Je remercie Marc Massion de nous avoir fourni ces éléments riches d'enseignements sur la négociation budgétaire communautaire pour l'année 2013, sur le montant du prélèvement qui est l'objet de notre débat aujourd'hui ainsi que sur l'évolution de notre solde net. J'indique que je partage nombre de ses analyses et que dans le rapport qui vous a été distribué, en cas de divergences d'appréciation, la position spécifique de l'un ou de l'autre de nous deux est explicitement mentionnée. Je n'en arriverai pas à la même conclusion que lui, mais je veux tenter de vous en donner les raisons :
D'abord une remarque sur la structure du budget communautaire. Il s'agit pour caricaturer et comme nous l'a indiqué, lors d'un récent déplacement à Bruxelles, le président de la commission des budgets du Parlement européen, Alain Lamassoure, de la même structure d'ensemble depuis trente ans, en recettes comme en dépenses. Et le pire est que l'on compte pour la programmation 2014-2020 continuer cette « partie de poker », avec la PAC, les fonds structurels, les rabais et les corrections, chaque Etat membre défendant ses positions habituelles en fonction de ses intérêts financiers bien compris. Au moment où la dépense publique doit plus que jamais répondre de son efficacité, une telle inertie est contestable et c'est de mon point de vue une folie. Le budget européen est devenu une cagnotte mais distribuer de l'argent ne suffit pas à faire une politique. Se rend-on bien compte que les subventions versées au titre de la PAC tendent à transformer certains de nos agriculteurs en « rentiers de la terre », au détriment de la cohérence entre les différentes filières de nos productions agricoles ? Se rend-on bien compte que les fonds structurels sont des « activateurs de dépense publique » en raison de leur fonctionnement par cofinancement des Etats membres ? La politique de cohésion a contribué au surendettement de nombreux Etats-membres, dont la Grèce et l'Espagne, ce qui est une démarche absurde. Se rend-on bien compte que le système actuel des ressources propres n'est pas que complexe, il est opaque et injuste, avec le rabais britannique, les rabais sur ce rabais, les corrections sur la ressource propre TVA et, enfin, les chèques forfaitaires annuels ? Ce système perpétue des logiques nationales au détriment de toute démarche d'intégration politique.
S'agissant ensuite de la future programmation 2014-2020, je rappelle qu'elle est encore en débat et que le Conseil européen des 22 et 23 novembre prochains sera, à cet égard, décisif puisqu'il a pour objectif d'aboutir à un accord. J'indique que les propositions de la Commission européenne sont d'après moi inacceptables. Elles étaient, il y a un an, de 972 milliards d'euros de CP sur sept ans. Une actualisation en date du 6 juillet 2012 visant notamment à tenir compte de l'adhésion de la Croatie porte ce montant à 988 milliards d'euros en CP et 1 025 milliards d'euros en en crédits d'engagement. Mais ces propositions ne sont pas sincères : par un premier artifice dans sa présentation, la Commission minore les crédits qui seront mobilisés. Sa communication est en effet réalisée en euros constants, alors que seule une présentation en euros courants permettrait d'apprécier l'impact réel des propositions sur les contributions nationales : la réalité de l'augmentation de la dépense qui devra être réévaluée chaque année de l'inflation est masquée. J'ajoute que par un second artifice, la Commission dissimule les tensions que sa programmation exercera sur les finances des Etats membres, en multipliant les débudgétisations qui dégonflent artificiellement son projet : non seulement sont maintenus, hors budget et hors cadre financier, le fonds européen de développement (FED) et les mécanismes de stabilisation financière, mais surtout passeraient hors budget des politiques pourtant communautaires et financées sous plafond dans le cadre actuel. En euros courants, avec le périmètre classique de financement de l'UE auquel on ajouterait le FED et d'autres politiques débudgétisées, le total de dépense serait de 1 191 milliards d'euros en CP et 1 231 milliards d'euros en crédits d'engagement, soit environ 200 milliards d'euros de plus que le projet initial de la Commission.
Au total, par ces artifices de présentation et ces débudgétisations inacceptables, la Commission européenne formule un projet de programmation pour 2014-2020 qui représente une entorse au principe de sincérité budgétaire. En outre, le niveau de dépenses proposé est tout simplement insoutenable et contredit notre stratégie de retour à l'équilibre. Contrairement à ce que laisse penser le travail de la Commission, l'Europe ne peut pas se placer en-dehors des efforts exigés en matière d'assainissement des finances publiques. Elle doit plus que jamais dépenser mieux. Et à cet égard, je recommande un renforcement de la mise en oeuvre vigilante du principe de subsidiarité, au regard duquel devraient être systématiquement examinés le budget, le fonctionnement et les politiques de l'Union européenne.
Pour finir de vous convaincre, je souhaite élargir mon propos en parlant de la gouvernance de la zone euro. Dire que le pire est passé, c'est crier victoire un peu trop vite ! Le mécanisme européen de stabilité (MES) n'est pas un dispositif suffisant, il appelle une gouvernance appropriée, qui jusqu'aujourd'hui fait défaut. Je pense comme Marc Massion que l'union bancaire représente un progrès. Mais au moment où la Banque centrale européenne (BCE) se comporte de plus en plus comme une banque fédérale, elle attend son interlocuteur politique.
J'ai remis le 6 mars 2012 un rapport au Premier ministre, intitulé « Avenir de la zone Euro : l'intégration politique ou le chaos », dans lequel j'ai formulé quelques propositions que j'avais eu l'honneur de présenter alors devant vous, mes chers collègues. J'y préconisais notamment la création d'un ministre de l'économie et des finances de la zone euro appuyé sur un véritable Trésor public européen, ainsi que la mise en place d'une capacité budgétaire idoine. Nous ne pouvons plus nous contenter d'habillage de fenêtre ou « window dressing », à l'image du plan de 120 milliards d'euros du Pacte pour la croissance et l'emploi annoncé par le Conseil européen le 29 juin 2012, qui n'apporte rien de nouveau puisqu'il s'agit de dispositions déjà adoptées. L'euro a été jusqu'aujourd'hui un anesthésiant, mais une monnaie ne suffit pas à faire un projet politique. Jusqu'à quand allons-nous continuer à entretenir une illusion d'Europe ? Nous devons sérieusement reprendre en main le projet politique européen.
Pour conclure mon intervention je plaide en faveur du rôle des parlements nationaux. Dans le système communautaire actuel, les parlementaires nationaux se limitent à autoriser un prélèvement sans en discuter ni le montant, ni l'usage qui en sera fait à travers les dépenses de l'Union européenne. Une telle situation n'est pas satisfaisante. Un budget dont les dépenses sont arrêtées par les autorités communautaires, mais dont la plupart des ressources restent dépendantes de décisions des parlements nationaux, porte atteinte au principe du consentement à l'impôt, essentiel dans une démocratie. Une plus grande reconnaissance du rôle des parlements nationaux parait donc nécessaire. Nous devons prendre toute notre place dans la réflexion en cours sur la réforme du budget communautaire et dans la coordination des finances publiques des Etats membres. Je propose par exemple que nous votions en loi de finances initiale non seulement notre contribution au budget communautaire mais aussi la totalité de nos engagements à l'égard de la zone euro, à l'instar de notre contribution au MES. Et je suggère, enfin, une représentation des parlementaires nationaux de la zone euro, qui serait l'amorce d'une seconde chambre dans l'UE et jouerait le rôle d'une commission de surveillance exerçant des prérogatives de contrôle.
Il vient un moment où il faut savoir dire non et interpeller les gouvernements, et bien, mes chers collègues, je crois que ce moment est venu et je vous recommande, donc, de voter contre l'article 44 du projet de loi de finances pour 2013. Au moment où l'Europe reçoit le prix Nobel de la Paix, elle devient le maillon faible de la croissance mondiale. Son budget et sa gouvernance doivent lui permettre d'assurer un rôle stratégique dans la guerre économique et d'assurer la protection de tous les Européens. Puis-je rappeler, citant Sénèque, que la crainte de la guerre est encore pire que la guerre elle-même ?