Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes

Réunion du 7 mai 2020 : 1ère réunion

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Nous poursuivons ce matin nos réunions sur les conséquences de la crise sanitaire sur les violences intrafamiliales, thème central de nos travaux depuis le début du confinement.

Nous entendons aujourd'hui Maître Durrieu-Diebolt, avocate spécialisée dans la défense des victimes des violences intrafamiliales.

Notre délégation, chère Maître, connaît bien votre engagement : nous vous avons auditionnée en 2018, dans le cadre d'un précédent rapport sur les violences faites aux femmes. Vous étiez intervenue pour nous parler d'une affaire de viol sur mineure très médiatisée. Nous avions pu mesurer votre implication pour défendre ces jeunes victimes.

Nous souhaitons connaître votre point de vue sur la situation des victimes - femmes et enfants - depuis le début du confinement, dans ce « huis clos familial » qui peut être propice aux violences.

Comment avez-vous, pendant cette période sans précédent, maintenu le lien avec vos clientes ? De nouvelles clientes ont-elles réussi à vous contacter ? Que pensez-vous des différents outils mis à la disposition de ces femmes depuis le début du confinement : 3919, pharmacies, centres commerciaux ? Les jugez-vous adaptés aux besoins et à la situation des victimes ?

Avez-vous eu connaissance de violences commises sur des mineurs, plus particulièrement dans le cadre familial ?

Comment anticipez-vous la situation à partir de la semaine prochaine, qui correspond au début du déconfinement progressif ? Doit-on s'attendre à une remontée très forte des plaintes ? La justice sera-t-elle capable d'absorber ces nouveaux cas après quasiment deux mois d'interruption ?

Maître, nous vous écoutons avec grand intérêt, puis après votre exposé nous vous poserons quelques questions.

Debut de section - Permalien
Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate

Avocate à Paris depuis 1995, j'assiste uniquement des victimes en matière de dommages corporels, principalement des victimes de violences sexuelles - viols ou agressions sexuelles - dont l'assistance représente 80 % de mon activité, j'interviens donc principalement devant les juridictions pénales - cours d'assises, cours criminelles et tribunaux correctionnels - ainsi que devant la Commission d'indemnisation des victimes d'infractions (CIVI). J'interviens peu en matière de violences conjugales et quasiment pas en droit civil.

Le confinement étant survenu brutalement, le contact avec mes client(e)s a été rompu pour certains d'entre eux ; le lien a été maintenu avec d'autres, mais avec difficultés et de manière peu satisfaisante, par courriel ou rendez-vous téléphonique. J'ai compté peu de visioconférences avec mes clients. Cette technique, appréciable pour les réunions à intervenants multiples, a concerné davantage les professionnels. Il n'y a eu bien entendu aucun rendez-vous à mon cabinet, alors même que le contact humain demeure indispensable pour des victimes qu'il faut parfois soutenir à bout de bras.

Une seule des douze audiences programmées pendant le confinement a été maintenue, devant le tribunal correctionnel de Meaux, pour juger un prévenu en détention, agresseur et violeur de dames âgées, faits pour lesquels il a été condamné ; les autres audiences ont été reportées sine die, à l'exception du procès en cour d'assises à Paris du « serial violeur » du 17e, reporté au mois de juin afin d'éviter d'avoir à relâcher ce détenu, alors qu'il est urgent de le juger.

J'ai eu des contacts pendant le confinement avec deux nouvelles clientes, par mail puis téléphone, mais il demeure délicat d'assister ces personnes à distance et de leur apporter une réponse efficace sans pouvoir consulter tous les documents nécessaire. Pour information, habituellement j'ouvre deux à trois nouveaux dossiers par semaine. L'activité est donc, comme vous pouvez vous en douter, très ralentie... Il a été convenu que les contacts reprendraient après le confinement.

La situation des victimes de violences sexuelles pendant le confinement, telle que j'ai pu en avoir connaissance, concerne à la fois des victimes de faits survenus pendant cette période et celles que j'assistais déjà auparavant. Les premières ne relèvent que de violences ou agressions sexuelles intrafamiliales. Il s'agit de femmes victimes de viols conjugaux. Il s'agit aussi d'enfants, pour la plupart victimes d'un frère ou de leur père.

Avec le confinement, on ne relève pas, a priori, de viols ou d'agressions survenus lors de soirées, dans des bars par exemple. Les circonstances limitent les agresseurs potentiels à la famille réduite. Or dans ces situations les victimes révèlent très rarement les faits immédiatement après qu'ils ont été commis. Il s'agit de violences commises dans la contrainte morale, sans bruit, sans coup. Aussi le voisinage n'en est-il pas nécessairement alerté ; serait-il d'ailleurs intervenu si tel avait été le cas ? Pour le moment, je n'ai pas été saisie en urgence de tels cas de violences intrafamiliales survenus pendant le confinement : il faut du temps aux victimes pour se décider à les révéler. Je ne dispose donc pas du recul nécessaire pour faire un bilan de cette période. La loi du silence, qui pèse sur les victimes, femmes et enfants, sert les agresseurs !

Concernant les moyens mis en oeuvre pendant le confinement, j'ai suivi des formations assez éclairantes à l'École française du barreau (EFB) ainsi qu'auprès d'Ernestine Ronai, du Haut Conseil à l'égalité, que vous connaissez. J'ai aussi bénéficié d'un retour de terrain de policiers au cours de cette période ; le numéro d'appel d'urgence 17 était saturé, selon un témoignage que j'ai entendu. Il a dû être complété par le 114, moyen extrêmement efficace et discret, qui permet de procéder par SMS. Ce numéro était affecté à l'origine aux personnes malentendantes avant que son usage ne soit étendu. Il s'agit là d'un moyen très efficace, qui devrait selon moi être pérennisé au-delà de la crise sanitaire.

J'ai invité mes client(e)s à utiliser le portail Internet de signalement des violences sexuelles et sexistes pour signaler des faits lors d'une conversation par tchat avec un policier qui peut orienter si nécessaire vers un commissariat ou convenir d'un rendez-vous ultérieur pour déposer une plainte. Mes clientes y ont trouvé une écoute auprès de personnels formés et spécialisés, qui ne minimisent pas les faits qu'elles rapportent. Cet outil leur évite d'avoir à patienter longtemps dans une salle d'attente de commissariat et de décrire les faits en public à l'accueil avant d'être reçues. Cette plateforme, extrêmement efficace, est aussi très ouverte, car des mineurs, des voisins ou des proches peuvent l'utiliser à fins de signalement. C'est très positif.

Néanmoins ces nouveaux modes de signalement demeurent encore très confidentiels et leur existence devrait être davantage médiatisée pour qu'ils soient mieux connus du public. Mes clientes ne les connaissent presque jamais.

Pendant le confinement, les plaintes relatives à des violences intrafamiliales sont traitées en priorité. Depuis le Grenelle de lutte contre les violences conjugales, un effort d'amélioration de la formation des policiers était prévu. J'ai eu l'expérience, il y a quatre mois, d'une confrontation opérée par des policiers non sensibilisés à ces sujets et de questions tout à fait inappropriées posée à la victime. Heureusement que j'étais là pour assister ma cliente. Un tel exemple montre que cet effort de formation demeure indispensable et qu'il ne doit en aucun cas ralentir après le confinement. Nous savons que les policiers sont actuellement submergés : des moyens humains dédiés doivent aussi être étoffés. Des refus de dépôt de plainte opposés aux victimes dans des commissariats m'ont aussi été rapportés, la difficulté d'accès à un avocat pendant le confinement ne leur ayant alors pas permis de lui faire procéder à un dépôt de plainte par saisine directe du procureur de la République. De plus, il était difficile de saisir le Défenseur des droits de refus de plainte. Je n'ai engagé aucune de ces deux procédures pendant le confinement, les victimes non accompagnées ayant donc très certainement reporté leurs actions judiciaires à une date ultérieure. C'est préoccupant.

Les victimes de violences intrafamiliales ne les signalent que très rarement immédiatement après les faits. La plainte est le plus souvent reportée à plus tard. Il y a donc un risque réel de déperdition des preuves, puisque les constatations matérielles - ecchymoses, lésions vaginales, prélèvement de sperme - par des unités médico-judiciaires (UMJ) ne seront pas effectuées. Par ailleurs, l'accès aux UMJ n'est généralement autorisé qu'après dépôt de plainte et réquisition du parquet. Seules deux UMJ de la région parisienne acceptent de recevoir des victimes sans dépôt de plainte préalable. Aux États-Unis, ainsi que le relate un ouvrage sur les viols et agressions sexuelles sur les campus intitulé « Sans consentement », les centres First Aid permettent à une victime de se présenter immédiatement après les faits pour procéder aux constatations post-viol et y conserver les preuves correspondantes, et ce, indépendamment du dépôt de plainte : je milite pour le développement d'un tel système en France.

En outre, l'évaluation du retentissement psychologique des violences conjugales et des violences sexuelles au sein des UMJ est souvent reportée au moment des faits et laissée sans suite. Il est fréquent qu'une victime n'obtienne aucun rendez-vous avant l'audience correctionnelle pour évaluer le retentissement psychologique et que l'affaire soit ainsi reportée, ce qui s'avère préjudiciable pour les victimes. Il faudrait un meilleur accès aux UMJ.

Concernant les dossiers traités à mon cabinet pour des faits antérieurs au confinement, il faut distinguer, d'une part, le cas des clientes qui s'interrogeaient sur les chances de succès d'une plainte et la recevabilité des éléments de preuves pour des faits relativement anciens, et d'autre part celles qui avaient déjà porté plainte. Les premières ont bien entendu reporté leur éventuel dépôt de plainte à la période post-confinement. Il faut dire que les victimes craignent souvent de ne pas être crues, qu'elles ont besoin d'être rassurées et que le dépôt de plainte peut nécessiter un véritable travail préalable.

S'agissant des clientes qui avaient porté déjà plainte, je voudrais parler du problème du défaut d'information des victimes pendant l'enquête. Du fait du secret de l'enquête (article 11 du code de procédure pénale), les victimes peuvent rester dans l'ignorance totale des suites données à leur affaire pendant des mois, parfois des années : ainsi, une cliente qui avait porté plainte contre un membre de sa famille pour des faits commis à son encontre entre l'âge de dix et seize ans est-elle demeurée sans nouvelles de la procédure policière pendant cinq ans avant d'être convoquée ex abrupto à une confrontation, avec un délai de prévenance de seulement deux jours : cela relève d'une brutalité extrême, d'autant qu'elle a dû, dans un délai aussi court, contacter une psychologue et choisir un avocat. Les victimes restent donc parfois dans l'ignorance de l'enquête pendant très longtemps, ce qui les conduit même à penser que leur plainte a été classée sans suite.

Dans un tel cas, je leur conseille de contacter le policier en charge de l'affaire pour savoir où en est le traitement de leur dossier, notamment si ce dernier a bien été transmis au parquet ; les victimes non assistées ne le font généralement pas.

Je recommande donc une information des victimes sur l'avancée de l'enquête, tous les deux mois, sans violer le secret de celle-ci sur son contenu. Cette information devrait être systématique afin d'éviter le sentiment d'abandon de la victime. C'est d'autant plus important qu'une victime ne peut pas bénéficier de l'aide juridictionnelle au stade de l'enquête préliminaire.

Une autre cliente qui avait porté plainte contre son conjoint, dont elle était séparée, pour des faits d'inceste sur leur fille, sans lésions constatées, a vu son témoignage suspecté par les policiers au titre du « syndrome de l'aliénation parentale ». L'audition de l'enfant n'était pas concluante. Pendant la période de confinement, il a été indiqué à la mère que les droits du père devaient être maintenus et préservés pendant la durée de l'enquête ! Vous imaginez combien cette situation est pénible pour la mère. Il est dérangeant que les droits du père aient eu la priorité sur la protection de l'enfant. Au titre du principe de précaution, cette décision aurait dû être suspendue jusqu'à ce que l'enquête soit close afin de protéger l'enfant. Une telle démarche n'aurait pas constitué une violation de la présomption d'innocence. Il aurait été normal d'accélérer les procédures pour évider de porter atteinte aux droits de l'enfant.

Dans un autre dossier, concernant des faits commis par un voisin, la victime a dû « faire semblant », après le dépôt de plainte, et essayer de maintenir des relations apparemment anodines avec son agresseur, afin de laisser à la police le temps d'entendre des témoins et d'éviter toute destruction de preuves de la part de l'auteur des faits... La situation de la victime a été très complexe pendant toute cette période. Il faut avoir conscience des conséquences de la lenteur des procédures pour les victimes.

Je traite en ce moment un dossier initié il y a douze ans, à l'encontre d'un médecin qui a utilisé toutes les voies de recours possibles pour retarder la procédure. L'instruction à elle seule s'est déroulée pendant plus de cinq ans à l'issue d'une longue enquête préliminaire qui a permis d'entendre d'autres patientes, victimes de ce médecin. L'affaire sera en définitive renvoyée devant la cour d'assises de Blois : j'attends cependant depuis un an et demi qu'une date d'audience soit fixée.

Les procédures devant une cour d'assises sont orales, les jurés et les deux magistrats assesseurs n'ayant pas connaissance du dossier. Les dépositions des témoins sont donc essentielles et, lorsque les procédures s'éternisent, le risque est grand que leurs souvenirs des faits s'étiolent. J'ai subi une grave déconvenue au cours d'une audience tenue huit ans après les faits devant la cour d'assises de Draguignan. La victime a été desservie par les témoignages lacunaires de ses confidentes, dont les souvenirs étaient totalement altérés après douze années. Lorsque les témoins ne se souviennent de rien, c'est une catastrophe pour la victime ! Cette procédure est complètement dévoyée par sa longueur.

Autre difficulté, les victimes ne bénéficient pas de l'aide juridictionnelle (AJ) pendant l'enquête préliminaire ni pendant la confrontation, alors même que la personne en garde à vue bénéficie du concours d'un avocat : cela crée un déséquilibre incompréhensible entre les parties.

Il faudrait donc que le bénéfice de l'AJ soit étendu aux victimes dès le dépôt de plainte et que celle-ci soit revalorisée, l'AJ octroyée aux avocats des victimes étant en outre moindre que celle dont bénéficient les avocats des mis en examen. Ainsi, pour une instruction qui nécessite de 25 à 50 heures de travail, l'AJ ne prend en charge que 470 euros bruts, moins que le SMIC horaire !

De même, la prise en charge financière au titre de l'AJ devant un tribunal correctionnel est forfaitaire, quelle que soit la durée de l'audience.

La question de l'AJ est pourtant essentielle pour permettre l'accès au droit et à la Justice, d'autant que c'est un droit pour les victimes de viol. La revalorisation de l'aide juridictionnelle, dès le stade de l'instruction, est donc indispensable.

Deux de mes audiences reportées à l'issue du confinement devraient se dérouler la semaine prochaine : l'une à Chaumont et l'autre à Amiens. Il est toutefois évident que le déroulement des audiences sera affecté par les contraintes de distanciation sociale. On peut attendre un étalement dans le temps des jugements.

Une affaire qui devait être jugée devant la cour d'assises de Paris début juin le sera peut-être devant une cour criminelle, car il est difficile de déplacer les jurés et de respecter les mesures de distanciation sociale. Je n'y vois pour ma part pas d'inconvénients, ayant plutôt de bonnes expériences de l'expérimentation des cours criminelles pour les victimes.

Je ne suis pas certaine que l'on constate un afflux de plaintes pour agressions ou violences sexuelles après le confinement, car ce ne sont pas des infractions qui suscitent une réaction immédiate des victimes. Comme je le disais précédemment, il leur faut du temps pour les signaler, a fortiori quand il s'agit de mineurs ou quand les faits concernent des viols conjugaux.

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Merci beaucoup pour ces pistes d'évolution très concrètes. Je me demande toutefois si les moyens que supposent leur mise en oeuvre pourront leur être consacrés.

Debut de section - PermalienPhoto de Michelle Meunier

Je partage la nécessité de développer la formation des policiers, gendarmes, personnels de la Justice et de la Santé, pour ne pas méconnaître les faits de violence, les nier, les minimiser ou les banaliser. C'est une exigence de base.

Je serais tentée d'envisager les conséquences du confinement sous un angle optimiste, en soulignant l'intérêt des nouvelles formules telles que la plateforme en ligne, le tchat avec des professionnels, que vous avez évoqué, ou les SMS au 114. Pensez-vous que l'utilisation des outils numériques est amenée à prospérer dans le traitement judiciaire des violences ?

Je suis par ailleurs sensibilisée aux possibilités d'alerte ouvertes dans les centres commerciaux ou les pharmacies pendant le confinement. Comment faire pour diffuser à tous ces nouveaux intervenants les informations nécessaires leur permettant d'aider les femmes qui les solliciteront ? J'espère que ces avancées contribueront à une indispensable prise de conscience des violences faites aux femmes.

Debut de section - PermalienPhoto de Laure Darcos

Les enfants victimes de violences étant le plus souvent confiés au parent jugé protecteur, ils ne sont pas forcément pris en compte par la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) et par le juge des enfants. De plus, dans certains cas, la résidence alternée d'enfants agressés par leur père peut perdurer sans que les enfants soient entendus par le juge malgré leurs demandes insistantes.

Debut de section - PermalienPhoto de Céline Boulay-Espéronnier

Il faut tirer les conséquences des expériences du confinement et prêter attention à tous ces nouveaux lieux d'expression mis en place pendant le confinement. Ceux-ci ne doivent toutefois pas devenir des lieux de délestage de la Justice, mais favoriser l'expression des victimes.

Par ailleurs, quels sont les risques encourus par les parents en lien avec le syndrome d'aliénation parentale ?

Debut de section - Permalien
Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate

Tous les acteurs judiciaires doivent être formés aux violences conjugales et sexuelles ainsi qu'à la prise en compte du psycho-trauma. Les études de droit étant exclusivement juridiques, elles ne comprennent aucune formation en psychologie ou en victimologie. Cela me semble regrettable car ces compétences doivent de ce fait s'acquérir en vertu d'une démarche personnelle. Les avocats peuvent se former pendant leur parcours professionnel. Pour les magistrats, cette formation peut intervenir pendant leur formation initiale ou en formation continue ; celle-ci n'est pas encore systématique. Cette remarque vaut aussi pour les policiers et les gendarmes.

Il me semble nécessaire que des magistrats soient formés à ce contentieux, que ce soit au sein du parquet ou parmi les cinq magistrats des cours criminelles ayant à juger des viols, et qu'ils soient spécialisés.

Les moyens, complémentaires et efficaces, mis en oeuvre pendant le confinement pourraient être pérennisés ensuite (tchat, 114, relais dans les pharmacies et les centres commerciaux) car ils constituent des avancées dont mes clients expriment des retours très positifs. Toutefois, les nouveaux tiers amenés à intervenir (je pense plus particulièrement aux pharmaciens) ne sont pas formés pour répondre à toutes les interrogations des victimes. On ne peut donc envisager leur rôle que comme un point d'entrée et un premier relais de parole, avant que la victime accède à des structures judiciaires. Se posent néanmoins les problématiques liées à la gestion des signalements aux autorités policières ou judiciaires.

Je suis d'accord : actuellement la mère n'est pas suffisamment écoutée quand elle dénonce des faits commis sur ses enfants. Il est fréquent que le père continue à exercer son droit de garde et de visite, jusqu'à ce que l'on découvre d'autres victimes et que la mère ne soit plus soupçonnée de manipulation... Il faut donner une présomption de crédibilité aux mères en cas de possibles violences commises sur les enfants par le père, pendant la recherche de preuves.

Les enfants victimes de violences présentent souvent un état d'amnésie traumatique qui leur interdit de s'exprimer sur les faits pendant de longues années. C'est une réalité factuelle. Les souvenirs n'émergent alors que par le concours d'un psychologue. C'est le travail du psychologue et de l'avocat de permettre à la victime de prendre confiance en elle et en la justice.

Debut de section - PermalienPhoto de Françoise Laborde

J'ai été très sensible à vos propos sur la loi du silence dans laquelle se trouvent enfermés les femmes et les enfants victimes de violences ainsi qu'à vos remarques sur la lenteur des procédures.

Comment les victimes peuvent-elles se présenter à un UMJ si elles en ignorent l'existence ?

Une interrogation concrète : en Ile-de-France, une dérogation de l'employeur sera nécessaire pour emprunter les transports en commun aux heures de pointe ; savez-vous s'il est prévu une dérogation similaire pour se rendre à un rendez-vous chez un avocat ?

Debut de section - PermalienPhoto de Maryvonne Blondin

Comment avez-vous été contactée pour ouvrir les deux nouveaux dossiers pendant le confinement ?

Êtes-vous en lien avec l'association socio-judiciaire Agora Justice, incontournable dans mon département du Finistère, où oeuvrent trois juristes et une psychologue, tant pour l'accès au droit que pour l'aide apportée aux victimes et peut effectuer des missions mandatées par la Justice dans le suivi et l'écoute psychologique ? Cette association assure des permanences en période de confinement dans le cadre du Plan de continuité de l'activité du ministère de la justice.

Existe-t-il des associations similaires, à votre connaissance, pour traiter des violences intrafamiliales ?

Debut de section - PermalienPhoto de Dominique Vérien

Les cours criminelles ont-elles atteint leur objectif d'accélération des procédures et permis d'éviter la correctionnalisation des viols ?

Debut de section - PermalienPhoto de Victoire Jasmin

Parmi les infractions graves commises en Guadeloupe pendant le confinement figurent des cas d'enfants placés dans des familles d'accueil afin de les éloigner de pères incestueux ; en l'absence de décision de justice, ces enfants ont néanmoins dû retourner dans leurs familles biologiques au motif de la préservation du lien familial. Ils en reviennent fortement perturbés !

Dans le contexte d'une situation de résidence alternée, un cas m'a été rapporté. Une mère a été poursuivie pour non-présentation d'enfant. Elle ne voulait que préserver son enfant de violences infligées par le père. Elle n'était pas parvenue à faire suspendre la résidence alternée.

Debut de section - Permalien
Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate

S'il devait être autorisé, l'accès direct aux UMJ devrait alors faire l'objet d'un plan de communication pour être connu du plus grand nombre et pour que la police puisse inciter les victimes à s'y présenter au plus vite, de sorte que les éléments matériels constitutifs de l'infraction soient préservés. L'avocat devrait aussi avoir accès aux résultats et constatations des UMJ pour conseiller les victimes en vue d'un dépôt de plainte, ce qui n'est malheureusement pas le cas actuellement.

S'agissant de mon activité, je recevrai à nouveau des clients à partir de la semaine du 18 mai. J'appliquerai naturellement les mesures individuelles de distanciation sociale et de prévention.

Les nouveaux dossiers ouverts pendant le confinement l'ont été exclusivement par courriel et téléphone ; l'un concerne une cliente résidant à l'étranger qui, victime d'un viol en France en décembre, a porté plainte. Alors même qu'une enquête préliminaire est en cours, elle a reçu du commissariat en charge du dossier une décision, fort étonnante, de destruction des scellés ; je lui ai conseillé de s'y opposer et me suis rapprochée du parquet à sa demande.

La vie judiciaire a continué pendant le confinement, les magistrats avaient plus de temps pour étudier les dossiers au fond et apurer un certain retard.

Je n'ai pas été en relation avec l'association Agora Justice, dont l'action doit concerner un territoire précis. En région parisienne, travaillent au sein des commissariats : des psychologues, des intervenants sociaux, des associations d'aide aux victimes, similaires je pense à Agora Justice, qui peuvent proposer les services d'un juriste. L'action de celui-ci est complémentaire et ne se substitue pas à l'avocat dont les champs d'intervention sont spécifiques (accès au dossier pénal d'instruction, rédaction de plainte avec constitution de partie civile ou non).

La première audience d'une cour criminelle s'est déroulée en septembre 2019, à Caen. J'ai assisté une cliente pour la première session de la seconde cour criminelle, celle de Bourges, en octobre 2019, puis à Versailles.

Mes deux expériences devant des cours criminelles ont été positives. J'ai apprécié la fixation d'audience très rapide (seulement quatre mois de délais), très appréciable pour les victimes. À titre de comparaison, il faut habituellement compter devant la cour d'assises de Versailles entre un an et un an et demi entre l'ordonnance de mise en accusation et le procès. Chaque audience s'est déroulée sur deux jours, ce qui m'a paru satisfaisant. Je considère que chacun, victime, témoin ou expert, a pu s'exprimer. J'ai trouvé le déroulement de ces procès très proche de ce que l'on observe aux assises, à ceci près que les jurés y étaient absents et que les cinq magistrats avaient accès au dossier pénal. Ce point me semble essentiel pour des affaires de violences sexuelles, très techniques et qui nécessitent une formation spécifique pour apprécier justement des réactions parfois contre-intuitives qui pourraient parfois desservir les victimes.

Le délibéré est également survenu plus rapidement qu'en cour d'assises. Mes clients se sont déclarés satisfaits de ces procès. Ils ont eu le sentiment d'avoir été entendus.

Paris n'est cependant pas encore concerné par les cours criminelles. La correctionnalisation des viols, déqualifiés en agression sexuelle, demeure une aberration juridique, très mal vécue des victimes, qui la vivent comme une « sous-justice » à leur égard. À mon avis, les cours criminelles sont plus proches des cours d'assises que des tribunaux correctionnels. Si l'expérience des cours criminelles permettait de mettre fin à la correctionnalisation des viols, ce serait à mon sens très positif.

Concernant les enfants victimes de pères incestueux qui continuent cependant à bénéficier d'un droit d'hébergement, il faut savoir qu'un jugement de condamnation peut retirer l'autorité parentale au père.

Si le père incestueux se voyait octroyer le bénéfice d'un droit de visite par le JAF, il faudrait que ce droit s'exerce dans un lieu médiatisé. Selon moi, les droits de l'enfant devraient primer sur ceux du père. Le témoignage d'une mère qui porte une accusation d'inceste sur le père de son enfant devrait, comme je l'ai dit précédemment, se voir conférer une présomption de crédibilité, afin de suspendre ses droits parentaux pendant l'enquête préliminaire, sans attenter à la présomption d'innocence puisqu'il faut prouver la culpabilité du mis en cause.

Debut de section - PermalienPhoto de Marta de Cidrac

Comment inviter le voisinage à témoigner contre des faits possibles de violences à l'encontre de femmes ou d'enfants ? Ne devrait-on pas mettre en avant la non-assistance à personne en danger quand le voisinage ne joue pas son rôle d'alerte ?

Debut de section - Permalien
Maître Carine Durrieu-Diebolt, avocate

Mon action est circonscrite aux cas de violences sexuelles, lesquelles sont généralement commises dans le silence ; dès lors, le voisinage peut difficilement en être informé. Il arrive que des enfants ou des adolescents se confient à un ami ou à un proche, mais c'est souvent sous le sceau du secret. Les jeunes gardent le secret de ces confidences. Cela n'aide pas à les dénoncer...

Il est hautement improbable qu'un procureur poursuive le voisinage pour non-dénonciation de violences sexuelles. Lorsque ces dernières sont exercées sur un enfant, une mère qui affirme ne s'être rendu compte de rien n'est pas poursuivie : dès lors comment concevoir que des voisins le soient ?

Debut de section - PermalienPhoto de Annick Billon

Maître, je vous remercie pour votre intervention et pour les propositions concrètes que vous avez formulées.