Commission des affaires européennes

Réunion du 25 mai 2022 à 9h30

Résumé de la réunion

Les mots clés de cette réunion

  • adhésion
  • moldavie
  • partenariat
  • partenariat oriental
  • tchèque
  • ukraine

La réunion

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Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

C'est une grande joie de vous accueillir ce matin au Sénat. Il est rare de tenir une réunion commune à nos deux commissions. Nous avons beaucoup à nous dire : chacune d'entre elles est chargée de suivre les affaires européennes au sein du Sénat de la République.

En outre, votre pays va bientôt succéder au nôtre à la présidence du Conseil de l'Union européenne. Aussi, il est très précieux de pouvoir échanger ensemble ce matin en vue de ce prochain passage de relais - dans un mois.

Nous partageons la même actualité : depuis déjà trois mois, le choc de l'agression russe contre l'Ukraine, qui ranime dans les mémoires des heures douloureuses, met au jour nos dépendances, et réveille l'inflation et le spectre de la famine ; depuis lors, la conviction que l'Union européenne doit mieux affirmer son autonomie stratégique, entendue largement, y compris sur le plan économique ; la conscience de l'urgence à relever le défi vital de la lutte contre le réchauffement climatique, tout en exploitant le potentiel du numérique ; enfin, le souci d'embarquer tous les concitoyens européens dans ce projet ambitieux, sans oublier les pays qui toquent à la porte de l'Union et qui craignent pour leur sécurité.

L'usage veut que les parlements du trio de présidence adoptent une déclaration conjointe au début de la première des trois présidences. Les parlements français, tchèque et suédois sont parvenus à élaborer un projet en ce sens, qui recense l'ensemble des défis que je viens de mentionner rapidement. Mais il reste à formaliser sa signature par les présidents de chambre, ce qui n'est pas simple au vu du calendrier électoral français.

Le président du Sénat français, M. Gérard Larcher, soutient toujours la déclaration, mais il faudra probablement l'actualiser pour tenir compte de l'invasion de l'Ukraine intervenue entre-temps. J'imagine que la présidence tchèque envisage de relancer le processus.

Au vu du nombre et de l'étendue des enjeux, nous sommes convenus de focaliser nos débats sur quelques thématiques : la situation en Ukraine, la Conférence sur l'avenir de l'Europe, la politique climatique, la lutte contre les menaces hybrides et l'indépendance des médias.

Je vous propose de présenter votre délégation avant que nous n'abordions le premier thème. Je suggère ensuite que nous consacrions quinze à vingt minutes à chacun des thèmes retenus.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Je vous remercie de votre accueil, dans cette période électorale que connaît la France.

Permettez-moi donc de vous présenter les membres de notre délégation : MM. Jiøí Èunek et Petr Orel, tous deux vice-présidents de notre commission des affaires européennes, et Mme tìpánka Götthansová, secrétaire de notre commission.

Nous sommes ravis de pouvoir débattre avec vous.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Cette période est en effet quelque peu particulière pour le Parlement français, puisque nous n'avons pas de texte législatif à examiner et ne siégeons pas en séance plénière,. En revanche, nos commissions continuent de travailler.

Le premier point qui figure à notre ordre du jour est une priorité qui s'est imposée à la présidence française le 24 février et qui sera au centre de la présidence tchèque : il s'agit bien sûr de la guerre en Ukraine.

C'est une préoccupation majeure pour l'Union européenne, pour la sécurité et la stabilité de l'ensemble du continent européen, mais aussi du monde entier, puisque l'invasion russe a été condamnée par une large majorité des États membres de l'assemblée générale de l'Organisation des Nations unies.

Votre pays, tout proche de l'Ukraine, bien que non frontalier, a accueilli, avec une humanité, une organisation et une efficacité remarquables, près de 400 000 personnes sous protection temporaire, dont environ un tiers demeure sur votre territoire.

Vous avez donné, ce faisant, tout son sens à la notion de solidarité européenne.

Toute l'Europe s'est mobilisée. Votre pays s'est très tôt engagé, car il était tout de suite, sinon en toute première ligne, du moins en immédiate deuxième ligne, et, surtout, pays de destination choisi par beaucoup de réfugiés en raison de sa proximité non seulement géographique, mais aussi culturelle, économique, politique de longue date avec l'Ukraine du fait de la présence d'une communauté ukrainienne déjà importante en République tchèque avant l'invasion russe.

Dans ce conflit sont en jeu nos valeurs européennes fondatrices, si nous croyons toujours, avec Václav Havel, que l'Europe est d'abord une communauté de valeurs démocratiques et humanistes et que l'éthique de la politique, au sens le plus noble du terme, est une éthique de responsabilité.

Nous n'oublions pas que c'est sous présidence tchèque, en 2009, que fut lancé le partenariat oriental de l'Union européenne avec ses pays voisins, au premier rang desquels l'Ukraine. Ce partenariat a si bien tenu ses promesses que l'orientation européenne de l'Ukraine, qui a longtemps fait débat dans ce pays, n'est plus guère contestée que par la Russie.

L'Ukraine a demandé son adhésion à l'Union européenne dès le 28 février 2022, suivie en mars de la Moldavie et de la Géorgie, deux autres pays participeront au partenariat oriental établi par l'Union européenne. La Commission européenne devrait donner son avis sur ces candidats avant la réunion du Conseil européen le mois prochain.

Le président Macron a proposé le 9 mai dernier, date ô combien symbolique, d'intégrer le pays dans une nouvelle « communauté politique européenne », avant qu'il ne rejoigne l'Union européenne.

Cette organisation permettrait « aux nations européennes démocratiques adhérant à notre socle de valeurs, de trouver un nouvel espace de coopération, en matière de politique, de sécurité, d'énergie, de transport, d'investissement, d'infrastructures, de libre circulation des personnes ». Ce qui signifie que ces pays pourront bénéficier de coopérations accrues avec les autres États européens, avant une éventuelle adhésion, dans un second temps, à l'Union européenne.

Il y a en effet « urgence à ancrer l'Ukraine, la Moldavie, la Géorgie, mais aussi les Balkans occidentaux à l'Union européenne et à renforcer la nature des relations » entre l'Europe et ces États.

Notre commission aura bientôt l'occasion de se pencher sur cette question, avant le Conseil européen prévu le 23 juin. Aussi sommes-nous particulièrement intéressés de recueillir votre point de vue et d'échanger avec vous sur cet enjeu majeur pour l'avenir de l'Union européenne, qui sera, à n'en pas douter, au coeur de la présidence tchèque.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Le partenariat oriental est une priorité non seulement de la présidence tchèque, mais aussi de la politique étrangère tchèque. Ces derniers temps, nous avons mis l'accent sur la nécessité d'offrir une perspective claire à l'Ukraine, qui fait face à l'agression russe. Cette démarche, qui s'appuie sur les valeurs démocratiques, doit être entreprise unanimement. Certes, le processus d'adhésion demandera beaucoup de temps, sans qu'il soit nécessaire de le raccourcir ni de le prolonger inutilement, mais il importe d'offrir à l'Ukraine cette perspective de rejoindre le groupe des pays démocratiques.

Après les quarante années de régime communiste que nous avait imposées l'Union soviétique à l'époque, nous avons pu mesurer qu'il était relativement aisé de passer d'un mode de production à un autre ou de transformer nos institutions politiques ; le plus difficile a été de transformer la société. L'Ukraine, par son attitude courageuse et déterminée, par sa lutte, prouve qu'elle est capable de sacrifier la vie de ses citoyens pour la défense des valeurs de démocratie et de liberté.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Au sein de la commission des affaires européennes, je suis plus particulièrement les questions relatives au partenariat oriental. Le président Rapin a rappelé que le Président de la République a émis l'idée d'une « communauté politique européenne ». Ne conviendrait-il pas plutôt d'en passer par un partenariat oriental renforcé, l'adhésion pure et simple de l'Ukraine, mais également de la Moldavie et de la Géorgie, étant une perspective à plus long terme ? Ne devrait-on pas envisager d'élargir ce partenariat oriental au moyen d'autres outils qui restent à imaginer, avant toute perspective d'adhésion ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Je me suis entretenu la semaine dernière, en compagnie du président Larcher, avec la présidente moldave, laquelle, faisant preuve d'un certain pragmatisme, a compris que l'adhésion à l'Union européenne ne s'obtenait pas d'un claquement de doigts, même si son pays a fait énormément d'efforts ces dernières années.

Une « communauté politique européenne » pourrait représenter une forme de transition avant une possible adhésion à l'Union européenne. Cette option peut se révéler intéressante, à la condition que les pays concernés ne la considèrent pas comme une nasse qui les enfermerait et les éloignerait de toute perspective d'adhésion. On a bien compris que les Britanniques, notamment, ne voulaient pas de cette communauté

Par ailleurs, il faut tenir compte du contexte : inflation galopante, difficultés pour les populations de ces pays à se nourrir, moyens de défense insuffisants pour contrer une agression armée. Le partenariat oriental est un outil déjà à leur disposition pour peu qu'ils l'activent. Faut-il inventer d'autres outils ? Dans l'immédiat, le partenariat oriental me paraît un bon outil.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je visais la création de nouveaux outils dans le cadre du partenariat oriental. À mon sens, l'Union européenne pourrait développer de nouveaux concepts à l'intérieur de ce partenariat pour inciter justement ces pays à s'engager sur le chemin de l'adhésion.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

J'étais en Géorgie la semaine dernière et j'ai été surpris de voir flotter autant de drapeaux européens, y compris au fronton des maisons particulières. De nos discussions avec les officiels géorgiens, il ressort clairement qu'ils partagent les valeurs de l'Europe et veulent rejoindre l'Union européenne. Peu leur importe comment s'appellera cette période de transition, conscients qu'ils sont que le processus d'adhésion prendra du temps. En revanche, prenons garde d'éveiller en eux le sentiment qu'on leur réserverait une autre voie que celle de l'adhésion de plein droit. Nous devons aider nos amis géorgiens, ukrainiens et moldaves à créer des institutions indépendantes et à faire accepter par leurs élites politiques que le pouvoir doit procéder d'un processus de droit et non pas être dans les mains d'oligarques.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

En 1977 et 1978, j'étais étudiante à Prague. C'est d'ailleurs par volonté de lutter contre le socialisme soviétique que je suis entrée en politique.

Je partage les interrogations exprimées concernant cette « communauté politique européenne ». Elle peut être une bonne idée à la condition qu'elle ne reste pas une coquille vide, alimentant les déceptions. En 2014, j'étais en Ukraine où j'ai vu les mêmes drapeaux européens flotter place Maïdan et mesuré cette attente des Ukrainiens vis-à-vis de l'Ouest, attente profondément déçue. Je me souviens avoir présenté leur rapport à l'Assemblée parlementaire de l'OTAN proposant d'intégrer la Géorgie à l'OTAN.

Je viens de passer une semaine en Pologne, en Ukraine et en Moldavie, où j'ai participé à une mission de l'Agence française de développement, laquelle a débloqué, pour ce dernier pays, à la demande du président Macron, 75 millions d'euros pour l'aider à développer un État de droit et créer les conditions d'adhésion à l'Union européenne. C'est là une bonne démarche : la Moldavie a souffert de cette corruption endémique des oligarques qui a freiné son développement. C'est d'ailleurs une experte française qui conseille la présidente moldave sur ces questions d'État de droit, de récupération des biens mal acquis, de lutte contre la corruption.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Chers collègues du Sénat tchèque, c'est un grand plaisir pour nous d'échanger avec vous !

Nous devons admettre que les fondements historiques de l'Union européenne - marché unique, union économique, monétaire et financière - sont en partie obsolètes. Nous ne vivons plus dans un monde sans ennemi, et la guerre en Ukraine est peut-être la première guerre post-globalisation et post-mondialisation.

Nous avons tenté, ces dernières années, de faire évoluer les principes de l'Union, prévoyant des règles de conditionnalité en matière de justice, d'État de droit, de droits sociaux, d'environnement. Le conflit actuel nous oblige à envisager une conditionnalité géopolitique ou géostratégique. On ne peut pas à la fois être membre de l'Union européenne et conclure des partenariats avec des puissances antieuropéennes, à savoir la Fédération de Russie et la République populaire de Chine, notamment. La République tchèque est très sensible à ces interférences extraeuropéennes. Le projet de « communauté politique européenne » doit reposer sur le principe de cette alliance : sommes-nous tous solidaires pour un monde libre et démocratique ou sommes-nous des agents d'influence indirecte de puissances extérieures ?

Il faudra questionner certains États membres, y compris des membres fondateurs, sur leur positionnement géostratégique si l'on veut réellement avancer ensemble.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Il est important que tous les pays de notre continent qui le souhaitent puissent, le plus vite possible, prendre part à cette aventure commune qu'est l'Union européenne. Le partenariat oriental, c'était une façon de leur signifier qu'on ne leur ouvrait pas encore cette perspective européenne : il faut que ça change !

Le processus d'adhésion des pays actuellement candidats à l'Union européenne est totalement gelé. Comment dynamiser des négociations qui à ce jour ont perdu, en particulier aux yeux des pays des Balkans, toute crédibilité et toute puissance de transformation ? Si les habitants de ces pays les quittent, c'est parce qu'ils ne croient plus à cette perspective d'adhésion. Sans compter que, dans un pays comme la Serbie, l'État de droit recule. L'esprit européen, c'est accepter parmi nous ceux qui partagent nos valeurs.

Il convient de faire bénéficier pleinement ces pays, en particulier l'Ukraine, des politiques européennes afin de les aider à converger plus vite.

Je regrette que le Président de la République ait refait la même erreur que l'un de ses prédécesseurs, François Mitterrand : il faut absolument marquer la perspective européenne des pays candidats, en particulier l'Ukraine. Pour autant, il ne faut pas brader les négociations, qui seront sans doute longues, avec probablement des périodes de transition. Mais ne créons pas des « purgatoires » ! Le seul intérêt éventuel d'une communauté politique européenne, c'est, le cas échéant, d'apporter des garanties de sécurité à l'Ukraine, qui n'est pas membre de l'OTAN. Auquel cas, l'adhésion du Royaume-Uni prendrait tout son sens.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Je salue la présence de nos collègues tchèques. Je rappelle que c'est sous présidence tchèque que ce partenariat oriental a été lancé, en 2009.

J'ai suivi, au nom de notre commission, les contrats d'association qui ont été signés entre l'Union européenne et la Moldavie, l'Ukraine et la Géorgie. Je me suis rendue en Ukraine il y a trois ans.

Les difficultés que ces pays ont rencontrées ont été plus ou moins grandes. Mais l'attachement à l'Union européenne était déjà fort dans ces trois pays du partenariat oriental.

La situation politique actuelle me consterne. Nous devons accueillir avec pragmatisme, réalisme et sérieux la demande d'adhésion formulée conjointement par la Moldavie, la Géorgie et l'Ukraine à la suite de l'agression russe. Certes, il ne faut rien précipiter, mais nous devons prendre conscience que c'est une question de survie pour ces trois pays. Comment concevons-nous l'Europe de demain ? Même si des étapes sont nécessaires, ne perdons pas de vue qu'il importe de poser de nouvelles pierres dans l'édification de l'Union européenne.

Debut de section - Permalien
Jiøí Èunek, vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

La République tchèque a été admise en 2004 au sein de l'Union européenne, donc quatorze ans après sa demande d'adhésion. Même si nous ne devons pas rendre plus difficile celle des pays actuellement candidats, ils ont encore une longue route devant eux - je pense à la Géorgie et à la Moldavie. Pour eux, la priorité est la fin de la guerre. Ces deux pays sont capables de satisfaire rapidement aux critères économiques ; en revanche, il leur faut supprimer la corruption, garantir l'État de droit, et ce processus demandera du temps. Ils sont assez éloignés des pays fondateurs de l'Union européenne et voient les choses différemment. Il est évidemment nécessaire d'aider ces pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Philippe Bonnecarrere

Je remercie nos collègues tchèques de leur présence et salue la qualité des relations entre nos deux pays.

M. Smoljak a indiqué que les changements politiques et économiques pouvaient être rapides, cependant que la société évoluait beaucoup plus lentement. De fait, la République tchèque a beaucoup évolué, et, au sein de l'Union européenne, je n'ai pas le sentiment qu'il existe des désaccords marqués entre nos deux pays. Il n'en est pas de même avec d'autres pays ayant connu l'occupation soviétique : je pense en particulier à la Hongrie, dont les positions nous semblent rester assez proches de celles de Moscou. Quel est le point de vue de la République tchèque à cet égard ? Est-ce une posture ? Une manière d'être différent ? Une manière d'imposer une relation de force avec les autres pays de l'Union européenne ? Ou bien cette attitude tient-elle à des raisons internes ?

Sur l'élargissement de l'Union européenne, je veux exprimer un point de vue, même s'il est très peu diplomatique : j'y suis assez nettement défavorable. Pour deux raisons : nous rencontrons déjà beaucoup de difficultés à vingt-sept et, sauf à opérer de considérables changements constitutionnels dans le mode de fonctionnement de l'Union européenne, je pense qu'il sera impossible de fonctionner à plus de trente ; de la même manière que nous avons eu besoin de l'expérience de la République tchèque, après des décennies d'occupation soviétique, je vous demande aussi d'accepter l'expérience française, celle d'une Europe née de l'empire de Charlemagne, car, pour moi, Français, il m'est difficile d'envisager une Union européenne dont le centre de gravité se situerait dans sa partie est. La politique obéit aussi à des lois géographiques.

Debut de section - PermalienPhoto de Claude Kern

Je remercie également nos collègues tchèques de leur présence ce matin.

Je partage à la fois les propos de Philippe Bonnecarrère et ceux de M. Jiøí Èunek sur l'élargissement à la Moldavie et à la Géorgie : ces pays ne satisfont pas aux règles d'un État de droit. Avec la commission de Venise, nous formulons régulièrement des recommandations en ce qui concerne les élections, la désignation des juges, etc. Tout cela se déroule de manière encore très floue dans ces deux pays.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

S'agissant de la Hongrie, la situation est paradoxale. Sous l'ère soviétique, ce pays était pour nous le symbole d'une certaine liberté. Aussi, je ne comprends pas les évolutions que l'on y observe aujourd'hui : restriction des libertés, absence de médias libres, etc. Nous avons le sentiment de revivre ce que nous avons connu à l'époque communiste. Nous devons refuser cette perspective.

Pourquoi le gouvernement hongrois agit-il ainsi ? Il nous a été répondu que, à défaut, le régime serait menacé.

Quand on interroge les pays candidats à l'Union européenne sur les raisons qui motivent leur démarche, ils nous répondent qu'ils entendent ainsi moderniser leur économie et améliorer le niveau de vie de leurs habitants. À notre époque, pour nous, adhérer signifiait gagner en liberté. C'est ce qu'on voit aujourd'hui en Biélorussie, seconde Russie : ceux qui manifestent veulent vivre dans un monde meilleur.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Le 9 mai dernier, la Conférence sur l'avenir de l'Europe a adopté son rapport final, après une année de travaux, formulant 49 propositions. Nous ne savons pas encore les suites qui y seront données. Le Parlement européen a appelé à une convention et à un changement des traités : certains États membres ont soutenu cette démarche, d'autres s'y sont opposés. En tout état de cause, ces propositions sont désormais sur la table et constitueront une base de discussion incontournable pour les prochaines années. Je vous propose donc que nous ayons un échange sur ce sujet.

Quelles sont les suites que la présidence tchèque envisage de donner aux propositions formulées par la Conférence sur l'avenir de l'Europe, au niveau interparlementaire ?

Le rapport final de la Conférence propose de développer les exercices de démocratie participative auprès des citoyens européens : soutenez-vous ce type d'exercice ? Nous serions curieux de savoir comment s'est déroulée la Conférence sur l'avenir de l'Europe en République tchèque. Avez-vous organisé des événements dans ce cadre ?

J'aimerais plus spécifiquement aborder avec vous les propositions issues de la Conférence en matière institutionnelle.

Dans son rapport final, il est proposé d'instituer un référendum au niveau de l'ensemble de l'Union ; il est aussi envisagé qu'une partie des députés européens soient élus sur des listes transnationales, que le Parlement européen ait un rôle plus important dans la désignation du Président de la Commission et qu'il obtienne un droit d'initiative législative et des droits accrus dans la procédure budgétaire : soutenez-vous ces propositions ?

Le rapport final de la Conférence indique par ailleurs que « toutes les décisions actuellement prises à l'unanimité devraient, à l'avenir, être adoptées à la majorité qualifiée », à de très rares exceptions près. Soutenez-vous cette proposition ?

Enfin, nous relevons que le rapport final de la Conférence ne prévoit aucune prérogative nouvelle pour les Parlements nationaux. C'est pourquoi nous avons pris l'initiative d'avancer en ce domaine des propositions au sein du groupe de travail de la Conférence des organes parlementaires spécialisés dans les affaires de l'union des parlements de l'Union européenne (Cosac) sur le rôle des parlements nationaux ; elles concernent notamment la mise en place d'un droit d'initiative pour les parlements nationaux, que l'on appelle souvent « carton vert », une facilitation de l'activation du « carton jaune », qui permet de dénoncer les initiatives européennes qui ne respectent pas les compétences des États membres et donc ne sont pas conformes au principe de subsidiarité, et, enfin, le droit pour certains parlementaires nationaux de poser des questions écrites aux institutions européennes. Comment considérez-vous ces propositions ?

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

J'ai participé à la Conférence au côté de Mikulá Bek, ministre des affaires européennes. Ce processus est très ambitieux. Lors de ma première visite au Parlement européen, j'ai été surpris de constater la frustration des citoyens membres de ces panels : ils ne comprenaient pas que leur investissement n'aboutisse pas à des résultats concrets. En revanche, il me semble que cette frustration avait totalement disparu au moment de la dernière réunion, traduisant le fait qu'ils avaient mieux compris le processus et le fait que celui-ci demandait du temps. De leur côté, les représentants politiques ont appris à écouter les citoyens.

Cette tentative de faire interagir les politiciens professionnels et les citoyens est positive.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

En effet, les nombreuses rencontres avec ces panels de citoyens à Strasbourg nous ont permis de mieux comprendre quelles étaient leurs attentes. Eux-mêmes ont compris comment fonctionnaient à la fois les institutions européennes, mais aussi leurs propres institutions nationales, et que les décisions ne se prenaient pas d'un claquement de doigts, qu'il fallait respecter un processus.

En tant que président de la commission des affaires européennes, je prévois de lui en rendre compte prochainement.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Un mot sur les listes transnationales. Certains partis, en France, n'y sont pas favorables. Comme le Président Macron, j'y suis pour ma part assez favorable, d'autant que c'est une proposition que j'avais moi-même formulée il y a très longtemps. Il faut quand même dire que cette idée d'une élection de députés sur une base européenne a sous-tendu la création d'un Parlement européen, dans l'esprit des pères fondateurs.

Je sais toutes les difficultés inhérentes à la création de listes transnationales, d'autant qu'il faut tenir compte du poids démographique de chaque pays. Au minimum, il pourrait être intéressant de prévoir la création de telles listes pour l'élection de députés européennes par des citoyens européens expatriés, lesquels sont très nombreux et ont des préoccupations particulières. Leur voix devrait être mieux entendue au sein du Parlement européen.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Avec Laurence Harribey, nous avons récemment présenté devant notre commission un rapport sur la question des listes transnationales, dans lequel nous envisageons cette option pour les expatriés. La difficulté tient aux réelles divergences dans les façons dont on vote dans chaque pays. La question n'est pas près d'être tranchée, même si l'idée suit son chemin. Ce qui est certain, c'est que, si celle-ci devait aboutir, la proportion de députés élus sur des listes transnationales resterait faible.

Debut de section - PermalienPhoto de Joëlle Garriaud-Maylam

Cette « portion congrue » de députés pourrait être désignée précisément par les citoyens expatriés. Souvenons-nous que c'est le traité de Maastricht qui a offert la possibilité aux citoyens européens résidant dans un autre État membre que le leur de participer aux scrutins municipaux et européens de ce pays. Depuis lors, aucun progrès n'a été enregistré en matière de citoyenneté européenne au profit des ressortissants expatriés.

En tant qu'élue des Français expatriés, cette question m'importe énormément.

Debut de section - PermalienPhoto de Gisèle Jourda

Ayant siégé comme vous à la Conférence sur l'avenir de l'Europe, pour le Sénat, je ne retire rien à vos propos, monsieur le président.

Ces panels ont été longs à mettre en place, les citoyens qui en étaient membres ne se sentant pas, au début, considérés comme ils le souhaitaient. Nous avons en tout cas mesuré l'immense besoin d'Europe. Pour ma part, je siégeais au sein du groupe de travail « L'Union européenne dans le monde », regroupant de nombreux jeunes. La guerre en Ukraine a été un tournant majeur : on a mesuré alors la demande de démocratie européenne et le souhait que l'Europe porte une voix universelle. Un sentiment européen est né et il ne faut pas le décevoir. Comme l'aurait dit un ancien Président de la République, il ne faudrait pas que cette Conférence fasse « pschitt ».

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

En ce qui concerne les candidats transnationaux, nous sommes bien conscients que nos concitoyens qui vivent à l'étranger éprouvent des difficultés à participer au processus démocratique. Nous voyons dans le vote par correspondance la solution. Un projet de loi en ce sens est d'ailleurs actuellement examiné par le Parlement tchèque. L'idée de candidats transnationaux ne suscite pas un grand enthousiasme - c'est peu dire -, en particulier dans des pays tels que la Slovaquie et la Pologne ou dans les États baltes. De surcroît, la participation aux scrutins européens est faible, et je ne suis pas certain que l'instauration de listes transnationales susciterait un regain de participation. Si celle-ci devait être encore plus basse qu'elle ne l'est actuellement se poserait la question de la légitimité de ces élections.

L'hypothèse du référendum n'est pas très populaire dans notre pays, car nous savons l'influence que peuvent avoir les réseaux sociaux via des algorithmes sur lesquels a prise un pays tiers. D'autant que, dans un référendum, la responsabilité politique est diluée, au contraire d'une élection directe. Le risque est donc que la société soit prise de court. De fait, nous ne sommes pas très favorables au référendum européen : certes, le référendum, notamment à l'échelon local, est une bonne façon d'intéresser les citoyens à la vie publique, mais il ne peut se substituer à la démocratie représentative. Ne soulevons pas de faux espoirs.

La question de l'unanimité mérite d'être débattue sérieusement quand on sait qu'un ou deux États peuvent parfois bloquer certaines décisions, ce qui n'est pas dans l'intérêt de l'Union européenne. C'est vrai surtout s'agissant des questions relatives à la politique étrangère.

Nous pouvons soutenir un renforcement des compétences des parlements nationaux au moyen des « cartons verts » ou des « cartons jaunes ». Encore qu'il faille faire attention quand on revient sur les accords fondateurs de l'Union.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Le pacte vert pour l'Europe est l'une des priorités stratégiques de l'Union dans le cadre du mandat actuel de la Commission européenne.

Après une présentation des textes sous présidence slovène, la présidence française du Conseil a eu pour objectif de faire avancer les négociations sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 », qui vise à tirer les conséquences concrètes de la loi européenne sur le climat. Il reviendra à la présidence tchèque du Conseil de mener les négociations avec le Parlement européen dans le cadre du trilogue.

Ce paquet est important par son volume, mais surtout important par la portée qu'il aura dans le quotidien de nos concitoyens.

Notre commission des affaires européennes l'a analysé et a adopté, conjointement avec les commissions chargées des affaires économiques et du développement durable, une résolution européenne d'ensemble saluant l'ambition européenne, mais soulignant les enjeux économiques, sociaux et territoriaux de cette transition climatique.

La guerre en Ukraine n'a fait que souligner encore l'importance de s'extraire de la dépendance au gaz russe et de mieux maîtriser notre efficacité énergétique, non seulement dans une optique climatique, mais aussi dans une optique de souveraineté. C'est d'ailleurs tout l'enjeu du nouveau plan RePowerEU, présenté la semaine dernière.

Comme vous, nous prônons une approche ambitieuse, mais réaliste de la transition écologique et nous défendons le recours à l'ensemble des technologies bas carbone disponibles, en particulier le nucléaire.

Nous serions heureux de vous entendre sur le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » et plus largement sur votre approche en matière de transition écologique et énergétique, y compris sur la manière dont vous envisagez vos relations sur ces sujets avec vos voisins allemand et polonais, qui ont pu faire des choix politiques différents des vôtres.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Notre point de vue est très proche de celui de la France. Le paquet « Ajustement à l'objectif 55 » se révèle d'autant plus urgent avec l'augmentation des prix de l'énergie consécutive à la guerre en Ukraine. Nous devons veiller à sortir de notre dépendance non seulement de gaz russe, mais aussi aux énergies fossiles en général. C'est là l'une des priorités de notre présidence. Nous entendons accroître la part des énergies renouvelables, encore trop peu développées en République tchèque. De même, nous entendons développer l'énergie nucléaire, neutre en émissions de gaz à effet de serre. À cet égard, notre position est proche de celle de la France.

Alors que les énergies renouvelables sont disponibles depuis bien longtemps, leur demande s'est fortement accrue avec la guerre en Ukraine, et ce sans que l'État intervienne. C'est vrai en particulier des panneaux photovoltaïques et des pompes à chaleur. Les besoins sont tels que les fournisseurs ne peuvent pas les satisfaire.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

La transition écologique et énergétique passe par un marché carbone élargi au bâtiment et aux transports ou par des normes plus contraignantes, et elle nécessite donc de disposer de nouvelles recettes. Jusqu'à présent, ces compensations relèvent de politiques nationales. Dans les secteurs du transport et du bâtiment, ne faut-il pas élargir le marché du carbone et passer une compensation relevant de l'Union européenne elle-même ?

S'agissant de marché énergétique, pour les renouvelables, les enjeux concernent le transport, mais aussi le stockage ; le marché aujourd'hui est-il adapté à nos ambitions en matière de transition énergétique ?

Enfin, il faut rappeler que ces efforts, très positifs, concernent moins de 10 % des émissions mondiales, celles de l'Union européenne. À quoi cela sert-il ? Quelles sont nos capacités d'entraînement vis-à-vis de nos autres partenaires ? Il nous faut prêter attention au financement de l'accompagnement pour intégrer dans cet objectif « Fit for 55 » l'ensemble de nos partenaires. Certains d'entre eux doivent adhérer à terme ; avec d'autres, comme la Turquie, nous commerçons. Cette dernière pourrait ainsi être la première concernée par le mécanisme d'ajustement carbone, ce qui serait un peu paradoxal.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Nous disposons d'outils de marchés qui aboutissent à la décarbonation. La guerre en Ukraine nous a démontré combien il était risqué de dépendre de systèmes autoritaires pour nos énergies : cela vaut pour la Russie mais aussi pour les Émirats arabes unis, pour le pétrole. La source d'énergie la plus fiable repose sur notre autonomie, donc sur le soleil, l'air et l'eau, qui ne relèvent d'aucun régime autocratique.

Debut de section - PermalienPhoto de Louis-Jean de Nicolay

En parallèle à la crise ukrainienne, un accord avec le Mercosur sera-t-il remis sur la table, dans la mesure où l'Amérique du Sud est un grand producteur de produits agricoles dont beaucoup de pays européens ont besoin ? L'Ukraine satisfaisait beaucoup de ces clients ; selon vous, allons-nous être de nouveau confrontés aux difficultés que nous rencontrions à nouer des conventions avec le Mercosur ?

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Notre collègue Pierre Cuypers m'expliquait ce matin que les discours médiatiques créaient une grande peur et une montée des prix, alors que l'on n'a pas de visibilité sur la production pour 2022. Pour lui, le seul gros problème concerne le tournesol. S'agissant du blé, nous avons des réserves, et 40 % de la production en Ukraine pourrait être menée à bien.

Faut-il, dès lors, rouvrir des discussions conflictuelles, comme avec le Mercosur ? Je ne sais pas. Des discussions importantes ont lieu avec les États-Unis sur ce sujet. Je ne sais pas si cela fera l'objet d'un traité, mais l'Union européenne fonctionne de telle manière que cela devra donner lieu à des régulations, peut-être à travers des accords. L'accord avec le Mercosur avait été contesté parce que les normes européennes ne s'appliquaient pas aux produits importés. Le même problème s'est posé avec le Canada lors de la conclusion du CETA dont la ratification est à l'arrêt.

Debut de section - PermalienPhoto de André Reichardt

Je m'adresse au pays qui présidera prochainement l'Union européenne : il importe d'accorder une attention particulière au poids très relatif de l'Union européenne au regard d'autres pays, voire d'autres continents, en matière de climat et d'en tenir compte dans le programme « Fit for 55 ». Notre commission a déjà eu l'occasion de le dire : il ne faudrait pas que certains pays concernés soient pris à la gorge, alors même que les résultats seraient limités pour l'Union européenne, compte tenu de son poids par rapport à d'autres pays ou continents. Nous devons appeler à la prudence en la matière, en plus de faire quelque chose d'efficient. Chacun devrait y consacrer l'attention nécessaire et pas seulement certains pays.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous avions été frappés, lors de notre visite en République tchèque, de l'intérêt des propriétaires pour les énergies renouvelables. En France, nous nous battons depuis quinze ans pour voir apparaître des panneaux solaires chez les particuliers. Or là-bas, il s'agit d'un mouvement volontaire et non subventionné ! À proximité de la guerre, on anticipe, alors que chez nous cela reste très difficile. En tout état de cause, cet enthousiasme posera des difficultés pour se fournir en matière première.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Nous proposons des subventions à l'installation de sources d'énergie renouvelable. Prague a également créé un centre qui permet aux propriétaires d'échanger leur surproduction d'énergie. Les propriétaires privés sont de plus en plus intéressés.

Debut de section - Permalien
Jiøí Èunek, vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Le soutien du Gouvernement s'applique aux panneaux solaires de dix kilowatts. Pour une maison familiale moyenne, la subvention représente 8 000 euros sur 24 000 euros de coût total. Avec moins de panneaux, la subvention peut représenter jusqu'à 50 % du coût total.

J'ai moi-même fait installer des panneaux sur ma maison, après avoir fait mes calculs. Nos citoyens ne veulent plus dépendre d'autres pays pour leur énergie ; je ne sais pas ce qu'il en est en France, mais il me semble que les citoyens doivent développer leur propre source d'énergie. Certes, les avis divergent dans notre Parlement, comme chez vous : nous favorisons l'énergie nucléaire, qui est considérée comme propre. Au total, la République tchèque produit en ce moment un peu plus d'énergie qu'elle n'en consomme.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-Yves Leconte

Je me rappelle avoir rencontré des Français en République tchèque qui se plaignaient de l'instabilité du soutien au solaire. La question se pose, parce que la production solaire ne se fait pas au moment où on en a le plus besoin. D'où la question du marché, dans lequel le stockage n'est peut-être pas suffisamment rémunéré.

Debut de section - Permalien
Petr Orel, vice-président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

La République tchèque a soutenu « Fit for 55 », mais la situation en Ukraine a entraîné des changements dont nous ne connaissons pas encore le détail. Nous souhaitons augmenter la part des énergies renouvelables dans le mix énergétique. Le soutien à ces sources d'énergie augmente ; les gouvernements précédents ont négligé cette question, mais nous devrions avancer vite : grâce au progrès technique, nous disposons aujourd'hui de nouvelles batteries. Nous faisons confiance à la recherche-développement en la matière. Les sources alternatives d'énergies devraient donc permettre d'attendre que la situation en Ukraine soit résolue. L'Europe devrait coopérer étroitement sur ce sujet et nous attendons des aides de l'Union.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Nous entendons parfois dire que le Green Deal est mort, mais cette guerre montre que nous en avons besoin : nous devons décarboner notre économie et disposer de sources d'énergie renouvelable. Le Green Deal n'est pas mort, il est plus important que jamais.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Permettez-moi, chers collègues, d'aborder enfin un sujet qui sera prioritaire pour votre présidence du Conseil de l'Union européenne, à savoir la liberté de la presse et l'indépendance des médias.

En tant que parlementaires de démocraties européennes, nous sommes tous très attachés à la liberté de la presse. Comme l'affirme la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, « La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l'homme ».

D'ailleurs, je veux saluer les succès de la démocratie tchèque dans le respect de cette liberté fondamentale : au classement 2022 sur la liberté de la presse de l'association Reporters sans frontières, votre pays se classe au vingtième rang mondial, devant la France, qui est à la vingt-sixième place.

Cependant, cette liberté est fragilisée depuis quelques années au sein même de l'Union européenne avec des menaces et des intimidations régulièrement proférées à l'encontre des journalistes. Certains d'entre eux ont même perdu la vie en faisant leur métier. Nous gardons en mémoire le sinistre massacre de la rédaction du journal satirique Charlie Hebdo par un commando islamiste en janvier 2015. On peut également penser au journaliste slovaque Ján Kuciak, abattu avec sa compagne en février 2018 alors qu'il menait une enquête sur certains membres du gouvernement de son pays.

De manière plus discrète, la liberté de la presse peut aussi être menacée lorsque la propriété des médias est concentrée entre les mains d'un nombre réduit d'acteurs. Cette concentration, si elle est excessive, peut en effet nuire au pluralisme des idées et exercer une vraie pression sur les gouvernants. Je sais qu'il s'agit pour vous d'un réel sujet de préoccupation. Sachez que nous le partageons. En France, dix-sept des trente chaînes de télévision sont détenues par seulement quatre groupes privés. Cette concentration suscite une forte méfiance des Français à l'égard de leurs médias et peut aussi amener les journalistes à l'autocensure dans le traitement de leurs sujets.

Une commission d'enquête du Sénat français vient d'ailleurs de rendre ses conclusions sur ce sujet. Elle recommande un renforcement de l'indépendance et de l'éthique des médias et le bénéfice de meilleures garanties collectives aux journalistes.

Au niveau européen, comme vous le savez, le plan d'action pour la démocratie européenne, présenté en 2020, a dessiné plusieurs actions à mener d'urgence. Ainsi, un texte contre les procédures judiciaires abusives visant les journalistes - les procédures-bâillons - a été présenté par la Commission européenne fin avril.

Et nous attendons tous désormais l'initiative pour la liberté des médias ou Media Freedom Act, qui devrait être présenté fin juin par la vice-présidente Jourova. Je sais que le succès de ce texte constitue une priorité pour la future présidence tchèque. Comptez sur notre mobilisation pour veiller, dans ce cadre, à mieux assurer la transparence et l'indépendance des médias et à préserver la pluralité des courants d'idées.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Ce sujet est très important pour moi, qui ai travaillé toute ma vie dans les médias, avant d'entrer au Sénat. Il concerne le fonctionnement même de la société moderne. Nous parlions de liberté des médias pendant la conférence sur l'avenir de l'Europe, des fake news et de ceux qui luttent contre cette liberté. Cette question est importante aux yeux des citoyens ; elle sera une priorité de notre présidence.

Elle est liée à la protection des institutions, dans la mesure où celle-ci repose aussi sur la pluralité et la liberté de l'information, ainsi que sur la protection du cyberespace. Il ne s'agit pas seulement ici de son infrastructure, mais aussi de son contenu. Les plateformes, gouvernées par des algorithmes dont la programmation est opaque, emportent des conséquences sur nos sociétés. Or nous disposons d'une régulation très stricte pour les médias traditionnels, mais beaucoup moins pour le cyberespace. Tout se passe donc comme si une partie des médias devait obéir à toutes les règles et l'autre non. Nous devons adopter les mêmes principes pour tous les médias et supprimer cette asymétrie en matière de régulation. Ce sera une priorité de notre présidence.

Debut de section - PermalienPhoto de André Gattolin

Je partage vos préoccupations, car je viens aussi du secteur des médias. Les réseaux sociaux, non régulés et parfois non régulables sans leur propre consentement, ont émergé rapidement. Encore votre pays a-t-il un peu de souveraineté en matière de moteur de recherche, nous n'en avons aucune.

Je voudrais introduire une autre question : la cybersécurité. Votre pays a été attaqué récemment. La directive européenne Network and Information System Security II (NIS II) est très contraignante et votre pays, notamment, semble rencontrer des difficultés pour appliquer ces règles, parce que le coût en est élevé. Comment vous aider ?

En France, l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI) est en charge de la protection des institutions publiques et privées. Au-delà des règlements européens, comment mieux coopérer ? Une fausse nouvelle ou une attaque dans un pays peut très vite se transformer en attaque contre tous les pays de l'Union européenne.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

La protection de l'infrastructure critique est de la compétence de l'exécutif, nous n'avons pas besoin d'une aide spéciale. S'agissant de la législation, en revanche, nous avons besoin d'aide face aux menaces hybrides. Au début de la guerre en Ukraine, une association a pris en charge la protection contre les principaux réseaux sociaux russes. Après consultation avec les représentants des instances compétentes, nous envisageons d'adopter une législation pour combattre la propagande contre nous. J'essaie de souligner qu'entre les questions de légalité en ligne et la propagande guerrière, il y a un point commun : il s'agit d'une guerre de l'information. Nous ne pouvons pas faire taire les voix critiques, mais nous devons nous en prendre à celles qui propagent des idées mortifères.

Debut de section - PermalienPhoto de Jean-François Rapin

Nous vous passerons le témoin dans un peu plus d'un mois. L'expérience des groupes de travail au sein de la Cosac a été extraordinaire pour nous, nous avons découvert les spécificités de chacun des pays qui font l'Europe.

Debut de section - Permalien
David Smoljak, président de la commission des affaires européennes du Sénat de la République tchèque

Je vous remercie, ces discussions étaient utiles et profitables. Nous avons pu constater, avec plaisir, que nous portions la même appréciation sur les événements récents. (Applaudissements.)

La réunion est close à 11 h 30.