Intervention de François-Noël Buffet

Réunion du 8 novembre 2012 à 15h00
Vérification du droit au séjour et délit d'aide au séjour irrégulier — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de François-Noël BuffetFrançois-Noël Buffet :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je dresserai, en premier lieu, un constat simple : il est urgent de mettre notre législation en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice, faute de quoi les services de police et de gendarmerie seront dépourvus de tout instrument juridique approprié.

Permettez-moi de relever, une fois de plus, que, si ce texte exige la célérité, la procédure accélérée nous prive d’une navette nécessaire et utile sur deux sujets aussi importants l’un que l’autre dans le cadre de la politique d’immigration que nous menons sans relâche dans notre pays.

Ce texte, tel qu’il est, répond à une nécessité, mais il faut bien sûr observer dans le détail s’il sera opérationnel. Voilà pourquoi ce type de procédure nous paraît inapproprié.

Depuis les arrêts de la Cour de cassation du 5 juillet 2012, il est interdit de placer en garde à vue les étrangers en situation irrégulière. À ce jour, les forces de l’ordre ne peuvent donc retenir les étrangers que pendant quatre heures, délai maximal prévu par la procédure de vérification d’identité. C’est tout à fait insuffisant, notamment pour que les préfectures puissent prendre des décisions solides et argumentées avant de lancer des procédures d’éloignement du territoire.

Vous avez donc inventé une procédure proche de la garde à vue : la retenue. Nous devons simplement nous assurer que celle-ci offre des protections suffisantes pour nos concitoyens et permette aux forces de l’ordre d’exercer au mieux leurs missions.

Nous avons déjà longuement débattu de l’aide humanitaire : personne n’a été condamné à ce titre. Nous devons veiller à ce que les passeurs et animateurs de filières qui exploitent les étrangers soient toujours poursuivis à l’avenir ; j’y reviendrai dans quelques instants.

Mes chers collègues, la France est une terre d’accueil de l’immigration. Elle continue à délivrer près de 180 000 titres de long séjour chaque année, ce qui la place désormais au deuxième rang mondial, derrière les États-Unis, pour l’accueil des réfugiés.

Cependant, notre pays doit rester une terre d’intégration. De fait, notre cohésion nationale ne s’est pas construite par la juxtaposition de communautés. Dans la conception française de la Nation, tout ressortissant étranger qui s’établit en France a vocation à s’intégrer, puis à s’assimiler, comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, et donc à terme et sous conditions à devenir Français.

De fait, nous devons garder constamment à l’esprit la préoccupation d’assurer un équilibre entre le respect de notre tradition d’accueil et d’intégration, d’une part, et la fermeté de la lutte contre l’immigration illégale, de l’autre. Fermeté et humanité sont les deux pans d’une même politique ; c’est grâce à l’application rigoureuse des objectifs de lutte contre l’immigration clandestine que peut vivre la tradition d’accueil et d’intégration de la France.

Par ailleurs, nous concourons à la construction progressive d’une politique européenne de l’immigration et de l’asile, complément indispensable du grand espace de libre circulation issu des accords de Schengen. Elle est à l’origine du Pacte européen sur l’immigration et l’asile, adopté à l’unanimité par l’ensemble des États membres de l’Union européenne le 16 octobre 2008, et négocié, à l’époque, par le ministre Brice Hortefeux et le gouvernement de François Fillon.

Trois directives européennes, adoptées par la suite et transposées en droit français à travers la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, que nous avons votée en 2011, créent un cadre juridique global et harmonisé pour une politique européenne de l’immigration.

Rappelons rapidement les principaux éléments de ce texte : le rééquilibrage entre l’immigration familiale et économique ; la création d’une administration centrale chargée de suivre l’ensemble du parcours d’un étranger candidat à l’immigration en France, depuis l’accueil au consulat jusqu’à l’intégration dans notre pays et l’éventuel accès à la nationalité française ; le renforcement de la lutte contre l’immigration illégale, au moyen notamment d’une augmentation du nombre d’éloignements effectivement réalisés et de l’intensification du démantèlement des filières et de la répression du travail clandestin ; la relance de la politique d’intégration autour d’un contrat d’accueil et d’intégration ; la promotion du développement solidaire et de la gestion concertée des flux migratoires ; enfin, la définition d’une politique de gestion des flux migratoires à l’échelon européen.

Mais nos efforts d’intégration de l’immigration légale et de lutte contre l’immigration illégale seront vains si l’ensemble de nos procédures sont inopérantes.

Nous devons poursuivre notre bataille contre l’immigration illégale, dont la lutte s’est manifestement intensifiée depuis 2007, comme en atteste notamment la hausse importante du nombre d’éloignements effectifs du territoire métropolitain.

Toutefois, s’agissant précisément des procédures administratives d’éloignement des étrangers, la garde à vue est désormais devenue impossible.

Or la garde à vue permettait à la préfecture, pendant les vingt-quatre – ou quarante-huit heures, en cas de prolongation – au cours desquelles la personne appréhendée était à la disposition des services de police ou de gendarmerie, de prendre une décision d’éloignement et de placement en rétention qui était immédiatement exécutée.

Depuis cet été, les services de police et de gendarmerie ne disposent plus que de la procédure de la vérification d’identité, dont la durée maximale est de quatre heures, pour mener à bien l’ensemble des opérations nécessaires au placement en rétention lorsque l’étranger se trouve dans une situation qui justifie une telle mesure.

Cette durée, comme l’ont régulièrement évoqué les représentants des forces de police et de gendarmerie, est beaucoup trop courte pour faire le point sur la situation administrative exacte de l’intéressé et pour que le préfet puisse éventuellement prendre une décision d’éloignement.

C’est pourquoi, monsieur le ministre, votre proposition de créer une retenue de seize heures nous semble tout à fait pertinente. Elle l’est d’autant plus que vous y avez associé les garanties indispensables au regard des lois de la République.

La commission des lois, sur proposition du rapporteur, a souhaité scinder en deux temps ce délai de seize heures. Nous sommes un certain nombre, sur différentes travées, à penser que cette scission serait tout à fait déplorable.

Le délai de seize heures reste très inférieur à celui de la garde à vue. Le procureur pourra ainsi exercer son contrôle dès le début de la procédure et y mettre fin à tout moment. Cette scission risquerait de compliquer la procédure d’examen de la situation de la personne. Il nous apparaît donc important de rester sur cette durée intégrale de seize heures.

Enfin, en ce qui concerne le délit de solidarité, vous avez souhaité adjoindre des dispositions destinées à restreindre le champ du délit d’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.

Vous avez souhaité accéder, monsieur le ministre, à une revendication des associations en nous proposant d’élargir significativement le champ des immunités pénales applicables à ce délit, d’une part, aux membres de la famille du conjoint de l’étranger, d’autre part, aux associations humanitaires apportant une aide désintéressée aux étrangers sans papiers.

Vous avez également souhaité, monsieur le rapporteur, inclure dans la liste des personnes protégées par une immunité pénale les associations et leurs personnels engagés dans la fourniture de soins médicaux aux étrangers.

Jusqu’à la loi du 16 juin 2011, que nous avons voulue et soutenue, toute personne qui, par une aide directe ou indirecte, facilitait ou tentait de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger en France encourait cinq ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende. Ces peines étaient applicables lorsque ce délit était commis par une personne se trouvant sur le territoire d’un État partie à la convention de Schengen. Ces mêmes peines étaient encourues par celui qui facilitait ou tentait de faciliter l’entrée, la circulation ou le séjour irréguliers d’un étranger sur le territoire d’un État partie au protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer, additionnel à la convention des Nations unies contre la criminalité transnationale de 2000.

Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 5 mai 1998, avait rappelé « qu’il appartenait au juge, conformément au principe de légalité des délits et des peines, d’interpréter strictement les éléments constitutifs de l’infraction [...], notamment lorsque la personne morale en cause est une association à but non lucratif et à vocation humanitaire, ou une fondation, apportant, conformément à leur objet, aide et assistance aux étrangers ».

Dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil avait par ailleurs indiqué que « le délit d’aide au séjour irrégulier d’un étranger en France commis en bande organisée ne saurait concerner les organismes humanitaires d’aide aux étrangers », et que la qualification de cette infraction devait tenir compte « du principe énoncé à l’article 121-3 du code pénal, selon lequel il n’y a point de délit sans intention de le commettre ».

L’ensemble de ces dispositions, destinées à lutter contre les filières d’immigration clandestine et les réseaux de passeurs, étaient conformes à nos engagements internationaux et communautaires.

Mais, afin de ne pas inclure dans le champ de la répression des comportements relevant de l’assistance familiale ou humanitaire, nous avions toutefois institué une immunité pénale qui pouvait être invoquée par un certain nombre de personnes, s’inspirant ainsi de l’état de nécessité défini à l’article 122-7 du code pénal.

Nous le savions bien, en 2011, lorsque nous avons discuté de la loi relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, dont j’étais le rapporteur : l’application de l’ensemble de ces dispositions suscitait un large débat, notamment au sein des réseaux associatifs impliqués dans l’assistance humanitaire aux étrangers, qui craignaient alors de faire l’objet de poursuites pénales sur le fondement de ce délit sans pouvoir se prévaloir de l’immunité pénale, dont le champ serait trop restreint.

C’est pourquoi le gouvernement de François Fillon avait décidé de répondre à ces inquiétudes en élargissant le champ de l’immunité pénale. Ainsi, ne pouvait faire l’objet de poursuites pénales la personne physique ou morale dont l’acte reproché est, face à un danger actuel ou imminent, « nécessaire à la sauvegarde de la personne de l’étranger ». Cette définition permet de viser, au-delà des situations de dangers extrêmes ou les périls quasi-mortels, les situations de dénuement auxquelles remédient les associations à vocation humanitaire notamment.

Nous sommes donc aujourd’hui quelque peu dubitatifs sur l’utilité de la précision apportée en commission par M. le rapporteur, qui étend explicitement l’immunité pénale aux personnes apportant des soins médicaux aux étrangers en situation irrégulière. Cette situation nous paraît pourtant évidente.

Nous attendons que le Gouvernement et le rapporteur nous apportent des éclaircissements sur ces propositions, afin que nous puissions délibérer avec plus de précisions.

Je conclurai en rappelant tous les efforts que nous avons menés, depuis plus de cinq ans, en matière de lutte contre l’immigration irrégulière. Je souhaite que cette lutte puisse se poursuivre. En vous écoutant, monsieur le ministre, j’ai cru comprendre que ce serait le cas. Le groupe UMP votera naturellement ce texte. Nous veillerons toutefois aux décisions qui seront prises pendant les débats, et nous rappelons que nous sommes très attachés au principe de l’unité de temps de seize heures prévue par le texte initial du Gouvernement.

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