Intervention de Frédérique Espagnac

Réunion du 20 mars 2013 à 14h30
Séparation et régulation des activités bancaires — Discussion d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Frédérique EspagnacFrédérique Espagnac :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi, dans un premier temps, de saluer l’excellent travail réalisé par notre rapporteur, sur ce texte ô combien complexe, qui déchaîne les passions, comme on peut le constater, tant les intérêts peuvent être contradictoires.

Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est équilibré. Il initie une nouvelle donne dans le secteur bancaire, en France et en Europe.

Comme on put le dire les orateurs qui m’ont précédée à la tribune, le texte qui nous est soumis aujourd’hui, adopté par l’Assemblée nationale le 19 février dernier, est pleinement d’actualité. En effet, alors que nous ressentons encore aujourd’hui les effets de la crise bancaire et financière née de la faillite, en 2008, de la banque Lehman Brothers et de la crise des dettes souveraines qui s’en est suivie, la réforme du secteur financier reste au cœur des préoccupations au niveau international.

On peut notamment citer les propositions de normes prudentielles issues des accords de Bâle III, ainsi que le « paquet européen » CRD IV. Ce dernier doit traduire en droit communautaire les règles de supervision bancaire européennes, ainsi que les travaux en cours au sein de la Commission européenne en vue de proposer une directive sur la résolution commune, autrement dit, la manière de faire face à la faillite d’un établissement bancaire.

Des démarches similaires ont guidé l’Allemagne et semblent inspirer le Royaume-Uni ou encore les États-Unis.

Mes chers collègues, je souhaiterais centrer mon intervention sur deux enjeux cruciaux de la réforme du système bancaire global : la transparence et la lutte contre les paradis fiscaux. Notre assemblée travaille depuis de nombreuses années sur ces sujets et maints rapports ont vu le jour. Or, force est de le constater, la mise en œuvre de leurs recommandations fut très souvent extrêmement limitée.

Mais il y a pire. Nous nous rappelons tous les G20 de Londres et de Pittsburgh, en 2009, au lendemain de la crise des subprimes, qui devait entraîner les banques et nos économies dans une spirale infernale dont nous commençons à peine à voir la fin.

À cette occasion, les chefs d’État et de gouvernement des vingt premières économies mondiales se fixent notamment comme objectif de réformer les modalités de régulation bancaire et financière.

La création d’une liste noire des paradis fiscaux, ou pays fiscalement non coopératifs, est annoncée en grande pompe. Les attentes et espoirs sont alors énormes, et le précédent Président de la République d’annoncer fièrement que « le temps du secret bancaire est révolu ».

Cerise sur le gâteau : le lendemain du sommet, une grande banque française annonce qu’elle fermera avant 2010 une douzaine de filiales figurant sur la fameuse liste grise de l’OCDE, faisant ainsi un premier pas sur la voie de la réforme des régulations bancaires et financières.

L’union sacrée est totale, décideurs politiques et acteurs de la banque main dans la main pour lutter contre les paradis fiscaux, coupables d’avoir encouragé et couvert les déviances d’un système bancaire et financier mondial devenu fou.

Mais qu’en est-il quatre ans après, mes chers collègues ? Quelques faits et chiffres viennent relativiser ce qui n’aura été qu’un ensemble de vœux pieux.

Selon un rapport du Conseil des prélèvements obligatoires datant de juillet 2012, alors que le montant des impôts sur le revenu et sur la production des banques a augmenté en France d’environ 50 % entre 1996 et 2011, le produit net bancaire a plus que doublé, l’actif total des banques françaises ayant été multiplié par trois et leurs profits, par dix.

Loin de moi l’idée de dénigrer la réussite de nos banques ! Pour autant, je rappelle également que la même étude estime que jusqu’à 20 % des filiales étrangères des grandes banques françaises sont localisées dans des centres financiers offshore, lesquels permettent aisément des transferts de fonds entre paradis fiscaux, qui sont, vous en conviendrez, de puissants facteurs d’optimisation fiscale.

Si nous en revenons à la lutte contre les paradis fiscaux et le secret bancaire, nous ne pouvons à première vue que nous réjouir de voir fondre comme neige au soleil le nombre de pays et d’États figurant sur la liste de l’OCDE. Or, loin d’être l’aboutissement de la lutte contre les paradis fiscaux, cette liste révèle le refus de ces autorités de collaborer et un travail concerté de contournement de règles trop peu contraignantes. En effet, pour être rayé de cette liste, il suffisait de contracter des accords bilatéraux d’échanges d’informations, chose que ces autorités firent avec beaucoup d’aisance, je vous rassure, mais entre membres de cette fameuse liste, nouvelle preuve qu’en matière d’opacité bancaire et financière il vaut mieux être mal accompagné que seul !

Ainsi soit-il de cette initiative intergouvernementale sacrifiée sur l’autel des égoïsmes nationaux et des intérêts particuliers de certains grands groupes !

Loin de se résigner, le candidat François Hollande, devenu Président de la République, s’est, avec son gouvernement, investi pleinement dans la lutte contre les paradis fiscaux et l’opacité bancaire. Au niveau européen, la France œuvre en ce sens dans le cadre des accords CRD IV, instaurant notamment un reporting poussé pays par pays, qui permettra aux particuliers de connaître les activités de leurs banques et d’agir en conséquence.

Le projet de loi de séparation et de régulation des activités bancaires que nous examinons aujourd’hui intègre une série de mesures concrètes qui vont dans ce sens. Nous avons travaillé en amont, avec nos collègues de la commission des finances, sous le regard bienveillant du Gouvernement, pour que ces mesures cruciales soient juridiquement les mieux cadrées et moralement les plus efficaces.

Richard Yung, notre rapporteur au fond, Jean-Pierre Caffet, Laurence Rossignol, Marie-Noëlle Lienemann et moi-même défendrons ainsi une série d’amendements permettant à ce texte d’aller encore plus loin sur la voie de la transparence financière et de la lutte in fine contre les paradis fiscaux.

Consciente que ce texte constitue une première étape vers la fin de ces pratiques et persuadée que notre action constituera un exemple pour l’ensemble de nos partenaires européens, je serai fière de voter ce projet de loi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion