Nous poursuivons nos travaux par l'audition de trois représentants du groupe Engie : M. Jean-Louis Samson, directeur immobilier de l'entité Global Business Group Support ; Mme Mélody Gehin, conseillère environnement ; et Mme Laetitia Lafargue, juriste en droit de l'environnement du groupe Engie.
Un certain nombre de sites pollués recensés dans les bases du ministère de l'écologie ont été exploités par des usines à gaz dont Gaz de France, une des entités constitutives d'Engie, a été propriétaire. Il sera donc intéressant de recueillir l'éclairage du groupe Engie sur le recensement qu'il fait des sites que ses entités ont eu à exploiter et qui sont désormais pollués. À cet égard, mesdames, monsieur, quel est votre sentiment sur la qualité des outils de recensement des sites mis en place par l'État, en particulier des secteurs d'informations sur les sols (SIS) ?
Pourriez-vous également nous donner une évaluation du montant des moyens que vous avez consentis jusqu'ici à la dépollution des sites qui ont été exploités par vos entités constitutives ? En matière de dépollution, agissez-vous généralement comme maître d'ouvrage ou avez-vous recours, dans certains cas, au dispositif du tiers demandeur ? Trouvez-vous ce dispositif satisfaisant en termes de garanties et d'efficacité ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de huit à dix minutes que vous pouvez vous répartir entre vous, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Vous êtes appelés à prêter serment en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Jean-Louis Samson ainsi que Mmes Mélody Gehin et Laetitia Lafargue prêtent serment.
Engie a pour ambition de devenir le leader mondial de la transition bas carbone clef en main pour ses clients, notamment les entreprises et les collectivités territoriales, en inscrivant au coeur de ses métiers - énergies renouvelables, gaz, services - la croissance responsable. Le groupe emploie 170 000 collaborateurs dans le monde, dont 75 000 en France. L'État français détient 23,64 % de son capital.
Global Business Group Support (GBS), entité créée en juillet 2014, est dotée de l'autorité managériale et regroupe près de 2 000 collaborateurs répartis dans plusieurs pays. Ses principales missions sont de standardiser, simplifier et sécuriser les processus, de contribuer à la performance du groupe et d'accompagner sa transformation. Sa direction immobilière et logistique gère 1 500 sites en France et en Belgique.
Nous avons choisi répondre au questionnaire que vous nous avez adressé en nous limitant aux anciennes usines à gaz qui étaient exploitées par Gaz de France. Engie et ses filiales exploitent en effet des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE) - stockage de gaz, travail mécanique des métaux, parcs éoliens... - qui sont encore en activité ; celles qui ont fait l'objet d'une cessation d'activité récente ne nous semblent pas concernées par la problématique des sites et sols pollués.
En tant que représentants des collectivités territoriales, nous sommes souvent saisis de la problématique des friches gelées. Existe-t-il des sites, parmi ceux dont vous avez la responsabilité, qui se trouvent dans cette situation et font l'objet d'une simple mise en sécurité, mais pour lesquels aucune opération de dépollution et aucun usage futur ne sont envisagés ? Quels sont les points de blocage expliquant que ces sites soient laissés en friche ? Est-ce en raison du coût des travaux et de la faible valeur foncière de ces sites ?
Pourriez-vous revenir sur les relations que vous entretenez avec les élus locaux et les services de l'État, notamment les préfets, pour la mise en oeuvre de projets de réhabilitation de sites que vous avez cessé d'exploiter ? Identifiez-vous des difficultés pour la conception et la mise en oeuvre de ces projets de réhabilitation ?
En mai 2019 a été annoncée la vente par Engie d'une cinquantaine de ses anciennes usines à gaz à Vinci Immobilier et à Brownfields, regroupés dans une joint-venture dénommée Speed, dans le cadre du dispositif du tiers demandeur. À ce stade, quelle évaluation faites-vous des opérations engagées pour la réhabilitation des sites concernés ? Pensez-vous que cette opération permettra d'augmenter la valeur foncière des sites, sachant que près d'un quart des sites que vous avez vendus ont des valeurs immobilières négatives ? Ces sites seront-ils principalement mobilisés pour des programmes immobiliers, ou d'autres usages sont-ils envisagés dans une perspective d'aménagement durable des territoires ?
La méthodologie nationale de gestion des sites et sols pollués étant publiée non pas sous la forme de lois et règlements, mais d'un guide des bonnes pratiques, les diagnostics de dépollution des sites n'ont sont-ils pas moins sûrs ? Pouvez-vous nous présenter le guide méthodologique adopté par Engie ? Quelle est votre approche face au vide de la réglementation sur ce sujet ?
Permettez-moi de faire un petit historique. Au XIXe siècle, de nombreuses sociétés privées exploitaient en France des usines de production de gaz de houille. Une loi de 1946 ayant nationalisé la production de gaz et d'électricité, les sociétés produisant plus de six millions de mètres cubes de gaz par an ont donc été transférées à l'établissement public Électricité de France-Gaz de France (EDF-GDF), lequel a été dissocié peu après. Après cette séparation des actifs, la majorité des usines à gaz sont entrées dans le patrimoine de GDF-Suez, même si quelques-unes sont restées dans celui d'EDF. Plusieurs de ces sites étaient d'ores et déjà désaffectés, avant même la nationalisation. D'autres ont poursuivi leur activité jusqu'aux années 1970. La dernière usine à gaz a fermé en 1971. Les fermetures avaient commencé depuis la découverte, dans les années 1950, du gaz naturel, qui a progressivement remplacé le gaz de houille. La majorité des sites ont alors été reconvertis pour accueillir les activités de Gaz Réseau Distribution France (GRDF).
D'autres sites, gérés localement, ont été rétrocédés aux collectivités. En 1996, GDF a lancé un premier recensement, dans le cadre d'un protocole signé avec le ministère de l'environnement sur la maîtrise et le suivi de la réhabilitation des anciens terrains et usines à gaz. Ont été dénombrées sur le territoire français 467 de ces anciennes usines et stations gazométriques, qui ont fait l'objet d'une classification en cinq catégories selon leur effet potentiel sur l'environnement et sur l'homme. Des diagnostics pour la recherche de cuves et d'ouvrages pouvant contenir des produits polluants ont été réalisés dans les cas d'identification de sources primaires de pollution ; ces produits ont alors été éliminés. Engie a aujourd'hui la maîtrise foncière de 470 sites, dont 357 ont accueilli une activité de production ou de gestion du gaz ou une station gazométrique.
Les friches industrielles sont un enjeu important pour les collectivités locales puisque, autrefois situées en périphérie, elles sont aujourd'hui rattrapées par l'urbanisation. Il convient donc de les réhabiliter. Engie a la volonté de céder ces sites vacants, qui ne répondent plus aux besoins de ses métiers, qui ont un coût en termes de charges opérationnelles courantes, et dont environ 25 % se situent dans des communes de moins de 5 000 habitants. En fonction des plans locaux d'urbanisme (PLU), les équipes immobilières d'Engie traitent de projets de reconversion foncière, en lien avec les collectivités et en partenariat avec des promoteurs nationaux et régionaux. En 2018, nous avons mis en place un plan national, le projet Speed, afin d'accélérer la cession de ces actifs et leur réhabilitation.
Depuis 2015, une quinzaine de transactions immobilières de ce type ont été signées. En janvier 2019 est intervenue une opération d'envergure : le consortium réunissant Vinci et Brownfields a acquis une cinquantaine d'actifs immobiliers appartenant à Engie et répartis sur l'ensemble du territoire français métropolitain. Ces sites représentent 350 000 mètres carrés de terrains à réhabiliter. Leur reconversion foncière est soumise à la procédure du tiers demandeur, prévue dans le décret du 18 août 2015, en application de la loi pour l'accès au logement et un urbanisme rénové, dite loi ALUR. Cette procédure permet à un tiers qui en a fait la demande de se substituer au dernier exploitant industriel, en vue d'assurer la réhabilitation des sites par un changement d'usage. Dans la majorité des cas, il s'agit de reconvertir d'anciens sites industriels en logements ou en projets mixtes comprenant des activités tertiaires.
Cette démarche novatrice est favorable aux collectivités. L'équilibre du portefeuille d'actifs constitué par Engie a permis le succès de l'appel d'offres, qui a été remporté par le consortium Vinci-Brownfields. Celui-ci a prévu de développer des opérations immobilières sur 150 000 mètres carrés de surface de plancher, ce qui représentera environ 2 200 logements en accession sociale et résidences services.
Parmi les obstacles à la reconversion des friches industrielles figurent les problèmes liés à la gestion des terres. En effet, les terres extraites pour créer des sous-sols et de nouveaux aménagements ne sont pas forcément « inertes », au sens de l'arrêté du 14 décembre 2014, et des coûts sont liés à leur traitement hors site. Le statut réglementaire des déchets est très encadré en France, bien qu'il tende à s'assouplir, ce qui explique que ces terres finissent souvent dans une décharge.
Un autre obstacle est la méconnaissance des enjeux de la reconversion des sites industriels par certains acteurs, qui renoncent à ces projets en raison de leur complexité.
Il faut aussi citer la localisation des sites, et donc la valeur qui y est attachée, ainsi que la programmation prévue par la collectivité lorsqu'elle n'est pas conciliable, d'un point de vue économique et technique, avec le passif industriel du site.
La procédure du tiers demandeur, créée par la loi ALUR en 2014 et très encadrée par le code de l'environnement, a pour objectif de faciliter la reconversion des friches industrielles.
Première étape : il faut recueillir l'accord du dernier exploitant sur l'usage futur envisagé. Sont également nécessaires l'avis du maire ou du président de l'établissement public de coopération intercommunale (EPCI) compétent en matière d'urbanisme, et du propriétaire s'il n'est pas l'exploitant. Le tiers demandeur doit ensuite déposer une demande d'accord préalable auprès du préfet, qui se prononce au regard des documents d'urbanisme en vigueur au moment de la demande.
Deuxième étape : le dossier de substitution, approuvé par le dernier exploitant et envoyé au préfet par le tiers demandeur. Il comprend un mémoire sur l'état des sols et eaux souterraines, et sur les mesures de gestion envisagées pour rendre le site compatible avec l'usage proposé par le tiers demandeur. Y sont indiqués la durée et le montant estimés des travaux de réhabilitation, les capacités techniques et financières du tiers demandeur, la répartition des mesures de dépollution et de surveillance entre celui-ci et le dernier exploitant. Le préfet se prononce par un arrêté fixant les délais et le montant des travaux, ainsi que les garanties financières.
Troisième étape : à l'issue des travaux, un inspecteur de l'environnement constate leur conformité et établit un procès-verbal.
Cette procédure établit un réel partenariat entre l'exploitant et le tiers demandeur. Elle assure une grande sécurité juridique : les garanties financières associées, constituées pour l'ensemble des travaux assurant la compatibilité du site avec l'usage futur, permettent de pallier la potentielle défaillance du tiers demandeur. Sur le plan technique, la validation finale par les services de l'État sécurise également le dispositif de réhabilitation.
Nous connaissons les procédures. Ce sont l'expérience que vous en avez et surtout leurs améliorations éventuelles qui nous intéressent.
Nous avons rappelé la procédure tiers demandeur pour insister sur le fait qu'elle est complète.
Nous sommes convaincus de la pertinence de la procédure tiers demandeur. Cette procédure, clairement encadrée par le code de l'environnement, nous permet d'accélérer et de sécuriser nos cessions et d'obtenir des garanties par rapport aux travaux de réhabilitation. Elle est plutôt facilitatrice : étant bien cadrée, elle nous permet de ne pas perdre de temps et d'entrer directement dans un dialogue très clair, notamment sur les contreparties et les engagements que chacun doit prendre.
Nous avons nous-mêmes utilisé cette procédure dans le cadre de l'acquisition d'un site : Engie s'est porté tiers demandeur par rapport au dernier exploitant, qui était un ancien constructeur automobile.
Vous n'avez pas répondu à la question sur la dépollution des sites : le fait qu'il n'y ait qu'un guide de bonnes pratiques, et non une méthodologie nationale fixée par la loi ou le règlement, constitue-t-il une insécurité juridique ?
Aujourd'hui, les outils méthodologiques qui ont été mis à jour en 2017, faisant suite aux outils de 2007, sont reconnus et utilisés par tous, notamment par l'ensemble des bureaux d'études certifiés LNE Sites et sols pollués. Juridiquement, ils n'ont pas valeur de loi, mais, sur le plan technique, tous les utilisateurs l'appliquent de la même manière, même s'il peut y avoir des interprétations différentes. Ils sont aujourd'hui la règle dans le domaine des sites et sols pollués et ne sont pas remis en cause. Pour autant, des améliorations sont possibles sur les aspects techniques.
À quelle échéance de temps comptez-vous parvenir à la cession de la totalité des sites qui sont en votre propriété ?
La pollution de la nappe souterraine représente-t-elle une difficulté supplémentaire dans le cadre des cessions ? Est-elle plus coûteuse et complexe à traiter ? Rend-elle le site moins facile à céder ? Existe-t-il des sites sur lesquels on aurait trouvé une pollution après leur aménagement, engageant a posteriori la responsabilité de Gaz de France, donc d'Engie ?
Aujourd'hui, tous les sites d'Engie ne sont pas à vendre. Certains continuent à être utilisés dans le cadre des activités de GRDF et d'Enedis. Nous avons mis en place un plan de gestion pour permettre l'occupation tertiaire de ces anciennes usines à gaz.
Pour ce qui concerne les sites vacants, notre objectif est de céder 187 sites dans les cinq prochaines années. Pris isolément, ces sites n'ont pas tous une valeur positive. Leur revalorisation ou leur cession n'est pas forcément possible. C'est la raison pour laquelle nous sommes dans une logique de constitution de portefeuilles, comme nous l'avons fait avec les cinquante premiers sites, afin de leur trouver rapidement une destination et d'intéresser des acteurs ayant une taille suffisamment importante pour pouvoir les reconvertir vite.
Aujourd'hui, nous privilégions la procédure de tiers demandeur, parce qu'elle est encadrée et permet d'accélérer les cessions, mais nous avons, par le passé, réalisé des cessions en dehors de cette procédure. Ainsi, la société Engie s'est chargée de la dépollution et de la réhabilitation de sites préalablement à leur cession, sur la base du programme que le promoteur voulait réaliser et toujours en lien avec les collectivités.
L'ensemble de nos sites ont fait l'objet d'un recensement dans le cadre du protocole. Il y a eu toute une phase de diagnostic et de travaux. Ainsi, 73 sites ont fait l'objet d'arrêtés préfectoraux. Beaucoup mettaient en place le suivi de la qualité des eaux souterraines. Aujourd'hui, 48 de nos sites continuent de faire l'objet d'un suivi réglementaire. Les arrêts ont fait l'objet d'une validation par l'administration, notamment par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).
Le niveau de pollution est globalement stable depuis vingt ans. Les polluants sont présents à l'état de traces. Il ne s'agit pas de grosses pollutions. Ces traces nécessitent que le suivi soit maintenu. Il peut être maintenu postérieurement à une cession, au moyen d'une simple servitude d'accès aux ouvrages. Cette servitude est assez facile à mettre en place quand elle est intégrée en amont dans le projet du promoteur et quand les ouvrages se trouvent sur des parties publiques et accessibles. La pollution des eaux souterraines ne constitue donc pas aujourd'hui une contrainte pour la cession éventuelle d'un site.
Engie n'a pas connaissance de sites déjà aménagés où l'on aurait retrouvé, postérieurement à l'aménagement, une pollution empêchant l'usage.
Quand la société Engie est amenée à remettre elle-même un site en état, comment se passent les négociations avec la préfecture ou avec les autorités de contrôle ?
Le tiers demandeur est souvent accompagné d'un conseil, qui est un bureau d'études certifié ayant une compétence en matière de sites et sols pollués. Ce dernier établit un plan de gestion compte tenu des usages projetés sur le site. L'administration peut ensuite faire des commentaires sur ce document pour demander des précisions techniques. Aujourd'hui, cela se passe plutôt bien.
Ce qui m'intéresse, c'est la manière dont se passent les négociations en dehors de la procédure de tiers demandeur.
Ce sont plutôt les acquéreurs qui vont être en lien avec l'administration, en particulier avec les Dreal et les préfectures, notamment dans le cadre de l'instruction de leurs autorisations administratives.
On constate une hétérogénéité des positions de l'administration sur le territoire. Ainsi, les inspecteurs sont davantage sensibilisés aux problématiques de sites et sols pollués dans les bassins industriels historiques. Étant réalisés par des bureaux d'études certifiés, les documents apportés à l'administration sont fiables. Ils permettent d'éclairer sur les actions qui vont être menées.
Nous sommes relativement rarement en lien direct avec les préfectures pour la validation des plans de réhabilitation. En effet, c'est le promoteur qui établit le plan de réhabilitation et qui doit le faire valider, puisque c'est lui qui substitue Engie dans la réhabilitation et le changement d'usage. C'est donc lui qui négocie avec la préfecture, même si nous sommes amenés à valider ce plan au titre du dernier exploitant.
En dehors de la procédure tiers demandeur, quand nous réhabilitons, avant de le céder, un site qui va faire l'objet d'un changement d'usage, nous négocions directement avec la préfecture pour la validation du plan de réhabilitation qui va être mis en place.
Sur ce sujet, la diversité des positions des Dreal sur le terrain est parfois un peu compliquée. Nous devons nous adapter en fonction des interlocuteurs. Cela dit, nous suivons les méthodologies que nous vous avons présentées et nous trouvons généralement un terrain d'entente pour la validation du plan.
Nous n'avons pas de relations directes avec les préfectures dans le cadre de cessions classiques, nos activités ayant cessé il y a longtemps - la dernière usine a été arrêtée en 1971.
Aujourd'hui, les travaux que nous réalisons sur nos sites ont surtout lieu dans le cadre de cessions, dans le respect de nos accords contractuels. En revanche, pour ce qui concerne la procédure tiers demandeur, nous sommes en lien direct avec les préfectures, puisqu'il s'agit d'une procédure administrative.
En dehors de la procédure de tiers demandeur, nous ne sommes pas en lien avec les préfectures.
Lors de leur recensement, les 467 anciennes usines à gaz ont été classées en cinq catégories. Pourriez-vous nous préciser ces cinq catégories ainsi que la répartition des différents sites pollués au sein de celles-ci ? Quid des sites que vous n'avez pas vendus à Vinci et que vous ne comptez pas céder dans les cinq prochaines années ? De quelles catégories relèvent-ils ?
Nous pourrons vous préciser le nombre de sites par catégorie dans le questionnaire écrit. Ces sites ont été classés en fonction de leur caractère sensible pour l'homme et pour l'environnement.
L'ensemble des informations sur les sites ont été recensées lors de l'élaboration du protocole d'accord entre le ministère de l'environnement et Gaz de France. Nous ne cherchons pas aujourd'hui à savoir de quelle classe relèvent nos sites, sachant que, depuis la fin du protocole, l'information environnementale est mise à jour à l'occasion des cessions, au titre de notre obligation en tant que vendeur.
Je ne saurais vous dire dans le détail à quelles catégories du protocole appartiennent les 187 sites que nous comptons céder. Nous disposons de la documentation nécessaire, mais nous ne suivons pas particulièrement ce dossier aujourd'hui. En cas de cession, nous ne faisons pas référence à la classe dont relevait le site.
Nous avons réalisé l'ensemble des travaux de dépollution des sites, comme convenu aux termes du protocole.
En 2007, une note a mis fin au protocole, qui avait été établi pour une durée de dix ans. Dans cette note, il a été constaté que Gaz de France avait respecté l'ensemble des obligations que lui conférait le protocole.
Nous sommes aujourd'hui soumis aux obligations du code de l'environnement. Lorsque nous réalisons des cessions, nous respectons toutes nos obligations d'information sur l'état environnemental de nos sites. Une équipe dédiée au sein de Global Business Support, dont Mélody Gehin fait partie, réalise un travail de recensement d'informations et d'étude des sols.
Avez-vous vérifié que tous les sites figurent dans les bases de données Basol et Basias ?
Quand la fin du protocole a été actée, il a été convenu entre les Dreal et Gaz de France qu'une mise à jour des informations relatives à l'ensemble des sites serait effectuée dans les bases de données Basol et Basias. Nous n'avons pas vérifié la réalité de cette mise à jour. Toutefois, quand nous procédons à cette vérification dans le cadre de cessions, nous trouvons trace de nos sites soit dans Basol soit dans Basias.
Ces bases sont très utiles et il est très important qu'elles existent, mais on remarque parfois que certaines informations concernant nos sites n'y sont pas mises jour. Cette situation pourrait sans doute être améliorée.
Nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées. Nous attendons vos réponses écrites.
Nous poursuivons nos auditions avec quatre représentants du groupe Suez : M. Azad Kibarian, directeur général de Suez Industrial Waste Solutions, M. Thierry Mechin, directeur général délégué de Suez Industrial Waste Solutions, M. Cyril Fraissinet, directeur de la stratégie de Suez Industrial Waste Solutions, et Mme Nora Megder, directrice déléguée aux relations institutionnelles - Recyclage et Valorisation France du groupe Suez. Il est intéressant que nous puissions connaître l'activité de Suez en matière de dépollution des sols et eaux pollués ainsi que ses efforts de réhabilitation de sites pollués.
Quelle évaluation faites-vous des techniques de dépollution actuellement disponibles et pratiquées en France, au regard de leur faisabilité technique, mais aussi de leur coût ? Quel regard portez-vous sur la méthodologie suivie par les bureaux d'études dans leur diagnostic des sols et leur évaluation des dépollutions nécessaires ? La qualité de ces études vous paraît-elle homogène et, globalement, satisfaisante ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire, je vous rappelle que tout faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende. Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité. Levez la main droite et dites : « Je le jure », en laissant bien entendu votre caméra et votre micro allumés.
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Azad Kibarian, Thierry Mechin et Cyril Fraissinet ainsi que Mme Nora Megder prêtent serment.
Nous vous remercions de nous donner l'occasion de vous exposer les activités de Suez en matière de dépollution des sites et sols et de partager avec vous nos points de vue sur les évolutions attendues par nombre de parties prenantes.
Voilà cent soixante ans que le groupe Suez délivre des services essentiels, au travers de ses activités en matière d'eau et de déchets. Un message très fort a été relayé récemment autour de sa raison d'être, qui est de façonner un environnement durable, dès maintenant. Le groupe a fortement insisté sur trois dimensions des services qu'il fournit déjà et qu'il souhaite fournir encore davantage à ses parties prenantes : l'air, l'eau et la terre, qui est un peu le parent pauvre en termes de réglementation, mais aussi de visibilité des métiers pratiqués par Suez. Nous sommes évidemment très heureux que le groupe insiste sur cette dimension dans le cadre de nos développements.
Industrial Waste Solutions (IWS) englobe toutes les activités menées dans six pays européens en matière de gestion des déchets dangereux et des terres polluées, excavées ou non ; conduit les chantiers de dépollution ou de remédiation dans ces six pays et emploie, à cette fin, près de 2 000 collaborateurs. Nous sommes présents dans la remédiation depuis une trentaine d'années.
Nos activités en matière de remédiation et de dépollution couvrent toute la chaîne de valeur, du diagnostic environnemental à la conception de solutions, jusqu'à la mise en oeuvre de celles-ci en termes techniques très concrets.
Nous mobilisons une très grande variété de techniques, qui dépendent d'un grand nombre de facteurs. Il s'agit parfois simplement d'un traitement in situ, qui consiste à laisser la terre en place et à injecter des fluides afin de traiter et d'abattre la pollution. Il peut s'agir d'excaver les terres, soit en les travaillant et en les réutilisant sur site, soit en les envoyant ailleurs - dès lors que nous les traitons à l'extérieur, nous tombons sous le coup de la réglementation relative aux déchets. En fonction des seuils de pollution, nous pouvons recourir à un très grand nombre de techniques : lavage, traitement biologique ou encore incinération, pour des pollutions extrêmement complexes.
À ce titre, Suez a réalisé de très grands chantiers. Une référence emblématique que le groupe met volontiers en avant est le site de Chesterfield, au Royaume-Uni. Cette ancienne friche d'une centaine d'hectares a été revitalisée. Des quantités absolument colossales de terres ont été travaillées et l'environnement a été régénéré.
Depuis une trentaine d'années, plus de 5 000 chantiers de dépollution, allant de quelques milliers à quelques dizaines de millions d'euros, ont été réalisés dans la seule France. Ces dernières années, nous avons été amenés à réaliser des chantiers de plusieurs dizaines de millions d'euros, principalement sur des sites industriels, en activité ou non. Certains ne sont pas terminés.
Pour ce qui concerne le volet diagnostic, nous avons réalisé, au cours de ces trente dernières années, environ 11 500 études en vue de travaux de dépollution. De manière plus spécifique, Suez intervient pour des dépollutions pyrotechniques, parfois dans l'urgence. Ces dépollutions vont de la caractérisation des pollutions pyrotechniques jusqu'à leur neutralisation, lorsqu'il s'agit de terrains militaires.
L'activité de remédiation et de dépollution a représenté, en France, un peu moins de 70 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2019. Avec la covid-19, cette activité a été brutalement arrêtée. Le choc a été instantané. À peu près tous les donneurs d'ordre ont fait cesser les travaux. Les choses reprennent doucement.
Parmi les grandes références en France figure Metaleurop, à Noyelles-Godault. Ce site est aujourd'hui un écopôle, qui héberge de nombreuses activités de Suez : centre de tri, recyclage de câbles, plateforme de traitement des terres... La revitalisation a été non seulement industrielle, mais également sociale. C'est Thierry Mechin qui a été à la manoeuvre. Nous pouvons également citer l'ancien site Giat de Saint-Chamond.
Nous sommes très présents en Belgique et aux Pays-Bas, où la pression foncière a joué un rôle très important dans les méthodologies, les lois et réglementations qui ont été mises en oeuvre. Nous le sommes un peu moins en Allemagne et de plus en plus en Espagne et en Italie. Chaque pays a intégré ses contraintes géologiques et hydrogéologiques, son histoire industrielle, la pression foncière. Il y a aussi, aux Pays-Bas, un enjeu de sécurisation de la terre par rapport aux milieux marins. Tout cela a conduit à l'émergence de différentes réglementations et à une approche radicalement différente entre, d'une part, les pays très contraints en termes fonciers que sont l'Italie, la Belgique et la Hollande et, de l'autre, la Grande-Bretagne, l'Espagne, l'Allemagne et la France, qui disposent de plus d'emprises. L'approche, en France, est plus axée sur le risque. En Belgique, en Italie et aux Pays-Bas, elle repose davantage sur la notion d'usage futur. C'est une différence très importante.
Cet exercice de comparaison a pu guider les réflexions en cours autour de la sortie du statut de déchet pour les terres excavées. Sans surprise, la société Suez est très attachée à ce que l'on puisse valoriser la ressource autant que possible, mais nous sommes également extrêmement sensibles à la protection de l'environnement et de la santé - je le suis également en tant que citoyen - et très préoccupés par une perte éventuelle de traçabilité. Il ne faudrait pas qu'une réglementation qui nous permettrait de valoriser davantage la ressource entraîne un bénéfice en matière de comptabilité environnementale, au détriment d'impacts sur la santé et l'environnement que l'on ne saurait maîtriser. Les évolutions nous paraissent a priori positives, mais le fait que des opérations de sortie du statut de déchet soient envisagées sur des sites qui ne relèvent pas de la réglementation relative aux installations classées pour la protection de l'environnement nous préoccupe.
La notion de sortie du statut de déchet me paraît extrêmement importante. Il est absolument remarquable que la France souhaite avancer dans cette direction, alors même que nous avons une loi sur l'eau, une loi sur l'air, mais pas de loi sur les sols. S'il existe aujourd'hui un certain nombre de dispositions réglementaires, les sols sont un peu le parent pauvre de la législation.
On voit, de temps en temps, des aberrations. Ainsi, certaines terres qui pourraient être laissées sur site, leur niveau de pollution étant tout à fait compatible avec l'usage envisagé - la construction d'un immeuble, par exemple -, sont excavées, ce qui oblige à un traitement en centre de stockage. Pour dire les choses simplement, la gestion des sols se fait en creux des autres réglementations, ce qui est préoccupant.
Nous sommes évidemment ravis que vous nous saisissiez de ce sujet. Nous considérons que les sols sont une ressource et regrettons qu'ils accueillent des pollutions anciennes.
Vous nous avez interrogés sur le recensement des pollutions. Je pense que les pouvoirs publics avancent dans le bon sens avec les secteurs d'information sur les sols (SIS). Cependant, je ne suis pas sûr que cela soit suffisant. C'est aussi la vocation des bureaux d'études que de compléter ce recensement.
Aujourd'hui, nous appelons véritablement de nos voeux une évolution de la réglementation concernant les sols. Les sujets de l'eau et des sols sont souvent intrinsèquement liés. Quand il y a une dépollution des sols à mener en urgence, c'est bien souvent parce que l'aquifère est en jeu. Mais les sols sont un sujet en tant que tel. Ils ne doivent pas être traités de manière accessoire.
Votre propos liminaire illustre la détermination de Suez en matière de revalorisation et de dépollution des sols. La fermeture des décharges pouvait constituer une difficulté pour votre entreprise, mais vous avez su rebondir, avec la création de ces plateformes de traitement des déchets.
Quelle est votre évaluation du tiers demandeur, qui a été introduit par la loi du 24 mars 2014 pour l'accès au logement et un urbanisme rénové (ALUR) ? Êtes-vous déjà intervenu en tant que maître d'oeuvre pour la réalisation de travaux de dépollution en étant sollicités par un tiers demandeur ? Le dispositif vous paraît-il satisfaisant, en termes notamment de garanties pour le tiers demandeur et l'exploitant ? Identifiez-vous des faiblesses ? Quelles améliorations pourraient être apportées ?
Les travaux de dépollution ne dépendent-ils pas trop souvent de l'usage envisagé alors qu'il serait parfois préférable de faire le contraire, en adaptant l'usage futur à l'état du site et à la faisabilité technique des solutions de dépollution ?
Pouvez-vous détailler davantage vos actions de valorisation des terres polluées et de recyclage des déchets ? Les plateformes de traitement des terres que vous avez lancées vous semblent-elles des outils de mutualisation efficaces ? Quels freins rencontrez-vous ?
Suez a été précurseur sur les plateformes de traitement des terres. Nous avons assez rapidement réalisé que le fait d'avoir seulement des solutions d'élimination des terres les plus polluées était vraiment trop réducteur et ne saurait accompagner le développement foncier là où il pouvait présenter un intérêt économique. Notre groupe s'est doté de six plateformes en France. Ce sont des outils de travail de la pollution. Nous menons des opérations assez simples de séparation de différents lots de terres, de traitement biologique et de criblage, dans l'objectif de valoriser un maximum les fractions et de réduire les coûts de traitement. Nous sommes résolument tournés vers la valorisation.
Les plateformes de terres sont indispensables dans notre maillage industriel. Nous sommes amenés à y déporter la pollution et à prendre le temps de la travailler, afin d'optimiser le traitement et la valorisation. Nous savons que les terres bleues sont a priori problématiques. Mais il y a aussi des terres en apparence totalement inoffensives qui sont pleines de substances dangereuses. Nous sommes donc attachés à la traçabilité. Nous avons des programmes de recherche en la matière.
Nous avons différents travaux en cours. Nous sommes capables d'abattre certaines pollutions à base d'hydrocarbures, par exemple dans les anciennes raffineries ou stations-service, de manière biologique. Le traitement des pollutions métalliques est plus compliqué ; nous sommes parfois obligés de stabiliser les terres avant de les stocker, car le potentiel de risques est trop important. Et pour les terres qui méritent que l'on s'y attarde un peu plus, nous mobilisons toutes sortes de réactifs, parfois biologiques. Nous avons différents programmes de recherche. Tout ce qui est issu de la chimie du chlore a donné lieu à des pollutions mercurielles : notre objectif est de stabiliser au maximum et d'encapsuler ces pollutions. Nous travaillons aussi bien sur la traçabilité que sur l'optimisation des modes de traitement et sur des innovations techniques.
Les plateformes de traitement des terres, qui sont pour la plupart des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), sont confrontées aux mêmes contraintes en matière d'instructions que d'autres sites. Je n'identifie pas de frein particulier à leur développement. Les services instructeurs de l'État agissent comme pour les autres ICPE. Globalement, tout se passe correctement. Je ne pourrais pas appeler de mes voeux un relâchement de la réglementation relative aux autorisations pour ces ICPE tout en m'inquiétant de l'absence de traçabilité qui pourrait découler de la sortie du statut de déchet. Nous avons, me semble-t-il, un bon équilibre.
Le dispositif du tiers demandeur a débloqué des situations et permis la prise en charge d'opérations qui n'auraient pas pu être réalisées par le passé. Il aurait en effet fallu créer le lien entre l'aménageur, qui est capable de gérer le devenir foncier, et l'exploitant, qui n'a la plupart du temps pas les moyens de développer des capacités d'aménagement. En outre, cela permet à l'administration de vérifier la fiabilité de l'acteur concerné, aménageur ou fonds d'investissement, qui doit apporter toutes les garanties nécessaires, pour éviter que l'exploitant ne se décharge du risque sur un tiers susceptible de disparaître dans le futur.
Nous ne sommes jamais intervenus en tiers demandeur. Notre valeur ajoutée réside clairement dans ce qui a trait à l'ingénierie de la dépollution. Nous ne sommes pas à proprement parler des aménageurs fonciers. Le tiers demandeur est très souvent celui qui portera ensuite le projet futur. En revanche, nous intervenons pour le compte de tiers demandeurs dans des travaux de dépollution dont la réalisation nous est sous-traitée.
Comment nous assurer de la qualité du processus entre le transfert du site et sa remise à un usage futur, d'habitation ou autre ? La profession insiste sur l'importance de l'intervention de sociétés certifiées. L'aménageur ne dispose pas obligatoirement de toutes les compétences en matière de dépollution. L'intervention d'une certification, par exemple de type Sites et sols pollués (SSP), permet à l'administration de s'assurer qu'il y aura une traçabilité totale entre le projet présenté au départ et sa réalisation.
L'outil est donc positif, pour peu que les professionnels soient impliqués dans la réalisation des travaux de dépollution. Il est très clairement à usage d'opérations foncières ayant intrinsèquement une rentabilité, entre le prix du foncier après réhabilitation et le coût de celle-ci. Lorsque cet équilibre économique n'existe pas, le dispositif n'est pas suffisant, et il y a un risque de geler des terrains qui pourraient présenter un intérêt en termes d'aménagement pour la collectivité ou de réindustrialisation. Il faudra sans doute réfléchir à l'avenir aux moyens d'intégrer les collectivités très en amont dans ce genre de dossiers, afin de pouvoir ouvrir ces opérations à d'autres sites, y compris ceux qui ne sont pas en zones tendues, où la pression foncière est importante.
Traitez-vous les terres polluées qui sont stockées dans les anciennes décharges ? Je vous rejoins sur l'évolution de la réglementation ; des précisions législatives s'imposent effectivement en matière de dépollution des sols.
Comme vous le savez, la réglementation actuelle nous oblige à un suivi de long terme et à la réhabilitation de nos centres de stockages des déchets. Nous le faisons. Cela nous permet d'avoir des sources de réemploi de matériaux et de terres excavées, que nous pouvons utiliser à la mise en oeuvre de programmes de verdissement et de végétalisation.
Je regrette que la réglementation soit encore un peu sévère et ne nous permette pas de développer d'autres activités sur certaines parcelles réhabilitées. Nous n'avons aucune autorisation, ce qui est dommage, car ces réserves foncières ont de grande qualité et présentent toutes les garanties. Par exemple, en Bourgogne-Franche-Comté, nous avons développé sur la partie fermée de l'une de nos installations une ferme solaire qui permet de produire de l'énergie aux collectivités environnantes.
Vous avez évoqué l'évolution de la réglementation. Nous travaillons assidûment, et sous forme de cluster, avec des partenaires à l'élaboration de démonstrateurs qui permettent de faire bouger les lignes. Cela vous permettra, je l'espère, de statuer et d'aller vers cette fameuse loi sur les sols que nous appelons de nos voeux.
Nous avons contribué à la naissance du programme de réemploi des fractions grossières des terres excavées, Valorisation des terres excavées (Valtex), qui a été publié dans les derniers guides du bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Nous travaillons aussi sur le programme AGREGE, qui vise à permettre de démontrer la capacité de réemployer les parties fines des terres excavées dans des programmes de fertilisation des sols et de redynamisation de friches industrielles. Nous avons quatre démonstrateurs en situation. Nous en avons aussi sur des friches urbaines ; ils démontrent que les terres pauvres excavées des projets de réaménagement urbain peuvent revenir sur les mêmes territoires, les reverdir et les réaménager. Notre groupe est très engagé aux côtés des services de l'État, des universités et des territoires.
Vous faites une distinction entre deux types de pays, ceux où la pression foncière est plus forte et où il existe une législation relative à l'utilisation future des sols et ceux, dont la France, qui sont plus sur des logiques d'appréciation, de prévention et de maîtrise du risque. Le nombre de terrains dépollués et les niveaux d'exigences diffèrent-il fortement entre les deux catégories de pays ?
En matière de dépollution des sites, il y a différents cas de figure. D'abord, il y a des terrains qui ne sont pas aménagés, mais dont on sait que, compte tenu de la localisation, un aménagement est possible ; en l'espèce, le mécanisme économique permet de dépolluer, à plus forte raison quand il existe des dispositifs favorables, comme le tiers demandeur. Ensuite, il existe des sites où l'aménagement n'est pas évident faute de perspectives économiques ou immobilières. Enfin, il est des sites déjà construits sur lesquels l'on découvre des pollutions. Avez-vous une idée des proportions respectives de chacune de ces trois catégories ? Les dépollutions sont-elles rares, voire inexistantes dans la deuxième et, plus encore, dans la troisième ?
Nous vous fournirons des éléments chiffrés de comparaison internationale.
La situation est très variable. Prenons l'exemple de la France et de la Belgique. En France, nous réalisons environ 70 millions d'euros de chiffre d'affaires. En Belgique, alors que le territoire est beaucoup plus petit, nous faisons à peu près la moitié de notre chiffre d'affaires français. Le marché est dynamique. Il y a une appétence de la part des aménageurs et un contexte réglementaire favorable à la réutilisation des terres. Et le fait que les réglementations diffèrent entre la Wallonie et les Flandres crée, certes, des contraintes, mais ouvre également de nouvelles possibilités. En Belgique, l'effet frontalier joue.
Les Pays-Bas sont confrontés au problème des per and polyfluoroalkyl substances (PFAS) et acides perfluorooctanesulfoniques (PFOS). Une fois que ces molécules extrêmement persistantes, qui ont été utilisées en traitement de surface, sont dans les milieux, il est très compliqué de s'en défaire. Ce sont des pollutions extrêmement complexes à abattre. Le sujet a créé beaucoup d'émoi, notamment chez les collectifs de riverains. Aux Pays-Bas, le marché de la dépollution s'est grippé. Les choses bougent assez vite. Vous voyez bien ce qui peut se passer en France quand il existe un point noir avec des conséquences sanitaires, mais dans un endroit très isolé... Mais, sur un territoire minuscule comme celui des Pays-Bas, chacun est susceptible d'avoir une relation ou un membre de la famille concerné par une pollution. Et puis, il y a un historique particulier. Chaque fois que je me promène aux Pays-Bas, je m'émerveille de l'aménagement urbain et de la manière absolument exceptionnelle dont ils ont modelé leur environnement, en déplaçant, en drainant et en canalisant la terre.
Faisons attention à ce que l'on dit lorsque l'on parle de pollution ! Les réglementations belge et hollandaise optimisent le réemploi de terres excavées dont les seuils naturels en termes de fractions solubles ou métalliques sont compatibles avec le réemploi chez eux. Il ne s'agit en aucun cas de faciliter le transfert de terres polluées de manière anthropique. Nous parlons de terres impactées non anthropiques.
La question des sulfates en Île-de-France a été mise sous le feu des projecteurs avec les travaux du Grand Paris. Comme vous le savez, le bassin parisien a des veines de sulfates, donc de fractions solubles, extrêmement importantes. Selon la réglementation française, ces seuils naturels de fractions solubles nécessitent un traitement dans un centre de stockage des déchets. En Belgique et en Hollande, certains sites ont la capacité géochimique à recevoir des flux fortement sulfatés. Il ne s'agit en aucun cas d'écarts sur la réglementation des polluants anthropiques.
Nous sommes nous-mêmes opérateurs en Belgique et en Hollande. J'ai très peu transporté de terres d'Île-de-France ou du Nord en Belgique. Le point noir est que la réglementation belge repose sur la responsabilité des propriétaires ou des opérateurs d'ouvrages de valorisation, par exemple les polders ou autres. Il n'y a ni contrôle à l'entrée, ni analyse, ni obligation d'en faire. Des excès sont toujours possibles. C'est ce qui s'est passé. Les Hollandais ont vu les taux de sulfate dans leurs eaux augmenter extrêmement brutalement. Il s'agit donc d'un écart non pas de réglementation, mais de contrôle.
Vous m'avez interrogé sur les typologies - certains sites sont construits ou ont un potentiel, tandis que d'autres non - et les stratégies. Tout dépend des géographies. Les situations sont extrêmement variables. Nous nous émerveillons parfois de la créativité - on s'en voudrait presque de ne pas y avoir pensé soi-même ! - de certains acteurs qui, pour mener une opération de remédiation, ont trouvé une association avec un promoteur, par exemple en interprétant la loi ALUR de manière innovante. Il est vrai que l'on ne l'a pas toujours interprétée de la manière la plus innovante qui soit...
Je ne peux pas vous répondre sur les proportions. Lorsque des pollutions sont décelées sur des emprises déjà construites, ce sont parfois l'équivalent des agences régionales de santé (ARS) ou les ICPE qui interviennent, en fonction évidemment de l'urgence, du passé du site et de l'importance des risques. Pour des pollutions maîtrisables dont la source est identifiée et dont la dispersion dans le milieu est bien modélisée - nous faisons aussi beaucoup de travaux de modélisation -, nous sommes régulièrement amenés à travailler sur les fluides sans toucher à la terre, afin de les capter et de les abattre en continu. Nous avons plusieurs chantiers qui courent en milieu urbain - j'en ai visité un aux Pays-Bas avant le confinement - et en milieu industriel. Nous avons mis en place des barrières sur des portions de sites industriels pour capter et traiter en continu les polluants.
Nous vous remercions des réponses que vous nous avez apportées. Nous avons pris bonne note de votre position s'agissant d'éventuels changements législatifs, et nous serons très attentifs à vos propositions.
La téléconférence est close à 19 heures.