présidente. – Dans le cadre des travaux qu’ont engagés nos collègues Chantal Deseyne, Michelle Meunier et Brigitte Devésa sur l’obésité et l’alimentation, travaux qu’elles nous restitueront la semaine prochaine, nous entendons ce matin des représentants de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) sur le rapport 2022 sur l’obésité dans la région européenne de l’OMS.
J’ai le plaisir d’accueillir en visioconférence le Dr Kremlin Wickramasinghe, conseiller « Nutrition, activité physique et obésité » de l’OMS-Europe, le Dr Julianne Williams, responsable « Maladies non transmissibles » de l’OMS-Europe, le Dr Chizuru Nishida, chef de l’unité « Alimentation saine, sûre et durable » de l’OMS, ainsi que Mme Katrin Engelhardt, scientifique, membre de l’unité « Alimentation saine, sûre et durable » de l’OMS.
Je salue nos collègues qui assistent à cette réunion par visioconférence.
Je vais vous laisser la parole, mesdames et messieurs, pour un bref propos liminaire, avant un échange avec les commissaires.
Dr Kremlin Wickramasinghe, conseiller Nutrition, activité physique et obésité de l’OMS-Europe. – La région européenne de l’OMS est composée de cinquante-trois États, les États membres de l’Union européenne notamment.
Ma collègue Chizuru Nishida fera ensuite état des principes directeurs que nous définissons au niveau mondial.
L’obésité représente un facteur majeur de risque pour de nombreuses maladies non transmissibles dans la région européenne, comme le montre l’observation des charges de morbidité des grands groupes de maladies. Ce phénomène a de surcroît pris une ampleur sans précédent au cours des trois dernières décennies, depuis 1990 ; il convient donc d’accélérer notre action pour changer la donne.
Le tabac, l’alcool et l’obésité figurent en tête des principaux facteurs de risque. L’obésité doit donc être combattue pour améliorer la santé dans notre région.
On note que ce problème se pose avec toujours plus de vigueur dans tous les groupes d’âge, enfants, adolescents, adultes : 30 % des enfants en âge d’aller à l’école primaire souffrent d’obésité et 60 % des adultes sont soit en surpoids, soit en situation d’obésité. Ce rapport permet à la fois de faire un état des lieux et de fournir des pistes d’action.
Il y a dix ans, nous avions établi un objectif : celui de réduire l’obésité d’ici à 2025 ; or il s’avère qu’aucun pays de la région n’est en mesure d’atteindre cet objectif. L’obésité et le surpoids ont partout augmenté . Figure, dans le rapport, une synthèse concernant l’impact de l’obésité sur la santé. Ses effets sur le diabète sont bien connus, mais nous travaillons également avec le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) à la recherche de corrélations entre obésité et cancer ; de telles corrélations sont par exemple établies, à un niveau élevé, pour des cancers comme ceux du sein ou de l’endomètre.
On constate en outre que la pandémie et les fermetures d’établissements scolaires ont provoqué une croissance des cas d’obésité ; l’information du public, en la matière, est décisive.
Nous abordons également, dans ce rapport, d’autres sujets associés à la nutrition et à l’obésité : je citerai la gestion clinique et la prévention.
J’ajoute que, dans la région européenne, de nombreux individus qui ont dû être admis en soins intensifs ou placés sous assistance respiratoire pendant la période pandémique présentaient des symptômes d’obésité.
Un mot, maintenant, sur les politiques que nous recommandons : plus de la moitié des pays de la zone disent avoir mis en place des stratégies inspirées de ces recommandations. Nous avons par ailleurs mis sur pied des plans au niveau national pour informer les populations et promouvoir un environnement sain ; des politiques publiques dédiées sont indispensables.
J’en viens à l’étiquetage des produits alimentaires : c’est un facteur supplémentaire d’information au public. Huit États membres de cette région ont mis en place un tel système ; ils sont vingt-sept à s’être dotés de protocoles et de normes de gestion de l’obésité.
Pour ce qui est de fournir des services adaptés aux enfants, il faut préparer les systèmes sanitaires et former les professionnels de santé.
Nous abordons aussi, dans ce rapport, la question des taxes sur les produits sucrés : seuls deux pays de la zone mettent en œuvre des politiques fiscales de ce genre. Des constats que nous dressons, nous tirons l’enseignement suivant : une politique à elle seule ne saurait permettre de lutter efficacement contre l’obésité ; il faut une combinaison de différents types de stratégies relatives à la commercialisation des produits alimentaires malsains, à l’information, à la promotion de l’activité physique, etc. Des données de bonne qualité sont nécessaires pour effectuer le suivi de nos avancées et de l’effet des politiques que nous préconisons.
Il est indispensable également de hiérarchiser les différentes actions en fonction des contextes, qui peuvent différer fortement, dans les divers pays de la région ; taxer seulement les produits sucrés, par exemple, peut ne pas suffire.
Dans ce rapport, nous évoquons aussi la nécessité de mettre en œuvre des politiques spécifiques tout au long de la vie – je pense aux femmes enceintes. Comment, par exemple, promouvoir l’allaitement ou agir sur la qualité nutritionnelle des produits alimentaires recommandés aux nourrissons âgés de 0 à 24 mois ?
Je précise enfin que le rapport contient un plan de mise en œuvre de ces politiques, condition de leur succès.
Dr Chizuru Nishida, chef de l’unité Alimentation saine, sûre et durable de l’OMS. – Un événement très important a eu lieu le mois dernier, la soixante-quinzième assemblée mondiale de la santé ayant adopté les recommandations émises par nos unités concernant la prévention et la gestion de l’obésité tout au long de la vie, ainsi qu’un plan d’accélération visant à mettre un terme à l’obésité.
J’en viens à la question de la « cible de résultats » que nous avons définie, à savoir mettre un terme à la progression de l’obésité chez les enfants et chez les adultes avant 2025 – cible adoptée en 2012 en ce qui concerne les enfants de moins de cinq ans, en 2014 pour les adolescents et les adultes. Une approche plus globale figurait aussi, au titre des objectifs de développement durable (ODD) énoncés par l’Organisation des Nations unies (ONU), parmi les cibles adoptées par l’OMS : mettre fin à toute forme de malnutrition infantile avant 2030. Il était question également de réduire la prévalence de l’obésité à moins de 3 % chez les enfants de moins de cinq ans.
L’Assemblée mondiale de la santé a de surcroît adopté des cibles de résultats intermédiaires, au nombre de trois : réduire l’ingestion de sucre ; augmenter le taux d’allaitement exclusif pendant les six premiers mois de la vie des nourrissons ; réduire de 15 % l’inactivité physique au niveau mondial. Cinq cibles s’ajoutent à ce tableau pour le compléter : améliorer la capacité des services de soins à diagnostiquer et à gérer le surpoids, jusqu’au traitement ; accroître la densité nutritionnelle des aliments ; renforcer les mesures de contrôle de la commercialisation des produits alimentaires et des boissons nocifs ; promouvoir l’activité physique via des campagnes nationales ; mettre en place des protocoles nationaux pour prodiguer des conseils à la population.
Afin d’atteindre ces cibles, nous avons également élaboré un « plan d’accélération » pour mettre un terme à l’obésité, sur la base des principes généraux de l’approche systémique, pangouvernementale et pansociétale.
L’OMS met notamment en avant, dans ce rapport, différentes recommandations déjà émises qui ont pour objet l’activité physique, l’alimentation, l’ingestion de sodium et de sucre, les services de santé à l’école, qui fait partie intégrante de l’éducation à la nutrition. D’autres directives sont en cours d’élaboration concernant les politiques d’environnement alimentaire : politiques fiscales, étiquetage, prise en charge de l’obésité chez les enfants et les adolescents, politiques restreignant le marketing alimentaire visant les enfants – sur ce dernier point, je suis heureuse de vous informer que le projet de recommandation sera soumis à consultation publique à partir du 30 juin prochain.
Nous travaillons aussi à élaborer d’autres outils de mise en œuvre. Six briefings relatifs aux politiques d’environnement alimentaire sont ainsi disponibles. Nous avons conçu des guides concernant les politiques d’étiquetage, des manuels concernant les commandes publiques, et recensé les facteurs contextuels qu’il faut prendre en compte en matière de politiques d’environnement alimentaire. Tous ces documents sont consultables sur notre site internet.
De plus en plus de pays, par exemple, travaillent à rendre visible l’étiquetage nutritionnel en rendant obligatoire son inscription sur la face avant des emballages. Je me félicite par ailleurs qu’existent désormais des instruments fournissant une base scientifique au développement de ces politiques – je pense à notre modèle de profilage nutritionnel des aliments. Plus généralement, les États membres doivent se saisir des outils de mise en œuvre que nous élaborons à leur intention.
Dr Julianne Williams, responsable Maladies non transmissibles de l’OMS-Europe. – Voici, en quelques mots, la conclusion de notre rapport : aucune intervention ne peut à elle seule stopper la propagation de cette épidémie d’obésité. Il faut adopter des approches politiques complètes et multisectorielles, ciblant les personnes tout au long de la vie et donnant toute sa place à la lutte contre les inégalités. L’important est de ne laisser personne sur le bord de la route !
rapporteure. – Il ne faut surtout pas se décourager, ai-je envie de dire pour commencer : éradiquer l’obésité est un but qui reste à atteindre – et cela fait des dizaines d’années que nous échouons.
J’aimerais vous entendre sur les inégalités de genre. En France, on constate que ce sont les femmes et les filles qui sont les plus touchées par l’obésité ; or vos données tendent à montrer le contraire. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Concernant la santé tout au long de la vie et dès le plus jeune âge, avez-vous des recommandations spécifiques ? Je pense à des programmes d’éducation et de prévention tels que le programme Malin, qui visait y compris les parents et s’assortissait non seulement de conseils, mais aussi d’une aide financière permettant d’accompagner les familles dans l’achat de produits spécialement destinés à la toute petite enfance.
Une remarque générale : il manquait à votre présentation, me semble-t-il, un volet économique relatif à la politique commerciale et au secteur agroalimentaire, dont on sait combien il peut se montrer redoutable pour certaines tranches d’âge et catégories sociales – les industriels savent très bien comment amener le consommateur là où il ne faudrait pas qu’il aille.
Dr Ivo Rakovac, conseiller du programme de surveillance des maladies non transmissibles de l’OMS. – S’agissant des inégalités entre les sexes, il existe des différences selon les pays. Bien évidemment, il faudrait effectuer une analyse en profondeur, dans chaque pays, selon le groupe d’âge, mais aussi selon le sexe, pour mieux connaître les catégories de population les plus exposées au risque.
Très souvent, la prévalence est plus élevée chez l’homme, alors que les femmes ont plus tendance à développer une obésité tout au long de leur vie. On observe également des inégalités importantes au regard de l’activité physique.
Le problème est complexe, et les résultats peuvent être différents selon les pays et les régions du monde. Je vous suggère de vous intéresser aux données détaillées dont vous disposez.
Dr Chizuru Nishida. – S’agissant du soutien financier apporté par le gouvernement français aux parents, pour leur permettre d’acheter les produits les meilleurs pour la santé, je considère qu’une telle mesure est vraiment fantastique ! Toutefois, il est également très utile d’expliquer ce qui fait qu’un aliment est bon pour la santé, afin de guider des changements de comportement.
Pour ce qui concerne le marketing, nous sommes tout à fait conscients des stratégies de l’industrie agroalimentaire.
rapporteure. – Dans votre dernier rapport, vous alertez sur l’expansion de cette épidémie en Europe et sur ses conséquences. Nous partageons votre constat. Estimez-vous que les politiques de santé publique, en France, ne sont pas à la hauteur des enjeux et qu’il faudrait introduire une plus grande coercition ?
Quels outils préconisez-vous pour faire adhérer la population, en particulier celle qui est la plus éloignée des recommandations ? En effet, une fois le constat posé, nous n’avons pas forcément à notre disposition d’outils pour lutter contre l’obésité.
Enfin, pensez-vous que l’évolution des modes de vie, l’industrialisation, l’abandon de l’alimentation traditionnelle, ont un impact sur le surpoids et l’obésité ?
Dr Chizuru Nishida. – Le gouvernement français a mis en œuvre des taxes sur les boissons sucrées. D’après nos informations, ces politiques ont été révisées, afin de les rendre plus restrictives. Par ailleurs, ce gouvernement évalue l’impact de cette politique fiscale. C’est formidable ! En effet, très souvent, l’évaluation périodique de l’impact des différentes mesures prises n’est pas faite. Or il est extrêmement important d’évaluer les politiques mises en œuvre et de les ajuster, afin d’atteindre les cibles déterminées.
S’agissant de l’industrialisation et de la mondialisation, il est vrai que les habitudes alimentaires ont changé, en France, en Europe, mais aussi partout dans le monde. Ainsi, un plus grand nombre de produits hautement traités, qui sont plus riches en sucre et en sel, sont désormais disponibles pour de nombreux groupes de population. Il convient d’être bien conscients de ces changements d’habitudes alimentaires.
La mise en œuvre d’une politique ne suffit pas : il faut également suivre l’évolution de l’environnement en cours de transformation.