Autre changement significatif, qui était déjà suggéré dans le précédent rapport de la CCEN, une méthode pour réexaminer l’ensemble des dispositifs réglementaires existants, c'est-à-dire le stock de normes, est prévue.
Il ne pourra évidemment s’agir que d’un pouvoir de saisine, puisqu’on ne va pas demander au Conseil national, qui n’est pas une instance de décision, de réécrire lui-même les réglementations exagérément complexes ou porteurs d’effets indésirables. Sa fonction sera donc de saisir le Parlement ou le Gouvernement de propositions de réexamen et d’allégement des normes en vigueur, sachant qu’il devra préciser dans sa demande aux autorités législatives ou réglementaires les modalités des simplifications qui lui paraîtront devoir être entreprises.
Cinquième point, en l’état, la proposition de loi ne prévoit la demande de réexamen du droit existant qu’au niveau réglementaire. Nous reviendrons brièvement sur ce sujet lors de la discussion des articles. Toutefois, ne m’étant aperçu qu’assez tardivement de cette limitation, il ne m’a pas paru judicieux de suggérer en dernière minute au Sénat d’étendre le pouvoir de sollicitation du Conseil national au domaine législatif, même si cela me semble devoir être la suite logique de ce que nous cherchons à réaliser.
S’il arrive parfois que des normes exagérément pesantes soient cantonnées au domaine réglementaire, il n’en demeure pas moins que, le plus souvent, leur caractère excessif découle malheureusement d’une norme de niveau législatif.
La possibilité de remonter jusqu’au fondement législatif d’une réglementation exagérément complexe me semble donc devoir être ouverte au Conseil national. Toutefois, pour les raisons que je viens d’indiquer, je suggère que l’examen de ce sujet intervienne lors des prochaines lectures de la proposition de loi, à l’Assemblée nationale ou dans notre hémicycle.
Il s’agira donc d’un système d’auto-saisine, que les auteurs de la proposition de loi ont élargi aux parlementaires et aux élus locaux. Ces derniers devront toutefois impulser un mouvement suffisamment collectif de demande de réexamen, une simple requête individuelle ne pouvant suffire.
Au surplus, le Conseil national sera amené à présenter annuellement au Gouvernement un rapport public, comme l’actuelle commission le fait déjà, mais il le fera avec davantage de solennité. Ce sera l’occasion pour lui d’annoncer les domaines où des simplifications doivent intervenir, afin que l’exécutif soit en mesure d’élaborer son propre programme de simplification.
Mon sixième et dernier point porte sur quelques interrogations juridiques apparues lors du cheminement qui a conduit à l’élaboration de la proposition de loi.
Premièrement, il n’est pas absolument certain que nous ayons fait preuve de la plus parfaite vigilance sur la distinction entre domaine réglementaire et domaine législatif. En droit commun, les instances consultatives relèvent en général du domaine réglementaire. Nous avons de bons motifs de situer diverses normes au niveau législatif, mais il est possible que le Gouvernement estime que certaines des modalités de consultation que nous nous apprêtons à adopter ne sont pas franchement de la compétence du législateur…
Deuxièmement, la proposition de loi ne prévoyait pas la possibilité de soumettre au Conseil national des amendements, que ceux-ci émanent du Gouvernement ou des parlementaires.
Or, comme l’a particulièrement bien souligné le Conseil d’État dans un rapport de 2006 où il dressait le bilan des difficultés d’adoption des textes, l’expérience montre qu’il arrive assez fréquemment que ce soit par un amendement que se fait la synthèse de discussions législatives complexes. Souvent examiné à la dernière minute, celui-ci ne s’accompagne alors d’aucun travail d’évaluation. Le rapport du Conseil d’État que je mentionnais à l’instant rappelait ainsi que l’instauration de l’appel en matière criminelle avait résulté d’un amendement…
Un autre cas de figure que nous connaissons tous est celui du projet de loi souhaité par le Gouvernement et sa majorité mais « encalminé » dans le calendrier parlementaire et refondu en amendement pour être introduit dans un autre texte inscrit, lui, à l’ordre du jour. Dans ce cas encore, le travail de prévention de la surcharge normative n’est pas fait.
Nous nous sommes donc efforcés de mettre en place un dispositif d’examen, à titre exceptionnel bien sûr, des amendements par le Conseil national, que ces derniers soient d’origine gouvernementale ou parlementaire. Les modalités de cet examen peuvent elles aussi soulever des difficultés, comme nous le verrons sans doute lors de la discussion des articles.
Enfin, pour que le législateur soit prévenu et puisse se prémunir contre l’adoption, y compris par lui-même, de normes trop complexes, il faut que l’avis du Conseil national soit effectivement porté à son attention. Or exiger que l’avis du Conseil national figure dans l’étude d’impact qui doit accompagner, depuis la réforme de la Constitution de 2008, les projets de loi devrait relever du niveau organique. Si, dans une loi ordinaire, nous prévoyons que l’avis du Conseil national est joint à l’étude d’impact, il suffira que le Parlement accepte d’examiner le texte et l’adopte pour que l’absence d’avis du Conseil national soit pour ainsi dire « lavée » et pour qu’il n’y ait pas de vice de forme opposable à un tel texte.
Je suggérerai donc que les auteurs de la proposition de loi s’interrogent sur l’utilité de présenter, en complément du présent texte, une proposition de loi organique qui assurerait l’inclusion dans l’étude d’impact de l’avis du Conseil national sur les projets de loi.
Il me reste à rappeler que, comme l’a dit très justement Jean-Pierre Sueur, si des normes apparaissent, c’est qu’elles sont jugées souhaitables au regard de la complexité de notre société et des interprétations contradictoires de l’intérêt général qui s’y font jour.
En conséquence, si nous voulons faire œuvre utile en matière de réduction de la prolifération législative, nous devons nous interroger, chaque fois que nous entrons en salle de commission et, a fortiori, dans l’hémicycle, sur l’absolue nécessité des prescriptions que nous proposons.
Comme se le demandait, à mon avis très sagement, Alain Lambert, est-il indispensable d’adopter le même type de norme de précaution, de sécurité ou de prévention pour cinquante ou pour 5 millions de personnes ? C’est pourtant bien ce que nous faisons aujourd’hui, avec ce sens de l’absolu assez hégélien qui caractérise le législateur français depuis bientôt deux siècles. N’oublions pas un point de vue à peine plus lointain, celui de Montesquieu : les lois inutiles nuisent aux lois nécessaires…