Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les documents mis à notre disposition dans le cadre de ce débat nous donnent la mesure de l’effort budgétaire, par habitant et par collectivité d’outre-mer, qui doit être consenti par l’État en 2011.
Cet effort est très inégal, puisqu’il est compris entre 177 euros et 12 441 euros par habitant, selon les cas. Une telle disparité n’a en soi rien pour surprendre : il convient de prendre en compte la situation de chaque collectivité d’outre-mer.
Force est pourtant de constater, madame la ministre, que le document que je viens d’évoquer fait apparaître une anomalie en ce qui concerne la collectivité de Saint-Martin, pour laquelle l’appartenance à la nation se traduira par un effort de solidarité budgétaire de seulement 688 euros par habitant en 2011.
Sans doute la collectivité de Saint-Martin dispose-t-elle, désormais, d’une compétence fiscale lui permettant de collecter des ressources propres mieux adaptées à ses besoins. Toutefois, la Polynésie française, Mayotte, Saint-Pierre-et-Miquelon, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie disposent également, et depuis beaucoup plus longtemps, de la compétence fiscale. Or l’effort de solidarité nationale y est entre cinq et vingt fois supérieur.
Pour mesurer le soutien à apporter à une collectivité, il faut prendre en considération le niveau de revenu de ses habitants, me direz-vous. Néanmoins, tel n’a pas été le cas, à l’évidence, pour Saint-Martin : de cette collectivité perdure une image de paradis fiscal totalement contraire à la réalité, cette dernière étant elle-même largement imposée par une évolution démographique trop souvent ignorée.
Saint-Martin, madame la ministre, comptait 6 000 habitants en 1980. Aujourd'hui, elle en accueille officiellement 35 000, et plus probablement 40 000.
Ce bouleversement démographique n’a nullement été dû à un afflux massif d’amateurs fortunés de villégiature tropicale, mais bien plutôt à une immigration régionale causée par la misère, l’insuffisance de soins, de formation ou d’espoir de travail et par toutes les calamités liées au sous-développement, dont la situation d’Haïti nous donne le désolant exemple.
Or je suis obligé de le rappeler, c’est l’État, compétent en matière d’immigration, qui, en 1992, a régularisé la situation de milliers d’étrangers ayant, de surcroît, profité du regroupement familial.
La commune de Saint-Martin a ainsi dû faire face à une augmentation massive de sa population, qu’il a fallu prendre en charge sur le plan tant de la santé que de la scolarité, sans oublier, bien sûr, celui du logement. Sur une population estimée à 40 000 personnes, il y a aujourd’hui près de 10 000 enfants en âge scolaire.
La collectivité de Saint-Martin gère seize groupes scolaires, d’écoles maternelles et primaires, ainsi que, depuis le 15 juillet 2007, trois collèges, un lycée et une annexe de lycée. En outre, elle s’apprête à construire un nouvel établissement à la fois collège et lycée en PPP, c'est-à-dire en partenariat public-privé.
Madame la ministre, le résultat statistique de cette situation – la Commission européenne vient encore de le constater –, est que Saint-Martin appartient aux régions les moins favorisées de l’Union européenne, celles où le niveau de revenu par habitant est inférieur à 75 % de la moyenne européenne et où le taux de chômage est particulièrement élevé.
Pour les régions d’outre-mer se trouvant dans une situation comparable, madame la ministre, l’effort national de solidarité budgétaire est, en moyenne, huit fois supérieur.
L’oubli, par la République et par ses services, de cette partie d’île du nord de la Caraïbe qu’est Saint-Martin n’est pas une nouveauté. Les Saint-Martinois y sont accoutumés. Ils ont eu le courage d’en tirer la conséquence institutionnelle qui s’imposait, en votant pour le nouveau statut d’autonomie qui leur était proposé.
Les Saint-Martinois espéraient cependant, de la part de l’État, un accompagnement attentif et résolu des premiers pas de leur nouvelle collectivité sur la voie de la responsabilité. Cette attente, madame la ministre, a largement été déçue. La mise en œuvre du nouveau statut de Saint-Martin n’a fait l’objet ni de la préparation soigneuse qui eût été nécessaire ni des efforts de mise à niveau que des décennies de négligence avaient rendus indispensables.
Du jour au lendemain, la collectivité s’est trouvée privée de moyens nécessaires à son fonctionnement : elle a perdu l’important instrument de financement des dépenses communales qu’était la ressource d’octroi de mer, ainsi que la garantie des douzièmes provisoires en matière d’impôts directs locaux, dont dépend l’équilibre de trésorerie d’une collectivité locale.
Certaines impositions, telles que la taxe d’habitation, n’ont pu être conservées, faute d’une anticipation des adaptations nécessaires des outils informatiques. Les compensations financières prévues par la loi statutaire de 2007 n’ont pas été assurées. Le plan de rattrapage en matière d’équipements publics prévu par la même loi organique n’a jamais vu le jour.
La liste complète des dysfonctionnements qui ont accompagné la mise en œuvre du nouveau statut de la collectivité de Saint-Martin serait trop longue, madame la ministre, pour le cadre de cette intervention.
Toutefois, la collectivité en éprouve aujourd’hui les effets. Alors qu’elle a accompli, ainsi que les contribuables saint-martinois, des efforts considérables, en termes à la fois de modération de la dépense publique et de mise en place et d’acceptation d’impôts nouveaux, l’impréparation du changement statutaire a conduit à une situation de déséquilibre de trésorerie et de déséquilibre budgétaire, qu’avait annoncés la mission de l’Inspection générale des finances et de l’Inspection générale de l’administration, diligentée sur l’initiative de la collectivité elle-même.
Saint-Martin demande en conséquence à l’État, madame la ministre, une répartition de l’effort de solidarité nationale en faveur des collectivités d’outre-mer qui lui soit moins défavorable, une plus grande vigilance à l’égard de ses besoins spécifiques et un meilleur engagement des services publics dans l’accomplissement des missions qui sont les leurs.
Surtout, Saint-Martin demande le simple respect de ses droits, dont l’un, prévu par la Constitution de la République et réaffirmé par la loi organique statutaire, est que tout transfert de compétences s’accompagne des moyens permettant l’exercice de celles-ci.
La collectivité de Saint-Martin, madame la ministre, doit exercer les compétences qui étaient celles de la commune du même nom. Pour cela, celle-ci bénéficiait de l’importante ressource que représentait, je l’ai rappelé, une fraction du produit d’octroi de mer collecté en Guadeloupe.
Je conçois fort bien qu’il ne puisse plus être demandé à la région Guadeloupe de poursuivre l’effort de solidarité qu’elle accomplissait au profit d’une commune qui était partie intégrante de son territoire. Je ne puis pour autant admettre que le principe constitutionnel de compensation financière des transferts de compétence soit, en ce qui concerne Saint-Martin, passé par pertes et profits.
En reprenant à son compte, en vue du financement des dépenses de nature communale auxquelles la collectivité de Saint-Martin ne peut se dérober, l’obligation constitutionnelle à la pleine compensation d’une charge transférée, l’État contribuera simultanément au rééquilibrage de l’effort budgétaire national en faveur des collectivités d’outre-mer, dans lequel, ainsi que je le rappelais au début de mon intervention, Saint-Martin est bien loin de trouver le juste compte que commanderait la prise en considération de sa situation réelle.