Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la majorité du groupe RDSE s’était fermement opposée à la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité, M. le président Mézard l’a rappelé tout à l’heure. Ce texte avait notamment été jugé restrictif en termes de garanties des droits des étrangers et surtout comme allant bien au-delà des dispositions de la directive Retour appelées à être transposées dans notre droit.
D’aucuns regrettent aujourd’hui que le présent projet de loi n’ait pas été l’occasion d’une remise à plat de cette loi, et du droit des étrangers en général. Nous avons entendu cette attente mais nous considérons, comme vous, monsieur le ministre, qu’il importe pour l’heure de mettre au plus tôt notre droit en conformité avec la double jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne et de la Cour de cassation.
Je ne reviendrai pas sur la question du régime de la retenue aux fins de vérification de la situation d’un étranger, Jacques Mézard ayant exprimé à ce sujet la position de la majorité de notre groupe. Pour ma part, je concentrerai mon intervention sur les dispositions relatives à l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers.
On se souvient du débat sur le délit dit de « solidarité » qui avait suivi la sortie, en 2009, du film Welcome, lequel avait eu le mérite de mettre en lumière le rôle fondamental des associations humanitaires dans l’aide désintéressée qu’elles apportent à des personnes très souvent en situation de grande détresse, parfois même dessaisies de leur propre destin.
Leur action vient ainsi suppléer les limites des pouvoirs publics et donne toute sa force au terme « fraternité » de notre devise républicaine. L’avocat que je suis peut témoigner de cet engagement multiforme, qui s’inscrit bien trop souvent dans un cadre très précaire et dans une urgence constante.
Comme le rappelle l’étude d’impact annexée au projet de loi, le délit d’aide à l’entrée et au séjour irrégulier a été institué dès 1938 et régulièrement réformé depuis, en fonction des alternances et des obligations européennes contractées par la France.
Cependant, comme l’a affirmé le Conseil constitutionnel dans sa décision du 5 mai 1998, le pouvoir législatif, et lui seul, est parfaitement en droit de créer des immunités pénales au bénéfice de certaines personnes physiques ou morales. Il avait été également ajouté en 2004 que le délit d’aide au séjour irrégulier commis en bande organisée ne saurait concerner les organisations humanitaires d’aide aux étrangers. Cette interprétation n’avait pourtant pas empêché une certaine confusion quant à l’application de l’article L. 622-1 du CESEDA, dans sa rédaction issue de la loi du 9 mars 2004.
C’est d’ailleurs en réaction à cette confusion et à l’insécurité juridique ainsi créée, que des membres du groupe RDSE avaient déposé en avril 2009 une proposition de loi visant à supprimer les poursuites au titre de l’aide à l’entrée et au séjour irréguliers à l’encontre des personnes physiques ou morales qui mettent en œuvre, jusqu’à l’intervention de l’État, l’obligation d’assistance à personne en danger. Mais M. Besson, alors ministre de l’immigration, avait expliqué, toujours en avril 2009, que le délit de solidarité n’existait pas et que, « en soixante-cinq années d’application de cette loi, personne en France n’avait jamais fait l’objet d’une condamnation pour avoir seulement accueilli, accompagné ou hébergé un étranger en situation irrégulière ».
Or le Conseil d’État lui-même, dans une décision du 19 juillet 2010, désavouant ainsi le ministre, avait clairement indiqué que la circulaire du 23 novembre 2009 permettait bien de « sanctionner l’aide au séjour irrégulier non seulement dans un but lucratif, mais aussi dans un but non lucratif ».
En outre, je peux en témoigner, des poursuites pénales fondées sur le délit de solidarité ont bien été mises en œuvre, même dans mon département, l’Aveyron, qui connaît pourtant, vous en conviendrez, une faible immigration. Monsieur le ministre, je ne peux donc que me réjouir que votre projet de loi s’inscrive dans une philosophie d’ouverture à l’autre et ne soit pas l’expression d’un nouveau réflexe de peur et de repli sur soi.
Si la loi du 16 juin 2011 avait déjà assoupli le régime du délit de solidarité, votre texte, en élargissant le champ de l’immunité pénale, va encore plus loin. Cette immunité, telle que vous l’envisagez, visera désormais les ascendants, descendants, frères et sœur du conjoint de l’étranger. En outre, elle protégera les personnes apportant une aide humanitaire aux étrangers en situation irrégulière, leur permettant alors d’intervenir non seulement dans les cas d’urgences, mais aussi et simplement afin de préserver leur dignité. Nous souscrivons pleinement à cette ambition.
Bien sûr, l’assistance humanitaire ne doit en aucun cas se transformer en soutien actif à la clandestinité. Notre groupe est, vous le savez, fermement attaché à ce que les étrangers présents sur notre sol jouissent de leurs droits fondamentaux, mais aussi à ce qu’ils assument leurs devoirs à l’égard de notre République. C’est en effet quand elle est ouverte et respectueuse, mais aussi respectée, que notre République est exemplaire.
Enfin, et surtout, il importe de renforcer la lutte contre les réseaux mafieux qui exploitent la détresse des migrants, nourrissent des trafics de toute nature et en tirent des profits importants. Dans ce domaine, nous savons aussi pouvoir compter sur vous, monsieur le ministre.
C’est dans cet état d’esprit, combinant humanisme et ordre républicain, que nous voterons votre texte.
Comme le disait l’ethnologue néerlandais Frans de Waal, « l’empathie humaine a un ancrage si profond qu’elle parviendra toujours à s’exprimer ». Monsieur le ministre, votre projet de loi nous semble traduire de façon équilibrée cette expression. §