Mission d'information sur la pénurie de médicaments et de vaccins

Réunion du 19 juillet 2018 à 14h00

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

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La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Nous accueillons des représentants de centrales d'achats de produits de santé en milieu hospitalier : l'Agence générale des équipements et produits de santé (Ageps), le groupement de coopération sanitaire UniHA et le club des acheteurs de produits de santé (Claps). Nos travaux ont mis en lumière les fragilités nées de la massification des appels d'offres passés par les hôpitaux publics. Les entreprises candidates ont tendance à se regrouper pour faire baisser les prix et proposer ainsi le dossier le plus compétitif. Cette concentration n'est pas saine, puisque le défaut du titulaire du marché a, le cas échéant, des conséquences lourdes pour nombre d'hôpitaux, qui doivent s'approvisionner auprès de fournisseurs hors marché, libres de pratiquer des tarifs bien supérieurs. Comment remédier aux effets délétères de ces appels d'offres massifs ? Les clauses d'achat pour compte sont-elles efficaces et respectées ? Faut-il réglementer les prix des médicaments acquis dans le cadre d'appels d'offres ? Serait-il possible d'imposer des capacités de réserve aux fournisseurs ou de généraliser l'attribution de marchés à plusieurs entreprises ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Nous entendons hélas rarement vos organismes, alors que leur rôle est crucial dans la chaîne de distribution du médicament. Nicole Poisson, de l'Ageps, nous a fourni d'ores et déjà un éclairage précieux sur le fonctionnement d'une centrale d'achats de médicaments, que vous pourrez utilement compléter. Le questionnaire qui vous a été envoyé, et que je souhaite compléter par quelques interrogations supplémentaires, constituera la trame de nos échanges. Êtes-vous fréquemment confrontés à des situations de pénurie ou de tension d'approvisionnement ? Quelles les situations vous ont paru les plus marquantes au cours des dernières années par leur durée ou par le risque encouru pour les patients ? Les phénomènes de pénurie ont-ils un coût pour les finances hospitalières ? Les conditions tarifaires de l'achat de médicaments aux industriels par les établissements de santé contribuent-elles à la création de situations de pénurie ? Quel regard portez-vous sur les exportations parallèles et sur le contrôle auquel elles sont soumises ? Quelles actions devraient, enfin, prioritairement être menées pour assurer la meilleure prise en charge des patients dans des situations de rupture ?

Debut de section - Permalien
Bruno Carrière, directeur général d'UniHA

Je suis accompagné du docteur Marc Lambert, pharmacien à l'Assistance publique de Marseille, qui a la particularité de piloter un marché important d'anticancéreux qui pèse plus d'un milliard d'euros en volume annuel. Vous avez évoqué, monsieur le président, un lien entre massification des achats et ruptures d'approvisionnement. Notre problématique d'acheteur consiste à assurer la continuité entre les producteurs, dont dépend la situation économique de l'offre, et les besoins des prescripteurs de médicaments. Or, le marché pharmaceutique se caractérise par une importante concentration des firmes industrielles, qui adaptent leur stratégie mondiale en fonction de l'attractivité des territoires en matière, notamment, de prix ou encore de stabilité des réglementations dont la fiscalité. Nous travaillons ainsi avec une cinquante d'entreprises, mais l'étroitesse du marché recouvre des situations fort hétérogènes entre simples distributeurs de produits, qui ne maîtrisent pas les phases amont de développement de produit et de mise sur le marché, ni les phases aval d'industrialisation - et à ce niveau les acheteurs apprécient l'influence ou le poids que pèse le distributeur dans un processus européen de centre de décision sur l'allotissement des volumes de production -, des entreprises pharmaceutiques qui sont des gestionnaires d'actifs - brevets et autorisations de mise sur le marché (AMM) - dont la démarche apparaît assez souvent uniquement patrimoniale, et désormais des entreprises pharmaceutiques qui épousent le plus souvent un périmètre incluant des activités de marketing, de mise sur le marché, de développement, voire de surveillance de fournisseurs auxquels on sous-traite la recherche et le développement avec des stratégies d'acquisition lorsque cela s'avère pertinent. À côté de cela, vous avez des façonniers, c'est-à-dire des industriels spécialisés dans la production des médicaments, parfois des principes actifs, qui peuvent travailler pour différentes enseignes pharmaceutiques.'' Comme il s'agit d'une activité globale, interviennent des stratégies de localisation des centres de production de médicaments et de principes actifs : lorsqu'une usine de principe actif connaît une difficulté de production, elle peut bloquer plusieurs mois l'ensemble de la chaîne de distribution. Les acheteurs doivent, en conséquence, être capables d'appréhender la diversité des situations, qui pourraient se présenter. Les ruptures, en effet, relèvent de causes multiples : un problème de qualité peut conduire à l'arrêt de la production dans une usine, et dans ce cas, lorsqu'une seule usine alimente le marché européen, c'est toute l'Europe qui, pendant plusieurs mois, sera confronté à l'indisponibilité du produit ; des problèmes de qualité peuvent se déduire des contrôles opérés 'par les autorités sanitaires - la Food and Drug Administration (FDA) a ainsi fait récemment fermer plusieurs usines de production de poches de perfusion, créant une pénurie du produit aux États-Unis - ; l'arbitrage entre pays en fonction du prix des médicaments - je pense notamment à 'l'albumine -, d'où une concurrence entre les nations sur les prix d'achat ; existent également des intermédiaires qui organisent la distribution et peuvent aussi polluer le circuit en réaffectant quelques volumes de médicaments initialement destinés à certains pays pour les réorienter vers d'autres pays plus rémunérateurs. Nous devons intégrer les différents risques associés à nos interlocuteurs à nos cahiers des charges pour aboutir au meilleur compromis entre contraintes économiques du marché et besoins des hôpitaux.

Debut de section - Permalien
Claire Biot, directrice de l'Ageps

Bruno Carrière ayant présenté avec clarté les différentes origines des ruptures de stock, je limiterai mon propos à la force d'organisation en la matière de l'Assistance-publique-hôpitaux de Paris (AP-HP), qui représente environ 10 % de l'hospitalisation en France. L'Ageps poursuit, dans le cadre de son rôle central dans l'approvisionnement des produits de santé, cinq missions : l'évaluation des produits de santé aux fins de leur référencement et de recommandations sur leur bon usage, l'achat de produits dans le cadre de marchés, l'approvisionnement centralisé et la livraison des hôpitaux parisiens, le développement et la fabrication de médicaments indispensables pour des besoins non couverts par les laboratoires privés et la gestion pharmaceutique d'essais cliniques lorsqu'ils sont promus par l'AP-HP. Nous pensons tirer une vraie force cette approche intégrée de l'évaluation à l'approvisionnement en passant par l'achat, qui nous permet de disposer d'une vision centralisée pour le compte de tous les hôpitaux de l'Assistance publique, dans la gestion des situations de tension d'approvisionnement qui sont nettement plus fréquentes depuis les dernières années qu'auparavant. Dans ces circonstances, l'Ageps recherche des alternatives de traitement pour les patients et émet les recommandations afférentes. Notre plateforme logistique, que l'on appelle « service approvisionnement distribution », gère, en outre, les situations de pénurie en vue de livrer de manière contingentée les produits concernés aux hôpitaux, de sorte que nous puissions disposer de stocks pendant un certain temps, alléger la charge de travail des hôpitaux et assurer au mieux la continuité des traitements.

Debut de section - Permalien
Éric Tabouelle, vice-président du Claps, président d'Helpevia

Je suis venu accompagné de M. Christophe Pitré, membre du bureau du Claps, pharmacien coordinateur du groupe Vivalto. Je partage l'analyse de Bruno Carrière sur le rôle des phénomènes externes à l'oeuvre à l'échelle mondiale sur les ruptures de stock. Le volume de consommation de médicaments ne cesse de croître, notamment dans les pays dits BRICS - Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud - et, désormais, l'Europe ne représente plus que le troisième marché, après l'Asie, pour l'industrie pharmaceutique, avec une logique démographique de besoins de santé absolument majeure qui monopolise l'attention des industriels en termes de débouchés économiques. Elle fait évidemment les frais de ce report de consommation à l'est de la planète, mais également des stratégies de sous-traitance et de délégation de ces grands opérateurs mondiaux qui se sont démunis de leurs propres outils industriels afin de peser sur des sous-traitants desquels ils sont aujourd'hui victimes lorsque ceux-ci connaissent quelques difficultés. Le même phénomène est observé en matière de raréfaction des matières premières : lorsqu'un produit n'est fabriqué que dans un ou deux sites de production, le risque de rupture est élevé.

Le Claps représente près de 90 % des acheteurs hospitaliers, publics et privés, de produits de santé. À l'été 2017, nous avons mené auprès de nos membres une enquête sur les ruptures les plus fréquentes et les perturbations occasionnées sur l'activité des établissements de santé et la prise en charge des patients, compte tenu des alternatives proposées, voire, parfois, des reports de traitement imposés. L'étude a montré que 52 % des 260 cas de rupture différents recensés en quatre mois concernaient cinq laboratoires et trois domaines thérapeutiques : l'antibiothérapie injectable, avec quatorze molécules, soit 80 % de l'arsenal thérapeutique courant, proportion rendant complexe le recours à des alternatives ; l'oncologie avec seize molécules et l'anesthésie avec huit molécules. Depuis le printemps, nous menons une nouvelle enquête, dont les résultats seront connus à la fin du mois de septembre, sur l'analyse des risques afférents à ces ruptures pour les établissements et pour les patients.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Quel est l'impact financier des situations que vous décrivez que les établissements de santé ?

Debut de section - Permalien
Éric Tabouelle, vice-président du Claps, président d'Helpevia

Les représentants de l'UniHA et de l'Ageps vous répondront mieux que je ne pourrais le faire. Le dispositif d'achat pour compte dans le cadre des commandes publiques, a priori vertueux, est, en réalité, perverti par les industriels, qui surfacturent scandaleusement les produits lorsque le titulaire d'un marché se trouve défaillant. Voyez la gemcitabine, molécule d'oncologie : alors que le prix du marché était fixé à 8 euros, le produit a été facturé 200 euros par un laboratoire concurrent ! Il n'est pas rare de voir des prix augmentés de 500 % à 2 000 % par rapport au prix du marché ! Un autre produit, du fer injectable, actuellement en rupture, est facturé 20 euros alors que le prix du titulaire du marché était fixé à 2 euros. Dans le contexte, la différence semble presque raisonnable... Il est donc indispensable de mieux réguler le marché en encadrant davantage les majorations pratiquées dans le cadre des clauses d'achat pour compte : soit en référence du prix de marché de l'établissement et du fournisseur titulaire du marché, soit en référence du prix initialement proposé par le laboratoire qui n'a pas été retenu. Les laboratoires doivent cesser d'utiliser cet outil comme un élément de stratégie concurrentielle, afin de mettre à mal le concurrent avec des indices de surfacturation qui représentent annuellement des centaines de milliers voire des millions d'euros de surfacturation !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Avec de telles différences de prix, le titulaire défaillant du marché paie-t-il réellement le laboratoire concurrent ?

Debut de section - Permalien
Marc Lambert, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU)

pharmacien, chef de service à l'Assistance publique-hôpitaux de Marseille, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU). - En 2012, le laboratoire israélien Teva, spécialiste des génériques, a été retenu, dans le cadre d'un appel d'offres pour UniHA, pour la fourniture de la molécule anticancéreuse Oxaliplatine®, initialement princeps de Sanofi. Or, après un problème de production, la clause d'achat pour compte a dû être activée à un prix 1 127 fois plus élevé ! Je parle au nom de six coordonnateurs qui pèsent 2,5 milliards d'euros d'achats de médicaments. Les ruptures de stocks représentent davantage un danger pour les enfants et les personnes âgées, plus vulnérables. Des alternatives de traitement demeurent généralement possibles, mais tous les établissements de santé de disposent pas en la matière d'une expertise équivalente à celle dont bénéficient les CHU qui intègrent des commissions du médicament et des dispositifs médicaux stériles (Comédims). Depuis quatre ans, la loi de financement de la sécurité sociale oblige, dans le cadre du programme « Performance hospitalière pour des achats responsables » (Phare), les hôpitaux à des économies drastiques sur les achats de médicaments - la dernière prévoyait une diminution de 900 millions d'euros de l'enveloppe allouée - au risque de tensions sur le marché des médicaments et, prochainement, des dispositifs médicaux, comme les endoprothèses aortiques dont le prix est quatre fois 'plus élevé en Allemagne et en Italie qu'en France. Prenons garde au tarissement de l'offre par les prix ! La France a la chance de bénéficier de champions nationaux, qui travaillent pour des multinationales du médicament et pourraient produire pour le marché français et européen. Nous devons les soutenir ! Entre le 1er janvier et le 13 juillet, les hôpitaux ont enregistré 332 messages de rupture de stock. C'est extrêmement chronophage, au moins un équivalent temps plein est consacré, dans les établissements, notamment les CHU, 'à la recherche de sources alternatives d'approvisionnement.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Je suis convaincu qu'il n'existe pas de solution unique pour remédier à votre constat. Estimez-vous notamment pertinent de créer un laboratoire public de production des molécules les plus utiles ?

Debut de section - Permalien
Marc Lambert, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU)

Je ne crois pas en des solutions d'avant mai 2017 ! L'administration n'est pas capable de mobiliser les fonds pour produire à l'échelle industrielle des médicaments d'extrême qualité. Cette compétence relève des laboratoires privés. En 1988, un inspecteur général des affaires sociales était venu m'interroger sur la pertinence de la production, par l'AP-HP, de solutés massifs. Cette époque est révolue ! La production doit être du ressort des industriels. Les ruptures de stock sont souvent liées aux exigences, croissantes, des agences sanitaires, notamment américaine, européenne et japonaise, qui conduisent à la fermeture, pour plusieurs semaines ou mois, de sites de production en Inde et en Chine.

Debut de section - Permalien
Éric Tabouelle, vice-président du Claps, président d'Helpevia

Il convient de favoriser la production des molécules essentielles sur le territoire européen en relocalisant des sites. L'augmentation des cas de rupture depuis 2011 est due à la fois au développement de la sous-traitance de la production et à la vente de portefeuilles de produits à des laboratoires secondaires incapables d'assurer le maintien des volumes de production. Il faut certes saluer la rigueur des conditions d'AMM, qui garantit la qualité des produits, mais il apparaît à tout le moins surprenant qu'il n'existe aucun dispositif pour assurer la fourniture du territoire national en molécules de référence et en médicaments d'intérêt thérapeutique majeur (MITM) et éviter, à leur endroit, le monopole, risqué, d'un laboratoire.

Debut de section - Permalien
Caroline Biot

Nous produisons effectivement quarante-quatre références, dont trois avec AMM, le reste des préparations ayant un statut de préparation hospitalière. Nous représentons l'unique laboratoire civil public dans ce cas. Nous en produisons 50 % directement en interne, l'autre moitié étant sous-traitée, notamment la fameuse production de solutés massifs - il s'agit plus exactement des matières premières qui entrent dans la fabrication de nutrition parentérale à façon -.' Pour les mêmes raisons que les industriels privés, notamment les exigences réglementaires de plus en plus contraignantes des agences sanitaires et les difficultés de fourniture de certaines matières premières, nous connaissons également des aléas de stocks, avec cinq à six ruptures de produits sur un portefeuille de 45 et entre dix et quinze références qui disposent de moins de trois mois de couverture de stock. Il est extrêmement difficile pour une structure publique de tenir la cadence, en raison des exigences réglementaires croissantes qui nous a demandé un travail considérable de remise à niveau depuis 2013 avec l'Agence nationale de sécurité du médicaments et des produits de santé (ANSM), travail qui n'est pas terminé puisque nous devons encore nous adapter à d'autres normes telles que la sérialisation. Nous sommes également tributaires des fournisseurs de matières premières : nous avons connu des ruptures de stock assez longues sur certains produits au cours des dernières années dès lors que nous n'avions qu'un unique fournisseur ou seulement deux fournisseurs dont la matière ne pouvait être agréée en raison d'une contamination microbienne. Nous subissons les mêmes aléas que les entreprises privées mais nous sommes potentiellement moins bien armés pour y répondre puisqu'il est difficile de faire évoluer notre outil. Aux côtés des industriels privés, les laboratoires publics pourraient être incités à produire, en séries limitées, des références peu rentables pour des maladies rares ou pour des indications en pédiatrie et en gériatrie. Ainsi, lorsque les pouvoirs publics ont appris dans les années 2008-2009 l'arrêt de la production de Mexilétine® par le laboratoire, médicament en cardiologie, il existait des alternatives pour l'indication principale. En revanche, pour une utilisation hors AMM à destination d'une cible spécifique de patients, seule la Mexilétine® semblait indiquée. L'Ageps 'a alors repris le produit pour le fournir aux patients dans le cadre d'une indication particulière pour laquelle il n'existait pas de traitement alternatif.

Debut de section - PermalienPhoto de Charles Revet

Un pourcentage élevé des médicaments consommés en France, voire certaines molécules, sont produits en Inde et en Chine. La douane française est souvent amenée à détruire, pour défaut de qualité, des conteneurs de produits en provenance de ces pays. De tels problèmes de fabrication, accompagnés d'un grave risque sanitaire, ne se posent-ils pas pour les médicaments ?

Debut de section - Permalien
Marc Lambert, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU)

Nous avons, en France, la chance de bénéficier du monopole pharmaceutique sur l'ensemble de la chaîne du médicament, qui évite tout risque de contrefaçon. L'Europe devrait s'inspirer du modèle français ! Hélas, elle envisage plutôt de développer les ventes de médicaments over the counter (OTC) en grandes surfaces...

Aujourd'hui, le territoire français est protégé. Les professionnels de santé, médecins et pharmaciens, veillent à verrouiller les exigences. Il nous est d'ailleurs reproché de privilégier la note technique par rapport à la note économique. Nous choisissons les médicaments les mieux-disants. Il faut augmenter la pondération de la sécurité d'approvisionnement, plutôt que de rechercher l'économie à tout prix. Néanmoins, la pression économique est énorme.

Debut de section - Permalien
Claire Biot, directrice de l'Ageps

Dans nos consultations d'appels d'offres, nous introduisons dans la note de qualité un critère évaluant la manière dont l'industriel se prépare à la gestion d'éventuelles pénuries. Cette approche nous paraît de nature à éviter les pénuries de manière plus pragmatique que par un recours généralisé aux marchés multiattributaires, qui nous posent des difficultés d'organisation conséquentes.

Debut de section - Permalien
Marc Lambert, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU)

Les appels d'offres en zone géographique, les marchés multiattributaires sont très complexes. Nous nous mettons juridiquement en porte à faux dans le respect des contrats.

Debut de section - Permalien
Christophe Pitré, membre du bureau du Claps, pharmacien coordinateur du groupe Vivalto

Schématiquement, le marché du médicament comprend les molécules sous monopole de l'AMM, protégées par un brevet, pour lesquelles les ruptures sont exceptionnelles ; les produits génériqués, pour lesquels existaient auparavant cinq à dix fournisseurs différents pour la même molécule avec pour conséquence une concurrence assez sauvage qui a fait baisser les prix, et que désormais se partagent deux ou trois fournisseurs reprenant la main sur les prix de marché ; les produits matures, en situation de monopole par défaut car il s'agit de produits peu chers, pour lesquels les laboratoires envisagent au bout de quelques années un arrêt de commercialisation, ou qu'ils rebasculent vers des sous-traitants, ou dont ils cèdent le brevet, ou encore dont ils augmentent le prix.

Le problème de la délocalisation de la production des matières premières est majeur. Je me trompe peut-être mais il me semble qu'il n'y a aujourd'hui quasiment plus de site de production en France de médicament en tant que tel. J'entends par là la production de matière première, et non de mise en forme ou de conditionnement. 'Pour l'Augmentin®, un antibiotique injectable majeur encore fabriqué voilà quelques années sur un site à Mayenne doté d'un réacteur qui produisait la matière première. Aujourd'hui, il n'existe plus de site de production de la matière première en France pour l'Augmentin®, mais bien un seul génériqueur qui détient la matière première pour l'ensemble de l'Europe. Sanofi, qui couvrait 90 % des besoins français d'héparine, un anticoagulant essentiel, n'en fabrique plus que 10 %. Pour l'anecdote, la matière première, issue d'intestins de porc, provient de Chine. Les fournisseurs ne maîtrisent plus la production de matière première et ne font que conditionner et vendre le produit fini.

La maîtrise du marché nous échappe, un certain fatalisme s'installe, à tel point que les laboratoires nous fournissent des notes hebdomadaires de ruptures. C'est devenu habituel. Un accord doit être passé avec les fournisseurs afin que l'AMM soit aussi soumise à un contrôle des arrêts de commercialisation. Il faudrait lier les autorisations au retrait.

Debut de section - PermalienPhoto de Véronique Guillotin

Le constat est inquiétant. Concernant les antibiothérapies, de plus en plus résistantes, les molécules ne sont pas interchangeables. Des cas graves peuvent également se produire en secteur hospitalier périphérique, et un délai de six heures dans la prise en charge d'un patient peut être fatal en cas de choc septique. N'oublions pas les patients derrière la mécanique : les éventuels effets secondaires, les incidents graves liés à des défauts d'approvisionnement sont-ils comptabilisés ?

Par ailleurs, les pharmacies hospitalières offrent une liste de médicaments limitée, en fonction de leur budget, dans laquelle le médecin ne trouve pas forcément le médicament le mieux adapté au patient et se voit régulièrement contraint de trouver des équivalences. Plus les budgets sont contraints, plus ces pratiques, qui ne sont pas idéales, vont se développer.

Debut de section - Permalien
Marc Lambert, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU)

Depuis une quinzaine d'années, des systèmes de vigilance nous permettent de faire remonter très rapidement les problématiques rencontrées sur le terrain.

Je ne suis pas trop inquiet pour les CHU, mais pour les autres établissements de santé ou pour mes collègues isolés dans un établissement, où la situation est compliquée. Il faut absolument renforcer la diffusion de l'information par les 135 groupements hospitaliers de territoire, les GHT.

Nos collègues du CHU de Lille ont observé les ruptures d'approvisionnement entre le 1er octobre 2012 et le 1er juillet 2014 : 72 % des spécialités en rupture étaient des produits princeps et seulement 28 % des molécules concurrentielles. Toutes les situations sont possibles. Le système post-Mediator a mis à plat les professionnels de santé : il faut aider les spécialistes de la pharmacie industrielle en France. Et ce n'est pas le Comité économique des produits de santé qui résoudra le problème.

En tant que secrétaire général de la conférence des pharmaciens de CHU, je vous rappelle que nous réclamons officiellement la transparence des prix du médicament. Les médicaments Sovaldi® ou Harvoni® ont coûté 32 millions d'euros, en 2016, à l'AP de Marseille, mais personne ne dit que le laboratoire Gilead a versé 550 millions d'euros à l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l'Acoss, sur le milliard d'euros dépensé. Et l'on nous qualifie de mauvais gestionnaires !

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Nous ne connaissons pas le prix après remise. Cela fait partie, à tort ou à raison, de la protection des données économiques des laboratoires.

Certaines stratégies financières des laboratoires provoquent-elles des ruptures au détriment de la sécurité des patients ? Nous pensons à certains médicaments anciens qui disparaissent pour réapparaître ultérieurement à un prix bien plus élevé. Dans le cas des hôpitaux, en revanche, le laboratoire n'a pas intérêt, semble-t-il, à payer le différentiel en cas de rupture et se met en situation de faiblesse par rapport à d'éventuels concurrents.

Debut de section - Permalien
Éric Tabouelle, vice-président du Claps, président d'Helpevia

Les laboratoires n'ont plus la maîtrise de la chaîne logistique de fabrication ; ils ont tout délégué à des entreprises indépendantes auxquelles ils donnent des ordres de commande. Ils prennent donc des engagements qu'ils ne sont pas sûrs de tenir.

Debut de section - Permalien
Bruno Carrière, directeur général d'UniHA

Pour prendre un exemple, un cyclone a touché l'année dernière la région chinoise où sont fabriqués la très grande majorité des pansements, ce qui a provoqué une rupture d'approvisionnement. La situation se renforce avec des distributeurs qui s'engagent sur des volumes pour lesquels ils ne sont pas toujours capables d'assurer la continuité et la qualité. Nous devons ajuster nos techniques d'achats à ces nouvelles situations.

L'achat en sortie de chaîne est utilisé dans certaines industries de haute technologie pour des éléments stratégiques. Le regroupement des acheteurs permet de mobiliser des modalités de cette nature.

Les acheteurs doivent accompagner une éventuelle politique industrielle de relocalisation au sein de l'Union européenne. Le code des marchés publics n'interdit pas d'accompagner la montée en charge d'alternatives.

Sur les coûts internes liés aux ruptures d'approvisionnement, nous vous adresserons des indications précises. Plusieurs événements indésirables liés à des problèmes de dosage ou de mauvaise utilisation ont été provoqués par une substitution de conditionnement à l'occasion d'une rupture d'approvisionnement. Le personnel chargé de la dispensation, le personnel soignant le plus souvent, peut se tromper et confondre deux présentations. Les pharmaciens y sont attentifs dans les appels d'offres. C'est une conséquence indirecte.

Des enjeux de politique économique peuvent intervenir dans la négociation globale entre le CEPS et le laboratoire ; nous n'en connaissons pas les termes. Nous intervenons après, dans le cadre de nos appels d'offres, où nous observons parfois des choses singulières.

Debut de section - PermalienPhoto de Sonia de La Provôté

Selon quels critères les hôpitaux choisissent-ils tel ou tel laboratoire ?

Debut de section - Permalien
Marc Lambert, coordonnateur d'achats, secrétaire général de la commission des pharmaciens de centres hospitaliers universitaires (CHU)

L'espace-temps des consultations et les volumes ! La création du réseau d'achat groupé UniHA en 2005 a permis la professionnalisation de l'achat. L'Ageps est également un élément crucial. Il est maintenant essentiel de développer les bonnes pratiques de substitution, y compris dans les petits établissements.

Debut de section - Permalien
Éric Tabouelle, vice-président du Claps, président d'Helpevia

Des choix différents peuvent être conduits par des règles d'arbitrage, de pondération des différents critères. Les cahiers des charges intègrent maintenant des clauses d'achats responsables. Nous pouvons donc pondérer favorablement des sites de production européens. Autant de critères qui peuvent, demain, changer la donne des attributions de marchés.

L'enquête lancée par le Claps sur les effets indésirables, dont les résultats sont attendus fin septembre, devrait nous permettre de disposer de données fiables sur l'incidence économique de la gestion des ruptures et sur les effets indésirables graves.

Debut de section - Permalien
Nicolas Lallemand, directeur des achats de produits de santé UniHA

La massification doit rester limitée pour maintenir une concurrence durable. Il y a dans la variabilité des prix en fonction des appels d'offres une dimension de calendrier importante : un fournisseur refusé dans le cadre d'un marché d'UniHA sera tenté, après avoir eu connaissance des prix du résultat, de faire une offre plus intéressante dans un second marché.

Nous assistons depuis une dizaine d'années à un fort mouvement de professionnalisation. Le programme Phare est fondé sur la réalisation de gains d'achats au niveau des établissements hospitaliers, mais aussi sur l'échange des bonnes pratiques. L'AP, personne morale unique, est en avance dans ce domaine grâce à une organisation centralisée au niveau de l'Ageps. Les acheteurs travaillent avec la communauté médicale à travers la Commission du médicament et des dispositifs médicaux stériles, la Comédims, et les groupes d'experts.

Nous apportons en outre de la visibilité aux fournisseurs. Le fait que des montants minimum et maximum encadrent le déroulement de l'exécution du marché est un point essentiel.

Des pharmaciens à temps plein, soutenus par des équipes administratives, travaillent à l'évaluation, à l'achat et au suivi de l'exécution. Un site intranet doté d'un progiciel de gestion intégrée actualisé en temps réel grâce au réseau des pharmaciens hospitaliers nous permet d'être réactifs.

Les situations de tension ou de rupture d'approvisionnement ont été multipliées par dix depuis 2008. Heureusement, nous sommes capables, même si cela nous prend beaucoup de temps, de trouver des solutions de gestion des stocks pour limiter les ruptures et les substitutions. C'est tout l'intérêt de la plateforme logistique intégrée sur le site de Nanterre.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Pierre Decool

Dans une communication de juin 2017, la Cour des comptes préconisait de confier au Comité économique des produits de santé la fixation des prix des médicaments hospitaliers. Seriez-vous favorable à cette évolution pour réduire le différentiel entre le prix du titulaire du marché et le prix pratiqué par un autre fournisseur en cas de rupture ? Elle appelait également de ses voeux le développement des stocks déportés mutualisés entre centrales d'achats afin de limiter les conséquences des ruptures d'approvisionnement. Cette mesure est-elle, selon vous, pertinente et praticable dans votre situation ?

Debut de section - Permalien
Christophe Pitré

Le tarif hospitalier présenté par les laboratoires, nous en avons parlé, ne veut absolument rien dire. Nous connaissons tous des histoires de surfacturation, comme ce flacon, facturé 23 euros par le titulaire défaillant, qui atteint 500 euros.

S'agissant de l'administration des prix en établissement de santé, les prix étant libres, je ne suis pas persuadé de l'intérêt économique pour la France. Les besoins peuvent varier selon les types d'établissements. Des stocks déportés mutualisés induisent une différence de traitement des besoins. En outre, les établissements privés ne sont pas intégrés dans les GHT. Je ne suis pas dogmatique, ayant été pharmacien dans le public pendant dix-huit ans, mais il y a de fortes chances pour que les stocks soient localisés au niveau des CHU, qui devront gérer la demande et la distribution.

Pour en revenir aux tarifs des médicaments, je pense qu'un tarif maximal de remboursement serait une bonne solution. Le laboratoire peut le vendre moins cher, mais le prix est encadré sans être administré. C'est déjà le cas, pour les hôpitaux, des produits dits remboursables dans les établissements de santé, c'est-à-dire ceux de la liste en sus, ou de ceux qui sont dispensés en ambulatoire.

Debut de section - Permalien
Bruno Carrière, directeur général d'UniHA

Je ne suis pas certain que la Cour des comptes ait réalisé toutes les études d'impact sur sa proposition de confier au CEPS la fixation des prix. Le développement de stocks mutualisés dont le laboratoire resterait propriétaire ne me semble pas nécessairement opérant. Nous avons besoin d'apporter de la lisibilité et de sécuriser les volumes de production. Je crois plus à des engagements sur des volumes plus construits, financés par des centrales d'achat et préaffectés à des ensembles d'hôpitaux qu'à des stocks sécurisés dont il faudrait gérer la répartition.

Je tire cette conclusion de discussions que nous avons dans d'autres secteurs économiques avec des opérateurs mondiaux. Ce sont des entreprises avec lesquelles il est possible de construire des contrats de partenariats assez avantageux dès lors que nous représentons une force économique suffisante.

Debut de section - PermalienPhoto de Yves Daudigny

Nous vous remercions.

La réunion est close à 15 h 15.