Le Sénat vous entend une nouvelle fois sur l'impact des plateformes numériques. Ces dernières développent une offre de travail, mais l'emploi est atypique : les horaires de travail sont plus élevés pour des rémunérations plus faibles. Toutefois, votre enquête « CAPLA » a relevé que la polarisation de l'emploi s'effectuait au sein même de la plateforme, entre ceux qui s'en sortent bien et la majorité, qui est précarisée.
Nous nous demandons, notamment, si tous les emplois sont « plateformisables », si ce néologisme est possible, y compris les professions libérales et intellectuelles, et si tous les métiers peuvent être managés par des algorithmes.
Vous prônez une action régulatrice, forte, de l'Etat. Celle-ci n'est-elle pas prématurée et ne risque-t-elle pas de freiner la capacité d'innovations que l'économie de plateforme induit ? Tous les travailleurs sont-ils déçus, à l'instar des chauffeurs Uber, par ces plateformes ? Sagit-il, au contraire, d'un modèle économique propre à ce secteur, qui produit inexorablement une dégradation des conditions de travail, alors que d'autres plateformes proposent des revenus plus décents ?
Après votre propos liminaire d'une vingtaine de minutes, le rapporteur de la mission d'information, mon collègue Pascal SAVOLDELLI, pourra vous poser des questions, de même que les autres sénateurs qui participent à cette audition. Je vous cède la parole.
Le périmètre de notre enquête « CAPLA » (CApitalisme de PLAteforme), entre 2016 et 2021, qui a mobilisé 14 chercheurs, a concerné les travailleurs plutôt que les plateformes elles-mêmes, car elles sont difficiles à observer.
Une partie du travail de plateforme, ceux concernant la livraison ou les chauffeurs de VTC, déstabilise des professions ou des métiers réglementés, traditionnellement masculins. Ils entrent donc dans le sceptre de l'intervention du politique. Certaines concernent des activités en lisière des loisirs ou qui sont accessoires ou périphériques. C'est le cas du micro-travail qui procure des revenus dérisoires pour des auto-entrepreneurs de quelques euros ou dizaines d'euros par mois, soit moins que nous pensions avant l'enquête, et pour un volume de travail important. Ces plateformes ont une vocation marchande de mise en relation commerciale, sauf quelques exceptions. Certaines, comme Etsy, se présentent comme proposant des produits artisanaux, faits maison, qui sont en réalité de fabrication industrielle. La Ruche Qui Dit Oui se revendique de l'économie sociale et solidaire dans la mesure où elle distribue des alimentaires locaux d'auto-entrepreneurs. En contrepoint, certaines plateformes sont des coopératives militantes. C'est un autre modèle « d'utopie réelle ». Un autre fonctionnement des plateformes est donc possible.
Nous n'utilisons pas le terme d'uberisation. Nous avons en effet une démarche scientifique. Or, ce terme, qui se réfère à une entreprise précise, n'est pas assez explicite. C'est le cas également du « capitalisme de plateforme », en partie inapproprié.
Le point commun de ces plateformes est l'organisation de l'externalisation du travail, des salariés, vers des travailleurs formellement indépendants, ou des particuliers, des amateurs. Nous avions identifié une tension dans cette externalisation, qui fait reposer les risques sur les travailleurs, qu'il s'agisse des fluctuations de l'activité ou des accidents du travail, tout en coordonnant le travail, bien qu'elles se présentent comme de simples intermédiaires. Elles prétendent rendre des services, aux travailleurs comme aux consommateurs, alors qu'elles sont des entreprises marchandes, des intermédiaires, comme l'ont qualifié ainsi les tribunaux judiciaires.
Nous nous sommes également intéressés aux mobilisations collectives, notamment des chauffeurs des VTC. Nous avons souligné une tendance à la monopolisation du secteur par un acteur dominant. Les profits des chauffeurs changent à mesure des conditions de travail et des rémunérations. La première étape de l'implantation de la plateforme, avec des professionnels préexistants, consiste à les attirer par l'octroi de primes, élevées au départ. La population des chauffeurs est homogène, est issue de la grande remise, avec une clientèle privée. Les revenus tirés de la plateforme sont des compléments. Lorsque Uber s'impose comme l'acteur central, on assiste à une dégradation des conditions de travail et des rémunérations. Tant que les chauffeurs disposent d'une clientèle privée, ils sont peu sensibles aux risques de déconnexion de leur compte qui peut être décidé par la plateforme. Lorsqu'ils sont totalement dépendants d'une plateforme, ou de plusieurs d'entre elles, ils sont soumis aux injonctions de la plateforme et perdent l'indépendance qui a motivé le choix de leur métier. Cette dépendance économique induit une subordination. Elle repose sur un monopole, un leader sur le marché de la livraison.
Dans un autre volet de notre enquête, nous avons travaillé avec des avocats de salariés, avec des corps d'inspection et de contrôle, l'inspection du travail, ou les URSSAF. Nous avons accompagné des contrôles sur place. Il existe beaucoup de fraudes, de fausses cartes, de fausses déclarations. C'est une économie parallèle. Des fonctionnaires parlent de « mafia », avec des transactions peu recommandables.
Le profil des livreurs a également changé. À l'étudiant, s'est substitué le migrant sans papier, précaire et exploité. La plateforme donne certes de l'emploi, mais pour un travail de faible qualité. Il manque des cotisations sociales, alors que les plateformes sont des employeurs. On assiste à un contournement des obligations des employeurs notamment pour le financement de la sécurité sociale ou des obligations de protection des employeurs.
Il ne serait pas très grave de freiner le développement de ces plateformes dans la mesure où ce serait freiner le développement de la fraude et de l'exploitation de cette main d'oeuvre. Si cette régulation augmentait les prix et les salaires de 30 %, afin d'éviter que n'importe qui commande n'importe quoi à n'importe quelle heure, ce ne serait pas très ennuyeux. Il faut moraliser ce secteur.
On dit que ces travailleurs ne veulent pas du salariat, mais ils ne savent pas toujours quel statut ils ont et ils méconnaissent le régime du salariat, voire la nature de leur emploi salarié. Ils ont une image dégradée du salariat, assimilé aux employés des chaînes de fast food. Le salariat leur offrirait pourtant de meilleures protections que celles dont ils bénéficient dans le cadre actuel.
Vous avez indiqué, en nous présentant, que nous préconisions une intervention forte de l'Etat, mais ce sont les acteurs, l'URSSAF, l'inspection du travail ou les magistrats qui le prônent. Cette intervention de l'Etat a déjà été effectuée. Les plateformes ont en effet pu se développer grâce au statut de micro-entrepreneur, de 2009, et à la dérégulation de métiers réglementés.
Par ailleurs, les praticiens du droit du travail considèrent que la relation d'emploi sur les plateformes serait compatible avec une relation salariale telle qu'elle existe actuellement dans le code du travail, avec le critère de la subordination.
Pour compléter, l'enquête a souligné que la création d'emplois est moindre que l'on ne pensait. La majorité des chauffeurs occupait un emploi, mais il était précaire, avec des conditions de travail pénibles, mais aussi un très fort attachement au travail. Or, ces travailleurs assimilent le salariat à la précarité et à la pénibilité mais pas aux protections associées au salariat.
Merci pour ces premiers éléments, qui permettent d'appréhender la multiplicité et la complexité de ces situations, puisque dans certaines plateformes, ces travailleurs sont assimilés à des salariés, alors que d'autres plateformes sont associatives et que, pour d'autres encore, des indépendants qui tiennent à le rester s'y procurent des compléments de revenus.
Je remercie votre équipe pour la présentation de votre enquête, financée par l'Agence nationale de la recherche. Vous constatez l'essor du capitalisme de plateforme. S'inscrit-il totalement, ou partiellement, dans le prolongement dans les politiques d'externalisation du travail des entreprises, depuis les années 80 ? Quels sont les métiers concernés en dehors du transport, de la livraison ou de la santé ? Vous avez souligné que, davantage que de créer des services nouveaux, de nombreuses plateformes proposent des services nouveaux ou de meilleure qualité, tout en créant des emplois. Selon notre audition, récente, de l'ANACT, la rareté d'un service permettrait d'améliorer les conditions de travail, bien plus que le niveau de qualification. C'est un enjeu considérable.
La plateformisation est en effet une nouvelle étape de la déstabilisation du travail, qui est un phénomène ancien. On assiste au détricotage du statut du salariat, à la remise en cause du contrat à durée indéterminée au profit des contrats à durée déterminée et des contrats spécifiques, créés par chaque gouvernement, à l'essor des auto-entrepreneurs comme des sous-traitants. Pour ces derniers, les conditions de travail se dégradent, les temps partiels s'accroissent, comme les CDI. Il s'agit d'une déconstruction, corrélée à la sous-traitance, avec des sédimentations : des salariés en haut de la chaîne de valeur, des indépendants et des intermédiaires au milieu, et en bout de chaîne des contournements du droit du travail. On assiste au retour des conditions de travail de la proto-industrie avec la distribution du travail, à domicile, par les tâcherons. Or, l'organisation de l'entreprise moderne s'est construite, au XIXème siècle, sur l'interdiction du tâcheronnage. Le travail à domicile générait également des accidents du travail, des incendies. L'externalisation du travail constitue une phase d'accélération de cette déconstruction.
J'ajoute l'apparition d'un discours sur le recentrage de l'entreprise sur son coeur de métier, au détriment de ses marges, phénomène décrit dans « Deux millions de travailleurs et des poussières. L'avenir des emplois du nettoyage dans une société juste », par François-Xavier Devetter et Julie Valentin, pour ce qui concerne l'externalisation du nettoyage des entreprises qui s'est accompagnée d'une dégradation des conditions de travail des travailleurs du secteur. Le risque, pour l'entreprise, est de disparaître complètement. Elle devient un point nodal de prestations effectuées par des micro-tâches et se traduit par un relâchement complet du lien entre le salarié et l'entreprise. L'étape suivante est l'accroissement des délocalisations car rien n'empêche le recours à des travailleurs à l'autre bout du monde.
Le droit du travail s'est construit contre le marchandage, afin d'inclure un maximum de travailleurs dans le salariat. Avec l'essor des plateformes, le droit du travail accompagne, depuis les années 2010, le retour au marchandage avec la loi El Khomry puis la loi d'orientation sur les mobilités. On a inclus dans le code du travail des dispositions sur les travailleurs indépendants des plateformes.
En dehors du secteur de la mobilité, nous avons constaté des formes de plateformisation, notamment pour les métiers du droit, ou, pour la santé, avec les consultations médicales en visioconférence. Cependant, ces personnes conservant leur statut d'emploi, et notre enquête ne les a pas concernés. Toutefois, même en conservant le même statut, les conditions et le temps de travail comme l'organisation économique changent.
Les plateformes de mobilité ont des spécificités. Elles constituent une activité principale pour les travailleurs. Elles sont, partout dans le monde, progressivement régulées. Elles focalisent l'attention des rapports et études.
Dans notre ouvrage consacré aux « Nouveaux travailleurs des applis », des collègues chercheurs ont étudié les services nouveaux comme les repas à domicile, qui se sont considérablement développés avec la pandémie.
Le micro-travail était également en périmètre de notre étude. Il s'agit d'une nouvelle division du travail. Plutôt que d'avoir une tâche longue et ennuyeuse, la tâche est fragmentée entre des milliers de travailleurs qui vont l'effectuer pendant leurs temps morts, comme les attentes de transport. Les problématiques se rapprochent de l'externalisation. C'est le cas de la retranscription des entretiens, dans les entreprises.
Il y a de moins en moins d'emplois et de plus en plus de travail, effectué par des personnes qui ne sont pas des travailleurs. Un travail est distribué à la foule qui n'est plus réunie dans un espace commun de travail mais est atomisée. Cette dispersion permet le contournement les régulations.
Vous nous interrogez sur l'apparition de « services nouveaux » ou de « meilleure qualité ». Les VTC ont remplacé les voitures de grande remise, un service rare et cher, mais de grande qualité. Est-elle aussi bonne avec les VTC ? Je n'en suis pas sûre. La livraison de repas existait aussi mais était aussi plus chère. Cette « démocratisation » du service se paye par l'exploitation d'une main d'oeuvre. Je suis scandalisée de voir nos propres étudiants commander des repas à l'université. Le faible coût de la livraison s'explique par une compression du coût de la main d'oeuvre. Il n'y a ni nouveauté ni qualité accrue, mais des conséquences sociales graves.
Les plateformes communiquent beaucoup pour valoriser leur image : apporter de nouveaux services aux consommateurs. Mais cela s'accompagne de la dégradation des conditions de travail et de la résurgence de métiers anciens. Les VTC ne sont pas nouveaux.
Les interfaces numériques sont bien conçues. Elles apportent de la valeur ajoutée, par leur facilité d'utilisation. Mais commander un VTC avec un smartphone n'est pas une grande nouveauté. Comme le regrettaient les promoteurs du régime du micro-entrepreneur, on a perdu des activités de cireurs de chaussures ou de porteurs de valise. Mais c'était des services de domesticité. Ils ne peuvent ressurgir que si l'on contourne les règles du salaire minimum. Les chauffeurs de VTC se vivent souvent comme des domestiques de consommateurs qui achètent un service luxueux pour un prix dérisoire, celui d'un transport collectif, grâce à l'abondance d'une main d'oeuvre qui ne coûte rien à la plateforme quand elle attend un client. Quand les chauffeurs tournent à vide, cela n'affecte pas la plateforme, qui ne partage que très peu les bénéfices qu'elle réalise.
Je pense à l'instant au livre « Supergonflé », l'enquête de Mike Isaac, qui démontre que le fondateur d'Uber, M. Travis Kalanick, était obsédé par le contournement des régulations. Les plateformes recrutent des chauffeurs, prennent un marché et augmentent ensuite leurs prix.
Je souhaite avoir des précisions sur vos propositions concernant une éventuelle rémunération minimale, sur la protection sociale et l'adaptation du droit du travail.
Je suis obligée de convenir que la proposition de loi que vous aviez proposée, intégrant ces travailleurs dans le livre VII du code de travail avec une adaptation par la négociation collective, était une piste très intéressante, tout comme celle du sénateur Jacquin sur la requalification des travailleurs en salariés. Vous nous interrogez mais vous avez fait des propositions permettant de fortes avancées. Nous avons lu les débats en commission des Affaires sociales puis en séance publique, sans comprendre toujours pourquoi elles n'ont pas été adoptées. Les propositions qu'elles contenaient, la salarisation ou la présomption du salariat, auraient freiné ce « détricotage » du salariat.
La qualité des données des plateformes est-elle fiable ? Elles me paraissent peu crédibles, comme l'ont montré les travaux de Laetitia Dablanc. Le coopérativisme de plateforme est-elle une solution généralisable ? Des livreurs ont été victimes d'insultes racistes : certains consommateurs jouissent à s'acheter un service qui paraissait inaccessible et les font paraître « riches » et dominants. Qu'en pensez-vous ? On confond par ailleurs autonomie et indépendance, précarité et capacité à négocier des droits sociaux sans disposer du minimum vital. Le gouvernement propose du dialogue social à des travailleurs qui n'ont pas de quoi manger. Robert Castel a montré qu'il a fallu 50 ans pour obtenir des droits sociaux. Or, nous avons ici une asymétrie de relations. Enfin, avez-vous des informations sur le modèle économique de la plateforme Just Eat qui n'aurait pas de modèle économique lui permettant de salarier ses travailleurs grâce à d'autres sources d'activités plus profitables.
Les données sont manquantes, ce qui est frustrant, notamment pour Uber. Nous voudrions utiliser le registre des VTC pour nos instigations mais nous n'y avons pas accès alors que cela nous serait très utile pour quantifier le phénomène et mieux décrire les populations concernées.
J'ajoute, sur cette opacité des données, que les enquêtes réalisées par des collaborateurs de Uber et des universitaires sont très lacunaires. D'autres universitaires, comme Augustin Landier et David Thesmar, ont critiqué les données concernant les chauffeurs d'Uber, et la manière dont est comptabilisée une heure travaillée, incluant ou non le temps de connexion. L'accès à l'algorithme, les sanctions prononcées à l'encontre des chauffeurs sont opaques, comme les modèles économiques de ces plateformes. Nous n'avons pas non plus de données fiables sur les comptes des plateformes. Uber affiche régulièrement des pertes. S'expliquent-elles par des investissements dans les voitures autonomes ou en raison de ventes à perte ? Que promettent-ils aux investisseurs pour lever autant de fonds sur les marchés financiers ?
Même les URSSAF n'arrivent pas à obtenir des informations fiables et précises des plateformes, malgré de nouveaux outils, et évoquent un « jeu du chat et de la souris ». Elles mettent des années à obtenir des renseignements. Quand l'administration s'approche trop, certaines plateformes disparaissent...
Sur les questions de quantification, de la part d'Uber, des chercheurs ou des deux, il existe un fort lobbying allant dans le sens de leur modèle économique. Les administrations ont pour objectif de faire rentrer des cotisations sociales donc d'appréhender des données avec du big data et du data mining. Elles ont pourtant du mal à en obtenir et elles sont très dégradées. Des travailleurs peuvent utiliser plusieurs allias. Pour quantifier ces populations, les opérations de contrôle sur 30 à 50 chauffeurs dans les aéroports révèlent qu'au moins 90 % des chauffeurs sont en situation de fraude : sous déclaration ou absence de déclaration de revenus, non respect de la règlementation.
Sur le coopérativisme de plateforme, la thèse de Guillaume Compain a montré qu'elles subissent une concurrence déloyale de la part des plateformes marchandes qui disposent d'énormes liquidités. Au départ, les municipalités les ont encouragées, notamment aux Etats-Unis, mais ces promesses d'aide n'ont pas été tenues. C'est la lutte de David contre Goliath. Les plateformes coopératives ne peuvent affronter la concurrence.
Sur les discriminations subies par certains livreurs, on s'oriente vers une société de serviteurs avec un effet d'éviction des profils étudiants au profit de profils de migrants avec un effet de ségrégation très important dans les villes.
Le quasi-monopole de ces grandes plateformes pose problème. Vous proposez le salariat pour les travailleurs de ces plateformes de mobilité ou de livraison qui régulent le salaire et le temps de travail, mais il existe d'autres plateformes avec des travailleurs qui ne veulent pas du salariat, ni même du portage, mais souhaitent une amélioration de leur protection sociale. Ne pourrait-on alors s'inscrire dans une relation contractuelle commerciale, qui deviendrait obligatoire, entre la plateforme et l'auto-entreprise, définissant le contenu de l'algorithme et permettant aux travailleurs des plateformes de recueillir les données qui leurs sont relatives ?
L'introduction du rapport Frouin indiquait que le salariat était la meilleure des solutions mais que le gouvernement ne le souhaitait pas...
Je ne suis pas convaincue qu'ils ne le veulent pas. On peut être autonome et salarié. C'est tout l'enjeu.
Sur la confusion, précisément, entre autonomie et indépendance et la capacité à réclamer des droits sociaux lorsque l'on est précaire, quelle est votre position ?
Les travailleurs ne veulent pas être salariés mais il faut dissocier autonomie et indépendance, car ils voient du salariat la contrainte et la subordination, mais pas la dimension de la garantie des droits sociaux. Le portage salarial du rapport Frouin, très complexe, a suscité des oppositions, car elle créée un nouvel intermédiaire peu pertinent d'un point de vue économique pour les personnes concernées. Cette proposition ne permet pas à la plateforme d'assumer ses responsabilités d'employeur.
S'agissant de votre proposition de contractualisation, le contrat commercial contiendrait des clauses à la place de conditions générales d'utilisation ?
Le travailleur de la plateforme saurait comment sont régulés les algorithmes de la plateforme et les données qui le concerne.
A défaut de la présomption de salariat et du renversement de charge de la preuve, ces contrats commerciaux devraient en effet contenir de telles dispositions.
La transparence ne suffit pas. Cela dépend de la manière de négocier ces contrats. S'ils sont imposés de manière unilatérale par la plateforme, cela ne changera pas grand-chose.
Comme l'a rappelé le sénateur Jacquin, nous sommes dans une relation de pouvoir asymétrique. La situation pourrait changer si ces travailleurs ont des représentants, mais actuellement le rapport de force ne leur est pas favorable.
Les travailleurs des plateformes ne formulent pas une envie d'être salariés mais il faut décomposer ce refus : ils ne veulent pas des 35 heures chez Uber avec des horaires contraints, mais personne ne refuse le modèle social adossé au salariat. Ils veulent leur indépendance mais, tant que la plateforme peut modifier les conditions de rémunération et de temps de travail, ils cumulent les inconvénients du salariat et de l'indépendance. Ils veulent choisir leur clientèle, fixer leur prix, travailler comme ils le souhaitent alors qu'ils ne bénéficient pas de l'intégralité de leur rémunération. Nous sommes fermes sur le salariat car il existe une erreur d'interprétation sur ce « refus du salariat ».
Je n'ai pas voulu revenir sur ma proposition de loi car je dois produire un rapport. Il est nécessaire pourtant de parler de statut, d'en faire l'histoire. Le statut d'auto-entrepreneur a été un mensonge éhonté en faisant croire à une plus grande liberté non par l'indépendance du travailleur mais par l'indépendance du travail. On a fait fausse route. Nous débattons du contrat de travail, du contrat commercial. On peut en discuter. Mais le problème commun est l'absence de définition du management algorithmique. Il existe un vide juridique, c'est donc un sujet. Il s'agit d'un outil qui peut être aliénant et dominant et permet une « société de serviteurs » en transformant le travail en service, ce qui change de paradigme. Nous devons prolonger ce dialogue. Vous avez la possibilité d'envoyer des éléments de réponse complémentaires à la mission d'information, notamment sur les réformes législatives prioritaires. Une plateforme de consultation des travailleurs concernés a été ouverte par le Sénat jusqu'au 30 juillet et nous vous remercions de la relayer pour accompagner notre travail.
L'Agence nationale de recherche, à qui elle a été transmise la semaine dernière, doit la valider et elle sera ensuite disponible.
L'étude condense des enquêtes et d'autres articles développent les sujets qui vous intéressent que nous vous enverrons.
Je vous remercie d'avance pour cette contribution et pour votre apport.
La réunion est close à 17 heures.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.