Intervention de Esther Benbassa

Réunion du 16 octobre 2012 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Esther BenbassaEsther Benbassa :

Ainsi s’exprimait Jean-Pierre Sueur, en décembre 2005, lors de l’examen de la future loi de 2006 : « […] la lutte contre le terrorisme nécessite le concours de tous les élus de la République, qui ne doivent pas ménager leur soutien au gouvernement, quel qu’il soit, car nous devons lutter de toutes nos forces contre ce qui est la négation de la civilisation et de la démocratie. » Il ajoutait, d’un même élan : « La question qui nous est posée est de savoir dans quelles conditions il est légitime de prendre les mesures exceptionnelles qu’appelle nécessairement la lutte contre le terrorisme. Nous pensons que, parce que ces mesures sont nécessairement exceptionnelles, les conditions dans lesquelles elles doivent être prises appellent une attention toute particulière. »

Personne ne saurait redire à la sagesse de ces mots, fixés sur la toile du Sénat. Moi, moins que personne ! Si nous devons mener la lutte contre le fléau dont nous parlons aujourd’hui, nous ne devons pourtant pas le faire à n’importe quel prix, et surtout pas en cédant sans réfléchir à la pression de l’événement. En mai dernier, M. Sarkozy, par l’intermédiaire de son ministre de la justice, réagissait à l’affaire Merah.

Monsieur le ministre, il ne faudrait pas que nous donnions le sentiment de simplement réagir à l’affaire de Sarcelles et de relancer un mécanisme déjà utilisé, hier, pour rassurer les Français. Certes, ce souci de « rassurer » est, en lui-même, légitime. Veillons néanmoins à éviter l’impression que nous ne faisons que produire une disposition d’affichage.

Si votre projet de loi reprend certaines mesures qui figuraient déjà dans celui de M. Mercier, il en réduit toutefois le contenu à trois volets, le dépouillant d’un certain nombre de dispositions. Il n’en reprend pas moins les articles 3, 6 et 9 de la loi de 2006, présentée par M. Sarkozy lui-même, alors locataire – comme vous aujourd’hui – de la place Beauvau.

Or la question que peut – et sans doute doit – se poser tout citoyen est la suivante : pourquoi les dispositions votées en 2006, prorogées en 2008, n’ont-elles pas suffi à nous protéger d’un Mohammed Merah, pourtant connu par les services de police ? De même, pourquoi les terroristes présumés de la cellule de Torcy – douze arrêtés, dont cinq libérés après une longue garde à vue – n’ont-ils été repérés qu’après leur lancer de grenade à Sarcelles, acte qui, en d’autres circonstances, aurait pu se révéler beaucoup plus meurtrier qu’il ne l’a été ?

Les mesures de 2006 nous avaient été présentées comme expérimentales, et non comme définitives. Après qu’il y a eu mort d’hommes et d’enfants, est-il utile de multiplier des dispositions dont l’efficacité ne semble pas démontrée et qui s’ajoutent à l’arsenal déjà existant de dispositions de lutte contre le terrorisme ?

En ce qui le concerne, le groupe écologiste demande, d’une part, que la prorogation soit limitée à décembre 2014, au lieu de décembre 2015, et, d’autre part, qu’un rapport d’évaluation détaillé soit dressé avant toute nouvelle prorogation. Un rapport de ce type, élaboré par les députés Éric Diard et Julien Dray – ce dernier est socialiste, me semble-t-il ! – et rendu à la veille de la prorogation de 2008, ne concluait-il pas qu’il ne fallait pas, « sous le coup d’une sorte de fatalisme juridique, et sous la pression d’hypothétiques menaces, considérer que les dispositions temporaires de [la loi de 2006] (celles des articles 3, 6 et 9) doivent être prolongées, ou plus encore être définitivement entérinées » ?

Tant que l’on ne s’attaquera pas aux causes profondes de l’émergence d’un terrorisme désormais endogène et aux racines de l’engagement de certains jeunes de nos quartiers – y compris de récents convertis à l’islam – dans les rangs d’un islamisme destructeur, tant que l’on continuera à clamer les principes d’une laïcité toute théorique sans vouloir prendre la mesure exacte des formes contemporaines de retour au religieux, tant que l’on ne se donnera pas les moyens d’inventer des solutions pratiques, et non de pur principe, à l’école, en prison ou dans la vie de tous les jours, tant que l’on ne développera pas à nouveau, dans les zones sensibles, une police de proximité, auxiliaire indispensable pour cerner à temps et pour prévenir le basculement de certains de la délinquance dans une forme de radicalité religieuse pouvant mener au terrorisme, tant que l’on fermera les yeux sur le grippage de notre ascenseur social et sur l’abandon de nos quartiers populaires, on pourra promulguer toutes les lois que l’on voudra, sans jamais être assurés qu’elles suffisent à nous protéger, sur le long terme, des phénomènes qui nous préoccupent aujourd’hui.

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