Monsieur le président, madame la ministre, chers collègues, la proposition de loi visant à préparer la transition vers un système énergétique sobre est au cœur d’une problématique globale dont trop peu ont conscience qu’elle recouvre une véritable révolution.
Le dispositif essentiel de cette proposition de loi repose sur la mise en place d’un système de bonus-malus.
J’apprécie l’auteur de ce projet, qui est un voisin. Je dois avouer que je ne retrouve pas vraiment, au travers du mécanisme qui nous est présenté comme simple et sans coût, alors que sa mise en œuvre paraît tout au contraire compliquée et onéreuse, si l’on en croit Bercy, le sens du concret et le pragmatisme que je lui reconnais.
J’en resterai donc à ma première impression.
Si, comme cela nous est annoncé pour nous rassurer, ce malus sera non pas une pénalité, mais un simple signal, je crains alors que la mesure ne soit d’une utilité toute relative et incertaine.
Si, pour le rendre incitatif – un tel système a été mis en œuvre, dans un tout autre contexte, par un État américain –, le malus est fixé à un niveau élevé, la mesure deviendra alors injuste, en ce qu’elle touchera, pour une part importante, des populations qui subissent déjà leur environnement énergétique plus qu’elles ne le maîtrisent : je veux parler des personnes âgées, des familles nombreuses ou des personnes à faibles revenus disposant d’un habitat insuffisamment isolé, celles qui vivent la précarité énergétique, dont le journal télévisé de 20 heures vient de parler fort clairement. Je renvoie, sur ce point, à l’intervention éloquente de notre collègue Jean-Claude Lenoir.
Pour ma part, j’évoquerai plutôt, madame la ministre, les dispositions relatives à l’effacement, qui relèvent de l’article 7 ; je sais tout l’intérêt que leur porte également l’auteur de la proposition de loi.
Pour le coup, il s’agit d’un thème faisant l’objet d’un large consensus. Le rapport Poignant-Sido l’avait analysé avec une grande pertinence, tandis que la loi NOME avait posé les principes et le cadre de la mise en œuvre du dispositif, dans la perspective de la création d’un marché capacitaire.
Or nous sommes loin d’une mobilisation significative d’une capacité d’effacement qui est pourtant réelle, importante et, pour une grande partie, déjà disponible.
Les États-Unis, que l’on sous-estime souvent dans ce domaine, ont atteint depuis déjà plusieurs années une capacité d’effacement de 10 % à 12 %, contre à peine 3 % ou 4 % pour la France, alors que la capacité d’effacement de notre pays était quasiment du double il y a dix ou quinze ans.
Or, au même moment, plusieurs autorités européennes et RTE soulignent la situation dans laquelle se trouverait « l’Europe du Centre-Ouest » en cas de vague de froid, considérant que des délestages sur le réseau électrique ne seraient pas impossibles.
S’agissant de la puissance manquante en France, le bilan prévisionnel de 2011 l’avait estimée à 2, 2 gigawatts en 2014 et à 7, 2 gigawatts en 2016. Dans le bilan prévisionnel de 2012, elle est passée à 3, 1 gigawatts en 2014 et à 7, 5 gigawatts en 2016. La gestion de la pointe n’est donc plus une option, elle est devenue une nécessité.
L’une des réponses, c’est bien évidemment l’effacement diffus, dont on peut raisonnablement attendre une capacité de 4 à 5 gigawatts, mais celle-ci ne pourra être obtenue avant que ne soit équipé le parc national des particuliers.
Malgré cela, la France dispose dès aujourd’hui, avec les gros consommateurs, d’un gisement de capacité d’effacement pouvant atteindre de 4 à 5 gigawatts d’ici à 2016, avec une progression de 0, 5 à 1 gigawatt chaque année.
Atteindre cet objectif relève plus de l’affirmation d’une volonté politique des différents acteurs que du règlement d’une difficulté technique ou du développement du gisement.
Si je me permets d’attirer votre attention sur cette question avec une telle insistance, madame la ministre, c’est que la mobilisation de la capacité d’effacement des gros consommateurs permettrait à la fois de répondre aux besoins de notre pays et d’assurer une juste rémunération des acteurs concernés, qui, pour une part importante, sont des entreprises électro-intensives, pour lesquelles la valorisation de leur capacité d’effacement représente, sur les plans industriel et financier, un gain significatif, voire indispensable.
Il est donc important que l’article 7 puisse être adopté et mis en œuvre conformément à l’esprit de la loi NOME, qui avait fait de l’effacement tant un défi en matière de développement durable qu’un enjeu économique.
Toutefois, un système énergétique sobre doit aussi être optimisé et équilibré.
À cet égard, permettez-moi d’évoquer rapidement le volet particulièrement sensible de la cogénération, plus précisément celui de la biomasse forestière, que l’actualité illustre par l’émergence de maints projets. Ainsi, le groupe E.ON se félicite d’ouvrir, dans le Sud, une centrale « verte » d’une capacité de 700 000 à 900 000 tonnes, au moment même où il ferme des centrales thermiques, ce que nous ne pouvons qu’approuver.
Or le grand Sud-Est, qui comprend la région Rhône-Alpes, concernée par ce projet, se trouve déjà dans une situation d’approvisionnement insuffisant, et le déséquilibre, s’aggravant rapidement, met aujourd'hui plusieurs entreprises en difficulté, sans parler de la déstabilisation du marché et de ses conséquences.
Votre cabinet, madame la ministre, a bien voulu recevoir tout récemment la direction de Cascades, pour évoquer la situation particulière de cette papeterie, reprise avec un vrai succès, il y a quelques années, par des industriels canadiens.
Le maintien, et plus encore le développement, de cette entreprise, comme de bien d’autres industries, est directement lié aux réponses qui seront apportées quant à la mobilisation des plaquettes, du bois-énergie, et à la valorisation de la biomasse, qui constituent un enjeu capital.
De toute évidence, les autorisations de la CRE et les études de disponibilité de la ressource soulèvent aujourd'hui des questions qui deviennent cruciales.
La transition vers un système énergétique sobre relève donc non pas d’une mesure isolée, mais de la mobilisation d’un système particulièrement complexe, dans lequel tous les acteurs et opérateurs ont un rôle – une mission, allais-je dire –, une responsabilité à assumer.
Jeremy Rifkin considère que l’énergie et les technologies de la communication sont à la base de la troisième révolution industrielle, vision à laquelle j’adhère volontiers.
En matière d’efficacité énergétique, il revient donc au Parlement et au Gouvernement d’arrêter une politique volontariste et ambitieuse. Il incombe en outre au Gouvernement d’en définir le cadre, qui doit être clair, simple et stable. Or, vous en conviendrez, madame la ministre, ce n’est pas le cas avec ce texte. §