Intervention de Claude Domeizel

Réunion du 31 janvier 2013 à 9h00
Fiscalité numérique neutre et équitable — Discussion d'une proposition de loi

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel, rapporteur pour avis :

Enfin, le changement des modes de consommation des contenus culturels entraîne une stabilisation, voire un ralentissement, des marchés classiques, donc une érosion de l’assiette de la taxation, qui met en péril le rendement des taxes affectées au financement de l’ensemble de la filière.

Or, pour intéressante que soit l’initiative prise par notre collègue Philippe Marini d’instaurer une taxation, même modeste, des revenus créés en France par l’économie numérique, elle n’en demeure pas moins inopérante quant à l’affectation d’une partie du produit de la fiscalité numérique au financement de la culture.

Ainsi, seul l’article 2 de la proposition de loi, qui étend la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes à la demande aux sociétés étrangères réalisant ce type de transactions au bénéfice d’un consommateur établi en France, instaure un mécanisme qui bénéficie à un opérateur de la culture, en l’espèce le CNC.

A contrario, à l’article 1er, qui constitue le cœur de la proposition de loi en ce qu’il crée la taxe sur la publicité en ligne et celle sur le commerce électronique, il n’est pas prévu d’affecter, même en partie, ces nouvelles ressources aux industries culturelles. Elles iront au budget général de l’État pour la taxe sur la publicité en ligne et aux collectivités territoriales pour la TASCOE.

Pourtant, les besoins de financement des opérateurs de la culture sont considérables. Je citerai notamment le cas du Centre national du livre, le CNL, confronté aux difficultés des librairies indépendantes, ce qui, vous le savez, mes chers collègues, préoccupe particulièrement la commission de la culture. Toutefois, le CNL doit également répondre aux enjeux de la numérisation du patrimoine littéraire que constituent les « sous-droits », dans un contexte où les évolutions technologiques font peser une menace sur le rendement de la taxe sur la vente des appareils de reprographie, de reproduction et d’impression.

Je pense également aux défis qui attendent les acteurs français de la musique. Le succès de Deezer masque en effet la fragilité du secteur : en 2012, la FNAC a ainsi abandonné sa musique en ligne à iTunes et AlloMusic a fermé. Parallèlement, les ventes de supports physiques s’effondrent, ce qui met en grande difficulté tant les disquaires indépendants que les grandes enseignes.

Si le secteur de la musique ne dispose pas de son propre opérateur, depuis l’abandon du projet de création d’un Centre national de la musique, ou CNM, il n’en demeure pas moins qu’il a plus que jamais besoin de soutien financier. À cet égard, l’élargissement à la musique des missions du Centre national de la chanson, des variétés et du jazz me semblerait pouvoir être envisagé, dès lors qu’une nouvelle ressource est affectée au centre, ce qui avait manqué au projet de création du CNM.

Quoi qu’il en soit, le CNL et le CNV pourraient utilement bénéficier de nouvelles ressources issues de la fiscalité numérique, notamment de la taxe sur la publicité en ligne créée par l’article 1er de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui. On rappellera que son rendement est estimé par l’auteur de ce texte à 20 millions d’euros par an, ce qui, divisé entre les deux opérateurs, permettrait de répondre à de nombreux besoins.

Si la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est incomplète sur le sujet du fléchage indispensable d’une partie des ressources issues de l’instauration d’une fiscalité numérique vers l’industrie culturelle, elle a en réalité pour principal défaut d’anticiper par trop les bouleversements qui pourraient intervenir en 2013 dans ce domaine.

À l’échelon national, tout d’abord, la mission confiée par le Gouvernement à Nicolas Colin et à Pierre Collin a rendu ses conclusions le 18 janvier dernier. Les propositions présentées sont ambitieuses et quelque peu iconoclastes. Il s’agit en effet pour les auteurs d’instaurer une fiscalité incitative assise sur la collecte et l’exploitation par les acteurs de l’internet des données personnelles des internautes.

Autre signe, s’il en était besoin, que le sujet constitue désormais une priorité gouvernementale : le même jour, vous organisiez, madame la ministre, une table ronde sur la fiscalité du numérique et la neutralité d’internet avec l’ensemble des acteurs concernés.

Enfin, la mission Lescure, qui concerne plus spécifiquement la politique culturelle à l’ère du numérique et les moyens qui y sont accordés, devrait, pour sa part, rendre ses conclusions au mois de mars prochain.

Le constat est identique aux échelons communautaire et international, tant il est vrai que la fiscalité numérique et son équité concernent l’ensemble des grands pays consommateurs de services en ligne, qui, tous, sont confrontés à la question du recouvrement de l’impôt et aux distorsions de concurrence.

La commission de la culture a donc également souhaité étayer son analyse en replaçant les propositions de notre collègue Philippe Marini dans un contexte de bouleversement à venir, aux plans national, européen et international.

De fait, si le législateur français a certainement vocation à porter un message fort sur l’instauration nécessaire d’une fiscalité numérique, il ne peut, à lui seul, en déterminer le contenu. Ainsi, en marge du G20 des 5 et 6 novembre 2012, les ministres des finances de l’Allemagne, du Royaume-Uni et de la France ont publié une déclaration commune appelant à une action coordonnée en vue de renforcer les normes fiscales internationales et ont conjointement demandé à l’OCDE de mener à bien une réflexion sur les mesures permettant de remédier à l’érosion des bases imposables, due au transfert des bénéfices vers des pays à basse fiscalité.

Dans un contexte budgétaire de plus en plus contraint, des propositions gouvernementales devraient donc prochainement voir le jour, afin de faire participer les grands acteurs du numérique à l’effort fiscal à due proportion des revenus importants qu’ils tirent de leurs activités sur le territoire national.

S’il paraît aujourd’hui prématuré d’envisager le contenu précis de telles dispositions, peut-être pourriez-vous, madame la ministre, nous en dévoiler ce matin les grandes lignes ? En tout état de cause, la commission de la culture veillera à ce que les mesures qui seront proposées prennent en compte les enjeux liés au financement des industries culturelles.

Dans l’attente des réformes nationales, communautaires et internationales qui seront adoptées, du moins nous l’espérons, dans les prochains mois en matière de fiscalité numérique, il nous semble qu’il est urgent d’attendre, avant de modifier unilatéralement et, du reste, de manière fort modeste au regard des enjeux, notre réglementation fiscale dans ce domaine.

C’est pourquoi, après avoir examiné, le 24 janvier dernier, la proposition de loi déposée par M. Marini, la commission de la culture a émis un avis favorable sur la motion tendant au renvoi à la commission.

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