Mes chers collègues, je souhaite la bienvenue à M. Stéphane Bouillon, secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale, que nous avions déjà auditionné à l'automne dernier sur le projet de loi de finances pour 2021.
Je rappelle que le secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) est chargé d'assister le Premier ministre dans ses missions dans le champ de la défense et de la sécurité nationale. À ce titre, vous êtes le secrétaire du conseil de défense et de sécurité nationale, dont l'activité a connu un rythme sans précédent en 2020 sous l'effet de la pandémie.
Le SGDSN est aussi chargé de la réglementation sur la protection du secret de la défense nationale, de la supervision des travaux de la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), ainsi que de la mise en oeuvre des moyens interministériels classifiés et des liaisons protégées. Enfin, il assure aussi, grâce à l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi), la mise en oeuvre de la politique de cybersécurité.
Nous aurons sans doute l'occasion, au cours de cette audition, de vous interroger sur ces différents dossiers. Certains collègues chargés de préparer des rapports d'information auront également sans doute des questions à vous poser, notamment les rapporteurs du groupe de travail sur les drones.
Pour ma part, je voudrais vous interroger sur deux points.
Alors que nous voyons enfin la lumière au bout du tunnel sur le front de la pandémie, pouvez-vous nous dire où en est la révision de la planification de crise ? À l'automne, vous aviez indiqué que ce chantier était en cours, mais qu'il devait encore s'enrichir des différents travaux menés sur le sujet, notamment ceux de la commission d'enquête sénatoriale. Quelles modifications ont été apportées au dispositif existant ?
Par ailleurs, compte tenu des expériences vécues par la France et d'autres pays démocratiques ces dernières années, la possibilité d'ingérences numériques à l'occasion de l'élection présidentielle de 2022 nous préoccupe. Comment le SGDSN prend-il en compte cette menace ? Comment nous y préparer ? Vous avez annoncé la semaine dernière lors de votre audition à l'Assemblée nationale la création d'un dispositif de détection des manipulations d'informations en provenance de l'étranger via les réseaux sociaux. Pouvez-vous nous présenter ce dispositif ?
Je précise que cette audition n'est pas filmée. Vous avez donc toute liberté de vous exprimer.
Je vous remercie de votre accueil. Je suis très heureux de pouvoir vous présenter nos activités.
Le changement de dimension des crises appelle une planification plus concrète, plus lisible et prenant en compte le temps long. Depuis la fin du premier confinement, nous travaillons à cette remise à plat de notre préparation aux crises, en lien notamment avec les conclusions du rapport de votre commission d'enquête sur la gestion de la pandémie de covid.
En effet, si nous savons collectivement réagir aux catastrophes et aux crises de courte durée, la crise que nous venons de traverser, qui a entrainé l'interruption des échanges humains et économiques à l'échelle mondiale, a complètement modifié nos scénarios, car il n'était plus possible de s'approvisionner grâce au commerce international, ni de recourir à la solidarité de nos voisins, eux-mêmes touchés par le virus.
Nous travaillons à un nouveau dispositif fondé sur le concept de résilience. Ce terme désigne, en physique, le retour d'un matériau à son état initial après un choc, et en psychologie, l'aptitude d'un individu ou d'un groupe d'individus à se reconstruire après un événement traumatique. Ce concept est évoqué au sein de l'Union européenne, mais aussi au sein de l'OTAN, puisqu'il sera à l'ordre du jour du sommet qui se réunit à partir d'aujourd'hui.
La démarche de résilience comporte trois étapes : la réévaluation des risques et menaces, l'élaboration d'une politique d'atténuation de nos vulnérabilités et le développement des capacités nécessaires au rétablissement du fonctionnement normal. Nous refondons l'ensemble de nos plans et nous les complétons dans cette perspective.
Nous disposons actuellement d'une quinzaine de plans qui représentent 1 500 pages, comprennent 1 000 fiches de mesures et prévoient 100 domaines d'application. En période de crise, malgré les formations que nous dispensons, les responsables ont parfois du mal à s'y retrouver. Nous travaillons donc à rationaliser ces plans et à mieux les articuler entre eux. Nous développons un outil numérique pour agréger le suivi des mesures prises, organiser une meilleure communication de ces mesures entre l'administration centrale et l'administration territoriale, rassembler l'ensemble des éléments législatifs et réglementaires qui doivent être mis en oeuvre et assurer le suivi budgétaire.
Enfin, nous devons mieux former les responsables, dès leur formation initiale et tout au long de leur carrière.
Nous élaborons donc une demi-douzaine de nouveaux plans génériques, conçus autour de situations de référence : les violences extrêmes, les troubles sociétaux graves, les crises cybernétiques, les risques naturels technologiques ou industriels et les risques sanitaires. Nous croiserons ces plans avec une vingtaine de fonctions thématiques - alimentation et eau, communications, transports, lieux recevant du public ...- afin de disposer d'un tableau complet nous permettant de parer à toutes les situations. L'objectif est de parvenir, par ces arborescences logiques, à une utilisation plus facile pour les ministères et à une plus grande souplesse d'évolution de la planification.
Nous préparons ainsi, avec le ministère de la santé, un plan générique commun à l'ensemble des maladies infectieuses hautement pathogènes qui comportera un guide d'aide à la décision proposant une déclinaison spécifique pour chaque type de pathologie, complété par un contrat capacitaire prévoyant les ressources critiques mobilisables pour mettre en oeuvre le plan, et un guide de déclinaison territoriale.
Nous présenterons une première ébauche de ce premier plan à la rentrée.
Nous travaillons également sur la notion de gestion de crise. Lorsque la crise a éclaté, en janvier 2020, le ministre de la santé a été désigné par le Premier ministre comme le ministre « menant ». Ce dernier a mobilisé le centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales (Corruss) en coordination avec la cellule interministérielle de crise (CIC). Deux cellules se sont ainsi constituées : l'une pour gérer l'ensemble des problèmes relatifs à la santé, l'autre pour traiter les problèmes de la vie quotidienne des Français. Chaque jour, une réunion de synthèse en présence du Premier ministre ou de son directeur de cabinet permettait de prendre les arbitrages nécessaires.
Faut-il revoir ce dispositif pour lui substituer un centre de crise unique ? Nous pourrons y revenir en détail, mais j'estime, pour ma part, qu'une amélioration de la coordination effectuée par le Premier ministre serait souhaitable.
J'en viens au deuxième point sur lequel vous m'avez interrogé : le développement de nouvelles menaces, hybrides, qui s'appuient sur la numérisation de nos sociétés et qui permettent à des acteurs étrangers, soit par des attaques cybernétiques, soit par des actions d'exploitation des réseaux sociaux, de nuire à notre pays.
Pendant la crise sanitaire, l'ANSSI a été avertie de plusieurs milliers de cyber-attaques, dont une vingtaine de grosses opérations visant des médias, des entreprises et des administrations. Par ailleurs, nous avons subi des campagnes de fake news, notamment à l'automne dernier. Ces attaques sont difficiles à gérer, car elles ne sont pas attribuables à un commanditaire immédiatement. Nous nous attendons à ce que ce type d'attaques se développe à l'approche des élections présidentielles et législatives. C'est pourquoi nous travaillons sur les dispositifs que nous pouvons mettre en place pour les contrer.
La troisième menace, de nature juridique, est le lawfare, qui désigne la capacité d'un État étranger à imposer à tous les autres États ses propres normes pour des raisons monétaires ou commerciales. Nous agissons très fortement sur cette forme de menace.
Les fonds alloués dans le cadre du plan de relance permettront de remédier au manque de protection, notamment des hôpitaux et des collectivités territoriales, contre les menaces cybernétiques. De même, d'autres dispositifs, comme la création, en lien avec les régions, de centres de réponse aux incidents cybernétiques (CSIRT), visent à doter les petites et moyennes entreprises (PME) et les entreprises de taille intermédiaire (ETI) de meilleures protections contre les cyber-attaques et les rançongiciels.
J'en viens à la menace d'ingérence numérique. En 2018, vous avez voté la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Certaines dispositions de la loi relatives à l'élection du Président de la République au suffrage universel visent également à lutter contre les fausses nouvelles et leur diffusion.
Nous avons travaillé avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui est chargé de la lutte contre la manipulation de l'information, mais aussi avec le Conseil d'État et bientôt avec le Conseil constitutionnel et la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).
Notre objectif est de créer un outil utile à ces institutions et au succès de leurs missions pendant la campagne présidentielle. Il s'agit aussi, plus globalement, dans le cadre de l'article 12 de la loi de 2018, de pouvoir aider le CSA à lutter contre la diffusion de fausses informations susceptibles de troubler l'ordre public ou de porter atteinte à la sincérité d'un des scrutins.
Pour ce faire, nous avons l'intention de créer par décret en Conseil d'État un service à compétence nationale qui travaillera auprès du SGDSN, en complémentarité avec l'ANSSI. Cette structure ne sera pas un service de renseignement, mais elle oeuvrera avec l'ensemble des administrations, dont le ministère des affaires étrangères, pour détecter et caractériser les menaces qui viennent de l'étranger.
Il n'est pas question de nous mêler de la vie politique en France lorsque tel ou tel responsable politique livrera une information qui mériterait d'être corrigée. Ce qui nous importe, c'est de suivre le parcours des informations, par exemple lorsqu'elles proviennent d'une agence de presse étrangère avant d'être reprises, puis développées et amplifiées sur les réseaux sociaux par le biais de robots, d'intelligences artificielles ou d'opérateurs humains installés dans différents pays.
Certains médias choisissent les sujets de leurs reportages en fonction du nombre de reprises qui leur sont consacrés sur les plateformes numériques. Les chaînes de télévision nationales les reprennent ensuite. Une sorte de feu de forêt prend ainsi et s'étend. Notre objectif est de pouvoir remonter jusqu'à l'incendiaire, le plus vite possible, afin de faire intervenir le CSA, le Conseil d'État, le ministère de la justice au titre de la loi de 1880, ou encore le Service d'information du Gouvernement (SIG) en les avertissant que telle ou telle information circule pour nous nuire et a fait l'objet d'un gonflement artificiel. De fait, c'est à ces instances et pas à nous qu'il reviendra d'intervenir. A ce titre, le Quai d'Orsay pourra ainsi faire des observations à ses homologues concernés, le SIG pourra produire un contre-discours, le ministère de la justice pourra lancer des poursuites, et le CSA pourra faire des recommandations aux plateformes numériques pour leur demander d'intervenir.
Le sujet est sensible, car il est politique. Nous devons donc déployer des dispositifs de contrôle très forts. Le Parlement y participera pleinement par le contrôle qu'il exerce sur le SGDSN ; votre commission au premier chef. De plus, nous avons proposé de constituer un comité éthique et scientifique qui sera présidé par un conseiller d'État et dans lequel siégeront un membre du CSA, un magistrat désigné par le ministère de la justice, un représentant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, par exemple un chercheur du CNRS, des journalistes et une ou des personnalités connaissant bien les plateformes numériques.
Cette structure devrait être opérationnelle d'ici au mois de septembre prochain, et dotée de 40 personnes à la fin de l'année, puis 60 personnes dans le courant de l'année 2022. Nous pourrons faire le point avec vous, après les élections présidentielles, notamment sur l'éventuelle nécessité d'amender la législation contre la manipulation de l'information.
Certains États nous préoccupent particulièrement, dont ceux qui sont très actifs dans le domaine cybernétique et que vous connaissez déjà. Ils sont aussi actifs dans le domaine des ingérences numériques. D'autres s'y ajoutent, dont certains dans la péninsule arabique ou sur le plateau iranien. D'autres encore sont des mouvements d'opinion comme QAnon, très actif dans les élections allemandes qui auront lieu au mois de septembre prochain. Nous travaillons de manière transversale avec tous les ministères qui sont concernés afin de ne pas perdre de vue ces perturbateurs.
Un certain nombre de services amis, dont celui des États-Unis, nous prodiguent des soins attentifs par l'intermédiaire d'autres services amis, comme celui du Danemark.
Je voudrais rappeler l'extrême fragilité des parlementaires sur ces sujets. Nous avons beaucoup utilisé, dans la période récente, des plateformes de communication comme Zoom. Le directeur de l'ANSSI nous a fait de nombreuses recommandations concernant ce que nous ne devons pas faire, mais qui nous laissent dans l'incertitude par rapport à ce que nous devons faire.
Or ces moyens de communication sont appelés à se multiplier. Lors de certaines auditions d'ambassadeurs menées dans ce format, nous avons noté une grande retenue dans les propos des intervenants, liée au risque d'être écoutés par d'autres que nous. Cela nuit au processus parlementaire et démocratique.
La quantité de documents et d'informations que nous échangeons a une importance capitale. La ministre des armées m'a appelé, hier soir, pour évoquer des sujets sensibles. Je ne sais pas si son téléphone était crypté, mais le mien ne l'était pas.
Certains sénateurs, notamment ceux qui représentent les Français de l'étranger, séjournent souvent dans d'autres pays que la France. D'autres sont chargés de sujets très sensibles. Les parlementaires sont très exposés, mais aucun dispositif de protection n'est prévu. Nous sommes victimes de fake news, face auxquelles on ne peut se contenter de compter sur notre sagesse et notre bon sens. Nous représentons une source importante d'évasion de l'information.
J'irai visiter cet après-midi une entreprise d'armement, qui est un sous-traitant de sous-traitant. Elle ne bénéficie évidemment pas de la même protection qu'un acteur comme Thalès, alors qu'elle représente quand même un enjeu important.
En 2014, le SGDSN a joué un rôle important dans le traitement du problème du survol des centrales nucléaires par des drones. Dans quelle mesure s'implique-t-il aujourd'hui dans la lutte anti drones ? Quels sont les chantiers en cours dans ce domaine ? Quels sont les enjeux et quelles initiatives envisagez-vous de prendre ?
Alors que le trafic de drones ne cesse de se densifier, où en est-on dans la mise en place d'un cadre règlementaire et d'un outil de gestion de l'espace aérien de basse altitude ? Des avancées sont-elles possibles au niveau national ou cela doit-il se faire à l'échelle européenne ? Le SGDSN envisage-t-il d'imposer aux opérateurs d'importance vitale de se doter de systèmes de détection de drones ?
Quant à la question qui suit, elle vient de mon collègue Cigolotti. Le projet de loi sur le terrorisme et le renseignement, en cours d'examen au Parlement, prévoit d'appliquer l'arrêt sur la quadrature du net rendu par le Conseil d'État, le 21 avril dernier, qui reprend l'arrêt « Tele2 Sverige » de la Cour de justice de l'Union européenne, en 2016. Le Conseil d'État avait indiqué que la conservation généralisée des données indispensables aux services de renseignement resterait possible tant que la France serait soumise à une menace terroriste grave. Chaque année, un décret doit justifier de l'existence de cette menace. La conservation des données par les opérateurs cessera-t-elle dès que le niveau de la menace diminuera ? Ce serait catastrophique pour les services de renseignement.
Je vous remercie d'avoir apporté des précisions sur l'outil de détection des menaces et ingérences étrangères. Il s'agit en quelque sorte d'une nouvelle agence de deuxième cercle. En raison de la multiplicité des crises, les agences se sont également multipliées. Tout l'enjeu est qu'elles puissent coordonner leurs travaux.
Cette nouvelle entité comportera une quarantaine de personnes, ce qui est restreint par rapport à l'ampleur de la tâche. Comment coordonnera-t-elle son action avec le Commandement de la cyberdéfense (Comcyber) du ministère des armées, et avec la plateforme d'harmonisation, d'analyse, de recoupement et d'orientation des signalements (Pharos) ?
Plus généralement, cette autorité préfigurera-t-elle le projet européen d'une grande agence de protection de la démocratie et de la vie démocratique ?
Je participe à la sixième session de l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) sur les enjeux et stratégies maritimes. La France occupe un certain nombre de positions stratégiques grâce aux outre-mer, qui sont presque comme des porte-avions déployés dans le monde. Quel type de collaboration entretenez-vous avec ces territoires ? Travaillez-vous sur une stratégie en Indopacifique ?
En 2022, la France assurera pour six mois la présidence de l'Union européenne. Des propositions seront-elles faites dans ce cadre en matière de sécurité européenne ?
Je ne peux tout de même pas m'empêcher d'avoir le sentiment que nous jouons toujours avec les noirs et jamais avec les blancs...
L'industrie des rançongiciels se développe. Aux États-Unis, on envisage de rendre illégal le paiement de rançons. Qu'en est-il en France ?
L'ANSSI constitue un point fort dans notre stratégie et elle porte un pan important de notre défense, comme je l'ai dit à son directeur, Guillaume Poupard. Cependant, elle représente aussi potentiellement un point faible, dans la mesure où sa réputation risque d'être affaiblie en cas d'attaques cyber réussies. Nous devrions anticiper la multiplication de ces problèmes. Qu'avez-vous prévu pour cela ?
En ce qui concerne le plan de relance cyber, Guillaume Poupard nous a confié que les opérateurs d'importance vitale (OIV) n'avaient souscrit qu'à 10 % des possibilités issues du plan d'audit dont ils avaient fait l'objet. Le problème n'est-il pas administratif ?
En effet, hier, à la Paris Cyber Week, les entrepreneurs de la cyber m'ont dit à propos du dispositif « Diag Cyber », proposé par Florence Parly, qu'il était très difficile d'y accéder à cause de formulaires trop nombreux et complexes à remplir. Ne faudrait-il pas revoir le processus d'accès aux aides que nous proposons ?
Que pensez-vous du centre de recherche sur l'intelligence artificielle de Huawei, installé entre le Parlement et Matignon ?
Il y a un an, dans un rapport sur la désinformation et les cyberattaques que nous avions intitulé « L'autre guerre du covid-19 », nous avions émis en première recommandation de mettre en oeuvre une « force de réaction cyber » pour lutter contre les campagnes de désinformation ou d'influence de certains acteurs étrangers. Nous nous réjouissons que vous ayez annoncé le développement d'une nouvelle agence, en septembre prochain. Cependant, nous n'avons pas été consultés à ce sujet, et le Parlement, attaqué récemment par des fake news, est comme un trou dans la raquette, en matière de protection.
La réponse doit être globale et prendre en compte tous les acteurs. L'exécutif n'est pas le seul pouvoir à être attaqué ; le législatif l'est aussi. Disposons-nous d'une capacité offensive pour retourner leur arme contre ceux qui nous attaquent ? Les interventions du Quai d'Orsay ne suffisent pas, car les fake news sont restées publiées sur le site de l'ambassade de Chine, alors même que l'ambassadeur avait été convoqué. En revanche, si notre ambassade à Pékin publie une fausse information sur son site, la Chine le fermera tout simplement. Une contre-attaque rapide devrait consister à fermer systématiquement tous les sites qui publient des fake news, même s'ils sont gouvernementaux. Si nous ne le faisons pas, nous ne serons jamais protégés.
Je crains que la création de cette agence, que l'on peut interpréter comme la volonté d'apporter une réponse aux fausses informations sous le contrôle de l'État, ne permette pas de rétablir la confiance de la population. Il faut absolument que nous étudiions ce dispositif ensemble - exécutif et Parlement -avant la rentrée de septembre.
La création d'une agence de cette importance sans même consulter le Parlement pose problème. Nous aurions dû être informés en amont de la mise en place d'un tel dispositif.
L'article 18 du projet de loi relatif à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement prévoit la possibilité de brouiller les drones menaçants sur le territoire national, afin de lutter contre ces engins, notamment lors de grands événements, et de protéger les enceintes militaires.
Quel est aujourd'hui notre niveau de maîtrise technique dans ces opérations de brouillage ? Est-il exact que des solutions plus ciblées sont actuellement à l'étude ?
Lors des grands événements, sera-t-il possible de créer une sorte de « bulle » de protection permettant de ne pas paralyser les autres modes de communication ?
La crise sanitaire a révélé un certain nombre de dysfonctionnements, notamment dans l'approvisionnement en médicaments. Nous nous intéressons au Sénat - je pense à la proposition de résolution de notre collègue Françoise Laborde - à la question du lien entre la résilience alimentaire des territoires et la sécurité nationale, notamment au travers de la protection des terres agricoles ou de la sécurisation du foncier agricole. Ce sujet fait-il partie de vos réflexions ?
Je souhaiterais tout d'abord répondre à M. Cadic à propos du futur dispositif visant à lutter contre les fake news.
Il ne s'agira pas d'une agence, mais d'un service administratif à compétence nationale rattaché au SGDSN. Il ne s'agit pas d'un service de renseignement. Le décret est actuellement en cours de rédaction. Nous cherchons à faire en sorte que la réponse soit la plus transparente possible : nous ne sommes pas en train de mettre en place un ministère de la vérité.
Par ailleurs, le dispositif a vocation à devenir pérenne et à se développer, y compris dans le cadre de la loi relative à la lutte contre la manipulation de l'information. Il devra faire preuve de souplesse. Ses effectifs ne seront pas très importants, mais très spécialisés : il faudra à la fois des techniciens experts des réseaux sociaux, des analystes et des geeks assez pointus. Ces personnels auront pour mission de couvrir l'ensemble du spectre des attaques contre les valeurs démocratiques avec, à brève échéance, l'enjeu de la campagne présidentielle et des élections législatives de 2022.
Cet organisme est évidemment à votre disposition, puisqu'il doit servir l'ensemble de la République. C'est pourquoi il est aussi susceptible de collaborer avec les grands opérateurs privés, dans les secteurs du transport, de l'énergie ou de l'alimentaire notamment. Je pense en particulier à Danone qui a fait l'objet d'attaques très virulentes il y a deux ans.
Comme pour l'ANSSI, et contrairement à son homologue américain, nous ne prévoyons pas de doter ce service de capacités offensives. Sa mission est avant tout de protéger la sécurité nationale.
Je l'ai dit, notre objectif n'est pas de démontrer que nous détenons la vérité : nous voulons faire la lumière sur la viralité artificielle de certaines informations, en clarifiant la responsabilité des différentes structures responsables. S'agissant du contenu des informations en tant que tel, c'est, selon les cas, aux services d'information du Gouvernement de proposer un contre-discours ou aux médias et au personnel politique de les dénoncer. Ce n'est pas le rôle de cette future instance : sinon, elle ne sera effectivement pas crédible.
Je précise que plusieurs États ont déjà mis en place des dispositifs de ce type, comme les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne ou l'Espagne.
Vous m'avez interrogé sur l'articulation entre ce service et les organismes mis en place au niveau européen. Nous avons justement eu des contacts avec la commission spéciale sur les ingérences étrangères dans les processus démocratiques de l'Union européenne, animée par les eurodéputés Raphaël Glucksmann et Nathalie Loiseau. Nous voudrions créer, au sein du Parlement européen et de la Commission européenne, une structure de coopération qui nous permette d'avancer et d'être efficaces.
Monsieur Allizard, vous m'interrogez sur les drones : ce sujet est extrêmement sensible comme le montre, je vous le rappelle, la censure de la mesure prévoyant l'utilisation d'aéronefs par certains services de l'État, notamment de police, par le Conseil constitutionnel.
La mise en oeuvre des compétences prévues par l'article 18 du projet de loi Terrorisme et renseignement sera du ressort du Premier ministre : il pourra les exercer lui-même ou décider, selon les cas, de les déléguer à un ministre, au commandant de la défense aérienne et des opérations aériennes ou à un préfet, et ce pour définir la solution la plus efficace et la plus proportionnée face à une menace donnée.
Les dispositifs de brouillage prévus sont très variés et temporaires : notre but est de pouvoir détecter le plus rapidement possible les aéronefs menaçants pour, le cas échéant, les brouiller et les neutraliser. Nous suivons de près les évolutions technologiques en la matière, afin d'être en mesure d'établir le dispositif réglementaire le plus adapté possible.
La lutte contre les drones malveillants est devenue un enjeu majeur, en raison notamment de l'essor de ce type d'attaques. Nous savons en outre qu'une organisation comme Daech est en pointe dans ce domaine. Il nous reste encore du travail sur les plans technique et juridique pour être capables de répondre efficacement à ces nouvelles menaces.
Monsieur Gattolin, je vous confirme que nous prévoyons une coordination étroite entre l'organisme qui sera chargé de lutter contre la manipulation de l'information et le Commandement de la cyberdéfense. Le service aura pour mission de traiter les menaces aboutissant à la mise en cause de l'ordre public ou à la sincérité d'un scrutin, quelle qu'elle soit, sur le territoire national, métropole et outre-mer compris.
Pour prendre l'exemple du futur référendum en Nouvelle-Calédonie, nous serons très attentifs aux éventuelles ingérences de pays qui auraient intérêt à ce que ce territoire devienne indépendant.
L'importance des enjeux géostratégiques et économiques en Nouvelle-Calédonie doit conduire à une vigilance particulière. Ainsi, il est de notoriété publique que la Chine est très intéressée par les nombreuses mines de nickel de l'archipel, qui seraient très utiles pour la production de leurs batteries.
Je rappelle que notre commission a prévu de parler aux deux « camps » dans le cadre d'une mission sénatoriale. N'oublions pas que le Sénat est la chambre des territoires.
À cet égard, le SGDSN a été une cheville ouvrière, puisque nous avons élaboré un document présentant les avantages et les inconvénients du oui et du non lors du prochain référendum sur l'indépendance de la Nouvelle-Calédonie. Nous avons organisé de nombreuses réunions pour expliquer aux Calédoniens toutes les conséquences économiques et financières qui en résulteraient. Cette demande du Gouvernement était bienvenue, car, jusqu'à présent, on n'était pas entré dans des détails aussi précis, pensant que le non l'emporterait systématiquement. Notre document très fourni a été lu avec beaucoup d'attention, suscitant des interrogations sur les complications à venir. Nous sommes donc extrêmement attentifs sur ce sujet.
Concernant la stratégie indo-pacifique, nous travaillons étroitement avec l'Australie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, l'Inde et Singapour à fortifier le dialogue géopolitique avec d'autres partenaires que la seule principale puissance de la zone.
Le Chili a déclaré subir la même contamination et souhaiterait être relié à cet axe Paris-New-Delhi-Canberra. On imagine mal que ce pays soit demandeur, mais il est littéralement envahi par la Chine et a besoin d'aide.
La Polynésie française n'est pas non plus exempte d'actions similaires.
Sur cette problématique considérable, nous sommes très engagés, notamment pour déployer un nouveau câble vers la Nouvelle-Calédonie. Notre engagement est non seulement militaire, avec la livraison de sous-marins à l'Australie, mais aussi économique et social afin que la Nouvelle-Calédonie ne dépende pas de la mono-industrie du nickel et puisse continuer à développer son tourisme.
S'agissant de la crise sanitaire, monsieur Gontard, nous sommes très attentifs à ses effets en matière d'alimentation. Souvenons-nous des grands magasins vides au bout de plusieurs semaines de grèves des camionneurs. Lorsqu'une grande marque française a failli se faire racheter par le canadien Couche-Tard, Bruno Le Maire a opposé son veto contre l'avis de M. Bompard. Ce sujet qui nous préoccupe fera partie des différentes actions menées dans le cadre du plan Résilience.
Pour ce qui est des circuits bancaires, un sabotage qui porterait sur les transactions par cartes bleues entraînerait des problèmes incalculables. Nous vivions dans le confort, et avec la crise du covid, le pire est arrivé, alors que personne ne l'avait imaginé. Nous devons maintenant renforcer nos capacités d'anticipation, y compris par la création d'une cellule ad hoc. Cela permettra d'éviter que nous ne nous retrouvions, comme cela s'est produit, à court de cercueils pour accueillir les corps des personnes décédées du covid. Il a fallu réinventer un dispositif pour y faire face.
La sécurisation des terrains agricoles peut être envisagée à l'aune de la stratégie indo-pacifique : des terrains agricoles achetés par un grand État ou par des sociétés fournissent tous les produits nécessaires avant d'être jetés aux orties quand ils ne sont plus utiles. Nous devons réaliser avec vous un travail approfondi afin de protéger notre territoire contre ces prédations économiques. Vous êtes tous au courant, dans vos départements, de l'arrivée de stagiaires chinois, américains, anglais ou allemands, qui prennent possession du capital de l'entreprise et des richesses intellectuelles pour leur propre pays. Nous avons prévu de nombreuses dispositions très protectrices, mais celles-ci doivent aussi s'appliquer à toutes ces pépites qui existent dans des laboratoires.
Quant à l'installation du centre de recherche Lagrange de Huawei, on ne peut pas s'y opposer ; mais nous veillons à ce qu'il travaille dans le respect de la législation commerciale. Par ailleurs, il est indéniable que Huawei cherche puissamment à défendre ses intérêts auprès des décideurs.
Cela prouve votre importance. D'autres sont dans le même cas, mais cela n'enlève rien aux dangers de cette pratique. Nous travaillons avec de nombreuses entreprises chinoises, mais la composition et la nature du capital de Huawei en font un cas particulier. La loi chinoise sur le renseignement national du 27 juin 2017 affirme que toute structure nationale doit se soumettre aux ordres qu'elle reçoit... Nous examinons de près la situation des infrastructures sensibles pour nous, notamment en matière ferroviaire ou aéroportuaire, avec la volonté de les protéger. Les produits de Huawei peuvent être excellents, mais leur exploitation ne doit pas remettre en cause les intérêts fondamentaux de la Nation.
Huawei a réussi à attirer dans son staff des responsables français de première importance, à l'instar de ces hommes politiques qui n'hésitent pas à se livrer à visage découvert à des pressions que nous refusons toujours. J'ai reçu un fournisseur important de treillis militaires, venu se plaindre d'avoir perdu un appel d'offres au profit d'une entreprise écossaise. En réalité, celle-ci faisait fabriquer ses 25 000 mètres de tissu au Bangladesh par une entreprise chinoise. Le laboratoire allemand mobilisé pour étudier les deux échantillons supposément identiques s'est rendu compte après examen au microscope que les microfibres du vêtement permettraient d'identifier par satellite le soldat qui le portait, avec tous les dangers stratégiques que cela représente. Méfions-nous des offres alléchantes ; j'ai écrit à la ministre des armées pour l'alerter sur le fait que l'équipement militaire bénéficie d'une priorité nationale. Dans le même esprit, au Haut-Karabakh, les Turcs et les Azéris étaient équipés de micro-drones qui repéraient leurs ennemis par les ondes de leurs portables. Nous entrons dans une nouvelle ère au cours de laquelle votre métier va devenir de plus en plus passionnant !
Au sujet de la manipulation d'informations, les militaires sont très attentifs aux fausses nouvelles qui pourraient démoraliser nos combattants. Nous devons faire preuve d'une plus grande vigilance partout, ce qui passe par une plus grande précaution des opérateurs d'importance vitale, y compris en matière de recherche scientifique. Le sujet est délicat. J'ai visité à Strasbourg le laboratoire d'un prix Nobel de chimie dans lequel on rentrait comme dans un moulin, avec des stagiaires étrangers que personne ne connaissait... Il en est de même dans les hôpitaux : entre le renforcement de la sécurité informatique et une nouvelle salle de repos, le choix est vite fait. Le mot de passe Solange 47, souvenir d'une ancienne employée, a été utilisé dans un établissement hospitalier durant des décennies ! Il y a un énorme travail à faire pour sensibiliser tous les professionnels.
Je suis sensible à votre remarque sur la paperasse administrative. Dans le cadre du plan de relance, nous avons voulu décentraliser en permettant aux régions de mettre en place des cercles de travail incluant les PME, tout en espérant que les collectivités seront moins bureaucratiques que l'État. Cela commence à fonctionner dans les régions Aquitaine et Auvergne-Rhône-Alpes. Nous attendons beaucoup de ces évolutions au plus près du terrain, avec le concours des chambres de commerce et d'industrie, car la présence des gendarmes ou de la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) n'est pas suffisante.
Existe-t-il des coopérations européennes avec des services identiques au vôtre ? Je serai demain soir en Estonie pour visiter notre contingent français de l'OTAN, en pointe sur la lutte contre la désinformation à travers les moyens cyber. La Lituanie a fait l'objet de 57 000 cyberattaques en un an.
Je suis preneur, mais le service n'existe pas encore. Le décret est en cours d'élaboration. Les échanges multiples, y compris des savoir-faire, sont souhaitables sur ce sujet, car certains pays veulent promouvoir à tout prix leurs vaccins. Vous avez évoqué la proposition de résolution faisant suite au rapport de votre commission l'an dernier. Ce fut l'une de mes premières missions en prenant mes fonctions au SGDSN. J'ai par ailleurs proposé l'institutionnalisation de la Task Force Honfleur, mais avec des contrôles renforcés. Il est très important que nous puissions vous rendre compte de nos actions.
Monsieur le secrétaire général, merci infiniment de ces éléments riches d'informations et lourds de menaces ! Pour vous donner les moyens d'y faire face au travers des budgets qui nous sont soumis, nous devons préalablement être bien informés de la situation.
La réunion est close à 11 h 55.