Dans le cadre de la préparation du rapport sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, la présente table ronde traite de sa dimension européenne, qui nous apparaît indispensable dans la perspective de la présidence française du Conseil de l'Union européenne (PFUE) et pour assurer le suivi des recommandations formulées en 2020 par nos collègues Vivette Lopez, Gilbert Roger et Dominique Théophile, et dans leur rapport sur les enjeux européens.
Actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, le président Stéphane Artano, que j'ai l'honneur de remplacer, participera à nos travaux en visioconférence.
J'ai le plaisir d'accueillir en son nom Stéphane Bijoux, député européen, auteur d'un rapport de la commission du développement régional du Parlement européen sur le renforcement du partenariat avec les régions ultrapériphériques de l'Union (RUP), adopté avec celui de Younous Omarjee sur une nouvelle approche de la stratégie maritime pour la région Atlantique ; Joël Destom, membre du Comité économique et social européen (CESE), rapporteur de l'avis exploratoire sur les atouts des RUP pour la présidence française de l'Union européenne ; enfin, Benoît Lombrière, délégué général adjoint d'Eurodom, et Maeva Brunfaut Tarquin, chargée des relations avec le Parlement français au sein de ce même organisme.
Je vous remercie de m'avoir invité. Je sais la qualité des travaux menés par votre délégation et je salue la richesse de nos échanges.
Les outre-mer entretiennent un lien puissant avec l'océan. Je défends la pluralité des outre-mer et l'unicité de l'océan, qui relie nos territoires et nos destins ; je porte cette vision au Parlement européen. L'océan produit 50 % de l'oxygène mondial ; il est le climatiseur de la planète, mais aussi la première victime du réchauffement climatique. Il étouffe : il y a urgence à agir pour le protéger. Aussi, la problématique maritime doit être au coeur de nos initiatives et de nos projets.
Grâce à ses territoires ultramarins, l'Europe s'impose comme une importante puissance maritime : son espace représente une superficie deux fois plus étendue que le territoire de la Russie. Les outre-mer constituent donc une chance et un atout pour l'Europe. Le Parlement européen, qui a adopté mon rapport à une très large majorité, ne s'y est pas trompé. Aussi, l'Europe doit davantage intégrer les RUP dans les politiques relatives aux enjeux maritimes. Il convient, à cet égard, de combattre les idées reçues sur ces territoires pour défendre une approche maritime globale et intégrée. Les initiatives se multiplient en ce sens.
Le Pacte vert représente l'étendard de la présente mandature européenne. Je défends l'établissement d'un Blue deal sur le même modèle, qui inclut la pêche, le transport - le coût du fret maritime a considérablement augmenté - la protection de la biodiversité et l'exploration des fonds marins, et dont les outre-mer doivent constituer le moteur.
La Commission européenne a présenté une stratégie bleue autour de plusieurs priorités : la décarbonation des transports, la création d'infrastructures vertes, l'amélioration des connaissances sur l'océan et l'attractivité des métiers de la mer. Nous devons davantage tirer parti de nos zones économiques exclusives (ZEE).
Les territoires ultramarins ne sont pas que des territoires de subventions, même si elles restent nécessaires. Ils peuvent co-construire des politiques et faire émerger des solutions. Faisons-leur confiance !
Les contraintes insulaires peuvent devenir des atouts, notamment en matière de pêche et de tourisme durable, à condition de disposer d'infrastructures intelligentes. La création de passerelles entre l'économie et l'écologie sera source d'emploi dans les RUP.
Les outre-mer montrent la voie en matière de défense de la biodiversité. La Commission européenne a reconnu que la faune et la flore ultramarines constituaient un trésor. De fait, 80 % de la biodiversité européenne se trouve en outre-mer. Nous devons investir ce champ, d'autant que les RUP sont en première ligne face au réchauffement climatique, dont les effets apparaissent déjà. Je salue, à cet égard, le travail réalisé par les scientifiques aux Antilles, à La Réunion et dans les territoires du Pacifique.
Les territoires ultramarins bénéficient également d'une position géostratégique essentielle dans la zone indopacifique et peuvent participer à une contre-offensive face à la volonté de puissance de la Chine.
La politique de soutien à la pêche apparaît cruciale pour ces territoires. Aussi, je salue le maintien des 130 millions d'euros d'aides européennes, après une âpre bataille. Nous devons encore travailler avec le Fonds européen de développement régional (Feder) sur les infrastructures portuaires et le tourisme. Le renouvellement des flottes de pêche représente un sujet de crispation. Certes, les aides d'État ont été autorisées, mais les contraintes restent nombreuses. Je défends, pour ma part, la création d'un programme de soutien aux pêcheurs et aux aquaculteurs.
La Présidence française de l'Union européenne (PFUE) représente une opportunité pour les outre-mer, afin de s'imposer au coeur des stratégies européennes.
Je représente la société civile organisée des outre-mer au sein du CESE, organisme créé il y a soixante ans pour enrichir, par ses avis, la réflexion des autorités européennes.
Dans la perspective de la PFUE, j'ai commis un avis sur les atouts des RUP, pour lequel j'ai consulté de nombreux travaux réalisés sur le sujet. Il apparaît que les RUP disposent, grâce à la mer, de quatre atouts majeurs : une barrière défensive ; un trait d'union entre les territoires, les peuples et les cultures ; un vecteur commercial et des ressources. Mon avis ne traite pas de la stratégie maritime dans son volet défensif ; il se concentre sur les aspects économiques et commerciaux.
Après la conclusion de l'Accord de Paris en 2015, la présentation du Pacte vert européen en décembre 2019 et le dépôt d'un texte sur le climat en mars 2020, la Commission européenne a présenté, le 17 mai 2021, une communication sur l'économie bleue. Elle propose une nouvelle approche après celle portée en 2012, conforme aux objectifs du Pacte vert et pour soutenir une reprise économique durable après la crise sanitaire. Le Pacte vert doit effectivement devenir une réalité de l'économie océanique. Le Conseil économique et social européen (CESE) a été saisi, afin de réfléchir aux moyens de mobiliser en ce sens les atouts des RUP.
Ces derniers, territoires de rattrapage, doivent devenir des territoires d'anticipation. L'économie bleue, en effet, recèle un véritable potentiel ; elle représente un vivier de créations d'emplois. Les RUP doivent se positionner comme des incubateurs. Elles doivent entrer dans la course technologique, afin d'être capables d'affronter la concurrence mondiale, notamment dans le secteur touristique.
L'aménagement de l'espace maritime représente une nécessité majeure pour s'adapter au changement climatique. Le CESE prône la mise en oeuvre de solutions numériques et technologiques pour faire émerger les avantages économiques, sociaux et environnementaux des RUP. Des expérimentations pourraient utilement y être menées, avant de mettre en oeuvre ces solutions à l'échelle régionale. Il convient, à cet effet, de créer dans ces territoires un environnement propice à l'innovation et à l'investissement : des services publics vertueux, des procédures administratives simplifiées, des conditions financières sécurisées. Les employeurs et les salariés devront être associés à ces initiatives.
S'agissant des enjeux économiques et commerciaux des espaces maritimes, j'ai choisi de travailler sur Saint-Barthélemy. J'ai établi, pour ce territoire, un plan d'action autour d'un triple objectif : la gestion maritime, le tourisme bleu et la sécurité alimentaire. En matière de gestion maritime, l'île doit, à mon sens, renforcer sa capacité à faire appliquer la législation, en lien avec les services de l'État, afin de mieux protéger la biodiversité et les ressources. Pourrait, dans ce cadre, être créé un observatoire de la croissance bleue. Concernant le tourisme bleu, je propose la conception d'un label ad hoc.
Enfin, s'agissant de la sécurité alimentaire, je crois au développement des capacités locales pour retenir les travailleurs et attirer les investisseurs.
Je salue le soutien apporté par votre délégation au monde économique et social ultramarin et la qualité de son travail de prospective.
Les enjeux maritimes des outre-mer concernent essentiellement la pêche et les ports. Pour des raisons historiques et culturelles, la mer reste sous-exploitée dans les départements d'outre-mer. La pêche, malgré son potentiel et la qualité de la ressource, demeure rare aux Antilles et encore peu dynamique en Guyane et à La Réunion. Le soutien communautaire et national doit être renforcé et adapté aux contraintes de ces territoires.
À titre d'illustration, les bateaux de pêche, en Guyane, apparaissent en très mauvais état, donc dangereux. Dès le début de son quinquennat, le Président Emmanuel Macron, en visite dans ce territoire, s'était engagé sur le sujet auprès des autorités européennes et avait obtenu l'accord de principe de Jean-Claude Juncker, alors président de la Commission européenne. De fait, les lignes directrices relatives à la pêche ont été modifiées en décembre 2018 pour autoriser les aides d'État au renouvellement de la flotte. Hélas, rien n'a été réalisé depuis. Pourtant, l'enjeu est majeur pour la Guyane comme pour La Réunion. Il faut, sur le sujet, une prise de conscience collective. La Commission européenne doit aussi faire preuve de plus de souplesse. Certes, il convient de protéger la ressource, mais celle-ci est surtout mise en danger par la multiplication des pêcheurs illégaux. La situation semble donc injuste aux pêcheurs ultramarins, d'autant que l'Europe finance, au titre de la coopération, des embarcations étrangères.
Le paysage paraît moins sombre s'agissant des aides au fonctionnement. Ainsi, la Commission européenne et le Parlement européen ont renouvelé, pour rétablir les conditions d'une juste concurrence, les aides à la compensation des surcoûts liés à la pêche dans le cadre du Fonds européen pour les affaires maritimes, la pêche et l'aquaculture (Feampa) pour la période 2021-2027. Les pêcheurs disposent ainsi des budgets nécessaires au fonctionnement quotidien de leur exploitation, bien que cela ne règle en rien le problème du renouvellement des flottes.
Pour autant, l'intégration des plans de compensation des surcoûts des entreprises de pêche au Feampa apparaît source d'insécurité juridique pour les pêcheurs, notamment à La Réunion, dans la mesure où la France et l'Union européenne n'ont pas la même compréhension des règles applicables. Un programme d'options spécifiques à l'éloignement et à l'insularité (Posei) sur la pêche me semble préférable.
Je remercie les intervenants qui font rayonner ces sujets au niveau national et européen. Nous y sommes particulièrement attentifs dans la perspective de la PFUE. La stratégie maritime doit être considérée comme essentielle par l'Europe.
Alors que la France prendra, le 1er janvier 2022, la présidence du Conseil de l'Union européenne, quelles peuvent être les actions concrètes pour valoriser les atouts maritimes des outre-mer auprès de l'Union européenne ?
Les enjeux maritimes des RUP sont-ils suffisamment pris en compte dans le plan de relance de l'Union européenne et dans sa stratégie pour l'économie bleue ?
Enfin, comment tirer parti de la concomitance entre la PFUE et la présidence, par la Martinique, de la Conférence des présidents des RUP ?
Merci, madame la présidente. Je salue aussi le président Artano et je remercie les différents intervenants.
À mes yeux, les enjeux de souveraineté sont essentiels. On parle beaucoup du concept d'Indopacifique, sans qu'il y ait vraiment d'actes derrière. Quelle en est votre vision ? Qu'est-ce qui pourrait être fait au niveau de l'Union européenne pour que les outre-mer français soient pris en compte ? Dans la stratégie européenne sur l'Indopacifique présentée en septembre, ils n'étaient mentionnés qu'en note de bas de page...
Rappelons que la France est le seul pays de l'Union européenne à être présent dans le Pacifique et dans l'océan Indien puisque toutes les autres RUP sont dans l'Atlantique. Pourquoi cette singularité n'est-elle pas prise en compte ? On constate un déphasage entre les forces de souveraineté déployées dans nos départements, territoires et collectivités d'outre-mer et ces enjeux-là.
Je constate qu'une fois de plus, l'île de La Passion-Clipperton est totalement ignorée de l'Union européenne. Elle n'est même pas considérée comme un PTOM (pays et territoire d'outre-mer) contrairement aux Terres australes et antarctiques françaises dont les îles Éparses.
Le concours de l'Union européenne aux actions de lutte contre les trafics illégaux transitant par la mer et à la sécurisation des routes maritimes est-il suffisant ?
Alors que le plan France 2030 prévoit d'importants investissements pour l'exploration des grands fonds marins, l'Union européenne investit-elle suffisamment en matière de recherche dans ces domaines ? A-t-elle la volonté d'accompagner les pays membres de l'Union qui souhaitent investir dans ce domaine ?
Les pêcheurs guyanais sont en détresse. J'aimerais quelques éléments de réponse sur les investissements prévus dans le cadre du plan 2022-2027. La flotte guyanaise est très abîmée. Comment attirer les jeunes vers les formations aux métiers de la mer au vu de l'état du matériel ?
Quelle peut être la contribution concrète du Feampa pour renforcer la croissance bleue dans les RUP et atteindre l'autonomie alimentaire ? Comment améliorer la consommation de ce fonds en outre-mer ?
Face à l'état dégradé des flottes de pêche dans les RUP, les conditions d'éligibilité en matière d'aides européennes au renouvellement des flottes sont-elles encore trop restrictives ?
Quelle peut être l'action de l'Union européenne pour accompagner la transformation des ports ultramarins en hubs régionaux ?
Comment promouvoir davantage les outre-mer français comme représentants de l'Union européenne au sein des instances de coopération régionale ?
J'ai eu la chance de partager un moment fort, aux Açores, à la Conférence des présidents des régions ultrapériphériques, où tous les acteurs se sont accordés sur un alignement des planètes en faveur d'avancées pour les outre-mer, dans des dossiers extrêmement importants. La PFUE et la présidence des RUP portée par la Martinique permettront de jouer la carte de toutes les synergies pour valoriser nos régions.
Notre richesse première, ce sont les hommes, les femmes et les enfants de nos territoires, en plus des richesses issues de l'agriculture, de la pêche et de la biodiversité.
Ce qui ressort des échanges sur les axes de travail, c'est que la santé, le transport et l'alimentation sont primordiaux. Construire des solutions pour l'autonomie alimentaire est prioritaire. La protection de l'économie locale est fondamentale.
Nous aurons, au cours de la PFUE, plusieurs rendez-vous importants. On constate une convergence, entre vous et nous, sur les axes de travail et les opportunités à saisir lors de cette présidence. Nous aurons l'occasion de pousser fort pour le Blue deal européen pour la mer, lors de la réunion de haut niveau organisée en Martinique au mois de janvier, si les conditions sanitaires le permettent. Nous aurons une autre opportunité en février, lors du One Ocean Summit, puis, en mars, au Sommet européen des régions et des villes. Les solutions ne doivent pas descendre d'en haut, mais bien émerger des territoires.
Le sommet sur la défense européenne sera l'occasion de réaffirmer l'importance de l'engagement géostratégique de l'Europe. Il y a quelques jours, des exercices militaires de haute intensité ont été organisés en Méditerranée, pour se préparer à affronter des situations nouvelles, dans des rapports de force internationaux extrêmement forts et potentiellement violents.
Le Président de la République n'a pas changé de position vis-à-vis de l'axe indopacifique. Il en a rappelé l'importance à La Réunion et en Polynésie française. La stratégie indopacifique de l'Union européenne est bien mentionnée dans les documents européens, et l'importance des outre-mer y est rappelée.
Vous avez raison d'insister sur notre nécessaire vigilance vis-à-vis du plan de relance européen, Next Generation EU, qui ne prévoit rien de spécifique sur les enjeux maritimes des RUP. Toutefois, les outre-mer sont bien évidemment bénéficiaires de l'ensemble du plan. Je rappelle que 40 % du plan de relance français est financé par des fonds européens et il est prévu que 37 % des investissements soient fléchés vers la transformation verte et le climat. À ce titre, le verdissement des ports et la décarbonation du transport maritime sont concernés. Je regarde de près les pistes de réflexion. Ainsi, on doit poser la question du ralentissement de la vitesse des cargos, pour réduire la pollution. A-t-on vraiment besoin de recevoir nos commandes en 24 heures chrono ? Nous devons réfléchir sans tabou.
Monsieur Folliot, j'ai bien noté votre question sur Clipperton. Je connais votre projet de station scientifique. Rediscutons-en.
Je vous rappelle, monsieur Bijoux, que vous avez la possibilité de nous faire parvenir des compléments d'information par écrit.
La PFUE est rare et la précédente s'était déjà déroulée dans un contexte de crise, empêchant de dérouler l'agenda comme imaginé. Il pourrait se passer la même chose en 2022.
Nous pouvons retenir trois mots clés : relance ; puissance ; appartenance. Nous pouvons porter l'idée que cette puissance s'affirme à travers nos territoires, par une ambition géostratégique. Le programme de la PFUE concernera la régulation du numérique, le climat et les droits sociaux. Là aussi, nos territoires peuvent démontrer leur capacité à être aux avant-postes du projet européen.
Les capacités militaires européennes, toutes marines confondues, s'élèveraient à plus de 400 navires de guerre. Ce serait davantage que la flotte américaine. Mais il n'y a pas de puissance navale européenne à proprement parler, d'autant que les Britanniques ont quitté l'Union européenne. La France aurait la première flotte de guerre d'Europe alors que, dans le même temps, on note des efforts exceptionnels de la Chine, de la Russie, de l'Inde et du Brésil. En tant que citoyens, espérons qu'il n'y ait pas de relâchement ni d'abandon du sujet pour que nos intérêts soient protégés.
J'ai toujours du mal à comprendre quelle est la traduction concrète de la stratégie indopacifique dans les territoires. En revanche, je perçois ce que certaines actions nourrissent. Ainsi, en Nouvelle-Calédonie, il y a un cluster maritime, un vivier de plus de 150 entreprises dynamiques, et donc une capacité à négocier avec des pays comme l'Australie et la Nouvelle-Zélande pour poser les bases de futurs accords commerciaux. Un tel rayonnement serait riche pour nos territoires.
Enfin, si l'on parlait de diplomatie maritime, Clipperton serait certainement chef de file, monsieur Folliot !
Depuis le Brexit, notre pays est le seul en Europe capable de déployer un groupe naval en Indopacifique. On ne souligne pas assez que l'Union européenne est présente dans cette zone à travers la France.
De ce point de vue, il est dommage que nous ne nous appuyions pas davantage sur nos outre-mer : 90 % de nos moyens sont basés dans l'Hexagone, alors que 97,5 % de notre ZEE est liée aux territoires ultramarins ! Ce déphasage est regrettable.
De son côté, l'Europe doit s'appuyer davantage sur nos outre-mer pour rayonner dans l'Indopacifique ; elle est dans cette zone, à travers la France, un acteur de terrain.
Sur nombre de vos questions, on peut, naturellement, avoir son avis de citoyen. Je répondrai en restant dans le rôle qui est le mien.
La souveraineté nationale en mer est évidemment l'affaire des militaires, mais les acteurs économiques des territoires proches jouent aussi un rôle. Déployons le plus grand nombre possible d'activités maritimes - pêche, métaux rares, climatisation, pétrole -, car occuper la mer oblige les acteurs à une vigilance et peut aussi s'avérer dissuasif. Même si nous basions tous nos moyens dans les outre-mer, ce qui ne se fera pas, les forces militaires seraient toujours insuffisantes pour occuper toute notre ZEE...
La conjonction de la PFUE et d'une présidence française de la conférence des présidents des RUP est positive et inédite. Mais la configuration politique liée à l'élection présidentielle nous inquiète : elle risque d'affecter la stabilité et la fermeté de nos positions, alors que la PFUE est une occasion importante de faire avancer les dossiers. Notre agenda est ambitieux, mais nous souhaitons des résultats concrets plus que de grands concepts.
S'agissant du renouvellement de notre flotte de pêche, madame Phinera-Horth, nous considérons que les crédits européens sont suffisants. Ce combat a été gagné, et je remercie Stéphane Bijoux et Pierre Karleskind, qui ont été au rendez-vous. Les conditions d'éligibilité ne sont pas forcément trop restrictives, mais leur mise en oeuvre est trop tatillonne ; il faut un peu plus de souplesse dans la manière de les appliquer, en particulier lorsque la limite maximale de pêche par territoire n'est pas dépassée. Pour le reste, l'Union européenne a fait autant qu'elle pouvait.
La France a fait une demande d'aide d'État pour le renouvellement des bateaux inférieurs à 12 mètres. C'est bien, mais il ne faut pas se limiter à la pêche artisanale et côtière. Pour construire une filière exportatrice, avec des emplois liés à la transformation et à la valorisation, nous avons besoin de développer la pêche hauturière - des thonidés, principalement. Il faut donc soutenir le renouvellement des bateaux aussi sur le segment de 12 à 24 mètres.
En Guyane, où l'activité de pêche a été importante avant de s'affaiblir, les outils de transformation existent déjà. Il faut maintenant renouveler la flotte - en allant, j'y insiste, au-delà des bateaux de 12 mètres.
Vice-présidente de la commission des affaires européennes et membre de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, je constate avec tristesse que faire avancer les dossiers ultramarins est toujours un combat, que l'Europe est trop longue à réagir. Ce fut le cas lorsque le président Michel Magras et moi-même étions montés au créneau sur le sucre. Pour les aides au renouvellement de la flotte, l'Europe reste statique depuis quatre ans, et rien ne se passe sur le terrain. J'espère que la PFUE et la Conférence sur l'avenir de l'Europe permettront de dépoussiérer les mécanismes. En tout cas, vous pouvez compter sur moi pour me faire l'écho de ces difficultés.
Les précédentes présidences de l'UE le montrent : il y a parfois loin des objectifs, souvent ambitieux, aux résultats, parfois maigres. Le soutien à l'innovation est un objectif majeur : comment nos territoires d'outre-mer peuvent-ils s'inscrire dans cette dynamique, par exemple en matière de sécurité alimentaire, de gestion maritime ou d'économie bleue ?
Mes questions s'adressent à Stéphane Bijoux. Quels sont les moyens d'action au plan européen pour la transformation écologique des ports, principalement dans l'océan Indien ? Comment articuler les différents fonds européens existants : Feampa et Feder, mais aussi le Fonds européen de développement (FED) qui bénéficie à Madagascar et Maurice ?
Sur le renouvellement de la flotte maritime, Gisèle Jourda vient de rappeler ce qui n'a pas été fait depuis quatre ans, alors que des lignes directrices ont été fixées et des fonds prévus. Je suis d'accord avec Benoît Lombrière, il faut aller au-delà des 12 mètres pour les bateaux. Mais il faut surtout s'assurer que les fonds sont bien consommés. À cet égard, quelle peut être la contribution d'Eurodom, notamment en ingénierie, pour aider les pêcheurs réunionnais à monter les dossiers ?
La dimension écologique doit être intégrée à tous les chantiers de modernisation, qu'il s'agisse de construire ou de reconstruire - plutôt pas à l'identique. Dans le cadre de France Relance, 1,5 milliard d'euros sont prévus pour les outre-mer, dont 20 millions d'euros pour le verdissement des ports : c'est une opportunité.
En effet, madame Gisèle Jourda, le combat est permanent pour faire connaître les problématiques de nos outre-mer. Mais je vois aussi la bouteille à moitié pleine : l'Europe, je l'ai constaté, s'est remise en cause et a évolué de l'intérieur. Je vous rejoins sur la nécessité de simplifier.
Madame Dindar, le FED a été intégré à un nouvel outil de collaboration avec nos pays partenaires : l'instrument européen pour le voisinage, le développement et la coopération internationale (Neighbourhood, Development and International Cooperation Instrument -NDICI). Comptez sur moi pour regarder de près ce qui est possible dans ce cadre, avec vigilance et exigence sur la réciprocité en matière de normes et l'absence de distorsion de concurrence.
La stratégie « De la ferme à la table » est une opportunité : les outre-mer doivent y trouver toute leur place, ce qui mettra en valeur la place des pêcheurs dans la chaîne de valeur et encouragera une alimentation durable, à des prix abordables - ce n'est pas neutre en ce moment. En nous appropriant les programmes existants, développons la capacité des outre-mer à être des incubateurs.
Les torts liés au bilan décevant du renouvellement de la flotte sont partagés entre la France et la Commission européenne. C'est sans doute la seconde qui a le plus bougé, en modifiant sa ligne directrice. Il faut trouver un équilibre pour arriver à un résultat.
Madame Dindar, pour que les crédits soient consommés, il faut encore qu'un dispositif existe ; nous nous battons pour qu'on en crée un. Ensuite, les crédits étant nationaux, une autre bataille devra être menée, pour que les montants inscrits en loi de finances soient suffisants. Je ne doute pas que le Sénat y prendra toute sa part. Pour le reste, comme vous le savez, nous travaillons en bonne intelligence avec les acteurs de la pêche réunionnaise.
Je remercie nos invités pour leurs éclairages. Je les sais tous très attachés à la défense de nos intérêts en Europe et à la promotion d'une ambition maritime européenne, qui, il faut le reconnaître, connaît quelques difficultés.
Nous nous inscrivons résolument dans la stratégie de développement de la pêche durable. Le One Ocean Summit de février prochain sera l'occasion de le réaffirmer, en même temps que d'aborder les enjeux de l'exploration des grands fonds marins.
Dans le cadre de la préparation du rapport sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, nous poursuivons nos auditions avec la Compagnie maritime d'affrètement-Compagnie générale maritime (CMA CGM), représentée par Grégory Fourcin, vice-président pour l'Amérique latine, les Antilles-Guyane et l'Océanie, et Jacques Gérault, conseiller institutionnel.
Je travaille chez CMA CGM depuis plus de vingt ans et suis actuellement responsable des lignes couvrant l'Amérique latine et les outre-mer- les Antilles, la Guyane, Saint-Martin, la Nouvelle-Calédonie, les îles du Pacifique, notamment Tahiti, La Réunion et Mayotte. Je couvre également l'axe Océanie pour les opérations de transport en provenance de toutes les parties du monde.
La première question qui nous a été adressée porte sur les leçons tirées des conséquences économiques de la crise sanitaire.
Cette période a été marquée pour nous par de nombreuses incertitudes. Les deux premiers trimestres de l'année 2020 ont été très difficiles, pour nous comme pour nos concurrents, du fait de la baisse des demandes et de l'effondrement rapide des volumes transportés, auxquels nous étions peu préparés.
Néanmoins, notre groupe a continué d'offrir ses services, et est demeuré le cordon ombilical reliant la métropole aux outre-mer - sur l'axe Atlantique comme sur l'axe Pacifique et dans l'océan Indien. Cet effort est à souligner au vu de l'ampleur de la crise.
Il nous a fallu ensuite répondre à une forte résurgence des demandes d'importation, liées au besoin des consommateurs de stocker des produits en urgence - notamment alimentaires. L'arrêt des voyages a également poussé de nombreuses personnes à consommer davantage de produits de bricolage. Nous avons donc dû déployer d'importantes capacités pour répondre à cette forte demande que nous n'avions pas anticipée. De manière générale, notre force d'approvisionnement reste rapide, sûre et compétitive.
Notre président, Rodolphe Saadé, accorde une importance majeure à l'ensemble des outre-mer français. CMA CGM est un groupe français, patriote, qui tient et tiendra toujours à être aux côtés des départements et territoires d'outre-mer dans leurs difficultés. Ainsi, Rodolphe Saadé a décidé de rétablir une ligne Midas 2 en septembre, lorsqu'il a su que les exportateurs de sucre de La Réunion peinaient à écouler leurs produits vers l'Europe. De même, une ligne hebdomadaire a été rétablie à Mayotte quinze jours après que le préfet de Mayotte nous a alertés sur les difficultés rencontrées par ce territoire.
Nous sommes conscients du rôle de cordon ombilical que nous jouons pour les outre-mer. Ainsi, 90 % des marchandises transportées dans le monde le sont par voie maritime. De nombreuses actions ont en outre été engagées pour lutter contre la vie chère dans les outre-mer.
La deuxième question qui nous a été posée porte sur nos prévisions de croissance et les difficultés particulières que nous rencontrons en tant qu'armateur.
Dans les outre-mer, si l'on met à part les années particulières comme 2020 ou 2021, nous enregistrons d'ordinaire des croissances annuelles de 2 % à 3 %. Nous observons toutefois une forte croissance depuis deux ou trois ans en Guyane, où les volumes à l'importation sont en hausse de 20 % en 2021. Dans ce contexte, il est difficile de faire des prévisions à long terme. Nous nous adaptons à la demande.
Nous rencontrons cependant des difficultés particulières dans les différents départements d'outre-mer, que je tiens à souligner.
Ces territoires sont difficiles à desservir. Je pense notamment au port guyanais de Dégrad des Cannes, dont l'accès est rendu compliqué par le manque d'infrastructures, et surtout le manque de tirant d'eau. Nous disposons en effet dans ce port d'un tirant d'eau d'environ six mètres cinquante, dépendant de la marée. Or les autorités locales ne semblent pas avoir conçu de projet pour y remédier, ni pour nous fournir de l'outillage pour décharger nos navires. Nous déchargeons donc nos conteneurs à l'aide de nos grues de bord, faute de portique ou de grue sur les quais. Compte tenu de la complexité de cette opération et de l'augmentation des volumes, il nous est de plus en plus difficile de tenir les horaires de nos escales, et leur allongement dégrade l'ensemble de nos services.
Nous voulons continuer à accompagner la croissance des importations en Guyane, mais des solutions doivent être trouvées pour remédier à ces difficultés. Un développement de Saint-Laurent du Maroni pourrait par exemple contribuer à désengorger le port de Dégrad des Cannes.
Nous enregistrons dans les Antilles une croissance moyenne de 2 % à 3 % par an. Pour l'optimiser, il faut continuer à développer les transbordements vers les Caraïbes, le Suriname et le Guyana, car ils alimentent l'économie portuaire tout autour de nos bassins antillais.
Or, ce développement nécessite des ports susceptibles d'accueillir des navires de plus grande taille, et qui travaillent en permanence. Cela passera par des changements structurels dont nous pourrons discuter. Les ports ultramarins doivent en effet se moderniser pour se mettre au niveau des grands ports internationaux.
À La Réunion, notre budget prévoit une hausse de 4 % à 5 % des volumes à l'importation, ainsi qu'une augmentation des exportations. Nous avons rouvert la possibilité pour nos exportateurs réunionnais d'envoyer leurs sucres et leurs déchets vers les zones qui les importent.
À Mayotte, la croissance des volumes, à court et moyen termes, est indexée sur l'évolution de la population, qui doublera d'ici à 2050. Pour faire face à cette évolution, une modernisation est indispensable. Il faudra que les autorités nous accompagnent dans cette direction - tout en sachant que ce territoire importe beaucoup plus qu'il n'exporte.
Les volumes sont stables en Nouvelle-Calédonie, où nous ne rencontrons pas de difficulté particulière.
La Polynésie française a enregistré une croissance de plus de 5 % en 2021, qu'il faudra accompagner, notamment dans le port de Papeete.
À Saint-Martin, l'année 2021 a été marquée par une décroissance, dont j'espère qu'elle se résorbera l'année prochaine. Nous continuerons de toute façon à être présents dans cette zone, depuis l'Europe, les États-Unis ou l'Asie.
Compte tenu de l'accroissement de la taille des navires, un tirant d'eau minimal de quatorze mètres est requis dans tous nos grands ports d'outre-mer. Ce niveau n'est pas atteint partout, tant s'en faut. Ces ports doivent comporter également des aires de stockage élargies et des portiques en bon état. Or nous rencontrons d'importants problèmes dans ce domaine partout, notamment à La Réunion, où deux portiques sur six ne fonctionnent pas.
Des aménagements peuvent toutefois être effectués ponctuellement, par exemple au port fluvial de Saint-Laurent du Maroni, en draguant le fleuve depuis l'estuaire jusqu'à Saint-Laurent. Mayotte pourrait également constituer un tremplin pour toutes les pièces à fournir vers le golfe du Mozambique, où la société Total sera partie prenante de la création d'une plateforme de gaz offshore. Pour ce faire, le quai du port de Longoni doit être élargi, et le tirant d'eau doit y être augmenté. De manière générale, d'importants travaux doivent être menés sur les infrastructures portuaires.
Il faut également déployer partout des branchements électriques sur les quais. En effet, les ports sont les zones les plus peuplées des îles, qui absorbent le plus de pollution - les navires fonctionnant au fioul. Un programme pluriannuel sur ce point serait bienvenu.
La troisième question qui nous a été posée avait trait à l'explosion actuelle du coût du transport maritime.
En mai 2021, Rodolphe Saadé a décidé de geler les taux de fret dans les outre-mer. Cette mesure a été généralisée à l'ensemble des destinations jusqu'au 1er février 2022.
Si le coût du transport maritime et les taux de fret ont augmenté, ces hausses ont donc été très mesurées dans les outre-mer, contrairement à ce qu'il s'est produit sur d'autres marchés, comme les liaisons Asie-Europe ou Asie-États-Unis, du fait de l'explosion de la demande et de l'augmentation par la concurrence de ses taux de fret.
En revanche, nous avons peiné à trouver de l'espace pour continuer à desservir les territoires et départements d'outre-mer. Or, la demande est très forte à l'échelle mondiale, et se maintiendra à ce niveau pour les deux années à venir. En effet, en raison de la baisse du nombre de sorties et de déplacements entraînée par la crise sanitaire, les importations de produits alimentaires, d'ameublement ou d'électroménager ne cessent d'augmenter.
Les taux de fret ont augmenté en moyenne de 100 euros dans les Antilles depuis 2019, soit une hausse très modérée par rapport à d'autres destinations. Ils sont stables en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, et ont été gelés à La Réunion et à Mayotte en 2021.
En revanche, en parallèle, les coûts des compagnies maritimes sont en train d'exploser. Le coût de l'affrètement d'un navire est ainsi trois à cinq fois supérieur à son niveau de 2019, d'autant que cet affrètement s'effectue désormais pour trois à cinq ans. Il en résulte un endettement, susceptible d'exposer les compagnies.
De plus, les prix des constructions des navires ont fortement augmenté du fait de la hausse, de 100 % à 200 %, du prix de l'acier et des produits électroniques. Les tarifs de la manutention sont aussi en forte hausse, dans tous les ports du monde, tout comme ceux de l'intermodalité - rail, transport routier, barge. Nous assisterons également à une hausse des coûts du feedering, c'est-à-dire de l'acheminement, par de petits navires, des marchandises provenant de grands navires vers les ports secondaires. Ces différentes additions de coûts se répercutent sur les compagnies maritimes.
Nous vous remettrons un document écrit d'une dizaine de pages répondant à chacune de vos questions, qui comportera systématiquement un paragraphe général et un paragraphe consacré à chaque territoire particulier.
Avez-vous des relations de travail directes avec le port de Saint-Martin ? Au vu de la situation géographique de ce port et à condition d'en faciliter l'accès, des parts de marché pourraient-elles être récupérées dans les îles avoisinantes, comme Anguilla, ou est-il préférable de conserver le fonctionnement actuel ?
Compte tenu de la mondialisation croissante de notre économie, il est essentiel pour la France de disposer d'un groupe comme le vôtre, qui compte parmi les leaders mondiaux de son domaine d'activité. L'enjeu du transport maritime est d'autant plus important au regard de la spécificité française apportée par les outre-mer, qui fait de la France un pays mondial et maritime.
Le port de La Réunion, devenu un véritable hub régional, apparaît comme un élément essentiel de votre stratégie. Que faudrait-il faire sur le plan législatif et quels moyens faudrait-il déployer pour que ce modèle puisse être étendu à d'autres territoires ?
La question de l'électrification des quais, que vous avez soulevée, pose celle des difficultés de l'alimentation en énergie des outre-mer. En effet, si cette électricité est produite par des centrales à charbon ou à pétrole, le gain environnemental de cette démarche risque d'être limité. Une vision globale est nécessaire sur ce point.
La réduction de la vitesse des bateaux peut-elle avoir un impact environnemental ? Quelle est l'acceptabilité économique de cette idée, pour vos clients ?
Enfin, pourriez-vous nous dire un mot du Marion Dufresne, qui n'est plus armé par CMA CGM depuis 2017 ?
Je suis à votre disposition pour vous aider à trouver des solutions aux difficultés rencontrées dans les ports guyanais. Par ailleurs, mes interrogations sont les suivantes.
Quelles sont les leçons à retenir du succès de Port Réunion, parvenu à s'imposer comme le hub régional du sud de l'océan Indien ? Quels sont les chantiers prioritaires en matière d'infrastructures portuaires ? Quelles réponses faut-il apporter face à l'incapacité de nombreux ports ultramarins à accueillir des navires de fort tonnage ?
Les instances de coopération interportuaire vous paraissent-elles efficaces ?
CMA CGM et Engie ayant engagé un partenariat pour la décarbonation du transport maritime, pouvez-vous nous préciser si des projets de production de biométhane liquéfié et de méthane de synthèse pourraient émerger en outre-mer, notamment en Guyane ?
J'aimerais vous poser une question complémentaire. Êtes-vous satisfaits des nouveaux portiques inaugurés en Guadeloupe il y a trois ans ?
Le débat relatif à la stratégie maritime de la France en outre-mer pour les vingt à trente prochaines années est essentiel.
CMA CGM s'inscrit dans une politique de réduction de vitesse de ses navires depuis vingt ans. Nous y avons tout intérêt, le poste principal de coût de nos navires n'étant pas constitué par les charges de personnel, mais par le coût de l'approvisionnement en fioul. Chaque navire compte en effet seulement une trentaine de personnes. Nous avons fait tous les efforts nécessaires en ce sens, mais ne pouvons aller plus loin compte tenu de nos obligations commerciales.
Les départements d'outre-mer pourraient être source de production de biométhane grâce à la biomasse issue de la canne à sucre.
Le groupe CMA CGM a décidé pour sa part de mettre l'accent sur le gaz naturel liquéfié (GNL). Ainsi, quarante-quatre navires seront propulsés au GNL en 2024, et nous poursuivons les efforts en ce sens. Ces navires seront en outre compatibles avec les futures générations de biocarburants.
L'électrification des quais devra se faire à partir de biomasse. Nous avons besoin des efforts de l'État et des collectivités pour mettre en place cette filière respectueuse de l'environnement.
Le hub de La Réunion, créé en 2016, s'avère une parfaite réussite. Le transbordement effectué sur les îles environnantes alimente une activité économique locale, presque en circuit court. Le développement de ce modèle contribuerait à encourager à la fois la production locale et l'export vers l'environnement régional. La question de savoir comment y parvenir se posait déjà, dans les mêmes termes, il y a trente-cinq ans, lorsque j'étais secrétaire général aux affaires économiques de la Guadeloupe.
Pour promouvoir un développement endogène des Antilles, Grégory Fourcin a élargi les lignes à l'Amérique centrale et aux Caraïbes. Cependant, pour élargir les rotations, des navires plus grands sont nécessaires, ce qui requiert un plus grand tirant d'eau, ainsi que du travail de manutention de nuit. De plus, il faut convaincre les importateurs des départements et territoires d'outre-mer de ne pas s'adresser seulement à la métropole, mais aussi aux îles voisines. Tous ces éléments sont liés.
Comme le grand hub que nous avons à la Jamaïque le montre, un port regarde aussi vers la terre, pas seulement vers la mer. Les ports, véritables structures vitales, pourraient donc être dotés de zones logistiques - pour stocker des conteneurs, vides et pleins, développer du e-commerce, de l'assemblage de produits, etc. Il s'agit là d'une question d'aménagement du territoire qui engage l'État, les collectivités et les acteurs privés.
Or, les acteurs privés ne sont pas suffisamment associés aux instances et aux processus de décision. Une simplification et une fluidification des processus administratifs seraient notamment bienvenues. Ainsi, il n'est pas normal qu'il faille attendre un an et demi pour que deux portiques désuets soient remplacés à La Réunion. Les acteurs privés doivent donc avoir toute leur place dans les processus de décision, non seulement à titre de conseil, mais aussi sur le plan de la gouvernance et des méthodes d'action.
Nous rencontrons d'importants problèmes avec la personne qui a la concession de Mayotte, qui ne cesse de nous mettre « des bâtons dans les roues », alors même que CMA CGM a repris, à la demande de l'État et du préfet de Mayotte, une entreprise locale, la Smart, employant 138 salariés. Est-il normal qu'un conseil départemental gère le port de Mayotte ? Le député Mansour Kamardine, président du conseil portuaire de Mayotte, pourrait vous donner des idées judicieuses dans ce domaine.
La modernisation, impérative, requise dans les outre-mer nécessite que nous disposions d'un plus grand tirant d'eau. Or, le port de la Martinique, qui dispose d'un tirant d'eau naturel de plus de quatorze mètres, nous demande de nous maintenir à treize mètres pour des questions d'habitude. Nous voulons cependant nous développer, au-delà des habitudes ! Nous voulons pouvoir venir dans ce port avec des navires plus grands - ce qui augmenterait d'ailleurs les droits de port.
Le quatrième portique installé en Guadeloupe est arrivé à temps. Depuis sa construction, nous déchargeons plus rapidement nos navires et pouvons effectuer plus de transbordements, car nous disposons de plus d'infrastructures et de place pour nos conteneurs. Je remercie donc le grand port maritime de la Guadeloupe d'avoir pris cette décision.
Les compagnies maritimes ont besoin d'être associées aux instances de coopération - conseils portuaires des grands ports et conseils de surveillance - et aux processus de décision, afin de pouvoir communiquer leurs visions, leurs difficultés et leurs projets. Cette implication est d'autant plus importante que les cycles de décision dans les grands ports sont trop longs par rapport à la vitesse du transport maritime. Nous avons besoin d'une plus grande coopération sur ce point.
Le succès de Port Réunion tient à l'environnement particulier de La Réunion - Mayotte, Madagascar, le Mozambique -, qui attire le transbordement. Cependant, ce hub arrive au bout de son processus d'exploitation et est déjà obsolète, car il ne peut accueillir de plus grands navires. Or il est impossible de fonctionner avec quatre portiques à La Réunion.
Le délai d'un an et demi nécessaire pour la commande de deux portiques est effectivement trop long. Les portiques ne seront disponibles qu'en juillet 2022. Les compagnies maritimes, les exportateurs réunionnais et les importateurs en pâtiront. Il en résultera des congestions, des retards, etc.
Il est indispensable par ailleurs de changer les conditions de travail dans les outre-mer, en développant notamment le travail de nuit pour le déchargement des conteneurs afin d'optimiser nos horaires, de réduire les retards liés au temps passé à quai et de diminuer la pollution. Ce point est important également pour nous en tant qu'exploitant de terminaux aux Antilles et à La Réunion. Il faut que nous en discutions avec les grands ports maritimes, qui pilotent les portiqueurs qui commandent les grues. Jean-Rémy Villageois, directeur général du grand port maritime de la Martinique, y est tout à fait disposé à discuter des conditions de travail. Ce point pourrait être revu dans un cadre législatif.
S'agissant des enjeux environnementaux, l'Organisation maritime internationale (OMI) mettra en place un contrôle plus étroit de nos émissions de carbone à partir de 2023, qui passera par un classement de nos navires allant de A à E, établi en fonction de leur taille et de leurs routes maritimes. À titre d'exemple, un petit navire consommateur de fioul parcourant de faibles distances sera classé E. Or, nous serons très exposés à ce problème dans les outre-mer, et devrons donc revoir nos schémas de route à l'aune de cette nouvelle règle. Il en résultera des changements dans la manière dont nous approvisionnons ces territoires.
La réduction de vitesse de nos navires est un enjeu essentiel pour réduire notre consommation d'énergie. Toutefois, si nous réduisons la vitesse, nous irons moins vite en Guyane ou aux Antilles. Nous devrons en outre utiliser des bateaux plus gros, les petits navires étant trop rapides et trop consommateurs d'énergie. Pour repenser la manière de desservir rapidement ces territoires, nous avons donc besoin de ports capables de nous accueillir.
Si les Antilles, qui peuvent pourtant jouer un rôle de hub dans leur région, ne sont pas capables de nous accueillir au moyen de tirants d'eau plus importants et d'une plus grande capacité à quai, notre niveau de service risque de se dégrader, ce que nous ne souhaitons pas.
C'est pourquoi nous avons besoin d'être impliqués dans les instances de décision, pour que nous puissions travailler ensemble à l'évolution de nos structures portuaires.
Enfin, des opérations complexes d'approvisionnement ont été menées au port de Marigot durant l'ouragan Irma, au moyen d'un navire roulier. Ce port souffre toutefois d'un manque d'infrastructures et de tirant d'eau. Son développement impliquerait par conséquent de lourds investissements. Cette possibilité peut néanmoins être étudiée.
Nous n'armons plus le Marion Dufresne, mais je dois me renseigner sur les raisons ayant justifié ce choix.
Je remercie Grégory Fourcin et Jacques Gérault pour la qualité de leurs interventions. Merci de nous éclairer sur les enjeux actuels et à venir de nos îles.
À La Réunion, nous ne nous pensons jamais comme une île. Avec nos ports et aéroports, nous fonctionnons comme une petite PME, et cela peut paraître suffisant.
Les acteurs privés doivent être associés aux décisions. Vous devriez être membres du conseil de surveillance, car vous avez une vision globale sur la zone maritime et des liens avec les pays limitrophes.
J'ai bien compris la demande sur l'électrification. Elle devrait être faite à partir de biomasse. Nous, élus, devons porter cet enjeu.
Nous devons aussi faire des progrès sur les portiques et les tirants d'eau, mais les chantiers sont bien avancés.
Il faut travailler avec les États de la zone - île Maurice, Madagascar... - via l'Union européenne. Il faut associer les entreprises françaises implantées à Madagascar ; il y en a plus de 500, qui sont sur des secteurs variés : transport de marchandises, e-commerce...
Je vous remercie de votre implication pour les outre-mer. Nous posons de vrais enjeux d'avenir. Je me permettrai de vous contacter.
Merci pour ces interventions de qualité. Vous réclamez une plus grande place au secteur privé dans les instances de gouvernance des ports ultramarins.
Saint-Pierre-et-Miquelon possède le seul port d'intérêt national outre-mer. L'État réfléchit à créer un établissement public d'État pour améliorer sa gouvernance. Je ne suis pas convaincu que nous gagnerons en agilité avec cette structure.
J'ai bien noté votre demande pour plus de tirant d'eau, en lien avec la nécessité de réduire vos émissions de carbone et la vitesse.
Lorsque le président François Hollande était venu à Saint-Pierre-et-Miquelon, il y avait un projet de hub maritime, pour en faire une plateforme gérant des flux régionaux, notamment vers Montréal. CMA CGM s'y était intéressée pour avoir des ports de proximité avec des tirants d'eau importants. Au regard de la crise économique mondiale, ces projets sont-ils toujours pertinents, ou les acteurs se sont-ils déjà réorganisés ?
Je vous remercie de vos commentaires. Nous partageons votre passion. Nous voulons faire bouger positivement les choses en outre-mer, et développer ces territoires.
Il est difficile de développer un hub à Saint-Pierre-et-Miquelon avec de petits bateaux. En revanche, transmettez-nous des idées pour déclencher une étude de marché, ou bien des contacts. Je n'ai pas d'informations suffisantes, mais cela nous intéresse.
À titre personnel, je suis heureux de cette réunion. Depuis trois ans que je suis conseiller institutionnel de CMA CGM, c'est la première fois que nous sommes conviés au Sénat pour donner notre point de vue.
Je rebondis sur les propos judicieux de Nassimah Dindar. Nous sommes à votre entière disposition pour aller plus loin et établir une stratégie du transport maritime outre-mer, avec des actions précises et un calendrier. Nous pourrions même avoir des discussions plus approfondies à l'échelle de chaque département ou territoire d'outre-mer, avec les acteurs économiques et institutionnels locaux. La Fédération des entreprises d'outre-mer (Fedom) tient son assemblée générale lundi, et je représente Rodolphe Saadé au conseil d'administration. Cela permettra de recueillir les besoins département par département et d'y répondre. Les nouvelles règles de l'organisation maritime internationale (OMI) s'appliqueront en 2023 et le Green Deal européen sera au coeur de la présidence française du Conseil de l'Union européenne. Nous pourrions ainsi définir ensemble une véritable stratégie. Je vous remets une cartographie réalisée par Grégory Fourcin, océan par océan, de nos activités et de nos lignes.