Je m'efforcerai, en premier lieu, de brosser un rapide tableau des dispositifs existants au niveau régional car ce constat liminaire détermine à la fois notre réflexion et nos suggestions. Les régions ont mis en place, quelques huit cents dispositifs de financement, dont un tiers en fonds propres, en prêts ou en garantie pour les entreprises sur l'ensemble du territoire, d'une part, avec la Caisse des Dépôts, d'autre part, avec le secteur privé. Ces dispositifs financiers sont également mis en oeuvre dans le cadre de systèmes interrégionaux, ce qui permet de réaliser des opérations d'investissements en fonds propres à hauteur de trois ou quatre millions d'euros chacune. La palette des soutiens s'étend ainsi du prêt d'honneur d'un montant modeste, en économie sociale par exemple, aux prises de participation nécessitant un ou plusieurs « tours de tables ».
La première difficulté que nous rencontrons est de faire croître le capital de ces fonds d'investissements pour augmenter le montant des « tickets d'entrée ». En effet, les entreprises ont aujourd'hui besoin de processus de décision rapides, avec des montants en jeu élevés. Le « modèle californien », sur lequel il est intéressant de se pencher, est capable de mettre en place, dans des délais très brefs, des dispositifs de financement atteignant 50 à 100 millions de dollars.
La France accuse un très sérieux retard en matière de fonds d'investissements, d'abord parce que l'assurance-vie est soumise à une réglementation prudentielle - Solvabilité II - qui handicape sa capacité de financement des entreprises, ensuite parce que les fonds sont disséminés et enfin, plus généralement, parce que ces derniers ne correspondent pas encore à une tradition bien établie dans notre pays.
Dans ce contexte, l'enjeu de la BPI consiste d'abord, pour les régions, à prendre comme point de départ les dossiers qui sont d'ores et déjà gérés par ces dernières dans des domaines variés : l'investissement, l'innovation, la formation ou les avances remboursables. En Rhône-Alpes, le plan PME concerne, par exemple, cinq cents entreprises par an. Notre base de travail, c'est donc la connaissance du tissu d'entreprises sur les territoires. Si nous voulons réindustrialiser la France et faire croitre les PME pour qu'elles deviennent des entreprises de taille intermédiaires (ETI), il est avant tout nécessaire d'ouvrir leur capital à des apports extérieurs. Je rappelle que la part de financement des PME en capitaux propres se limite à 4,5 %, auxquels s'ajoutent 0,5 % de financements par le marché monétaire et 95 % de dettes bancaires. J'observe que les régions interviennent également de façon analogue à celle des banquiers, sous formes d'avances remboursables, qui jouent un peu le rôle de prêts à taux zéro.
La première demande des régions a donc été de proposer un dispositif inspiré du système allemand : les Länder y sont, en effet, les actionnaires de référence des Landesbank - qui sont des caisses d'épargne - et ces dernières sont les actionnaires principaux des entreprises de taille intermédiaire allemandes. C'est, sous réserve des quelques difficultés que connaissent les Landesbank allemandes, un modèle vertueux qui canalise l'épargne vers un tissu d'entreprises bien identifié et soutient une véritable démarche industrielle. Nous avons formulé des propositions pour que la BPI puisse s'orienter dans ce sens, ce qui implique une certaine transformation des mentalités chez nos concitoyens et une mutualisation des banques régionales, mais ce choix n'a pas été retenu par Bercy. Les régions se sont donc efforcées d'aboutir à un compromis selon lequel, d'après les indications du Gouvernement, 90% des dossiers feront l'objet d'une décision au niveau régional : pour l'application concrète de ce principe, c'est la future BPI qui devra elle-même mettre en place des mécanismes de délégation de pouvoir aux équipes territoriales, au sein desquelles la présence de représentants des régions est nécessaire.
Je signale au passage avoir été particulièrement surpris et, comme d'autres élus régionaux, « humilié » par les prises de position de certains députés dont le raisonnement peut suggérer que les régions seraient au mieux incompétentes et au pire clientélistes, comme si, depuis vingt ans, et plus encore depuis 2004 - date du transfert aux régions de la compétence relative à l'innovation - nous nous étions contentés de soutenir les « canards boiteux ». Or, je constate que sur les huit cents dispositifs mis en place par les régions, aucun n'est en difficulté. Je rappelle aussi, puisque le contre-exemple des Sociétés de développement régional a été évoqué, que celles-ci étaient dirigées par des banquiers. Dans le même sens, j'ajoute qu'aucune caisse régionale n'a été mise en difficulté ni ne s'est impliquée dans les opérations qui ont déstabilisé Dexia ou la Société Générale ou qui sont en relation avec le portage de la dette grecque. Il y a une explication - d'ailleurs regrettable - à ce phénomène : les organismes de financement régionaux « remontent » leurs excédents de trésorerie au niveau national et ces derniers sont réinvestis en produits structurés dans le monde entier. Ainsi, contrairement au modèle allemand, nous n'avons pas la possibilité de garder les excès de liquidité pour les réorienter vers l'appareil productif.
Il nous parait donc nécessaire que les régions soient intégrées dans les centres de décision d'allocation financière. Les équipes qui travaillent au niveau régional ont une connaissance approfondie des PME implantées sur leur territoire. A aucun moment la Cour des comptes ou les chambres régionales de comptes n'ont contesté l'efficacité de nos interventions. Fort heureusement, au plus fort de la crise, nous avons soutenu un certain nombre d'entreprises en mettant en place des dispositifs d'avances remboursables de plusieurs millions d'euros, sans quoi elles auraient périclité.
L'exigence du redressement industriel de la France doit s'accompagner d'une volonté régionale de soutenir le développement d'entreprises de taille intermédiaire. Dans l'ensemble, notre organisation reste profondément jacobine, ce qui correspond à un modèle industriel dominé par des grands groupes industriels entourés de PME sous-traitantes. A l'inverse, là où il y a des régions fortes, il y a des ETI fortes. Tout ceci se ramène donc à la volonté politique d'accompagner la croissance des PME en soutenant leur réorganisation, leur effort de formation. Dans la région que j'ai l'honneur de présider nous sommes en train de cibler les PME qui deviendront demain les ETI de l'Aquitaine, en favorisant les regroupements et en apportant des aides à l'embauche, avec les outils performants dont nous disposons. Bien entendu, toutes les régions ne sont pas au même niveau d'intervention mais comment faire avancer toutes les régions au même pas si on ne leur confie pas ces nouvelles responsabilités ? Il est donc nécessaire que les régions président les comités régionaux d'orientation de la BPI : or une telle avancée ne résulte pas de façon évidente du texte adopté par l'Assemblée nationale alors que le projet de loi comportait plus de garanties à ce sujet. Je compte donc sur le Sénat pour réintroduire dans la loi une disposition qui figurait dans le projet initial. Comme cela a été décidé pour le comité national d'orientation, il faut que les comités régionaux soient présidés de façon efficace.
S'agissant des comités d'engagement, je constate une levée de bouclier générale : à titre personnel, je ne les préside pas. Sur ce point, je m'en remets à la sagesse du Parlement, tout en estimant souhaitable que la région soit représentée, dans les comités d'engagement, au moins par un technicien faisant partie des équipes qui connaissent bien les PME et les accompagnent. Je saisis l'occasion pour souligner que la France a pris beaucoup de retard dans le domaine de l'accompagnement et les administrations centrales sont trop souvent partisanes du « laisser-faire » alors que les entreprises de taille moyenne en ont réellement besoin.
J'ajoute que, bien entendu, il est assez facile de trouver des financements pour les bons projets très rapidement rentables : les fonds communs de placement à risque (FCPR) ciblent particulièrement de tels dossiers. Cependant, les régions s'attachent aussi à soutenir les entreprises qui dégagent trois à quatre pour cent de marge et non pas vingt à trente pour cent. La force de l'Allemagne, c'est aussi de parier sur la durée et non pas seulement sur un retour sur investissement immédiat. Nous faisons donc face à un problème de gouvernance économique. Si on ne responsabilise pas les régions au sein de la BPI, son efficacité sera très limitée. Rien ne sera réglé si on ne conçoit la BPI que comme le rapprochement entre Oséo et le fonds stratégique d'investissement (FSI).
Certes, on rappelle souvent que le monde politique n'est pas issu en majorité de l'entreprise, mais rien n'empêche de s'entourer de techniciens compétents.
J'en termine en rappelant que nous avons étés entendus par le gouvernement sur un certain nombre de points, avec en particulier la présidence du comité national d'orientation et la présence de trois régions dans ce comité. Par ailleurs, il était, au départ, entendu que les régions devaient présider les comités d'engagement, ce que les techniciens appellent les « fonds de fonds » ; par la suite, on s'est éloigné de cette idée mais il me parait essentiel de préserver au minimum une présence de la région. En effet, le risque, si on écarte les régions du dispositif de la BPI, est tout simplement que ces dernières gardent la maitrise exclusive des mécanismes de soutien qu'elles ont mis en place.