Nous recevons les représentants de trois fédérations sportives : MM. Pierre Guibert, membre du bureau exécutif de la Fédération française de football (FFF) en charge des actions citoyennes et sociales, et Matthieu Robert, chef de projet « actions citoyennes et sociales » auprès de la Ligue du football amateur, pour la FFF ; M. Mahyar Monshipour, pour la Fédération française de boxe ; M. Jean-Pierre Siutat, pour la Fédération française de basket-ball.
Nous vous avons demandé de venir pour comprendre la situation dans le sport et pour que vous nous présentiez votre vision de la radicalisation dans les clubs et les moyens que vous vous mettez en oeuvre pour lutte contre ce phénomène.
Un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Pierre Guibert, Matthieu Robert, Mahyar Monshipour et Jean-Pierre Siutat prêtent serment.
Après les attentats de Charlie Hebdo et du Bataclan en 2015, nous avions organisé un séminaire pour nos référents régionaux. La thématique de la radicalisation a surgi. Auparavant, nous ne l'abordions pas. Nous nous sommes tournés vers des experts des services de l'État, tels que le Comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation (CIPDR), afin d'obtenir des réponses formelles. Nous avons ensuite organisé un second séminaire. Nous sommes davantage tombés sur des amalgames concernant le fait religieux que sur des cas de personnes en voie de radicalisation. Le fait religieux et la radicalisation étaient des sujets tabous qui n'étaient pas ou peu abordés. Aujourd'hui, nous disposons d'outils, dont le principal est le guide du vivre ensemble. Nous préparons nos jeunes à devenir de bons citoyens qui ne tombent pas dans la radicalisation. Dans le football, il y a eu très peu de passages à l'acte chez les licenciés. Notre observatoire des mauvais comportements se saisit de tout, des insultes aux coups, et nous n'avons pas de remontées en ce sens, alors que nous comptons 2,2 millions de licenciés. Même si nous sommes sans doute fragilisés par le nombre.
La ministre des sports a animé récemment un séminaire sur la protection des licenciés. Nous sommes dans l'expérimentation du croisement des fichiers. Nous avançons. Aujourd'hui, nous disposons d'outils que nous n'avions pas en 2015. C'est une force.
Merci beaucoup de nous donner la parole. C'est très apprécié. Nous souhaitons éviter les amalgames tout en faisant en sorte que la vérité ne soit pas niée.
Certains de nos licenciés présentent des comportements particuliers qu'il faut être capable d'évaluer et de traiter. Or ce n'est pas forcément notre métier. Nous sommes là dans un partenariat avec la puissance publique. Nous travaillons un cran en dessous, sur le vivre-ensemble, l'apprentissage des valeurs de la République et donc des valeurs du football. Dans ce cadre, nous assumons une position rare en France sur les signes religieux et l'expression des convictions politiques ou religieuses. Avec Nicolas Cadène, rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité, nous avons développé un guide du vivre-ensemble qui explique la position de la FFF, notamment la modification de ses statuts - fait rare - pour intégrer le principe de laïcité, de neutralité et de lutte contre toute forme de discrimination. Ainsi, lors des matches officiels, pour les licenciés officiellement présents, seule compte la tenue réglementaire. Le voile ou tout autre signe marquant une appartenance à une religion ou à un courant politique sont exclus. Cet engagement fort n'est pas suffisamment compris pas nos 14 000 clubs. Nous devons entamer une démarche pédagogique de la façon la plus objective possible, dans l'intérêt général, en évitant de centrer le débat sur la religion, ce qui pourrait être anxiogène.
Pour expliquer et convaincre, nous rencontrons les instances régionales et départementales, les clubs. Nous rappelons aux joueurs que la seule chose qui compte, c'est la tenue pour jouer au football, qui est définie par la FIFA et non par la République. On objective les choses. À partir de là, on peut discuter. Il y a des remises en cause, mais nous expliquons notre nouvelle position et le message passe.
Nous nous appuyons sur les travaux de Nicolas Cadène, sur la règle 50 de la Charte olympique, sur les valeurs de la République, sur des décisions de la Cour européenne des droits de l'homme et sur d'autres éléments, tels qu'une réponse du Gouvernement, il y a quelques années, sur les stades et gymnases, qui ne sont pas des lieux d'expression culturelle ou confessionnelle.
Nous avons fait voter une charte d'éthique en décembre 2017, à la demande du ministère des sports, dont le point n° 6 est la neutralité. Nous y rappelons à nos licenciés que les lieux de football ne sont pas confessionnels. Le premier cas de prosélytisme que nous avons recensé n'était pas religieux mais politique. Une personne vêtue d'un gilet syndicaliste est entrée sur un terrain pour arrêter le match et a demandé aux joueurs de participer à une manifestation contre la loi Travail. Beaucoup de situations nous ont été remontées, telles que la prière dans le vestiaire ou le refus de serrer la main de l'arbitre car c'est une femme. Ce type de situation ouvre la voie à des sanctions, mais par sur motif religieux car ce serait la FFF qui serait discriminante. Il y a un protocole : à la fin du match, on serre la main de l'arbitre, qu'il soit homme ou femme. Nous essayons de rapporter le débat vers l'objectivité, de le déconfessionnaliser et d'éviter les amalgames.
Nous ne fuyons pas le sujet de la radicalisation, mais quelle en est votre définition ? La seule dont nous disposons est celle de Farhad Khosrokhavar, selon lequel elle est l'expression violente d'une idéologie.
Avec nos 400 000 bénévoles, nous agissons en-deçà, pour éviter le décrochage social, le repli, le communautarisme. Nous devons être capables de vivre ensemble et d'accepter tout le monde. Nous accompagnons les clubs avec ce message, plutôt que les sanctionner, ce qui renforcerait le repli identitaire. Nous travaillons sur le vivre-ensemble plutôt que sur le prosélytisme, qui est sanctionné disciplinairement.
Sur la radicalisation, nous avons pour partenaires l'État, l'Unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat) et les cellules départementales de signalement. Nous pouvons également intervenir sur la réadaptation sociale, par exemple des enfants d'un homme parti en famille faire le jihad. C'est le pré- et le post-passage à l'acte.
Nous défendons notre position avec pédagogie, ambition et, je le reconnais, un peu de difficultés.
Le journal de 20 heures de France 2, la semaine dernière, a diffusé un reportage tourné dans un club à La Valette, dans le Var, où une réunion était organisée.
Dans ce district, dont je suis président, il n'y a pas de cas avéré de radicalisation. C'est ce que nous ressentons aussi sur toute la France.
Je représente la Fédération française de boxe mais je suis avant tout agent de l'État, en tant que professeur de sport et conseiller technique et sportif auprès de la fédération. J'ai cette double vision. Un préambule sur nos adhérents, qu'ils soient élus, entraîneurs, cadres techniques ou sportifs : les pratiquants qui dépassent le niveau régional sont presque sans exception issus des quartiers populaires, descendants d'immigrés et musulmans - Français arrivé en France en 1986, je puis témoigner de l'échec social des politiques en faveur de ces quartiers.
Une fédération, bien que contrôlée par l'État, reste souveraine. Je dirais que la position de la Fédération française de boxe est plutôt « passez, il n'y a rien à voir ». Ce n'est pas la seule. Sans corporatisme, je voudrais souligner l'importance du positionnement des conseillers techniques auprès des fédérations, qui les aident à fonctionner, mais ont aussi un oeil étatique sur leur fonctionnement.
Nous avons constaté des mouvements de sensibilisation au fait religieux.
Les finales des championnats de France se déroulaient jusqu'à samedi dernier. Ce sont elles qui placent les athlètes sur un trajet olympique. Il y a encore eu un mouvement de foule et des scènes de violence, toujours dues aux mêmes personnes.
Ce matin, enfin, la Fédération française de boxe a décidé de publier un document de deux pages sur la radicalisation, la séparation entre vie privée et vie publique, entre le fait religieux et la vie de tous les jours, mentionnant le fameux numéro vert. Jusqu'ici, la fédération ne voulait pas se pencher sur ces sujets. Nous y sommes.
Les jeunes appartenant à un club sportif sont souvent mieux cadrés, structurés et éduqués que leurs copains dehors. Mais qui les fait pratiquer ? Le sport n'est pas éducatif en soi ; tout dépend de la façon dont il est enseigné. Focalisez votre attention sur le rôle principal de l'éducateur. Dans les sports individuels tels que la boxe, c'est vraiment l'entraîneur qui donne le la.
Le directeur technique national, Patrick Wincke, m'a demandé de souligner le rôle des bénévoles dans les clubs, sur lesquels nous n'avons aujourd'hui aucun contrôle.
Je rejoins les propos des orateurs précédents. Nous comptons 4 500 clubs. La ruralité est peu touchée. C'est différent dans les métropoles.
Les jeunes filles disparaissent des clubs d'Île-de-France à un certain âge. C'est la région qui affiche le plus faible taux de féminisation des licenciés, qui est de 40 % à l'échelle nationale. Les éducateurs recroisent ces jeunes filles au supermarché, sous un voile intégral. C'est très difficile pour eux et pour les clubs, malgré l'organisation d'un accueil privilégié pour éviter que les garçons regardent les filles s'entraîner en short.
J'ai demandé un arbitrage sur le voile au ministère des sports un certain nombre de fois. La Fédération internationale de basket-ball avait interdit le port de tout signe distinctif. Sous la pression de certains pays, dont le Qatar en particulier, elle a modéré son règlement. À la fédération française, nous avons maintenu l'interdiction de tout signe distinctif. On peut faire respecter le règlement quand il y a un arbitre officiel, mais c'est plus difficile à un petit niveau de jeu, sans arbitre officiel. L'équipe receveuse demande à l'équipe visiteuse si elle accepte que les joueuses soient voilées, et l'équipe visiteuse ne répond rien car elle a peur de se faire molester ou caillasser. Par endroit, des joueuses sont voilées.
Par le passé, il y a eu une campagne instrumentalisée sur le manque de réactivité de la fédération. C'est compliqué. J'ai demandé plusieurs fois une ligne directrice au ministère. De plus en plus de jeunes filles sont voilées et les clubs exercent une très forte pression pour les faire jouer voilées.
En décembre 2015, nous avons reçu une injonction du défenseur des droits sur les règles de participation. On distingue les joueurs dits étrangers et les joueurs formés localement. La Commission européenne a compris que la fédération apportait une valeur ajoutée à un jeune, par sa formation. Dès lors que la Commission européenne s'était exprimée, cette distinction était possible. Le défenseur des droits, en 2015, a demandé sa suppression. Or nous voulions éviter les équipes communautaires, composées de joueurs ayant tous la même nationalité et dont l'objectif allait peut-être au-delà du basket-ball. Il n'y a pas eu de suite à cette injonction. Mais nous nous sentons démunis. Aujourd'hui, nous aimerions des clés pour agir dans les territoires urbains.
La fédération française de boxe a été très sensibilisée à cette question. En effet, l'Association internationale de boxe amateur (AIBA), membre du Comité international olympique (CIO), qui gère les championnats continentaux, mondiaux et les jeux Olympiques, a autorisé en février le port d'une tenue cachant l'ensemble du corps. Jusqu'alors, c'était une des dernières fédérations qui l'interdisait, mais les États-Unis ont fait pression et cela a maintenant changé. En France, il y a eu un précédent à côté de Dijon et la responsable fédérale, une bénévole qui n'était pas particulièrement armée, a eu peur.
Nous avons un point de repère : M. Philippe Sibille, l'agent du ministère de la défense qui assure la liaison avec les fédérations sportives. J'ai demandé conseil aux juristes du ministère, qui m'ont informé qu'en France, la loi française, et donc les dispositions en vigueur concernant le respect de la laïcité, s'imposait aux fédérations, avant les règles internationales. Les athlètes sont donc tenues, en France, de boxer en débardeur et short jusqu'en finale des championnats de France et, dans les compétitions internationales, en équipe de France, où elles représentent leur pays. En revanche, des équipes étrangères participant à des compétitions internationales peuvent très bien faire d'autres choix. Pour nous, la question est donc résolue. J'ai demandé que les délégués fédéraux soient formés en conséquence : on boxe en débardeur et en short. Notre fédération est au point sur cette question.
Je suis élue de la région parisienne et, s'agissant du football, j'ai été étonnée par vos propos : j'ai eu le sentiment que vous minimisiez la réalité. Ici, bien entendu, nous ne mélangeons pas la radicalisation qui mène aux attentats et l'expression du fait religieux dans le sport, nous savons bien que très peu de footballeurs sont partis combattre ou sont revenus pour commettre des attentats. Pourtant, nous parlons souvent du football : cet été, un club a été fermé en Essonne, sous le prétexte de sa mauvaise gestion, alors que l'on a tout de même trouvé des djellabas dans ses locaux ! Mon impression est que le problème est réel, mais que vous le minimisez. Les prières dans les vestiaires, dans le stade, cela existe, en êtes-vous informés ? Le sport doit être un exemple de projet éducatif et d'insertion, un moyen de vivre ensemble au-delà de nos différences, le football offre la possibilité aux riches et aux pauvres de jouer ensemble. Or certains mômes en sont exclus, parce qu'il y a du communautarisme dans les stades. C'est une réalité inquiétante. En revanche, j'en étais moins consciente en ce qui concerne le basket. Comment mesurez-vous ces phénomènes ? Comment ceux-ci vous sont-ils remontés ? De quels outils disposent les responsables des clubs pour lutter contre ces faits religieux dans le football ?
J'ai évoqué dans mon préambule les amalgames, et, dans le football, il est vrai que les événements que nous avons connus ont joué le rôle d'accélérateur de ce processus. Des sanctions sont prévues en cas de non-respect de l'article 1er des statuts, mais Nicolas Cadène, le rapporteur général de l'Observatoire de la laïcité, nous a informés que, en l'absence de troubles à l'ordre public...
Certes, mais nous ne sommes pas des spécialistes de la laïcité et nous nous sommes entourés d'experts pour modifier nos statuts et prévoir des sanctions. Nous commençons par un rappel à l'ordre quand, par exemple, un homme a refusé de serrer la main à une arbitre ou en cas de troubles durant une minute de silence en relation avec les événements récents. En cas de récidive, une sanction doit intervenir. En tout état de cause, les commissions disciplinaires sont départementales et elles sont libres de leurs décisions.
Il en va de même pour les arbitres : certaines commissions d'arbitrage ont édicté des règlements pour interdire qu'un arbitre prie dans son vestiaire, même s'il arrive à l'heure au match et que personne ne le voit. Vous évoquez des remontées indiquant que cela se produit malgré ces décisions mais, même si la fédération a interdit les prières avant les matchs, la conduite à tenir dépend aussi du propriétaire de l'installation et du règlement qu'il impose. On entre ici dans un jeu politique. En tout état de cause, dans chaque district ou dans chaque ligue, ce sont les commissions de discipline ou d'éthique qui gèrent ces dossiers un à un. Personne ne peut nous reprocher de minimiser cette situation, que nous avons été parmi les premiers à prendre à bras-le-corps.
Il reviendrait donc à la municipalité qui prête son stade d'interdire les prières ?
En effet, nous ne sommes pas propriétaire des installations.
Mais enfin, le stade est mis à disposition, les chartes de laïcité s'imposent et c'est aux clubs d'appliquer la règle !
Nous avons modifié l'article 1er des statuts de la fédération, qui prévoit des sanctions. Nous agissons donc.
Monsieur, à qui confie-t-on les enfants, au club de football ou au maire ? Au club de football !
J'entends bien, mais celui-ci n'est pas propriétaire des installations. Chacun prend ses responsabilités. Nous disons aux maires, par exemple, qu'il est interdit de faire la prière avant un match. Si l'on doit attendre une équipe durant un quart d'heure pour cette raison, celle-ci aura match perdu, mais nous dépendons des remontées, qui ne sont pas toujours faites.
Bien entendu, il y a des cas. Ils sont traités par le district dans le cadre de commissions disciplinaires. Jusqu'où pouvons-nous aller ? S'agissant des manifestations que nous organisons, nous restons dans le cadre des licences que nos gamins ont signées, nous ne sommes pas compétents dans tous les champs. Si nos licenciés se livrent à des actes de prosélytisme pendant nos matchs, c'est notre responsabilité, nous intervenons. En revanche, les règles qui régissent l'équipement sportif relèvent également de la municipalité, du propriétaire de l'installation. Dans certains cas, ce sont les municipalités, dans le cadre de conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD), qui ont convoqué le club concerné et qui ont partagé des informations sur des individus. Lorsque l'on signale un individu en voie de radicalisation, il en va de même, la réponse est une enquête administrative dans le cadre du CLSPD. Vous faisiez allusion au cas d'un club de l'Essonne, celui-ci a bien été signalé par la mairie, puis l'autorité administrative a enquêté. La réponse est donc partenariale. Nous ne nions pas la réalité, sinon nous n'aurions pas modifié l'article 1er et nous ne serions pas allés à la rencontre des clubs pour en parler.
Je ne suis pas entièrement d'accord avec les autres intervenants, même dans le cas des stades, il y va également de notre responsabilité.
Nous ne disons pas le contraire !
D'accord pour qu'une solution soit trouvée avec la collectivité propriétaire des équipements, mais le premier contact avec les acteurs revient aux encadrants. Nous avons supprimé les commissions de discipline départementales, parce que celles-ci manquaient d'expertise, et nous avons mis en place des commissions régionales. J'ai assisté à une de leurs réunions, il y a quinze jours, il s'avère que nous n'avons pas eu à connaître de cas concret, mais je ne dis pas que cela ne se produira pas.
Le maire de Nice, par exemple, a pris ses responsabilités il y a plus d'un an. Il a fait voter une règle qui soumet le niveau de subventions au respect de la laïcité.
Le plus souvent, les équipements sont publics et gérés par des collectivités locales ou par leurs groupements. Les instances fédérales ont pour devoir premier de surveiller les clubs, notamment en ce qui concerne l'application des principes républicains. Je suis donc clairement en désaccord avec certaines positions que je viens d'entendre.
La question de la formation est essentielle : les acteurs au sein des fédérations ne disposent pas des outils nécessaires et n'osent pas intervenir.
Je veux vous donner un exemple allant dans l'autre sens : il y a quelques années, un collègue, Malik Bouziane, qui est musulman pratiquant, a catégoriquement refusé la demande d'un entraîneur qui demandait à prier dans un vestiaire de l'équipe de France lors d'une rencontre internationale à Nancy. Il a agi en véritable agent de l'État ! Il ne peut être question de transiger sur une situation de ce type.
Les positions de la fédération française de football m'inquiètent plutôt... Monsieur Guibert, si un homme refuse de serrer la main d'une femme dans le cadre de l'activité sportive ou dans le cas d'un club qui interdit aux enfants non musulmans de venir jouer, que faites-vous ? Quelle est votre attitude vis-à-vis de ces actes prosélytes ? Les faites-vous tous remonter aux élus locaux ?
Lorsque nous avons un signalement, nous intervenons auprès des élus et des responsables de club. Tout le monde a le droit de jouer au football ; ce principe de neutralité est inscrit dans nos statuts.
Il y a cinq ans, j'ai présidé au Sénat une commission d'enquête sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe. Ce problème du monde sportif n'avait pas été évoqué. J'étais donc sceptique au début de nos travaux actuels, mais il semble que les choses se soient dégradées depuis lors...
Vous nous dites que vous êtes démunis. Que préconisez-vous pour remédier à cela et lutter contre les comportements contraires aux lois de la République ? Quels outils devraient être mis en place pour faciliter votre action en la matière ? Avez-vous des contacts avec les référents laïcité et citoyenneté et avec ceux en charge de la lutte contre la radicalisation qui ont été mis en place dans chaque département ? Personnellement, je n'ai aucune foi dans le comité interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation qui n'a pas les moyens de son ambition.
Il est vrai qu'on ne parlait pas de ce sujet il y a cinq ans. Les choses ont changé depuis les événements de 2015 et nous nous organisons pour y répondre. Nous nous sommes mis en rapport avec les différents acteurs - le CIPDR, l'unité de coordination de la lutte antiterroriste (Uclat), les référents... Cette organisation n'existait pas il y a encore quelques années ; nous avons donc besoin de faire preuve de beaucoup de pédagogie. J'ajoute que la situation est très différente selon les régions.
Nous avons mis en place des outils : organisation d'un séminaire, nomination de référents départementaux, création de commissions départementales et régionales... Nous devons aborder ce sujet ensemble. Nous ne minimisons pas du tout le fait religieux, mais une fédération est d'abord chargée de recevoir des jeunes et de faire en sorte qu'ils prennent du plaisir à faire du sport. Nos cadres techniques reçoivent des formations qui leur donnent des outils pour réagir à ces situations.
Je ne peux pas vous dire maintenant si nous avons des relations avec les référents territoriaux. Je me renseignerai, si vous le souhaitez.
Nos clubs sont des associations qui sont chargées d'accueillir des jeunes qui veulent faire du basket et ils subissent comme les autres associations les difficultés du territoire dans lequel ils exercent. Ils sont démunis, lorsqu'ils sont confrontés à une situation qu'ils ne connaissent pas, et ils ont besoin du soutien de leur fédération. Nous devons aller plus loin en matière de prévention. Comment prendre une décision immédiatement, lorsqu'une personne vient voilée ? Nous organisons 600 000 matchs par an et, lorsqu'un tel événement survient, les pressions sont énormes sur le club. C'est là que les bénévoles sont démunis ; ils ont besoin d'un signal fort pour gérer cela.
La sensibilité n'était en effet pas la même il y a cinq ans. Pour autant, la France est confrontée depuis longtemps à un grave problème structurel, puisque certaines personnes d'origine étrangère ne sont pas toujours acceptées comme Français. Le repli religieux que nous constatons aujourd'hui provient aussi du fait que certaines personnes ne se sentent pas acceptées comme Français.
Nous devons absolument prendre en compte l'éducation populaire, avec ses limites actuelles en termes de moyens. Une association n'est pas un guichet, vos clubs participent aussi à la formation et à l'éducation des enfants. La situation est évidemment compliquée et il faut des moyens pour travailler.
Je crois que les clubs sont insérés dans une double relation, celle qui est interne au monde sportif et celle avec les collectivités locales et l'État. Certes, les clubs ou les districts ne sont pas tous concernés par cette question ; pour autant, elle s'impose à tous et elle doit être intégrée dans l'organisation et le travail des fédérations, ce qui nécessite de revoir la structuration d'ensemble. Ces deux relations doivent fonctionner correctement ensemble. De nombreux élus ont pris des initiatives - règlement intérieur, charte de la laïcité... - et les fédérations doivent aussi intégrer cette problématique dans leurs règles de fonctionnement. Bien sûr, il n'est jamais simple d'agir dans de telles situations.
Par ailleurs, je suis toujours assez surpris des démonstrations de religion que font certains sportifs de haut niveau. Cela pose problème. Lorsque des enfants regardent une équipe jouer, par exemple le Brésil, et voient un ou des joueurs faire le signe de croix, je trouve cela inquiétant.
Peu importe la religion !
En ce qui concerne la formation, quels sont les éléments qui manquent aujourd'hui aux fédérations ?
Nous allons travailler sur des préconisations à vous adresser. Depuis cinq ans, nous avons rédigé un programme éducatif fédéral qui comporte des fiches-actions sur toutes les problématiques - règles du jeu et de vie, protection des licenciés, gestes déplacés... C'est quelque chose que nous ne faisions pas avant. Les éducateurs jouent évidemment un rôle dans l'éducation générale des enfants, mais il nous faut un peu de temps.
Depuis janvier, j'ai organisé des rencontres avec les représentants de 800 clubs pour présenter notre plan de travail sur quatre ans et parler du vivre-ensemble. Les clubs ne sont pas seulement des lieux de compétition, ils accueillent un public jeune et sont confrontés à des questions de santé, de handicap ou encore de citoyenneté. Durant ces rencontres, on m'a parlé d'incivilités, mais pas de radicalisation. J'aurai des rencontres en Île-de-France à partir de la semaine prochaine et je peux vous assurer que je vais provoquer les questions sur ce sujet.
Les bénévoles font ce qu'ils peuvent et c'est de plus en plus compliqué. La disparition des contrats aidés et du service civique pose d'ailleurs un véritable problème de ce point de vue.
Il faut rendre obligatoire ce sujet dans les formations fédérales, car c'est un passage incontournable pour les éducateurs et les encadrants.
On ne peut pas tout demander à la loi. Il faut savoir que certains clubs de foot affiliés à la fédération sont clairement communautaires !
Je dois d'abord dire que j'ai été professeur de sport et éducateur sportif en rugby.
Ce n'est pas parce qu'une commune est propriétaire d'un équipement qu'elle est responsable ! Les fédérations sportives ont leurs propres responsabilités. Pour autant, il n'est pas facile d'agir à partir du moment où la FIFA accepte que des femmes jouent voilées ! Cela ne tient pas la route.
Nous l'avons interdit !
Il est vrai aussi que, si un sportif professionnel entre sur un terrain en se signant, il est ensuite difficile d'expliquer le principe de laïcité aux jeunes musulmans... Nous devons prendre ensemble ce problème à bras-le-corps et trouver des solutions, mais les fédérations ont d'énormes responsabilités - le foot a tout de même 2,2 millions de licenciés... Le fait social du sport est gigantesque - nous le savons tous. Se pose alors la question de la formation des encadrants qui doit absolument prendre en compte ces problématiques. Sans réponse adaptée, nous courons à la catastrophe. Vous êtes des sortes d'assistants sociaux finalement.
Les réponses dépendent naturellement de la sensibilité des élus fédéraux et de leurs moyens, mais le législateur peut poser une obligation.
Nous avons créé un institut de formation au niveau fédéral et nous assurons des formations en région. Surtout, nous avons professionnalisé les procédures. Je donne un autre exemple : cela ne fait que quelques années que nous avons mis en place un module de formation sur la gestion des conflits. Il est possible que le module sur les valeurs de la République soit généralisé dans le cadre du prochain mandat de Noël Le Graët, si celui-ci est candidat et qu'il est réélu. Vous le voyez, les choses évoluent. Les éducateurs doivent s'adapter aux phénomènes de société.
Je voudrais vous interroger plus spécifiquement sur la situation en Seine-Saint-Denis. À l'époque où je pratiquais le foot en club, nous côtoyions déjà des clubs de ce département et certaines personnes n'étaient pas habillées comme nous - par exemple, des hommes portaient des robes. Les phénomènes dont nous parlons aujourd'hui existent depuis des années dans ce département. Des personnes se regroupaient déjà pour jouer entre eux et éviter les violences et les dérives de certains clubs.
Je suis président de club au Bourget et je ne veux pas parler uniquement de la Seine-Saint-Denis, car d'autres départements sont confrontés aux mêmes problèmes : absence de signalement du fait d'une forme d'omerta, peur des représailles... Il arrive que les clubs soient au courant de certaines choses, mais n'en parlent pas, parce que c'est monnaie courante et que c'est devenu un fait normal.
Depuis que je suis président de club, des individus ne m'ont demandé qu'une fois de disposer de vestiaires pour prier. Je leur ai expliqué que ce n'était pas possible et l'affaire a été close. Que ce soient les clubs ou le gardien du stade, quelqu'un doit avoir le réflexe d'expliquer les choses. Cette question n'est pas uniquement celle du fait religieux, c'est la même chose pour la violence contre les arbitres ou entre les joueurs. Parfois, le maire a plus d'informations que le club et il est important de partager l'information pour lutter contre les incidents. Je ne nie pas que ces incidents existent, mais ils sont peu nombreux.
J'ajoute que, si les licenciées s'en vont et sortent du giron fédéral, ils vont jouer entre eux au parc de La Courneuve couverts de la tête au pied ! Que faire dans ce cas ? Que dire à ces gamines que nous sommes allés chercher et auxquelles nous avons simplement demandé de porter la tenue du club ?
Notre responsabilité est de faire comprendre à ces jeunes qu'il faut respecter les règles du club pour vivre ensemble. On ne peut pas les rejeter et fuir nos responsabilités ! Il vaut mieux, pour eux-mêmes et pour la société, que ces jeunes soient intégrés dans un club avec des éducateurs formés, un président responsable et un projet cohérent.
Comment expliquer que des clubs affiliés à la fédération soient communautaires ?
Qu'entendez-vous par communautaire ?
C'est le district qui peut le faire.
Ce n'est pas à la fédération de retirer un agrément. La question n'est pas de jouer entre soi, mais de causer des troubles à l'occasion des rencontres ou de poser des problèmes. Nous intervenons, si nous avons connaissance d'un problème, par exemple si des inscriptions sont refusées.
À Toulon, il y avait beaucoup de clubs communautaires et, à la suite du changement de maire, les clubs ont changé de nom et ont commencé à se mélanger. Depuis, les choses sont rentrées dans l'ordre. Il faut du temps.
Des jeunes jouent avec des collants, couverts de pied en cape, et vous ne faites rien !
Absolument pas ! La tenue doit être respectée pour des raisons de sécurité. Il n'y a ni collant ni voile. Tout le monde doit être habillé pareil.
Le Président de la République a prononcé le 18 février à Mulhouse un discours sur son plan de lutte contre la radicalisation, mais il n'a pas évoqué le sport. Je l'ai directement interrogé sur le fait qu'il n'en avait pas parlé ; il m'a répondu qu'il y travaillait, qu'il avait rencontré les responsables des fédérations et qu'il ferait des annonces cette semaine. Avez-vous été auditionnés dans ce processus ? Quels éléments avez-vous fait remonter au Président de la République ?
Il n'y a pas eu d'audition officielle comme celle d'aujourd'hui.
Il y a peut-être eu des réunions avec le réseau des référents.
Nous serons attentifs aux annonces. La ministre des sports a récemment organisé deux séminaires qui ont abordé ces sujets parmi d'autres thèmes. J'imagine que ce sont ces séminaires qui déboucheront sur des propositions.
Il nous semble que les « porteurs d'autorité » sur le terrain - encadrants, éducateurs, etc. - doivent avoir l'obligation de se former sur ces sujets, notamment sur les valeurs républicaines, la laïcité... Il faut toutefois laisser du temps au temps et j'espère que nous serons prêts pour 2024.
Nous sommes confrontés à un dilemme pour les jeunes femmes voilées : les intégrer ou les laisser dehors. Comment trancher ce dilemme ?
C'est un vrai problème. Souvent, nous accueillons des jeunes filles qui ne portent pas encore le voile, mais quand elles grandissent la pression des parents augmente sur le club pour que celui-ci s'adapte. C'est là que les clubs sont démunis et ces jeunes filles s'en vont ou sont exclues, parce que les clubs refusent d'aller trop loin dans l'adaptation. Les dirigeants vivent cela comme un échec, car nous perdons ces jeunes. En Île-de-France, le taux de féminisation est le plus faible de France. L'exclusion est une forme de facilité et nous devons trouver une solution à ce problème.
Je rebondis sur les propos de Rachel Mazuir ; il me semble que la responsabilité est partagée entre les fédérations et les collectivités. Il revient aux collectivités de fournir les informations aux clubs, par exemple en apposant des panneaux qui rappellent les règles. Ceux qui accueillent effectivement les enfants doivent pouvoir s'appuyer sur ces informations.
Je vous remercie de votre intervention : l'affichage est très important, nous appliquons les règles, mais celles-ci doivent être réaffirmées en permanence.
Le licencié doit comprendre qu'il doit respecter les règles de l'établissement qui l'accueille, ainsi que celles de la fédération dont il est licencié. C'est ensemble que nous pourrons régler ce problème.
Hormis le cas où l'équipement en question sert finalement à la prière, je ne vois pas ce que les municipalités viennent faire dans cette affaire ! Ce sont les fédérations qui ont la responsabilité de l'accueil des jeunes. Les communes ne sont concernées que par les règles d'utilisation des locaux.
Monsieur Monshipour, savez-vous combien de clubs de boxe ne sont pas affiliés à la fédération ?
Ils ne sont pas nombreux pour des raisons financières : il faut être affilié pour recevoir une subvention. Les clubs purement privés n'existent donc le cas échéant que dans les beaux quartiers... Pour autant, il arrive malheureusement que des maires financent des associations sans contrôler totalement leur action.
Ces sujets sont bien antérieurs à 2015 et je pense que le sport doit prendre sa part dans la lutte contre ce que le Président de la République appelle le séparatisme et que je nomme autrement... Chacun doit prendre ses responsabilités à son niveau et l'ensemble du monde sportif doit appliquer les mêmes règles et valeurs.
Cela doit concerner l'ensemble du monde sportif : les clubs qui relèvent d'une fédération, les associations socio-sportives et les promoteurs.
Le sport à l'école aussi ! Il serait d'ailleurs intéressant d'échanger avec les acteurs de ce secteur.
L'éducation nationale y joue un rôle protecteur de ce point de vue, car les activités sont réalisées par des agents de l'État.
La réunion, suspendue à 16 h 30 est reprise à 17 heures
Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La réunion est close à 18 h 25.