Intervention de Alain Richard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 23 janvier 2013 : 1ère réunion
Haute autorité chargée du contrôle et de la régulation des normes applicables aux collectivités locales — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard, rapporteur :

Eviter la surcharge normative des collectivités territoriales : cet objectif fait consensus depuis longtemps. À la suite des états généraux de la démocratie territoriale, le président du Sénat s'est engagé à ce que notre assemblée fasse des propositions sur ce sujet. Une proposition de loi a été élaborée à sa demande par Mme Gourault et M. Sueur pour apporter une réponse globale et cohérente au problème. Le gouvernement en approuve les orientations générales.

Le choix premier a été de modifier les procédures plutôt que de lancer une révision des normes existantes, le débat en séance publique sur la proposition de loi Doligé ayant montré que ce travail de simplification ne pouvait se faire que par la voie réglementaire.

Il faut un filtre institutionnel, doté d'une force juridique suffisante, pour éviter la surcharge normative et les risques qui en découlent ; la création de la commission consultative d'évaluation des normes (CCEN) s'est révélée efficace pour limiter l'accroissement de la complexité normative. Cette proposition de loi vise ainsi à remplacer la CCEN par une institution aux capacités renforcées.

Le travail de M. Doligé sera pris en compte, tout comme le rôle du commissaire à la simplification, institué en 2010 auprès du secrétariat général du gouvernement et doté d'un pouvoir consultatif. Il est impliqué dans le processus d'adoption des projets, dans l'intérêt des collectivités mais aussi des entreprises.

La proposition de loi élargit aux projets de loi le champ d'intervention de la commission, aujourd'hui limité au domaine réglementaire. Le rapport d'Alain Lambert, consacré aux relations entre l'Etat et les collectivités territoriales, datant de 2007, le souligne : la CCEN ne peut demander aux administrations des décrets plus simples si la complexité est due à la loi-support que nous votons. Faut-il appliquer ce contrôle à tous les projets de loi, jusqu'à la ratification d'un accord fiscal avec le Costa Rica ? Se posera également la question des délais.

La compétence de la nouvelle commission est également élargie aux textes de l'Union européenne. Sans que cela puisse être systématique, il s'agit de lui donner le pouvoir de réclamer au gouvernement d'être saisie sur une proposition de règlement ou de directive afin de faire des observations au service gouvernemental qui négocie. Cela ne posera qu'un problème de détection et de sélection ; il faudra que la commission soit mise dans la boucle.

La proposition de loi étend également la compétence consultative de la nouvelle commission aux textes relatifs aux équipements sportifs, domaine dans lequel le pouvoir réglementaire est délégué aux fédérations sportives. Les collectivités se plaignent des coûts importants de mises aux normes. Il existe aujourd'hui une commission spécialisée, la commission d'examen règlements fédéraux relatifs aux équipements sportifs -la CERFRES- qui verra ses compétences transférées à la nouvelle instance.

La proposition de loi prévoit certains outils de procédure pour renforcer l'efficacité de la consultation. Le délai d'examen est fixé à six semaines ; la commission pourra demander une deuxième délibération sur un projet, sous l'égide du Premier ministre, pour obliger à une concertation intra-gouvernementale ; les avis de la commission seront publiés au Journal officiel ou figureront dans les études d'impact accompagnant les projets de loi. Si nécessaire, la commission délibérera en extrême urgence, éventuellement par visioconférence entre ses membres, et rendra son avis dans un délai de trois jours.

Changement important, la commission sera détachée du Comité des finances locales (CFL) dont la CCEN est aujourd'hui une émanation. Les membres du CFL sont généralement des présidents d'exécutifs locaux ou des parlementaires, ce qui est peu compatible avec l'exigence d'assiduité à la CCEN. La nouvelle commission serait composée d'élus de même profil mais non nécessairement membres du CFL. Leur nombre serait porté de 22 à 35 afin que la commission atteigne plus facilement le quorum et puisse siéger par sections.

Je proposerai à la commission des lois de clarifier le statut de cette nouvelle instance. Le terme de Haute Autorité n'est utilisé dans le droit français que pour les autorités administratives indépendantes. Dans le cas présent, la nouvelle instance sera chargée de dialoguer avec l'exécutif et le parlement et de faire des contre-propositions. Ce n'est pas le rôle d'une Haute Autorité. Je propose d'appeler cette nouvelle commission « Conseil national ».

Elle sera de même niveau que le CFL. Comme pour ce dernier, le budget nécessaire à son fonctionnement sera prélevé sur la dotation globale de fonctionnement, afin que soit assurée son autonomie budgétaire. La nouvelle instance adressera au gouvernement un rapport annuel public qui traitera notamment du stock de normes et mentionnera les demandes de révision faites au gouvernement - qui seront ainsi mises dans le débat public.

Autre changement, la méthode pour revenir sur les normes existantes. Par auto-saisine, la commission pourra demander au gouvernement de remettre en chantier une réglementation trop lourde. Des parlementaires pourront également saisir la commission pour qu'elle formule une demande au gouvernement et, sous certaines conditions, des groupements d'élus locaux.

Ce texte soulève quelques problèmes juridiques. Le premier, sur lequel nous fermerons les yeux, est qu'il se situe à la limite du domaine réglementaire - pour ne pas dire au-delà. Nous avons toutefois choisi d'affirmer la prééminence du Parlement sur ce sujet.

Autre problème : dès lors que l'avis est instauré par une loi ordinaire, le gouvernement pourra se dispenser de le faire figurer dans l'étude d'impact d'un projet de loi, et ce ne sera pas un motif d'irrecevabilité. Si le Parlement vote le projet de loi, l'obligation de forme sera levée. Les études d'impact ont été rendues obligatoires en 2010 par une loi organique ; la Conférence des présidents peut d'ailleurs refuser l'inscription d'un texte à l'ordre du jour si elle considère l'étude d'impact insuffisante. Cette faculté n'a jamais été utilisée... Par précaution, il nous faudrait élever au niveau organique l'obligation de faire figurer l'avis de la commission dans l'étude d'impact.

Nombre de réglementations particulièrement contraignantes ont été introduites par voie parlementaire, d'autant que personne ne prend le temps d'évaluer les conséquences d'un amendement en pleine discussion parlementaire. Une garantie supplémentaire serait apportée si le Parlement pouvait saisir en urgence le futur conseil national d'évaluation des normes, afin qu'il donne un avis préliminaire sur les conséquences d'un amendement d'origine parlementaire.

Nous avons longuement débattu, lors de l'examen de la proposition de loi Doligé, du droit à l'adaptation. Le Conseil d'État estime que les outils nécessaires existent déjà. Nous pourrions confier au nouveau conseil le pouvoir de proposer au gouvernement des adaptations selon les tailles de collectivité, et dans le respect de l'intention du législateur.

Les normes ne surviennent pas spontanément, elles sont toujours réclamées, dans un souci de sécurité ou de protection. Faut-il accumuler les hyper-protections contre tous les risques imaginables ? Alain Lambert, président de la CCEN, s'interroge : doit-on adopter la même norme, selon que le risque concerne 50 personnes ou 50 millions de personnes ? Ces exigences sont suscitées par des lobbies, certes honorables. Mais tout cela se facture... Ayons le courage de laisser une petite place au risque dans nos décisions législatives.

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