des recherches sur l'embryon. Mais rien ne s'est passé comme prévu : contrairement aux attentes triomphalistes, les espoirs placés dans les vertus curatives de l'embryon ont été déçus. C'est pourquoi, faute d'apporter la gloire, on demande à l'embryon humain de rapporter de l'argent. Objet de toutes les promesses, l'embryon est devenu l'objet de toutes les richesses. Hier, l'embryon devait nous guérir de tout et, aujourd'hui, il doit nous servir à tout.
C'est pourquoi il est aujourd'hui demandé au législateur de faire disparaître les dernières protections formelles de l'embryon qui sont présentées comme la cause des échecs de la recherche ; la recherche serait tellement brimée que les chercheurs n'arriveraient pas à trouver ; certains chercheurs expliquent d'ailleurs leurs insuccès par l'insécurité juridique due à la Fondation Jérôme Lejeune quand celle-ci recourt au juge pour faire respecter les lois. Moins la recherche sur l'embryon apporte la preuve de sa pertinence, et plus il faudrait l'affranchir de toute contrainte pour l'inscrire dans une finalité industrielle et commerciale. Certains scientifiques n'hésitent pas à dire qu'il ne faut pas « rater le virage industriel » !
Or, en quoi le fait de remplacer une autorisation de recherche par une simple déclaration du chercheur, de ne plus poursuivre de finalité médicale, de ne pas privilégier les cellules souches pluripotentes induites (induced pluripotent stem cells - iPS) comme des alternatives aux cellules embryonnaires et l'embryon animal comme alternative à l'embryon humain, de ne plus produire le consentement des parents, de ne plus rendre compte de la traçabilité des embryons, de repousser la limite de la conservation de l'embryon de sept à quatorze jours, serait-il favorable aux découvertes scientifiques ? Faudrait-il vraiment alléger toutes ces formalités absurdes établies par des législateurs absurdes ? En revanche, on voit bien que l'allégement législatif facilitera la production massive de cellules souches embryonnaires par des start-up ou des sociétés à but lucratif, dans une perspective utilitariste, dont d'ailleurs on ne comprend pas comment elle s'accommode du principe de non-patrimonialité du corps humain.
La recherche sur l'embryon n'est pas une question de techniques ou de procédures, c'est une question de principe. On attend du législateur, et certainement encore plus du Sénat, une réponse de sagesse. Le législateur va-t-il suivre la jurisprudence administrative qui a tendance à ne pas annuler des autorisations pourtant illégales délivrées par l'ABM à des scientifiques qui ne se cachent pas d'anticiper des transgressions nouvelles de la loi ?
- Présidence de Mme Catherine Deroche, vice-présidente -
L'article 17 du projet de loi supprime l'interdiction de créer des embryons transgéniques, ce qui permettra la création en laboratoire d'embryons génétiquement modifiés. Le ciseau génétique CRISPR-Cas9 - clustered regularly interspaced short palindromic repeats - associated protein 9 - courtes répétitions palindromiques groupées et régulièrement espacées - ainsi que la technique de transfert nucléaire dite de la « fécondation in vitro (FIV) à trois parents » pourront être expérimentés sur des embryons humains, par transgenèse ; cela se réalise d'ailleurs déjà sans attendre la modification de la loi. Le législateur va-t-il réguler ou simplement régulariser cette transgression déjà anticipée par les chercheurs ? Je me suis entretenu avec certains chercheurs concernés qui ne m'ont pas caché qu'ils étaient effectivement dans une transgression de la loi en vigueur. Ces techniques de transgenèse, et en particulier celle du CRISPR-Cas9, sont au coeur du débat sur l'embryon.
Bien entendu, aujourd'hui, il n'est pas envisagé de réimplanter l'embryon ainsi modifié parce qu'il existe encore un garde-fou ; mais il va sauter bien évidemment ! La vocation du non-transfert à des fins de gestation est un prétexte rassurant pour obtenir une transgression nouvelle. Il est bien connu que, pour obtenir une transgression nouvelle, il faut mettre un barrage à la transgression immédiatement suivante, comme cela a été le cas pour la PMA. La question se pose puisqu'il est question de demander une réinterprétation de l'article 13 de la Convention d'Oviedo, seul dispositif international qui protège l'embryon humain, afin d'autoriser l'embryon génétiquement modifié. Dans ces conditions, on a beau jeu de montrer la Chine du doigt alors que l'on prend la même voie ! Jamais la recherche sur l'embryon humain n'a été autant dérégulée.
On s'est ému à juste titre du forçage des gènes du moustique pour faire des moustiques qui ne se reproduisent pas. Mais ces gènes qui ne devaient pas se transmettre se sont transmis, et on a maintenant une population de moustiques qui présente trois types de génomes modifiés différents, apparus sans que l'on comprenne pourquoi et dont l'impact sur la santé publique est absolument inconnu. Qu'en sera-t-il si l'on accepte de modifier génétiquement l'embryon humain ? Il n'est pas envisagé de réimplanter l'embryon ainsi modifié, mais il existe néanmoins un régime de recherche, voté en 2016 à la sauvette, qui le prévoit : c'est le régime de recherche biomédicale sur l'embryon pour améliorer les techniques d'assistance médicale à la procréation (AMP).
Il n'est pas nécessaire d'être scientifique pour soutenir que l'embryon humain n'est pas un médicament, ni un réactif de paillasse, ni un substitut aux animaux de laboratoire, ni un être de non-droit voué à des oeuvres clandestines. S'il y a un domaine où l'activité humaine doit être responsable et solidaire, c'est bien à l'égard de la recherche, qui porte sur l'humain. « Traquer » tous les embryons humains trisomiques, comme l'a malheureusement dit un parlementaire, ou détruire des centaines d'embryons humains dans des projets de recherche ne paraît ni responsable ni solidaire. Dans des autorisations de recherches récemment délivrées par l'ABM et publiées au Journal officiel, j'ai lu qu'un programme de recherche avait l'autorisation de détruire 70 embryons par an sur cinq ans, soit 350 embryons humains détruits pour une recherche et qu'un autre avait l'autorisation de détruire 150 embryons humains par an sur cinq ans, soit 750 embryons : c'est totalement déraisonnable !
« L'éthique va de pair avec la qualité scientifique. » Ce n'est pas de moi, c'est l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) qui l'écrit au sujet de l'expérimentation animale. Toute une littérature a été développée autour du respect des animaux de laboratoire qui impose de réduire le nombre des animaux, de les remplacer partout où c'est possible, d'obtenir une autorisation du ministère de la recherche pour tout projet de recherche sur l'animal ainsi qu'évaluation favorable du comité d'éthique - il y a 526 comités d'éthique sur l'expérimentation animale en France. Tout cela est extrêmement encadré. Mais s'agissant de l'embryon humain : on ne réduit pas le nombre des embryons utilisés - on les augmente dans des proportions délirantes -, on ne remplace pas le modèle de l'embryon humain par un modèle animal - on considère au contraire que la recherche sur l'embryon humain est une alternative à la recherche sur l'animal : les choses sont inversées ! -, on ne demandera plus d'autorisation - une simple déclaration suffira -, etc. Toute activité humaine doit être responsable et solidaire, c'est aujourd'hui le maître mot dans tous les domaines de l'activité humaine, il n'y a pas de raison que dans le domaine de la recherche sur l'embryon, ces qualificatifs soient oubliés.
S'agissant du DPI-A, vos propos tournent essentiellement autour de la trisomie 21 : je trouve cela un peu réducteur, car il n'y a pas que la trisomie 21 et même, ce n'est souvent pas la trisomie 21 qui est le problème. Vous acceptez que l'on puisse faire un DPI pour rechercher une anomalie génétique, mais pourquoi ne pas rechercher une anomalie chromosomique, au-delà de la seule trisomie 21 ?
Sachez que nous sommes un certain nombre de parlementaires à prôner l'inclusion des personnes handicapées et ce serait faire un mauvais procès d'intention à cette commission spéciale, et au Sénat tout entier, que de prétendre le contraire.
Un sous-amendement du groupe centriste, présenté lors de l'examen à l'Assemblée nationale, permettait de rechercher toutes les anomalies chromosomiques à l'exclusion de la trisomie 21. Mme Buzyn a fait une réponse de médecin : on ne peut pas demander à un médecin de ne pas voir ce qu'il voit et l'obliger à mentir à son patient. Le sous-amendement n'a pas été adopté.
La trisomie 21 est une maladie génétique, chromosomique, mais pas héréditaire. Je ne suis pas un ardent défenseur du DPI, mais il se conçoit pour les maladies héréditaires, par exemple pour les familles qui ont eu plusieurs enfants atteints d'une myopathie. Mais ces personnes n'ont pas de risque particulier d'avoir une trisomie 21 : il ne serait pas juste de leur permettre de diagnostiquer une trisomie 21 et de l'interdire aux couples qui ont recours à la PMA sans DPI - ils sont 150 000 par an. Et si l'on recherche les accidents de la nature qui ne sont pas prévisibles héréditairement, on va tomber aussi sur le sexe. C'était l'argument principal que j'ai développé dans le livre que j'ai écrit sur le transhumanisme, en parlant des premières victimes du transhumanisme.
Il existe un marché mondial de la trisomie 21, de l'ordre de dix milliards de dollars et qui cible une clientèle féminine captive, à qui l'on fait peur d'avoir un enfant atteint de trisomie 21, une maladie qu'on ne devrait plus avoir. Il existe un ordre médical et scientifique établi pour lequel il n'y a plus de trisomie 21. Soyons clairs : il ne s'agit pas de philanthropie...
Vous avez évoqué des intérêts particuliers. Pensez-vous que des intérêts financiers sont à l'oeuvre derrière ce projet de loi ? Si oui, pouvez-vous nous en dire plus ?
On est en train de passer à l'industrialisation et au recours au monde du privé. Des autorisations ont été délivrées par l'ABM pour fabriquer des cellules souches embryonnaires, mais pour le moment ces cellules souches embryonnaires ne sont absolument pas utilisées dans une perspective thérapeutique. D'abord, parce qu'il est extrêmement difficile de maîtriser leur développement. Ensuite, parce que ces cellules souches embryonnaires, greffées sur un organisme adulte à réparer ou à soigner, peuvent faire l'objet d'un rejet immunitaire. C'est pourquoi, depuis vingt ans, pratiquement rien ne se fait sur le plan thérapeutique. En revanche, ces cellules souches embryonnaires sont utilisées pour faire de la modélisation de pathologies et du screening moléculaire. Les laboratoires utilisent ce type de support alors qu'ils pourraient parfaitement utiliser d'autres types de cellules souches - des cellules souches animales ou des iPS - qui ne posent aucun problème éthique et qui présentent toutes les particularités requises pour se prêter à du ciblage moléculaire.
Depuis vingt ans, on a capitalisé sur l'embryon en se disant qu'après la thérapie génique, on allait basculer sur la thérapie cellulaire. Mais malgré tout l'argent, les subventions, les laboratoires, les matériels, les investissements, etc., la thérapie cellulaire ne porte pas ses fruits. Mais, comme il faut rentabiliser tout cela, on passe à l'ère industrielle : ces sociétés sont des sociétés lucratives, financées par le Téléthon. Je ne sais pas s'il y a des conflits d'intérêts : je n'ai pas investigué et je n'ai aucune raison de porter des soupçons sur qui que ce soit. Mais on a changé de logique : lorsque le Sénat et l'Assemblée nationale ont autorisé pour la première fois la recherche sur l'embryon, c'était dans le cadre d'un intérêt thérapeutique majeur. Mais tout s'est écroulé : l'intérêt thérapeutique majeur n'existe plus et même l'intérêt médical va être balayé. Seule reste la production de cellules embryonnaires que l'on va vendre. Or il s'agit d'éléments du corps humain auxquels s'applique le principe de non-patrimonialité inscrit au code civil et au code de la santé publique.
Je vous remercie.
Ce point de l'ordre du our a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La réunion est close à 19 h 45.