Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.
La téléconférence est close à 17 h 50.
Présidence de M. Laurent Lafon, président -
La téléconférence est ouverte à 18 heures.
Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition conjointe de deux directeurs généraux d'agences de l'eau :
- M. Thierry Vatin, directeur général de l'agence de l'eau Artois Picardie ;
- M. Marc Hoeltzel, directeur général de l'agence de l'eau Rhin-Meuse ;
- Mme Patricia Mauvieux-Thomas, directrice des politiques d'intervention de l'agence de l'eau Rhin-Meuse.
Cette audition est l'occasion de recueillir votre analyse des risques que la pollution industrielle et minière peut faire peser sur nos ressources en eau potable, qu'elles soient souterraines ou de surface.
Il serait utile que vous reveniez sur les difficultés que vous pouvez rencontrer ou avez pu rencontrer pour identifier les ressources en eau potable susceptibles d'être menacées par un transfert de pollution industrielle et minière, notamment dans le cadre de vos schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux. Les informations contenues dans les bases de données Basol et Basias ou encore dans les secteurs d'information sur les sols (SIS) vous sont-elles utiles pour identifier les ressources en eau pour lesquelles nous devons être vigilants ?
Par ailleurs, quelle évaluation faites-vous des obligations règlementaires qui pèsent sur les industriels et les exploitants miniers en matière de surveillance de la qualité des eaux souterraines ? Ces obligations sont-elles suffisantes ? La périodicité des contrôles de la qualité des eaux souterraines à proximité de sites polluants est-elle, selon vous, suffisante et ces contrôles sont-ils conduits dans des conditions optimales ?
Avant de vous laisser la parole pour une intervention liminaire de cinq minutes chacun, je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est puni de cinq ans d'emprisonnement et de 75 000 euros d'amende.
Vous êtes, chacun, appelé à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, lever la main droite et dites : « Je le jure ».
Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, MM. Thierry Vatin et Marc Hoeltzel et Mme Patricia Mauvieux-Thomas prêtent serment.
Nous menons une première action qui recoupe le travail réalisé pour élaborer nos schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (Sdage), dans le cadre de la directive-cadre sur l'eau. Pour cette action, nous nous intéressons à l'impact des sites et sols pollués sur les ressources en eau potable et sur l'atteinte du bon état des eaux. Pour le deuxième volet, nous n'avons pas d'éléments majeurs de dégradation de la qualité de l'eau liée aux sites et sols pollués dans le cadre de l'application de la directive-cadre sur l'eau.
Nous sommes davantage préoccupés de l'impact sur les ressources en eau potable. Nous ne disposons pas d'une vision exhaustive de l'impact des sites et sols pollués sur la ressource en eau et nous appuyons essentiellement sur la base de données Basol qui présente des niveaux d'informations assez variables, mais donne une vision des sites et sols pollués qui appellent une action des pouvoirs publics. Nous la croissons avec la base de données Basias qui donne une vision historique et industrielle des sites et sols pollués. La combinaison des deux bases de données donne une vision, certes partielle, mais qui nous fournit des éléments pour agir.
Pour aller plus loin, nous avons deux éléments nouveaux. Le premier concerne une étude en cours, sous l'égide de la région, avec le bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) comme prestataire. L'objectif est de recenser plus finement la dimension de l'eau potable sur les sites et sols pollués de notre bassin. Nous avons également un enjeu que nous partageons avec l'ARS dans le cadre du plan régional de santé, avec un volet sur les sites et sols pollués et les ressources en eau potable. En termes de politique d'intervention, ce n'est pas une activité centrale pour l'agence, mais nous l'avons tout de même revisitée. Nous portons un appel à projets avec l'agence de l'environnement et de maîtrise de l'énergie (Ademe) et la région pour promouvoir des techniques exemplaires et innovantes de dépollution des sites dans une ambition de reconstruction, dans un contexte d'urbanisme moins consommateur d'espaces naturels. Dans ce cadre, nous pensons que la valorisation des sites et sols pollués constitue un axe intéressant qui peut déboucher sur des initiatives intéressantes en termes de techniques de dépollution. Une échéance est prévue le 10 septembre 2020, date limite de dépôt des dossiers, et l'échéance suivante sera le 26 avril 2021. Le sujet est donc actif, même s'il n'est pas central dans notre politique d'intervention. Nous nous préoccupons bien du volet relatif à l'eau potable, nous raccrochons aux données existantes, développons de nouvelles études à l'échelle du bassin. Avec les partenaires région et Ademe, nous portons des appels à projets pour remonter des cas concrets, afin de forger une politique d'intervention plus étoffée.
En Artois-Picardie, le territoire a une image très industrielle, avec une exploitation minière bien connue qui s'est aujourd'hui largement arrêtée. Nous avons effectivement un passé industriel qui a très fortement pesé sur la qualité de l'eau et sur les sols. Nous sommes sans doute la région la plus en retard sur le bon état des masses d'eau. Vous connaissez les objectifs de la directive européenne qui vise 100 % de bon état écologique des masses d'eau à l'horizon 2027 : nous sommes à 22 %, pour une moyenne nationale à 44 %. Notre bassin est celui qui accuse le plus important retard.
J'arrive dans la région, puisque j'ai pris mon poste de directeur général depuis six mois seulement. Malgré ce passé industriel, ce qui pèse le plus aujourd'hui sur le bon état des masses d'eau n'est plus la pression industrielle, mais la pression humaine, ou démographique, puisque nous sommes une des régions les plus denses en termes démographiques. Les deux tiers de la pression relèvent de la présence humaine, en termes de consommation d'eau, mais aussi de rejets. Après la pression humaine vient la pression de l'activité agricole puisque la région a une activité agroalimentaire industrielle très consommatrice de polluants, pesticides et intrants. Nous sommes dans le pays de la pomme de terre, culture extrêmement nocive en termes d'usage des sols et des pesticides.
Le sujet de l'eau, dans le Nord-Pas-de-Calais et dans le bassin Artois-Picardie, ne relève plus tellement de la problématique de l'industrie. Le programme de mesures que nous préparons pour le Sdage 2022-2027 prévoit un investissement de 2,5 milliards d'euros pour les six ans. La part que nous consacrerons à la dépollution et aux aides apportées aux industriels sera très faible. L'effort n'est plus là pour nous aujourd'hui : l'effort a été énorme. Avec les injonctions de la directive-cadre européenne, les industriels ont investi massivement, depuis vingt ans, dans la dépollution industrielle. Ces acteurs ont massivement joué le jeu, contrairement aux agriculteurs qui n'ont pas changé de modèle économique. Les industriels n'ont pas non plus changé leur modèle économique, mais ils se sont équipés et ont investi dans la dépollution. Leurs rejets sont aujourd'hui assez limités, sauf en cas d'accident industriel, comme celui que nous venons de vivre avec l'entreprise Tereos qui a pollué l'Escaut.
La ressource en eau dans le Nord-Pas-de-Calais Artois-Picardie est essentiellement souterraine, puisque 90 % de l'eau potable prélevée pour l'usage habituel provient des eaux souterraines. Nous avons des sols qui ont été fortement marqués par la pollution et nous avons toujours une rémanence de pollutions anciennes, mais plus tellement de nouvelles pollutions.
Notre activité dans la dépollution des sols pollués et industriels est actuellement très faible au sein de l'agence. Entre le septième et le dixième programme, soit entre les années 1997 et 2017, nous avons investi massivement. L'agence de l'eau a apporté une aide dans de nombreuses opérations, pour 20 millions d'euros d'investissement et 8 millions d'euros d'aides de l'agence. Au début des années 2000, d'autres opérateurs, plus légitimes que l'agence de l'eau, se sont progressivement investis dans la récupération et la dépollution des sites pollués, dont l'établissement public foncier (EPF) Nord-Pas-de-Calais qui s'est créé et a repris cette politique de dépollution. L'EPF Nord Pas-de-Calais porte donc aujourd'hui plutôt la dépollution des sites pollués anciens. Depuis une vingtaine d'années, l'Ademe s'est investie dans ce domaine, avec sa politique nationale d'intervention sur les sites pollués. Nous avons progressivement laissé ces deux opérateurs intervenir, sachant qu'ils en font une politique centrale, et nous nous sommes recentrés, dans le onzième programme, sur l'investissement sur les milieux naturels, en plus des questions encore majeures des pollutions urbaines et agricoles.
Nous avons néanmoins lancé quelques appels à projets vers les industriels, par exemple sur le thème de l'économie d'eau, sujet majeur pour notre bassin. D'importants problèmes de ressources d'eau interviendront dans le Nord et nous cherchons à amener les acteurs (agriculteurs, urbains et industriels) à économiser l'eau. Dans le Dunkerquois, un territoire de 100 000 hectares ne compte aucune ressource en eau puisque ce sont des polders, région du Dunkerquois qui se trouve sous le niveau de la mer. Un sujet de gestion quantitative se pose donc.
Dans le prochain Sdage, nous investirons massivement sur la question agricole, sujet majeur pour toutes les agences de l'eau. Nous ne progresserons plus sur le bon état des masses d'eau si cet acteur ne change pas de modèle et ne joue pas le jeu.
Pourriez-vous revenir sur les actions mises en oeuvre par les agences de l'eau pour assurer la protection des ressources souterraines en eau potable potentiellement exposées à un transfert d'une pollution industrielle ou minière des sols ? Dans quelle mesure pouvez-vous accompagner les exploitants pour limiter la migration de polluants vers les ressources en eau ?
Quelle est, par ailleurs, votre approche lorsque les transferts de polluants d'un site vers des ressources en eau sont le résultat de phénomènes naturels ou climatiques tels que des inondations ? Les aléas climatiques de forte intensité ne sont pas réservés à nos collectivités ultramarines, nous les subissons de plus en plus dans l'hexagone. Je pense à des situations comme celle qu'a connue la vallée de l'Orbiel, dans l'Aude, dont les inondations de 2018 ont charrié des polluants depuis d'anciens sites miniers vers des cours d'eau.
Lorsque des contrôles de l'état des eaux souterraines réalisés par des bureaux d'études pour le compte d'exploitants concluent à la présence de polluants, ces résultats vous sont-ils communiqués par l'exploitant, le cas échéant par l'intermédiaire de la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal) ? Si ce n'est pas le cas, ne faudrait-il pas imposer l'obligation de communiquer aux agences de l'eau de telles informations ?
Enfin, d'une manière générale, quelles seraient vos recommandations pour améliorer la coordination entre la Dreal, l'ARS, l'agence de l'eau et les collectivités territoriales pour favoriser une surveillance accrue des ressources en eau potable face aux risques de pollution des sols d'origine industrielle ou minière ? De même, pour les travaux de dépollution, dans quelle mesure pouvez-vous peser, notamment auprès de la préfecture, sur les choix des techniques de dépollution pour prévenir une aggravation de la dégradation des ressources en eau ?
Notre commission d'enquête a été constituée sur la thématique de la pollution des sols suite à une activité minière ou industrielle. Nous sommes conscients des problématiques actuelles, avec les activités minières ou industrielles en cours, comme l'a montré l'accident de Lubrizol. L'incendie de Notre-Dame de Paris a également montré que des pollutions historiques pouvaient ressurgir.
La conscience environnementale est aujourd'hui plus prégnante dans les populations, qu'elles soient urbaines ou rurales.
La première interrogation porte sur nos moyens d'intervention. Nous posons les diagnostics à l'échelle du territoire, soit au niveau de l'ensemble de notre bassin, soit ponctuellement sur des secteurs à enjeu. Nous menons actuellement deux actions avec les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE), sachant que nous avons deux SAGE sur le bassin ferrifère et sur le bassin houiller. Nous étudions l'impact des sites et sols pollués sur les ressources en eau : nous ne menons actuellement pas d'action concrète, mais réalisons des études plus fines sur des territoires donnés.
Nous pouvons intervenir directement auprès des industriels, en cas de présomption de pollution : nous pouvons alors financer la mise en place de piézomètres de contrôle. En coordination avec le service des installations classées pour la protection de l'environnement (ICPE), nous pouvons ainsi être informés des sites potentiels de pollution et apporter des moyens de contrôle et de surveillance.
Nous pouvons réaliser des études, des pilotes de traitement, sans être bridés par l'encadrement communautaire des aides. Nous avons ouvert ce créneau dans l'appel à projets que nous portons avec la région Grand Est et l'Ademe. Nous sommes favorables aux études assez fines sur les techniques de dépollution possibles, adaptées aux configurations locales de sites et sols pollués, y compris pour expérimenter de nouvelles technologies qui pourraient nous servir de référentiels pour conseiller les services de l'État sur un site donné.
En matière de travaux de dépollution, nous nous trouvons dans une zone grise. Si un industriel est mis en cause, nous ne pouvons plus intervenir financièrement. S'il s'agit de sites orphelins, ils relèvent plutôt de l'Ademe. Notre créneau d'intervention est très restreint et ne concerne que les sites où aucun industriel ne peut être appelé à la cause, sans être orphelins : il peut ainsi s'agir de sites pris en charge par une collectivité pour une urbanisation future pour lesquels nous pouvons apporter un financement pour rendre la valorisation des sites et sols pollués possible, en procédant à l'action de dépollution. Ce créneau est toutefois restreint et nous n'intervenons que rarement en matière de travaux.
Dans le cadre d'appel à projets avec l'Ademe et la région, nous intervenons, avec le contrôle des ICPE. Nous considérons qu'il est possible d'instaurer une meilleure coordination avec la Dreal qui ne peut être présente sur tous les sites, faute de moyens humains. Les méthodes de travail ne sont pas très fluides et l'articulation manque pour ce type de dossiers. Nous n'avons cependant pas de relations continues avec les inspecteurs de la Dreal pour tous les sites et sols pollués du bassin.
Vous avez envisagé une hypothèse de pollution induite par des sites historiques, provoquée ou amplifiée par des phénomènes liés au changement climatique. J'ai un exemple en tête, lié à un site assez complexe, situé sur la Chiers, pour lequel nous suspectons une pollution qui trouverait son origine au Luxembourg. Nous traitons le sujet dans le cadre de la commission internationale dédiée, en parfaite articulation avec les services de la Dreal. Le sujet est compliqué puisque la pollution historique est située en dehors de notre territoire, avec des répercussions potentielles sur le territoire français. La pollution est importée par des phénomènes d'inondation. Nous envisageons une action en termes d'études et de connaissances.
Sur le volet historique, notre bassin a des sites historiques emblématiques en termes de sites et sols pollués et nous avons travaillé sur une dépollution des mines de potasse d'Alsace, en dépolluant tous les terrils qui servaient au stockage des produits salins. Nous avons mené une action pour accompagner les travaux et procéder à la renaturation et à la couverture de ces terrils, mais aussi à la dissolution provoquée par des phénomènes d'aspersion pour traiter complètement cette pollution historique.
Je peux également citer un autre sujet que nous avons souhaité approfondir dans le cadre de notre onzième programme : la pollution historique liée au stockage des munitions de la Première Guerre mondiale. Cette action fait partie des huit défis de notre onzième programme d'intervention. Nous menons une action avec le BRGM et avons identifié un certain nombre de sites potentiels, avec des stockages importants de munitions. Les deux premiers sites se trouvent dans la Meuse, avec peu d'impacts sur la ressource en eau potable. Les investigations ultérieures ont détecté des sites en Alsace qui génèrent des questionnements sur les possibles interactions avec des ressources plus sensibles pour nous. Nous n'oublions pas ces pollutions historiques et considérons que nous avons un devoir de mémoire vis-à-vis des jeunes générations. Quand nous avons connaissance sur ces sites, nous portons un regard sur les conséquences potentielles sur les ressources en eau potable.
Nous ne sommes pas forcément en interaction quotidienne avec les services de l'État sur les sites et sols pollués et devons améliorer notre fonctionnement avec nos collègues de la Dreal. Quand des pollutions importantes existent, nous nous réunissons sous l'égide du corps préfectoral et apportons notre connaissance ainsi que notre capacité de financement en matière d'études. Je pense au site de Molsheim qui a une pollution historique au tétrachloréthylène. Pendant des années, nous avons porté les études, parallèlement à l'action administrative de la Dreal, pour cerner l'origine de la pollution et intervenir auprès de l'industriel.
Vous évoquiez la question de la transmission des contrôles de l'État réalisés par les bureaux d'étude. Je suppose que vous faites référence aux contrôles périodiques exigés pour les installations soumises à déclaration. Nous ne sommes pas destinataires de ces contrôles et ne sommes pas informés de la teneur de ces contrôles, des dysfonctionnements éventuellement mis en évidence par ces contrôles et donc des actions correctives à mettre en oeuvre.
Pensez-vous qu'il serait utile que les agences de l'eau en soient destinataires ?
Je ne mesure pas l'ampleur du nombre de contrôles opérés chaque année et la difficulté à identifier les enseignements tirés de ces contrôles. Je ne sais pas si ces contrôles déterminent des actions à mener pour les ressources en eau et ne peux donc répondre précisément à votre question. Si ces contrôles mettent en évidence des enjeux importants pour les ressources en eau qui requièrent une action, il conviendrait effectivement que nous ayons un échange avec l'administration pour déterminer les suites à donner et la manière dont l'agence de l'eau pourrait accompagner des actions.
Vous avez indiqué que vos relations avec les Dreal ne couvraient pas toujours tous les sujets et j'ai cru comprendre que vous l'assimiliez à un manque de moyens donnés aux administrations Dreal qui ont des responsabilités accrues, sur des territoires régionaux plus importants. Dans le cadre de la décentralisation, des compétences des départements ont été confiées à l'échelon régional. Pensez-vous qu'il faudrait que les Dreal disposent d'une déclinaison plus proche des territoires départementaux pour bénéficier d'une connaissance plus fine et d'une plus grande réactivité ?
40 % de l'activité des Dreal s'exerce pour les préfets de département. Chaque Dreal dispose d'unités départementales, très proches du terrain, notamment pour les inspecteurs des installations classées.
Il doit exister des disparités entre les régions. Les politiques menées ces dernières années conduisent à augmenter l'éloignement avec le territoire. Le lien avec les préfets est d'ordre institutionnel. Les maires attendent parfois les avis émanant des Dreal, pour que les préfets prennent des décisions, depuis trois, quatre, voire cinq ans. Selon les régions, le lien avec l'ARS et la Dreal diffère, ce qui interroge quant à l'égalité à l'accès aux services sur l'ensemble du territoire national.
J'ai été directeur départemental des territoires, Dreal et directeur de l'eau et de la biodiversité, avant d'être directeur d'une agence de l'eau : je dispose donc d'une bonne vision de l'organisation de l'État. La difficulté concerne l'organisation et le management des échanges. Chaque administration a ses propres dossiers, enjeux et bases de données. Il convient donc de croiser la bonne information et la bonne communication, au moment opportun, sachant qu'il est compliqué de le faire en permanence et en temps réel. Des instances ont toutefois été créées, telles que les missions interservices de l'eau et de l'environnement (Misen). Les Misen regroupent normalement tous les acteurs : Dreal, agence de l'eau, direction départementale des territoires (DDT), ARS, services de la préfecture et office français de la biodiversité (OFB). Ces Misen sont le moteur de la communication interservices. Si elles sont bien pilotées et gérées, les informations circulent bien. Si elles ne le sont pas, la communication fonctionne moins bien et des disparités peuvent alors être observées entre les territoires. Les Misen sont gérées par les services préfectoraux, aidés par les services techniques. Le dispositif permet d'instaurer un bon fonctionnement, à condition d'y consacrer du temps. Les moyens se trouvent cependant de plus en plus en tension alors qu'il convient de consacrer du temps aux Misen pour croiser les stratégies et planifier les contrôles environnementaux. J'assistais, il y a deux jours, au comité de pilotage de l'office français de la biodiversité piloté par Emmanuelle Wargon, en tant que représentant des agences de l'eau. La secrétaire d'État s'interroge actuellement sur la coordination des interventions qui relèvent de la police de l'environnement, entre les services de l'État. Il convient de s'interroger régulièrement sur le « qui fait quoi » puisque l'organisation n'est pas simple. Le problème ne vient pas d'une mauvaise volonté, mais de la qualité du pilotage.
Dans la région Artois-Picardie, le président du conseil d'administration est le préfet, responsable des services de l'État dans la région. Le préfet doit piloter l'ensemble des services et des opérateurs. Est représentée au conseil d'administration de l'agence de l'eau la Dreal et l'agence de l'eau siège au conseil d'administration de l'Ademe. Nous ne manquons pas de liens entre nous et la volonté de communiquer existe, mais il est compliqué d'harmoniser toutes les bases de données. Cela demande un pilotage interministériel extrêmement efficace, ce qui n'est pas toujours le cas.
Je vous cite un exemple. Le préfet de région s'est récemment fâché de l'accident survenu dans l'Escaut. Une sucrerie, Tereos, a rejeté dans la rivière des substances nocives normalement stockées dans de grands bassins de rétention endigués. Une digue a cédé, sans doute à cause d'un mauvais entretien, et plusieurs centaines de milliers de mètres cubes sont partis dans l'Escaut, tuant de nombreux poissons. Cet accident a suscité une vive émotion puisque l'Escaut est un fleuve transfrontalier et que les Belges se sont plaints puisque trois ou quatre jours se sont écoulés avant que nous communiquions sur le sujet. Un problème diplomatique est apparu, ce qui a contrarié le préfet. Nous réalisons actuellement un retour d'expérience sur ce point puisque nous aurions pu mieux communiquer, sachant que la Dreal et la DDT sont en première ligne sur ce sujet. Nous disposons de données sur la qualité de l'eau dans l'Escaut que nous communiquons sans difficulté. Cet incident montre qu'il a fallu trois ou quatre jours pour comprendre l'origine de l'accident et pour communiquer. Le sujet n'est pas simple puisque nos problèmes sont complexes et que l'organisation de l'État est également complexe.
Vous avez parlé de pilotage et d'interactions entre les différents groupes. J'entends vos propos. Quand vous avez cette répartition sur les territoires et que le préfet change tous les deux ans, le pilotage est compliqué. Sur mon territoire, la dépollution concerne toute une vallée et les acteurs attendent depuis 25 ans, alors que la vision des représentants de l'État change au gré des changements d'interlocuteurs. Ceci consterne les populations puisqu'aucun résultat n'est constaté sur le terrain, malgré les nombreuses réunions. La notion de pilotage et de suivi des décisions prises constitue, selon moi, un chaînon manquant dans le schéma que vous avez présenté.
M. Vatin, vous avez indiqué dans votre diagnostic que la pression humaine influait beaucoup sur la qualité de l'eau, sur le plan industriel et sur le plan des habitations (consommation et rejet). Vous avez également évoqué l'agriculture. L'agriculture consomme beaucoup d'intrants dans votre région, pour la culture de la pomme de terre, comme dans d'autres régions, et a besoin de beaucoup de ressources. Dans ma région, dans la vallée de la Loire, le modèle économique consiste à cultiver du maïs ou des cultures qui consomment beaucoup d'eau. Ce modèle est actuellement remis en cause, mais les arrosages continuent à 16 heures. Le dialogue avec les organisations professionnelles est compliqué puisqu'elles s'érigent parfois plus en lobby qu'en acteurs du développement économique. La qualité de l'eau s'en ressent, ainsi que la ressource. Vous nous avez indiqué qu'il était difficile de remplir les nappes phréatiques dans votre région.
Pouvez-vous nous présenter les réparations possibles en matière de biodiversité ? Quels programmes avez-vous expérimentés en matière de prévention ? Pouvez-vous citer des actions conduites avec des organisations professionnelles agricoles, pour contrôler l'utilisation de la ressource en eau et les intrants ? Ce sujet est important dans les régions où l'agriculture représente l'essentiel de l'activité, avec des cultures parfois très diversifiées, mais aussi très consommatrices en eau et très polluantes.
J'étais encore, il y a six ou sept mois, le directeur de l'eau et de la biodiversité et gérais le programme Ecophyto auprès des ministres. Cette politique date de 2008 et visait à réduire de 25 % les pesticides à horizon 2020. Nous avons dressé un constat il y a quelques mois avec les ministres : nous ne sommes pas à une réduction de 25 %, mais à une augmentation de 25 %. Sur mon territoire, les industriels ont fait leur travail : ils traitent leurs pollutions puisqu'ils sont raccordés ou ont leur propre station. D'importants efforts ont été consentis sur la question. Pour les urbains, il existe la directive-cadre européenne pour les eaux résiduelles urbaines : la France n'a pas à rougir des actions menées au cours des 20 ou 25 dernières années. Nous n'avons plus de contentieux européen et il nous reste 200 ou 300 stations problématiques, parmi les milliers de stations d'épuration qui existent. Un effort majeur a été accompli au cours des vingt dernières années : les villes se sont équipées et traitent les effluents. Reste le problème des réseaux unitaires : quand des phénomènes d'orage sont observés, toute la pollution lessivée par les pluies va dans les stations ou dans les rivières.
Notre problème concerne aujourd'hui les agriculteurs. Si je dois dire quelque chose en mon âme et conscience, je trouve que nous avons un problème fondamental avec le monde agricole qui refuse fondamentalement de changer de modèle. Il y a eu la politique des 3 000 fermes Dephy. Nous avions ensuite décidé d'un objectif de 30 000 fermes agrobios, mais nous en sommes loin. Nous avons bien 3 000 fermes Dephy : ces fermes ont démontré leur capacité à réduire de 30 à 40 % les pesticides. Nous savons que l'objectif peut être atteint, mais ce modèle reste un modèle de militant. Nous avons eu une audition à l'Élysée avant mon départ et je l'ai dit à Alexis Kohler qui me demandait quels étaient les résultats de la politique Ecophyto. Nous en sommes loin et n'atteindrons pas l'objectif du Plan biodiversité de réduire les pesticides de 25 % en 2020 et de 50 % en 2025. Nous n'atteindrons pas cet objectif : la France compte 400 000 exploitations. Si seulement 3 000 exploitations jouent le jeu, voire 30 000 exploitations dans quatre ou cinq ans, seules 10 % des exploitations auront réduit de 40 % leurs pesticides. Le problème de révolution industrielle de l'agriculture doit être pris en compte dans la future politique agricole de l'Union européenne. Pour l'instant, les agriculteurs subissent la pression citoyenne et politique, mais résistent encore aux changements. Sur les zones de non-traitement, bandes qui doivent protéger les habitations, il avait été proposé de ne pas traiter les 20 mètres situés à proximité des habitations, mais les grandes fédérations se sont insurgées contre cette mesure. Le ministère de l'agriculture a alors décidé de traiter la question au niveau des départements, avec des chartes départementales qui n'ont pas abouti à des résultats.
Je considère que les pressions industrielles relèvent du passé, même si une rémanence existe dans les milieux et doit être traitée. Les masses d'eaux souterraines sont complexes, puisqu'elles communiquent entre elles, et il est compliqué de savoir ce qui se passe. Nous avons engagé des études avec le BRGM. Nous devons traiter le passé, pour les industriels, et continuer à travailler avec eux pour réduire leur pollution et leur consommation d'eau, mais ces acteurs ont accompli un important effort.
Vous parliez du maïs. En 2050, dans le bassin de la Garonne, il y aura deux fois moins d'eau. Au lieu d'avoir 2,4 milliards de mètres cubes, il n'y aura plus que 1,2 milliard de mètres cubes. Devons-nous maintenir les pratiques qui consistent à arroser le maïs en plein midi, sur des rampes de 500 mètres de long ? Je pense qu'un sujet existe sur ce point. J'ai envie, dans la région Nord-Pas-de-Calais, de m'attaquer à cette question.
La commission d'enquête se penche sur la pollution des sols d'origine industrielle et minière. Vous indiquez que les industriels ont joué le jeu. Vous parlez des sites industriels actuels, qui disposent de processus qui sécurisent davantage l'activité. Reste tout de même le problème des pollutions antérieures liées à une activité industrielle passée : la pollution demeure et les autorités sont confrontées à l'absence de responsables. Identifiez-vous des actions sur ce type de pollutions d'origine industrielle ou minière ?
Comme je l'indiquais, le sujet continue à nous préoccuper, même s'il n'est pas central. Nous n'avons pas beaucoup de dossiers de ce type, mensuellement ou semestriellement. Nous avons cependant initié volontairement une action concertée avec la région et l'Ademe, ce qui montre que nous nous préoccupons de l'héritage historique. Les industriels sont maintenant dotés d'ouvrages épuratoires, mais nous avons sur notre bassin des sites industriels historiques qui ne sont pas uniquement des sites et sols pollués, sur lesquels il est encore nécessaire d'investir pour les dépolluer. Je pense par exemple à la plateforme de Carling pour laquelle nous avons un enjeu important pour restaurer la qualité de l'eau. L'industriel développe des procédés et technologies innovantes, mais a hérité d'un site industriel qui n'était pas aux normes en matière de dépollution. Nous avons à coeur de traiter ces problématiques avec les industriels en place aujourd'hui et nous sommes vigilants sur le point. Nous avons identifié cet enjeu dans le cadre du Sdage. Nous travaillons avec les services de la Dreal pour trouver les meilleures articulations possibles.
Au niveau de l'agence de l'eau, les agents en charge de la politique industrielle sont en nombre limité. Nous avons un référent sur la partie substances et sites et sols pollués et un autre référent pour la partie artisanat et industries classiques, ainsi que trois chargés d'intervention qui couvrent le terrain. Nous recherchons un nombre limité de moments où nous sommes en interaction avec la Dreal, ce qui explique l'absence de flux continus entre nous. Nous sommes limités de part et d'autre. Nous nous sommes réunis il y a quelques mois avec le chef de service de la Dreal pour trouver une meilleure articulation, puisque le besoin est partagé. Nous partageons le souhait de rester vigilants sur les sites historiques : des pollutions historiques dures persistent, lorsqu'elles n'ont pas été traitées, avec des désordres rémanents que nous abordons au fur et à mesure sur le bassin qui compte encore un certain nombre de sites et sols pollués. Le Grand Est et les Hauts-de-France sont effectivement les deux régions les plus concernées par cette problématique de sites et sols pollués.
Nous sommes également soucieux des problématiques agricoles. Je rejoins les propos de M. Vatin puisqu'un enjeu est émergent sur le sujet. Nous constatons des expériences positives, mais nous avons encore beaucoup de chemin à parcourir avec la profession agricole.
L'établissement public foncier a pris en charge la problématique des sites pollués anciens et s'attaque à toutes les friches minières du bassin minier. Depuis deux ou trois ans, de nouveaux procédés sont expérimentés pour dépolluer et restaurer les sols. Un projet vise à traiter les usines qui ont successivement occupé les sites avec un charbon végétal, le biochar de Miscanthus, qui permet de restaurer la fonctionnalité des sols urbains.
Nous disposons également d'un partenariat avec l'EPF de Lorraine, acteur actif en termes de dépollution des sols. Cet outil est à la disposition des collectivités et cet acteur peut mobiliser des financements. Nous pensons qu'une source d'innovation existe, pour le traitement des sites et sols pollués. L'EPF n'est pas encore déployé sur tout le bassin. À Strasbourg ou Nancy, des sites et sols pollués sont imbriqués dans le tissu urbain et l'économie n'est pas la même si une opération immobilière peut valoriser le site puisque la plus-value permet d'absorber la dépollution des sols. Ce point rejoint en outre l'objectif de l'agence qui visait à éviter l'imperméabilisation des surfaces et à promouvoir les techniques pour infiltrer davantage d'eaux pluviales et à désimperméabiliser les surfaces urbaines. Dans ce contexte, les sites et sols pollués peuvent être valorisés, dans le domaine urbain, puisque les coûts sont plus facilement absorbés.
Pour la renaturation de friches polluées, la situation diffère. Nous sommes volontaires, si une collectivité recherchait des financements pour traiter des sites et sols pollués et les valoriser en termes de renaturation.
Le sujet dépend du portage foncier : des sites orphelins existent (terrils, sites miniers, mais aussi grands bâtiments industriels laissés à l'abandon). L'établissement public foncier peut alors réaliser le portage foncier et procéder à la dépollution de sites miniers, avec des techniques innovantes, et au recyclage urbain des bâtiments industriels porteurs de pollution. Nous contribuons au financement, en cas de besoin. Ceci rejoint la question de l'artificialisation des sols.
Je reviens à la directive-cadre sur l'eau qui a mis en place les comités de bassin. Ces comités de bassin regroupent toutes les parties prenantes (collectivités, industriels et associations). Ces comités doivent améliorer la qualité de l'eau. En matière de pollution des sols, est-il possible de mettre en place ce type de modes opératoires pour gagner en efficacité ? Ce modèle est-il transposable ?
Cette question rejoint celle de la gouvernance : sur les sujets de l'eau, la gouvernance doit concerner l'ensemble des partenaires publics, voire des associations et des représentants de fédération. Nous avons récemment souhaité, dans le cadre des assises de l'eau, renforcer cette gouvernance à l'échelle des sous-bassins. Depuis de nombreuses années, le modèle français prévoit la gestion par sous-bassin, dans le cadre des SAGE. La gouvernance pourrait contribuer à renforcer le dialogue entre tous les partenaires, à l'échelle du sous-bassin qui est plus opérationnelle. Un effort devrait être fourni, pour couvrir le territoire dans chaque bassin par la mise en place de ces SAGE. En Artois-Picardie, tout le territoire est couvert par des SAGE, ce qui n'est pas le cas partout. Ce niveau permet de couvrir tous les sujets de l'eau (inondations, qualité de l'eau, renaturation, partage de l'eau et gestion quantitative). Je pense qu'il faudrait renforcer les SAGE qui abordent des sujets très concrets et opérationnels.
Pensez-vous que ce modèle soit transposable ? Nous nous rendons compte que le suivi des dépollutions pose problème lorsqu'il existe un manque de coordination et de perspectives alliant les acteurs, avec une gouvernance, des projets et des réalisations.
Le futur Sdage 2022-2027 devrait se décliner dans les territoires : le Sdage définira de grandes orientations, mais il faudra aller dans les sous-bassins pour voir, masse d'eau par masse d'eau, d'où viennent les pressions et quelles actions et programmes de mesure doivent être initiés.
En matière de gouvernance, au-delà des SAGE qui couvrent tout de même des périmètres assez larges, nous croyons aux contractualisations pour mener des actions territoriales et avoir une approche à 360 degrés qui revisite l'ensemble des enjeux en matière d'eau (agriculture, industrie, sites et sols pollués, aménagement urbain, eau potable, assainissement). Nous les portons dans des contrats de territoire « Eau et climat » qui permettent à nos équipes de porter un autre regard qui embrasse un territoire, avec tous les enjeux qu'il porte. Nous pensons que les collectivités doivent être au centre de ces gouvernances, notamment en matière agricole. Nous souhaitons mettre les collectivités au centre des enjeux agricoles et des enjeux des sites et sols pollués, pour les accompagner dans la prise en charge de ces dossiers, en lien avec les services de l'État.
Je vous remercie tous de vos réponses précises et des éclairages que vous avez pu nous apporter. Je vous invite à nous retourner le questionnaire écrit que nous vous avons adressé.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.
La téléconférence est close à 19 h 15.