Intervention de François Fortassin

Réunion du 20 mars 2013 à 21h30
Séparation et régulation des activités bancaires — Article 1er

Photo de François FortassinFrançois Fortassin :

L’article 1er constitue le cœur du titre Ier, si ce n’est du projet de loi tout entier, puisqu’il organise la séparation des différentes activités bancaires. Mais quelles activités nous propose-t-on réellement de cantonner ?

Le projet de loi vise les activités « spéculatives », qui seront séparées des activités « utiles au financement de l’économie ». Les premières seront désormais exercées par une filiale cantonnée qui, selon l’exposé des motifs du projet de loi, « devra être capitalisée et financée de manière autonome comme si elle n’appartenait pas au groupe bancaire qui la contrôle ».

Pouvons-nous nous contenter de faire comme si les activités seront réellement séparées ? Là est la véritable question soulevée au travers de plusieurs amendements déposés sur l’article 1er, dont ceux de notre collègue Pierre-Yves Collombat, que nous soutenons.

« Reprendre la main par rapport aux dérives de la finance, répondre […] aux causes profondes de la crise financière » : telles sont, selon les propos qu’a tenus cet après-midi M. le ministre de l’économie et des finances en introduction de son discours, les ambitions, ô combien vastes, du présent projet de loi. Mais celui-ci y répond-il vraiment ? Rien n’est moins sûr…

La séparation des activités doit permettre de réduire le risque systémique et l’aléa moral, à l’origine des crises financières et causes de leur ampleur puisqu’ils renforcent le cercle vicieux des crises bancaires alimentant les crises de dette publique.

La question importante à se poser quant à la séparation des activités bancaires est la suivante : où placer le curseur ? Contrairement aux préconisations du rapport Liikanen, le projet de loi prévoit, par exemple, de ne pas filialiser a priori la tenue de marché. Un amendement adopté à l’Assemblée nationale permet désormais au ministre de l’économie et des finances de faire entrer, par un arrêté, tout ou partie des activités de tenue de marché dans la filiale spéculative.

Cependant, madame la ministre, pouvez-vous nous expliquer comment vous allez utiliser ces fameux « ciseaux » ? Allez-vous soudainement vous rendre compte que des activités qui n’étaient pas « dangereuses » auparavant le sont devenues ? Surtout, ne sera-t-il pas trop tard ? En effet, on peut imaginer que la tenue de marché pourrait jouer un rôle important dans la prochaine crise financière, comme les produits titrisés dans la précédente. Mais quand la crise sera sur le point d’éclater, à quoi cela servira-t-il encore de filialiser cette activité ?

On peut certainement disserter sur le pourcentage exact des activités des banques qui sera concerné par la filialisation. En réalité, il sera extrêmement faible : de l’ordre de 1 % de leur chiffre d’affaires. On voit mal comment une telle séparation serait en mesure de résoudre le problème du risque systémique.

En quoi nos établissements financiers ne seront-ils plus trop grands pour tomber, autrement dit pour faire faillite ? Toutes les activités conservées par le projet de loi dans la maison mère sont peut-être « utiles à l’économie », mais si nous ne réduisons pas considérablement l’importance du bilan de nos banques, celles-ci resteront toujours systémiques. Nous serons bien obligés de venir à leur secours, le cas échéant, car leur défaillance menacerait l’ensemble de l’économie… Je vous rappelle que le bilan cumulé des banques françaises représente 10 000 milliards d’euros, soit cinq fois le PIB de notre pays ! Je ne vois donc pas en quoi le présent projet de loi prévient le risque systémique ou l’aléa moral.

La flexibilité et la souplesse sont certainement des qualités pour un texte tendant à encadrer et à réguler le secteur financier et les pratiques spéculatives déstabilisantes. On le constate bien aux États-Unis, où le régulateur peine à appliquer la loi Dodd-Frank de 2010 interdisant strictement les activités pour compte propre. En effet, un dispositif législatif trop rigide et précis présente un risque de contournement rapide par le secteur financier, dont nous ne devons pas sous-estimer la créativité.

Des réformes ont été engagées ou sont en cours de négociation au niveau européen, qui nous semble plus adapté que l’échelon national pour traiter ce type de problématique. Je note d’ailleurs que si les améliorations de la supervision et de la régulation des systèmes financiers ont déjà été largement abordées par Bruxelles, notamment à travers le projet d’union bancaire, la réforme des structures des banques a pour l’instant été mise de côté, ce qui est regrettable. Les suites qui seront données au rapport Liikanen sont incertaines. C’est pourquoi il est du devoir du Gouvernement français, madame la ministre, de redoubler d’efforts pour faire aboutir une réforme européenne des banques.

C’est justement la raison pour laquelle le présent projet de loi, qui a le mérite d’exister, doit être véritablement plus ambitieux, car il a vocation à « servir d’exemple » au reste de l’Europe.

Mes chers collègues, permettez-moi une petite digression. Tout à l’heure, un certain nombre de sénateurs de l’opposition ont fustigé, avec un talent oratoire certain et quelque véhémence, l’approche retenue dans le présent projet de loi. Le béotien que je suis s’étonne que ces experts confirmés, particulièrement avertis des choses de la finance, ne se soient pas aperçus que l’homme providentiel qu’ils ont soutenu avec enthousiasme avait doublé en cinq ans la dette de la France !

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