Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 16 octobre 2012 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest :

J’ai l’honnêteté de vous le dire ! En fait, il y a toujours eu une collaboration entre la Chancellerie et le ministère de l’intérieur. En effet, lorsqu’il est question de droit pénal, il vaut mieux que la Chancellerie soit consultée.

Le texte présenté par Michel Mercier comprenait quatre nouvelles mesures : donner des moyens supplémentaires aux magistrats et aux enquêteurs, notamment en matière de perquisition, d’écoutes ou d’infiltration ; pénaliser la consultation habituelle et sans motif légitime des sites internet qui incitent au terrorisme – nous en reparlerons tout à l’heure ; pénaliser ceux qui se rendent dans des camps d’entraînement à des fins terroristes – tel peut être l’objet de certaines dispositions du présent projet de loi ; appliquer une décision-cadre européenne instaurant un délit d’instigation d’actes de terrorisme.

Je souhaitais procéder à ce rappel afin que nous ayons conscience, tout comme nos concitoyens, des similitudes et des différences de nos motivations.

En 1986 – j’étais alors jeune député –, l’une des premières lois que nous avons adoptée sous la législature interrompue en 1988 répondait déjà à de réelles menaces terroristes, après la vague d’attentats des années soixante-dix. Depuis cette date, la France a pris conscience du caractère spécifique de cette menace et a perpétuellement adapté sa législation en fonction des évolutions des modes opératoires et de l’émergence des nouvelles menaces. Vous avez parfaitement décrit ce processus, monsieur le ministre.

Nous avons toujours veillé à maintenir un équilibre constant entre l’attribution à la puissance publique de prérogatives renforcées, nécessaires à la sécurité collective, et la préservation des libertés publiques. D’ailleurs, le rapport de la commission sénatoriale pour le contrôle de l’application des lois, dont je peux simplement regretter qu’il ait été publié dans l’urgence et présente donc un caractère forcément provisoire et insuffisant, établit un triple constat intéressant, en précisant que le cadre législatif actuel est dans l’ensemble satisfaisant – ceux qui ont voté successivement toutes ces lois sont heureux de l’apprendre ! –, même si son application rencontre quelques difficultés d’ordre pratique mais aussi juridique, et je pense notamment à l’article 6 de la loi de 2006. Il préconise donc des évolutions législatives du fait, notamment, de l’évolution des méthodes et moyens employés par les terroristes. Je crois que nous sommes tous d’accord sur ce dernier point.

J’en viens aux différences qui persistent entre nous et que révèle ce texte.

Comme l’a rappelé un spécialiste reconnu, François Heisbourg, conseiller spécial à la Fondation pour la recherche stratégique, lors des auditions sur l’état de notre législation, « l’adaptation passe notamment par une plus grande attention accordée à l’internet ». Il doit donc être possible d’autoriser la recherche sur internet des connexions en lien avec le terrorisme, mais il semble également nécessaire de créer un délit de consultation de certains sites, sur le modèle de ce qui existe déjà à l’article 227-23 du code pénal.

Nous souhaitons aussi réprimer la propagation et l’apologie d’idéologies extrémistes que constituent la provocation aux actes de terrorisme et l’apologie de ces actes, en créant un délit figurant non plus dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse, mais dans le code pénal. Il s’agit d’un débat récurrent ! Les travaux de ce matin, en commission des lois, permettront peut-être d’aboutir à un consensus sur cette question. En effet, les délits prévus par la loi de 1881 sont soumis à un délai de prescription de trois mois : peut-on prévoir un délai de prescription plus long dans cette loi et, surtout, peut-on procéder à une détention provisoire ? C’est pourquoi nous avions envisagé la création d’un délit particulier.

Enfin, il est important pour nous que la décision-cadre européenne de novembre 2008 relative à la lutte contre le terrorisme soit transposée dans notre droit. En effet, cette décision exige de réprimer comme un acte de terrorisme le chantage en vue de commettre des actes de terrorisme, ce qui pourrait être fait en ajoutant à la liste de l’article 421-1 du code pénal le chantage dans la liste des infractions constituant un acte de terrorisme, lorsqu’elles sont commises dans le cadre d’une entreprise terroriste – même si l’on nous dit que la définition du chantage dans notre code pénal correspond plus au cas de l’extorsion. Monsieur le ministre, cette question vous sera à nouveau posée dans le cadre de la discussion des amendements.

À titre personnel enfin, je souhaiterais vous faire part de mes interrogations – mais je crois qu’elles sont partagées par les membres de la commission qui connaissent un peu ces questions – quant à la prorogation, à l’article 1er du projet de loi, des dispositions déjà prorogées de la loi du 23 janvier 2006. Je ne parle pas de l’article 3 ni de l’article 9 de cette loi, mais de son article 6, relatif aux interceptions de sécurité.

Monsieur le ministre, j’ai des raisons de connaître un peu le sujet, puisque je siège à la Commission nationale de contrôle des interceptions de sécurité, qui contrôle indirectement, a posteriori, les interceptions prévues dans ce cadre. Je pense qu’il faut aboutir à une unification des procédures applicables aux interceptions de sécurité, et j’espère qu’un consensus existe sur ce point.

La loi de 1991 correspondait à un stade de développement technique : la géolocalisation n’existait pas encore et internet pratiquement pas. Il faut que nous adaptions notre législation en veillant à maintenir un équilibre entre l’efficacité des interceptions et l’effectivité de leur contrôle : si chacun applique un dispositif particulier, je crains les dérapages. La loi de 1991 a représenté un progrès considérable, après de nombreuses affaires – nous savons tous pourquoi elle a été adoptée ! – et a permis aux services concernés de retrouver une crédibilité. Depuis cette date, nous avons parfois entendu évoquer des affaires, notamment de « fadettes », mais il s’agissait le plus souvent d’écoutes judiciaires et non d’écoutes administratives.

Nous aurions donc intérêt, puisque ce dispositif a bien fonctionné, à revenir à un dispositif d’autorisation interministériel, sous le contrôle du Premier ministre, tel qu’il existait depuis 1991. Quand nos collègues étrangers nous interrogent sur notre dispositif, ils reconnaissent qu’il figure parmi les plus perfectionnés, les plus stables et les plus sécurisés, tout en garantissant l’exercice des libertés publiques.

Nous aurons sûrement l’occasion de rediscuter de cette question. Je dois avouer que, si j’ai déposé un amendement qui paraît identique à celui qu’a évoqué Mme Benbassa, il ne s’inspire absolument pas de la même philosophie !

Malgré un consensus quasi général, monsieur le ministre, et la nécessité impérieuse de légiférer, au plus vite, mais surtout au mieux pour que les services de l’État puissent accomplir leurs missions, j’émettrais le regret que ce texte ait été rédigé a minima – mais nous aurons peut-être l’occasion de l’améliorer. Pour autant, je peux vous assurer que nous assumons pleinement le soutien à cette loi, voulue et écrite, en partie, par notre majorité, et reprise à son compte par le gouvernement actuel.

Le plus paradoxal n’est pas que la loi de 2006, que vous avez combattue, soit désormais considérée comme pertinente et efficace, mais que vous nous invitiez à renforcer notre législation antiterroriste. Puisque c’est nécessaire, nous vous soutiendrons, et vous proposerons de ne pas vous arrêter en si bon chemin, compte tenu de la persistance inquiétante de la menace terroriste dans notre pays. J’espère donc que l’ensemble du Sénat votera le projet de loi.

Pour terminer, monsieur le président de la commission des lois, j’avais envie de vous citer, mais puisque Mme Benbassa l’a très bien fait, je m’en abstiendrai !

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