Commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation

Réunion du 16 juin 2020 à 15h30

Résumé de la réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Nous examinons cet après-midi, sur le rapport de Jean-François Rapin, et en application de l'article 73 quinquies de notre Règlement, la proposition de résolution européenne n° 497 (2019-2020), présentée par Jean Bizet et Simon Sutour, au nom de la commission des affaires européennes, relative à la proposition révisée de cadre financier pluriannuel 2021-2027 et à la proposition de mise en place d'un instrument de relance pour faire face aux conséquences de la pandémie de Covid-19.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Mon intervention sera assez longue car le sujet mérite que l'on soit précis. Nous examinons aujourd'hui la proposition de résolution européenne sur le prochain cadre financier pluriannuel (CFP) de l'Union européenne et l'instrument de relance. Cette proposition est présentée sur l'initiative de nos collègues Jean Bizet et Simon Sutour, que je tiens à saluer, et elle a été adoptée par la commission des affaires européennes le 9 juin dernier.

Notre commission a eu l'occasion d'évoquer ce sujet à de nombreuses reprises au cours des deux dernières années, notamment lors de l'examen d'une précédente proposition de résolution européenne sur le sujet, en février dernier.

L'adoption du prochain CFP fixera les plafonds de dépenses annuels de l'Union européenne, et déterminera ainsi l'évolution du montant de notre contribution nationale pour les sept prochaines années, ainsi que le volume des dépenses européennes dont notre pays pourrait bénéficier.

Comme vous le savez, les négociations relatives au prochain CFP durent depuis maintenant deux ans. Nous avons souvent eu l'occasion de rappeler à quel point cet exercice est périlleux car la procédure d'adoption requiert l'unanimité des États membres au Conseil. Alors que les États membres peinaient à trouver un accord, la crise sanitaire et ses conséquences économiques ont redistribué les cartes d'une négociation déjà « difficile », pour ne pas dire, « embourbée ».

Cette proposition de résolution européenne permet aujourd'hui au Sénat de se prononcer sur les nouvelles orientations présentées par la Commission européenne. Nous examinons ce texte à la veille d'un Conseil européen déterminant pour ce sujet, bien que de nombreux observateurs lui prédisent déjà une issue peu prometteuse.

Je vous propose de ne pas revenir sur l'historique des négociations ouvertes depuis 2018, dont le détail figurera dans le rapport. Notre commission a déjà débattu des propositions initiales de la Commission européenne, sur lesquelles le Sénat a exprimé son désaccord à plusieurs reprises, notamment compte tenu des baisses proposées des budgets de la politique agricole commune (PAC) et de la politique de cohésion.

La nouveauté réside dans les nouvelles orientations proposées par la Commission européenne le 27 mai dernier afin de tenir compte des effets économiques de la crise. En effet, dès le mois de mars, alors que la Commission européenne annonçait en urgence plusieurs mesures budgétaires visant à soutenir les dépenses des États membres, il est devenu évident que les négociations relatives au budget pluriannuel allaient devoir intégrer un outil dédié à la relance économique de l'Union européenne.

La mise en oeuvre de cet outil a fait l'objet de débats intenses, notamment parce qu'elle a été associée, dès le début, à la possibilité de pouvoir émettre des titres de dettes communs à l'ensemble des États membres. L'objectif d'un tel dispositif était de permettre de réduire le coût de l'emprunt pour les États membres qui rencontraient déjà des difficultés pour se financer sur les marchés, comme l'Italie et de l'Espagne. Plusieurs États membres se sont toutefois fermement opposés à cette hypothèse, au premier rang desquels se trouvaient l'Allemagne, l'Autriche et les Pays-Bas.

Une solution de compromis a été esquissée par le ministre de l'économie et des finances, Bruno Le Maire, en proposant un fonds temporaire dédié au financement de la reprise à l'issue de la crise sanitaire. Ce principe a d'ailleurs été retenu par l'initiative franco-allemande pour la relance, qui propose un fonds doté de 500 milliards d'euros de subventions, financé à partir de ressources levées sur les marchés financiers.

Par la suite, le Conseil européen du 23 avril dernier a acté le principe de la mise en oeuvre d'un fonds de relance, en précisant qu'il devait être intégré au prochain cadre financier pluriannuel et en chargeant la Commission de présenter des propositions.

Ainsi, la Commission européenne propose un CFP renforcé et articulé avec un nouvel instrument de relance temporaire, appelé « Next Generation EU ». S'agissant du CFP dit « socle », c'est-à-dire hors instrument de relance, la Commission européenne propose un niveau de dépenses fixé à 1 100 milliards d'euros en crédits d'engagement pour la période 2021-2027, soit une position intermédiaire entre le CFP actuel et le plafond proposé en mai 2018. Ce niveau de dépenses est également très proche de celui proposé lors du Conseil européen de février dernier, témoignant ainsi d'une cristallisation des discussions autour de cette valeur.

Toutefois, l'analyse des enveloppes proposées pour chacune des rubriques budgétaires doit tenir compte des crédits issus de l'instrument de relance. En effet, la Commission européenne propose que l'intégralité des crédits provenant de cet instrument transite par le CFP.

Venons-en donc maintenant aux caractéristiques de cet instrument de relance. Doté d'une enveloppe de 750 milliards d'euros, dont 250 milliards d'euros de prêts et 500 milliards d'euros de subventions et de garanties, l'objectif de cet instrument est bien d'augmenter la « puissance de feu » du budget européen de façon temporaire.

L'architecture proposée par la Commission européenne n'est pas des plus lisibles. Nous avions déjà eu l'occasion de souligner les difficultés méthodologiques rencontrées au cours de cet exercice, avec, par exemple, les budgets présentés en euros courants ou en euros constants, la rebudgétisation du fonds européen de développement à compter de 2021, ou encore le retrait du Royaume-Uni qui nécessite de retraiter toutes les données budgétaires. Désormais, il nous faut composer avec un budget reposant sur deux piliers - le CFP « socle » et l'instrument de relance -, sur deux types d'intervention - prêts et subventions -, et les éléments de langage de la Commission européenne qui présentent l'instrument de relance tantôt à partir d'axes « thématiques », tantôt par référence aux rubriques budgétaires du CFP.

D'un point de vue budgétaire, l'instrument de relance peut être présenté comme regroupant deux ensembles : d'une part, une enveloppe de 190 milliards d'euros venant abonder des programmes existants ou nouvellement créés, comme un programme spécifique à la coopération en matière de santé, ou encore « React EU » ; d'autre part, une enveloppe de 560 milliards d'euros, insérée dans le CFP, regroupant les 250 milliards d'euros de prêts de l'instrument de relance, et 310 milliards d'euros de subventions. Cette « poche » spécifique est appelée la facilité pour la reprise et la résilience.

Quel bilan pouvons-nous dresser des enveloppes proposées par la Commission européenne pour les différentes politiques européennes ?

Tout d'abord, il faut saluer l'augmentation des crédits versés au premier pilier de la PAC, à hauteur de 5 milliards d'euros par rapport aux propositions de mai 2018, bien que cette hausse reste modeste. Le deuxième pilier est majoré de 5 milliards d'euros au titre du CFP « socle » et de 15 milliards d'euros au titre de l'instrument de relance, soit une hausse de 20 milliards d'euros par rapport aux propositions de mai 2018.

Le budget de la politique de cohésion apparaît très en hausse parce qu'il intègre en apparence les crédits logés dans la facilité pour la reprise et la résilience. En réalité, le budget alloué au fonds européen de développement régional (Feder) est en baisse de 4 milliards d'euros environ par rapport à 2018, et des baisses similaires sont constatées s'agissant du fonds de cohésion, du fonds social européen, et d'Erasmus. Toutefois, le dispositif « React EU », financé par l'instrument de relance, constitue une « rallonge » de 50 milliards d'euros qui sera disponible au début du CFP.

Le fonds européen pour les affaires maritimes et la pêche (Feamp) ne bénéficie malheureusement pas d'une hausse au titre de l'instrument de relance. Cette proposition me semble réellement dommageable pour le secteur de la pêche, dont l'activité a beaucoup souffert au cours des derniers mois - le Brexit n'arrangeant pas la situation.

De plus, je ne peux que regretter le budget dédié au fonds européen de la défense, s'élevant à seulement 8 milliards d'euros, contre 11,5 milliards d'euros en 2018. La défense, tout comme la recherche et la politique spatiale, constitue un domaine stratégique, emblématique de la valeur ajoutée européenne. Comme je l'avais déjà indiqué en février dernier, ma conviction est que tout ce que les États membres ne parviendront pas à faire ensemble au niveau européen dans ces domaines dans lesquels nous devons développer une autonomie, ils le feront seuls, puisant dans leurs budgets nationaux, et en se privant de synergies précieuses.

J'en viens désormais à la facilité pour la reprise et la résilience, qui constitue la pièce maîtresse de l'instrument de relance.

Regroupant la totalité des prêts et les deux tiers des subventions de l'instrument de relance, la mise en oeuvre de cette facilité répond à une logique différente de celles des programmes du budget européen. La Commission européenne lui fixe comme objectif d'améliorer la capacité de résilience et d'ajustement des États membres, en finançant des réformes et des projets d'investissement publics.

La Commission européenne propose que l'utilisation de cette facilité s'inscrive en conformité avec les recommandations du semestre européen. Ainsi, les États membres qui souhaiteront en bénéficier devront présenter à la Commission un plan spécifique, détaillant les mesures pouvant être financées. Ce plan prendra la forme d'une annexe distincte du programme national de réforme que le Gouvernement nous transmet chaque année. La Commission veillera à ce que ce plan soit cohérent avec les priorités par pays recensées dans le cadre du semestre européen, et qu'il réponde à un certain nombre de critères détaillés dans la proposition de règlement.

S'agissant du volet subventions, les États membres pourront recevoir une contribution d'un montant maximal, fixé par application d'une clé d'allocation. Cette clé est calculée selon la population de l'État membre, en proportion inverse du PIB par habitant, et sur la base du taux de chômage constaté entre 2015 et 2019. D'après ce calcul, la France pourrait recevoir jusqu'à 32 milliards d'euros de subventions, ce qui en ferait le troisième bénéficiaire après l'Espagne et l'Italie, mais ce montant n'est pas encore arrêté selon les dernières informations dont je dispose.

Je regrette que ces critères ne permettent pas de prendre en compte les besoins de financement des économies les plus touchées par la crise sanitaire.

S'agissant du rôle de la Commission européenne, il est prépondérant dans l'évaluation des plans présentés par les États membres. Ce rôle appelle à la plus grande vigilance de notre part dans l'octroi des subventions. En outre, au regard des masses budgétaires en jeu, il apparaît nécessaire que les parlements nationaux soient étroitement associés à l'élaboration de ces plans.

Permettez-moi d'exprimer toutefois quelques réserves sur la capacité de la facilité à produire des effets contracycliques pour répondre à la crise. En effet, si la Commission européenne propose d'engager au moins 60 % des dépenses avant la fin de l'année 2022, seulement 22 % des crédits de paiement seront effectivement versés avant cette date. En se basant sur le montant maximal de subventions qui pourra être alloué à la France, cela signifierait que notre pays ne bénéficierait que de 7 milliards d'euros environ en crédits de paiement d'ici à la fin de l'année 2022.

En outre, la ligne dédiée à l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité, auparavant dénommé budget de la zone euro, a disparu des propositions de la Commission européenne. Demande forte portée par la France depuis de nombreuses années, la mise en place de cet instrument apparaissait justifiée en ce qu'elle permettait d'apporter une réponse propre à la zone euro en cas de crise économique.

Au-delà de la facilité, le financement de l'instrument de relance concentre les principales interrogations.

Tout comme l'a prévu l'initiative franco-allemande, la Commission européenne propose que l'instrument de relance soit financé par un emprunt sur les marchés, ce qui constitue un réel changement de paradigme pour l'Union.

Toutefois, force est de constater que les modalités de remboursement de cet emprunt ne sont pas encore étayées.

Il est proposé d'initier le remboursement du capital à compter de 2028 jusqu'en 2058, au plus tard. Ce calendrier présente l'avantage majeur de permettre une hausse significative de la puissance de feu du budget européen à brève échéance, sans que les États membres doivent augmenter leurs contributions nationales. Toutefois, à compter de 2028, deux scénarios sont possibles : soit une hausse massive des contributions nationales, soit la mise en place de nouvelles ressources propres de l'Union européenne.

Pour l'heure, les propositions de la Commission européenne sur le volet « ressources propres » sont décevantes. Ne pas trancher ce débat revient à repousser un accord sur le remboursement de l'emprunt. Or, sans accord sur les modalités de remboursement, il n'est pas possible d'anticiper avec précision la quote-part du remboursement assumé par chaque État membre, ce qui constitue un angle mort des négociations.

Outre les ressources fondées sur les quotas carbone, et une autre fondée sur les déchets plastiques, la Commission européenne évoque désormais les pistes suivantes : une ressource issue d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières ; une ressource fondée sur les « activités des grandes entreprises », qui n'est même pas détaillée ; une ressource fondée sur un impôt sur le numérique, c'est-à-dire une « taxe GAFA » européenne. Cette piste est peut-être celle qui a le plus de chance d'aboutir à moyen terme.

Je m'étonne de l'optimisme affiché par la Commission européenne, et mon avis est partagé par les personnes auditionnées. Premièrement, j'ai quelques doutes sur la perspective d'une entrée en vigueur rapide de ces ressources, eu égard aux réticences historiques des États membres sur le sujet. Deuxièmement, même si je partage les objectifs du Pacte vert européen, il peut être rappelé que la pérennité des recettes issues des quotas carbone repose sur une tendance haussière du prix du carbone... Or, l'abandon de la trajectoire carbone en France en 2019 a montré toute la difficulté d'une telle mesure. De plus, une taxe basée sur le prix du carbone est appelée, par nature, à se traduire par des recettes fiscales décroissantes. Nous pouvons faire la comparaison avec la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIPP) attribuée aux régions, alors même que l'on incite à la baisse de la consommation des énergies fossiles...

Dans cette perspective, je partage pleinement les dispositions de la proposition de résolution européenne qui rappellent que les nouvelles ressources propres ne doivent pas peser sur les ménages et les entreprises, afin de ne pas dégrader le tissu économique européen.

Dans le même temps, l'augmentation des contributions nationales ne peut constituer l'unique réponse. En février dernier, je vous avais indiqué que les propositions de la Commission européenne de 2018, donc uniquement pour le CFP « socle », se traduiraient par une hausse annuelle moyenne de 6,9 milliards d'euros par rapport au cadre financier pluriannuel actuel. Une telle augmentation apparaît d'autant plus significative aujourd'hui, dans un contexte de dégradation de nos finances publiques.

Pour la France, la suppression du système de rabais permettrait de contenir la progression de sa contribution nationale. Or, la suppression des rabais est de nature à augmenter significativement les contributions nationales de plusieurs États membres déjà contributeurs nets. Je crains que cette proposition fasse l'objet d'une monnaie d'échange avec les pays dits « frugaux » pour trouver un accord sur le CFP et l'instrument de relance.

Afin de tenir compte de l'ensemble de ces remarques, je vous proposerai plusieurs amendements qui ne modifient pas l'équilibre général de la proposition de résolution européenne, mais qui rappellent certaines priorités qui sont au coeur de la compétence de la commission des finances.

Outre deux amendements rédactionnels, je vais vous présenter des amendements visant à rappeler que les conséquences budgétaires du Brexit restent des enjeux centraux dans la conduite des négociations, et que la mobilisation accrue du budget européen ne doit pas éclipser les objectifs d'une utilisation efficace de la dépense et d'un renforcement de la lutte contre la fraude aux fonds européens, laquelle constitue un point de fuite du budget.

S'agissant de l'instrument de relance, je vous présenterai : un amendement appelant à faire preuve de prudence sur l'appréciation des volumes financiers proposés, qui pourraient être insuffisants si la crise économique devait être plus durable et profonde qu'anticipée ; un amendement pour regretter la disparition de l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité ; et enfin un amendement réaffirmant que la suppression des rabais doit constituer une priorité.

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

Je salue l'initiative de nos collègues sur ce sujet d'actualité. Le rapporteur l'a dit, les incertitudes sont nombreuses, notamment sur les recettes qui permettront de couvrir le remboursement des prêts. Il n'existe pas de dérogation à la règle de l'unanimité en matière fiscale, et il sera difficile d'obtenir l'unanimité sur le sujet. Je n'ai pas constaté d'évolution de la position d'un certain nombre de pays d'Europe du nord, qui sont déjà dubitatifs sur la nécessité de mettre en place un plan commune de relance : seront-ils enclins à modifier les règles fiscales ? Car pour déroger à la règle de l'unanimité, il faut l'unanimité... Nous n'y sommes pas parvenus sur une mesure qui paraissait pourtant simple et de bon sens : la possibilité de donner aux États davantage de liberté en matière de taux réduits de TVA.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Je félicite Jean-François Rapin pour le travail qu'il a effectué, après celui de Simon Sutour et moi-même, sur cette proposition de résolution.

Il est fort vraisemblable, comme le rapporteur l'a dit, que le Conseil européen du 19 juin prochain ne soit pas conclusif, mais c'est aussi comme cela que l'Europe fonctionne. La position des États dits « frugaux » a tout de même évolué - l'Allemagne n'y est pas pour rien, tant s'en faut - depuis l'annonce de cet instrument de relance. Ces pays, majoritairement exportateurs, dont la balance commerciale et le taux d'endettement font rêver, ont pris conscience qu'ils se pénaliseraient eux-mêmes s'ils n'aidaient pas des États qui n'étaient déjà pas en bonne santé financière et qui sont encore davantage fragilisés par le Covid-19.

Je salue l'originalité et la pertinence de l'articulation entre le CFP et « Next Generation EU », un fonds de relance de 750 milliards d'euros qui permet de « sortir par le haut » d'une proposition finlandaise extrêmement frugale. Faire glisser 190 milliards d'euros en direction du CFP permet de panser les plaies, mais cela ne guérira pas le malade !

Les sommes mises sur la table sont considérables, rendant encore plus que d'habitude nécessaire l'émergence de ressources propres. Quelques années après le rapport Monti, nous voilà au pied du mur, car les États ne vont pas augmenter leurs prélèvements sur le revenu national brut. Il ne faut surtout pas instituer des taxes sur les entreprises, car nous sommes déjà les champions en la matière. La taxe GAFA, pourquoi pas ? Quant à la taxe carbone aux frontières, elle est une évidence.

Je m'inquiète de la fragmentation du marché unique. L'Allemagne utilise des aides d'État avec une temporalité qui n'est pas la nôtre, ce qui va accroître le différentiel entre nos deux pays. C'est un pays vertueux, qui se servira de sa puissance de feu sur la 5G, sur l'hydrogène, sur l'économie 2.0... Nous risquons d'avoir des déconvenues. D'où l'importance des réformes structurelles, car il en va de l'avenir et de la solidité de la zone euro. Il ne faudrait pas que la France soit déclassée en seconde zone, dans la catégorie des pays du sud.

Je suis d'accord avec les amendements proposés par le rapporteur, notamment ceux sur le rabais et l'instrument budgétaire.

Sans vouloir faire de politique politicienne, il n'y aura pas de souveraineté nationale sans compétitivité nationale : pour cela, il faut une baisse massive des charges dans notre pays. Nous alignons des chiffres, sans nous préoccuper de la charge de remboursement de cette dette...

Debut de section - PermalienPhoto de Jérôme Bascher

Merci à notre excellent collègue Jean-François Rapin, qui nous a permis de comprendre le dispositif proposé. Si elle est mal aimée, l'Union européenne en est la seule responsable : ses propos abstrus ne donnent pas envie de s'y intéresser...

Avec le plan de relance, on va rajouter de la dette à la dette, alors que la France n'en manque pas. Les ménages sont endettés, alors qu'historiquement ils ne l'étaient pas ; les entreprises ont atteint un taux d'endettement assez important - les prêts garantis par l'État ne vont pas contribuer à faire diminuer celui-ci - ; le taux de dette publique est de 120 % du PIB ; et maintenant on ajoute la couche qui manquait : la dette européenne !

En cas de faillite généralisée et de crise de la dette, quelle est l'instance d'appel ? La Banque centrale européenne est-elle solidaire du plan de relance ?

Debut de section - PermalienPhoto de Patrice Joly

Bravo au rapporteur d'avoir présenté de façon simple un sujet très complexe ! La nécessité d'un plan de relance, fondé sur l'accélération de la transition écologique, est une évidence. Les crédits issus de l'instrument financier et du CFP « socle » représentent un peu moins de 300 milliards d'euros par an sur entre 2021 et 2027, pour l'ensemble de l'Union européenne, un montant qui se rapproche des budgets nationaux.

Je regrette la faiblesse de la volonté et de la réflexion en matière de création de ressources propres pour rembourser cet emprunt. Celui-ci est essentiel car il permet de construire la solidarité européenne et d'obtenir des financements à des conditions que certains États n'auraient pas pu obtenir. Se pose la question des remboursements et de l'annulation d'une partie de la dette : 25 % des emprunts publics sont détenus par les banques centrales, notamment la BCE - les intérêts gagnés sont reversés en partie en dividendes aux actionnaires que sont les États. Ne pas rembourser une partie de la dette peut paraître étonnant, mais les montages financiers permettent d'y réfléchir, car cela donnerait de l'air aux finances publiques.

La dépense n'est jamais suffisante au regard du contexte actuel. Le plan de relance ne fait pas assez le pari de la relance au travers des territoires. On peut aussi s'interroger sur l'efficacité de ce plan au regard de ses modalités d'intervention - subventions, emprunts et avances - et de ses procédures, avec un risque de faible niveau d'engagement à courte échéance. Le CFP 2014-2020 a montré les difficultés que posait la lourdeur des procédures pour la consommation des crédits.

Enfin, on peut regretter que les crédits Erasmus soient en baisse, car il faut donner des perspectives à la jeunesse et cultiver le sentiment d'appartenance à l'Europe.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

S'agissant des emprunts, quelle est la note donnée par les agences de notation à l'Union européenne ?

Une taxe sur le numérique, telle que la taxe « GAFA » ne figure pas dans la proposition de résolution.

Debut de section - PermalienPhoto de Éric Bocquet

L'Allemagne, l'Irlande et les Pays-Bas sont opposés à cette taxe. Comme l'unanimité est nécessaire sur les questions fiscales, il n'y a aucune chance que cette mesure aboutisse. Il faudrait changer les règles du jeu.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Monsieur le rapporteur général, vous avez noté l'imprécision du dispositif. Les auditions, notamment celle de la secrétaire d'État Amélie de Montchalin, ne nous ont pas permis d'obtenir des réponses à toutes nos questions, car ces points font actuellement l'objet de négociations entre les États membres.

Monsieur Bizet, j'abonde dans votre sens. Il est vrai que le dispositif est original, ce qui peut conduire à des incompréhensions. Ce qui compte maintenant, c'est qu'il soit efficace dans les années à venir.

Monsieur Bascher, s'agissant de la BCE, je ne peux vous apporter qu'une réponse partielle. Christine Lagarde avait pleinement soutenu l'initiative franco-allemande pour la relance, laquelle reprend largement le dispositif qui nous est proposé par la Commission européenne : on peut donc imaginer qu'elle le soutient également. Mais nous ne savons pas quelle est sa position sur les modalités.

Monsieur Joly, vous estimez, avec pragmatisme, qu'on peut effacer 25 % de la dette, car celle-ci est détenue par la BCE. Cela peut être une piste, voire, un jour, une bouée de sauvetage. Cette proposition emblématique pourra être discutée à l'avenir.

Monsieur Bocquet, nous n'avons pas utilisé le terme « taxe Gafa » dans la proposition de résolution, mais je l'évoque dans mon rapport. Les personnes auditionnées, notamment la secrétaire d'État, l'ont citée comme une éventuelle ressource propre. J'ai fait part de mon doute sur la capacité à mobiliser aussi vite des ressources propres dont on parle depuis si longtemps... Comme les rabais, les ressources propres sont un sujet tabou.

Les inquiétudes portent aussi sur l'articulation entre la mobilisation des projets et l'allocation des crédits de paiement par l'Europe. D'importants fonds régionaux vont être versés, et il va falloir les gérer. Les régions peuvent connaître des difficultés de trésorerie en cas d'afflux de projets.

EXAMEN DU TEXTE DE LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

L'amendement COM-1 tend à rappeler le retrait du Royaume-Uni, qui aura un impact sur le prochain CFP.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'amendement COM-2 intègre deux éléments complémentaires que nous avions déjà insérés dans la précédente proposition de résolution.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'amendement COM-3 vise à réaffirmer notre prudence par rapport au plan de relance. On nous annonce des chiffres, mais nous sommes incapables de dire quel sera l'effet levier, et s'il suffira.

L'amendement COM-3 est adopté, de même que l'amendement rédactionnel COM-4.

L'amendement COM-5 tend à souligner le rôle de l'instrument budgétaire de convergence et de compétitivité qui ne figure plus dans les propositions de la Commission européenne.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean Bizet

Il est en effet utile de le souligner car je vois certaines vieilles lunes revenir en France...

L'amendement COM-5 est adopté.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

L'amendement COM-6 vise à relever deux insuffisances de l'instrument de relance de l'Union européenne : il faudrait modifier la clef de répartition des subventions de la facilité pour la reprise et la résilience, et impliquer davantage les parlements nationaux dans l'élaboration des plans de reprise et de résilience et des réformes menées par les États et qui devront être présentés à la Commission européenne.

L'amendement COM-6 est adopté.

L'amendement COM-7 tend à réaffirmer notre volonté de suppression des rabais.

L'amendement COM-7 est adopté, de même que l'amendement de précision COM-8.

La proposition de résolution européenne est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

TABLEAU DES SORTS

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

J'ai souhaité évoquer devant vous quelques éléments concernant la stratégie qui devrait être, selon moi, suivie pour relancer l'économie.

Le Gouvernement vient de déposer un troisième projet de loi de finances rectificative (PLFR 3) qui ne comporte que peu de mesures de relance. Il contient majoritairement des mesures de soutien sectorielles, alors que les dispositifs de relance devraient se faire attendre jusqu'au projet de loi de finances (PLF) pour 2021, à l'automne, pour une adoption définitive à la fin de l'année civile.

Dans un contexte économique particulièrement morose, il importe de définir maintenant une stratégie nationale de relance, prenant la suite du plan de soutien établi par le Gouvernement, qui avait alors le bon timing d'intervention - et nous l'avions soutenu. Il convient ainsi d'aider l'économie à redémarrer, en stimulant la demande et en redonnant confiance à l'ensemble des acteurs, qu'il s'agisse des entreprises, des ménages, voire des collectivités locales qui craignent de voir à la fois leurs recettes se réduire et leurs dépenses augmenter. J'ai ainsi rencontré, avec Charles Guené, les ministres Jacqueline Gourault et Sébastien Lecornu la semaine dernière.

Le contexte économique et budgétaire est inquiétant. L'économie française traverse un choc sans précédent en période de paix, qui va durablement peser sur l'activité. Désormais, le Gouvernement prévoit un recul du PIB de 11 %, contre 8 % il y a moins de deux mois - chiffre qui constituait déjà la plus mauvaise performance depuis l'après-guerre. Il s'agit d'une estimation très proche de celles de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et de la Banque de France. Les conséquences sur le plan social seront massives. Selon la Banque de France, le taux de chômage atteindrait 11,5 % mi-2021.

Bien sûr, on assiste depuis le 11 mai à une reprise progressive de l'activité, qui a augmenté de 15 points par rapport aux premières semaines de confinement. Mais l'économie française est loin d'avoir retrouvé son niveau de production d'avant-crise : d'après la Banque de France, l'activité instantanée se situe encore 17 % en dessous de son niveau habituel.

Il n'y a donc pas de rebond instantané, la reprise sera lente et progressive. Selon l'OCDE, le PIB de la France se situera au quatrième trimestre encore 7 % en deçà du niveau du quatrième trimestre 2019.

Cela s'explique par la violence de la crise, qui a d'abord constitué un choc d'offre, mais va durablement peser sur les différentes composantes de la demande.

Du côté de la demande interne, la principale inquiétude concerne l'investissement, qui représente 23 % du PIB et dont le recul devrait se situer autour de 20 % d'après les différentes estimations. Je me suis notamment entretenu avec l'Association française des entreprises privées (AFEP) à ce sujet.

Le comportement d'investissement des entreprises, qui représente 14 % du PIB, est généralement attentiste durant les récessions, et il pourrait cette fois reculer de 20 à 25 %. Une stratégie de relance passe donc par l'investissement des entreprises.

L'incertitude devrait également conduire à un fort recul de l'investissement immobilier des ménages, de 20 à 25 %, même s'il existe toujours une forte demande d'investissement immobilier notamment en région parisienne.

Enfin, l'investissement des administrations publiques locales - qui représente 3,5% du PIB - risque d'être pénalisé par le cycle électoral et la baisse des recettes fiscales. D'après la Banque de France, il reculerait de 7,3 % cette année.

Les incertitudes sont fortes sur la consommation des ménages, mais celle-ci devrait un peu mieux résister que l'investissement. Comment seront orientés les 100 milliards d'euros d'épargne de précaution accumulés ? Les ménages vont-ils décaisser cette épargne contrainte pour réaliser les achats qu'ils ont reportés ou bien investir, ou alors vont-ils continuer à thésauriser, du fait de la hausse du chômage et de la forte incertitude sur l'avenir, assez anxiogène ? Une piste intéressante serait d'inciter à injecter cette épargne dans l'économie.

Le commerce extérieur - 31 % du PIB pour les exportations - pèserait marginalement sur l'activité à court terme, le recul des importations étant d'un ordre de grandeur similaire à celui des exportations. Les inquiétudes sont plus fortes à moyen terme, en raison des incertitudes sur le commerce mondial.

Quel est le rôle de la puissance publique - Gouvernement et législateur - pour éviter une spirale négative, et favoriser le rebond ? Nous devons actionner les bons leviers et choisir les bonnes mesures ; la France a peu de marges de manoeuvre. Je n'ai pas manqué de le rappeler au cours de l'examen des dernières lois de finances, la France a continué à s'endetter et à accumuler les déficits, ne laissant pas de marge de manoeuvre en cas de changement brusque de situation - je pensais alors à une crise boursière ou à un choc pétrolier, mais pas à une crise sanitaire...

Nous devons actionner les bons leviers. L'argent public est rare, même si actuellement certains ont l'impression qu'il « tombe du ciel ». Le PLFR 3 prévoit 30 milliards d'euros pour le chômage partiel, et 7 milliards d'euros pour le fonds de solidarité. Avec une prévision de déficit public à 11,4 % et un endettement public qui atteindrait 121 % du PIB, nos marges de manoeuvre sont bien plus réduites que celles de certains de nos voisins européens. Nous en reparlerons demain lors de l'examen de la loi de règlement pour 2019.

Pour stabiliser l'activité, les économistes considèrent qu'il faut que l'accroissement du déficit public soit équivalent à la chute de l'activité. Or ce n'est pas encore le cas : par rapport aux prévisions du PLF pour 2020, le Gouvernement anticipe un recul du déficit de 9,2 points, tandis que l'activité chuterait de 12,3 points. Il manque donc environ 3 points de PIB de soutien public. Cela explique pourquoi la Banque de France estime que 40 % de la perte d'activité liée à la crise resterait en l'état à la charge des entreprises et des ménages - le reste étant absorbé par la puissance publique.

Dès lors, il est indispensable d'amplifier le soutien à l'économie française par la mise en place d'un plan de relance, qui devrait, selon moi, s'élever autour de 2 points de PIB, soit 40 milliards d'euros, en tenant compte des incertitudes sur la reprise d'activité et le plan de relance européen.

Cela nous rapprocherait du niveau des mesures de soutien et de relance mises en oeuvre en Allemagne, qui atteignent au total 5,5 % du PIB, soit plus de 130 milliards d'euros d'après la Bundesbank, contre 2,5 % du PIB en France à l'issue de ce PLFR 3. L'Allemagne connaît un recul du PIB moins fort, mais elle donne davantage de subventions et moins de garanties de prêt. Elle va plus loin pour aider les PME.

Avec un tel état des finances publiques, comment déterminer les mesures les plus efficaces ?

Mon analyse s'est concentrée sur les dispositifs entrant dans le champ de compétence de notre commission, des mesures budgétaires et fiscales et des modes de financement de l'économie. Bien sûr, d'autres politiques devront être mobilisées, avec la question de la relocalisation en France pour retrouver une souveraineté, ou la compétitivité des entreprises. J'ai aussi exclu de mon analyse certains secteurs ayant fait l'objet de mesures de soutien sectorielles, comme le tourisme et la culture, l'aéronautique ou encore l'automobile.

Pour déterminer les mesures les plus efficaces, j'ai appliqué la règle dite « des 3T » : les mesures doivent être prises au moment opportun (timely), avoir un caractère temporaire (temporary) et être ciblées (targeted).

Le plan de relance doit ainsi tenir compte des délais de mise en oeuvre nécessaires pour les mesures retenues. ·Pour que certaines mesures soient efficaces, il faut agir maintenant ; cet automne et cet hiver, il sera trop tard.

Ensuite, la relance doit privilégier des mesures temporaires, permettant de préserver les finances publiques. Il faut éviter les mesures pérennes, difficilement réversibles. Nous avons pu en faire l'expérience avec la baisse de la TVA dans la restauration, considérée ensuite comme un avantage acquis.

Enfin, le plan de relance doit être ciblé en préférant les mesures permettant de soutenir fortement l'activité à court terme, c'est-à-dire celles dont l'effet multiplicateur est le plus élevé, et en soutenant prioritairement les activités les plus pénalisées - automobile, tourisme, services marchands...

Quelles mesures prendre, et avec quel calendrier ? Je ne suis pas d'accord avec le Gouvernement qui veut attendre l'automne. Le chômage partiel coûte très cher. Certes, il était indispensable lorsque l'économie était à l'arrêt, mais désormais il faut relancer la demande et l'investissement. Les restaurateurs veulent des clients, pas être mis « sous perfusion ».

Je trouve incohérent que l'Allemagne annonce la semaine dernière un plan de relance de grande ampleur et que la France attende plusieurs mois, alors même que, d'après l'OCDE, la chute du PIB en France devrait être supérieure de près de 5 points à celle constatée en Allemagne, de moins 6,6 %, en 2020. Les entreprises ont besoin de visibilité pour prendre leurs décisions d'investissement et les mesures seront efficaces si elles peuvent être intégrées le plus vite possible dans les prévisions du second semestre. Il en est de même pour les collectivités territoriales.

J'en viens aux mesures les plus utiles. Certaines pourraient ne pas être traduites par des amendements compte tenu de l'article 40 de la Constitution, mais ces propositions pourraient être reprises par le Gouvernement. Ce sont des priorités ambitieuses, mais non exhaustives - je voulais éviter un inventaire « à la Prévert ».

Tout d'abord, la priorité doit donc être donnée à l'investissement. Il faut ainsi aider les entreprises à se financer et à investir. Comme en 2008, il faut adopter des mesures ayant fait leurs preuves pour préserver la trésorerie, comme le dispositif de carry back, qui permet le report en arrière des déficits au titre de l'impôt sur les sociétés (IS), non plus sur une année, mais sur deux ou trois ans. Certes, le mécanisme est coûteux, mais son efficacité est reconnue. Il faut aider les fournisseurs de l'État en donnant plus d'avances et en payant mieux.

Il est indispensable de soutenir les investissements en fonds propres des entreprises, en particulier les PME. Par exemple, des sous-traitants qui peuvent être oubliés - une blanchisserie pour l'hôtellerie, un sous-traitant portuaire pour des navires se rendant en Grande-Bretagne... - ont besoin d'être soutenus. Nous pourrions renforcer temporairement les avantages des produits d'épargne et de placement des ménages, comme augmenter le taux de réduction d'impôt « Madelin », exonérer de prélèvements sociaux pour les investissements réalisés dans le cadre d'un plan d'épargne en actions dédié aux PME (PEA-PME), moduler l'imposition au prélèvement forfaitaire unique (PFU) des produits issus de l'assurance vie...

Pour inciter les entreprises à investir, on pourrait renforcer temporairement les coefficients d'amortissement généraux applicables au titre de l'impôt sur les sociétés pour les dépenses d'équipements. Le mécanisme de suramortissement pourrait être davantage actionné, par exemple pour inciter à la transition énergétique, en favorisant l'acquisition d'une flotte de camions moins polluants. S'agissant du transport aérien, je préconise de nouveau la mesure que nous avons adoptée en loi de finances initiale pour 2020, avec la création d'un suramortissement pour l'acquisition d'avions neufs émettant moins de dioxyde de carbone que ceux qu'ils remplacent. Cela rend plus rentable l'investissement.

En complément, il serait nécessaire de soutenir l'emploi qui risque d'être très touché par la crise. Les jeunes qui entrent sur le marché du travail, y compris de jeunes diplômés, seront dans une situation dramatique. Il faut mettre en place un dispositif temporaire d'aide à l'embauche dans le secteur marchand. Il faudra aussi réfléchir au temps de travail, mais je sors un peu de mon champ d'intervention...

Seconde priorité, il faut aider les ménages à investir. Certains pays, comme Singapour, délivrent des chèques. Mais à quoi serviraient-ils ? Mieux vaut que ce ne soit pas pour acheter des téléphones étrangers...

Les ménages pourraient ainsi être davantage incités à opérer des travaux dans leurs logements, ce qui apporterait par la même occasion un soutien nécessaire au secteur du BTP, notamment pour la rénovation énergétique des logements. Il faudrait aussi renforcer le budget de l'Agence nationale de l'habitat (ANAH) et notamment du programme « Habiter mieux ».

Il est essentiel de faciliter par ailleurs la transmission entre les générations, afin que les jeunes générations puissent investir. L'abattement applicable pour la perception des droits de mutation à titre gratuit (DMTG) dans le cadre d'une donation aux petits-enfants pourrait être augmenté, pour le passer de 31 865 euros à 70 000 euros. Vaut-il mieux que l'État perçoive l'intégralité des DMTG dans 20 ans, ou une somme plus limitée mais de façon anticipée maintenant ?

L'investissement public doit également soutenir la reprise économique. Je préconise un plan d'accélération de l'investissement public de 20 milliards d'euros et comprenant cinq grands axes prioritaires : transition écologique et mobilités durables, recherche et innovation, défense et sécurité, patrimoine et territoires.

Conformément aux recommandations de la Cour des comptes dans son analyse des mesures de relance prises après la crise de 2009, le plan comprend essentiellement des projets déjà identifiés et programmés qui mériteraient d'être renforcés et accélérés.

Dans une moindre mesure, car l'impact de la crise est encore incertain sur ce point, il convient de relancer la consommation, prioritairement sur les secteurs les plus touchés par la crise, et éviter la poursuite de la thésaurisation par l'épargne tout comme le soutien à la consommation de biens importés.

D'après l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la consommation des ménages connaît un rebond plus vif en sortie de confinement que l'activité. Certaines dépenses n'ont probablement été que différées. Celles pour les coiffeurs, l'habillement, l'équipement de la maison devraient repartir à la hausse... Il pourrait être utile de soutenir très rapidement la consommation des ménages modestes par un dispositif de bons d'achat ou de chèques loisirs, utilisables dans des secteurs particulièrement touchés. Certaines régions y réfléchissent déjà, et cela favoriserait la consommation de produits ou de services français.

L'utilisation de l'épargne et la transmission entre générations devraient être facilitées. On pourrait prévoir le déblocage exceptionnel et temporaire de l'épargne salariale pour l'achat de certains biens ou la réalisation de certaines prestations, comme des travaux de rénovation énergétique ou l'achat d'un véhicule propre.

Il est également crucial de s'appuyer sur les collectivités locales, acteurs de la reprise. Il serait utile de renforcer temporairement le fonds de compensation de la TVA (FCTVA), en anticipant son versement en 2021, et d'augmenter la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), que prévoit le Gouvernement, et la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

En complément, des assouplissements des règles de la commande publique et une renégociation des contrats de plan État-régions (CPER) seraient opportuns.

Enfin, il convient de mobiliser l'ensemble des acteurs - Caisse des dépôts et consignations, BPI France... - afin de pallier les effets de la crise et contribuer à soutenir la relance économique.

Pour pallier les inégalités territoriales, il faudrait investir massivement dans le très haut débit sur l'ensemble du territoire. Près d'un million de prises n'ont pas été débloquées.

En résumé, je propose un plan temporaire, prenant effet le plus rapidement possible, et ciblé sur des secteurs prioritaires. Je présenterai des amendements lors de l'examen du PLFR 3, car nous ne pouvons poursuivre trop les dispositifs de perfusion. Il faut rebondir, en quelque sorte entamer notre rééducation, pour marcher voire courir après notre sortie de l'hôpital, car sinon nous serons en décalage par rapport à nos voisins européens.

Debut de section - PermalienPhoto de Christine Lavarde

Le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale a proposé un livret centré sur la mobilisation de l'épargne pour la relance de l'économie et notamment la restructuration industrielle à la suite du Covid-19. Cette proposition a été reprise par le délégué général de La République En Marche. Est-elle pertinente ?

Une partie de l'épargne des ménages est plus forcée que volontaire. Pourrons-nous la débloquer ? Personne ne compte aller quinze fois de suite au restaurant pour compenser le fait de ne pas y avoir été pendant trois mois...

À l'heure actuelle, on presserait apparemment les opérateurs publics de réaliser des actions, de faible envergure, pour injecter de l'argent dans les territoires. Mais souvent, ce serait des actions de priorité de rang non pas 1 ou 2, mais 4 ou 5. N'est-il pas dangereux de dilapider l'argent public dans ces projets plutôt que dans des projets structurants ?

Debut de section - PermalienPhoto de Julien Bargeton

Monsieur le rapporteur général, je ne partage pas la tonalité de vos propos, mais nous en débattrons lors de la séance publique. Les plans sectoriels sont extrêmement ambitieux. Les États comparent leurs annonces, mais avons-nous un état comparatif de la consommation réelle des crédits ? Il est facile d'annoncer des milliards d'euros de garanties de prêts ou de subventions, mais qu'en est-il réellement ?

Debut de section - PermalienPhoto de Albéric de Montgolfier

L'épargne de précaution inclut l'épargne forcée lorsqu'il était impossible de se déplacer et que les commerces étaient fermés. Il n'y a pas de rattrapage instantané, et il n'y aura jamais de rattrapage pour certains achats.

Je m'interroge sur l'opportunité d'un nouveau produit d'épargne. J'avais évoqué avec Éric Lombard, directeur général de la Caisse des dépôts et consignations, la possibilité de réorienter le Livret A vers un livret Covid ou un livret santé... Il faut surtout une consommation plus importante, et cela repose sur la confiance.

Monsieur Bargeton, la Bundesbank estime à 5,5 % du PIB l'ensemble des mesures de soutien qui devraient être consommées. En France, nous n'en sommes pas là et les dispositifs de chômage partiel et du fonds de solidarité continuent d'être utilisés. Ce n'est pas très bon signe ; l'économie française reste fortement à l'arrêt.

Je ne critique pas les mesures de soutien sectorielles, importantes. Pour le secteur automobile, le plan est complet. Mais le PLFR 3 ne comprend pas de grande mesure notamment pour favoriser l'investissement des entreprises. Or on ne peut pas attendre l'automne pour des dispositifs comme le suramortissement ou le carry back. Le Gouvernement a fait des efforts pertinents lorsqu'il s'est agi de soutenir nos entreprises au moment où l'économie était quasiment à l'arrêt, mais il faut passer à une autre phase. J'espère que le chômage partiel disparaîtra naturellement et que les Français consommeront.

Debut de section - PermalienPhoto de Vincent Eblé

Merci pour cette contribution. Nos travaux se poursuivront sur le sujet.

La réunion est close à 17 heures.