Intervention de Jean-Pierre Michel

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel, rapporteur :

et vous aussi, en toute bonne foi.

Aucune norme constitutionnelle ni conventionnelle ne proscrit le mariage de deux personnes de même sexe, ni l'adoption par un célibataire ou un couple homosexuel. Au contraire, le principe d'égalité et le droit à une vie familiale et personnelle peuvent fonder l'accès des intéressés à ces deux institutions. En la matière toutefois, la décision ne peut venir que du législateur. C'est ce que la Cour de cassation a laissé entendre dans l'affaire du mariage de Bègles et ce que le Conseil constitutionnel a rappelé le 28 janvier 2011. En effet, après avoir constaté que la Constitution n'imposait ni n'interdisait de réserver le mariage aux couples hétérosexuels, il a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de la différence de situation entre les couples homosexuels et les couples de sexe différent. Cette dernière mention correspond, dans la jurisprudence constitutionnelle, à la limite que la Haute instance donne à son propre contrôle, et à la marge d'appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur. Le Conseil reconnaît donc que le choix d'ouvrir ou non le mariage aux couples de personnes de même sexe n'appartient qu'au législateur et qu'aucune norme constitutionnelle ne s'y oppose.

Les engagements internationaux de la France ne présentent pas davantage un obstacle à la décision du législateur en la matière, qu'il s'agisse de la convention européenne des droits de l'homme ou de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ainsi que du pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, le 16 décembre 1966. Aucune norme supérieure ne s'oppose donc à ce que la loi ouvre le mariage aux couples de personnes de même sexe. Certains des principes qui les inspirent peuvent au contraire utilement guider le législateur dans son choix : la liberté, l'égalité et le droit de mener une vie familiale normale plaident tous trois pour que le droit dont bénéficient aujourd'hui les couples hétérosexuels soit ouvert aux couples homosexuels.

Sous cette lumière, si la décision peut être débattue, l'avancée sociale apparaît plus que jamais nécessaire. Nos auditions rendent compte du débat que suscite, au sein de la société française, la reconnaissance, au profit des homosexuels, du droit se marier et d'adopter ensemble. Les inquiétudes ou les observations suscitées par cette réforme méritent d'être entendues, lorsqu'elles restent respectueuses de chacun, parce qu'elles rendent compte de conceptions partagées par nombre de nos concitoyens. En revanche, elles ne peuvent être retenues : compte tenu du périmètre limité de la réforme, le bouleversement symbolique allégué n'est pas avéré.

Les opposants à la réforme lui font porter le poids d'évolutions sociales ou psychologiques qu'ils contestent. Or, l'ouverture du mariage et de l'adoption conjointe aux couples de personnes de même sexe ne crée ni la conjugalité homosexuelle, ni l'homoparentalité. Au contraire, ces familles lui préexistent et le projet de loi se limite à leur offrir le cadre légal et protecteur qu'elles sont en droit d'attendre de la Nation.

Plusieurs des intervenants entendus par votre commission - représentants des grandes Églises, pédiatres, psychologues... - se sont inquiétés des conséquences psychologiques ou symboliques de la réforme proposée sur l'ordre social ainsi que sur les enfants des familles homoparentales. Leurs affirmations ont toutefois été contredites à plusieurs reprises dans la suite des auditions, notamment par d'autres psychologues. Par exemple, la présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Mme Hourcade, a observé que les juges des enfants ne font pas état de signalements portant sur des enfants qui seraient en danger en raison de l'homosexualité de l'un de leurs parents.

Les enfants élevés par des parents de même sexe ne le sont ni mieux ni moins bien que ceux élevés par des parents de sexe différent. Je souligne en outre que le droit actuel autorise, sans discrimination, les homosexuels à adopter un enfant, en tant que célibataires, même si cela leur est souvent refusé ; de tels refus ont toutefois été jugés discriminatoires par la Cour européenne des droits de l'homme.

La question est d'admettre ou non l'adoption conjointe pour les couples de même sexe et d'établir ainsi la parenté effective sur une filiation juridique reconnue. Le débat est biaisé lorsque des arguments psychologiques sont mobilisés pour contester la reconnaissance juridique complète de l'homoparentalité, alors même que le droit établit la possibilité d'une filiation qui ne repose pas sur le modèle hétérosexuel du père et de la mère et que le fait consacre l'existence de ces familles. Plaçant le débat actuel dans le temps long de l'anthropologie, Mme Françoise Héritier a d'ailleurs nié qu'on puisse invoquer une « vérité anthropologique » pour refuser le mariage aux couples homosexuels.

L'ouverture du mariage et de l'adoption conjointe aux personnes de même sexe est parfois dénoncée à raison de ses conséquences pour le mariage traditionnel et pour la filiation. L'argument ne peut être reçu, compte tenu du champ limité du présent projet de loi. Les couples homosexuels accéderaient à l'adoption conjointe et au mariage sans en changer les règles, en dehors de la dévolution du nom de famille pour l'adoption. Rien n'est ôté au mariage que connaissent aujourd'hui les couples hétérosexuels. Les règles et les effets de la filiation biologiques demeurent inchangés. La présomption de paternité du mari est maintenue et ne concernerait pas les époux de même sexe. Aucune modification n'est apportée aux principes régissant l'autorité parentale. Le régime juridique de l'adoption plénière et de l'adoption simple resterait le même s'agissant de la possibilité pour l'enfant de maintenir une filiation préétablie ou d'accéder à ses origines personnelles. Chaque forme de famille conserverait ainsi la place que lui fait le droit dans la société, et une nouvelle serait admise à leur côté.

Certains, au cours des auditions, ont craint que la réforme ouvre la voie à d'autres qui engageraient notre société sur une pente dangereuse. L'argument de l'inexorabilité d'une évolution mue par la revendication d'égalité, à laquelle plus aucun principe ne pourrait être opposé, repose cependant sur une prémisse contestable : la revendication d'égalité serait sans freins, parce qu'elle serait sans guide. Or, il appartient au législateur de décider, conformément à l'idéal républicain, sous quel rapport la différence de situation qui existe entre deux individus justifie, ou non, qu'ils soient traités différemment. La différence entre un couple constitué d'un homme et d'une femme, et un couple constitué de deux hommes ou de deux femmes peut ainsi être jugée pertinente pour ce qui intéresse la filiation biologique, mais sans effet pour ce qui concerne l'exercice des droits parentaux ou l'établissement d'une filiation adoptive conjointe. Déjà, le législateur a pu réserver l'accès aux techniques de procréation médicalement assistée aux couples constitués d'un homme et une femme dans le seul cas d'une infertilité médicalement constituée, sans l'ouvrir à ceux qui ne présentent pas cette infertilité. Même, parmi les couples infertiles, il a opéré une distinction entre ceux dont l'infertilité peut faire l'objet d'un traitement procréatif qu'il a autorisé, et ceux dont l'infertilité, due à une impossibilité pour la femme à porter l'enfant, ne peut trouver un remède que dans la gestation pour autrui, qu'il a prohibée. Le législateur a donc posé des freins à la revendication d'égalité.

Le Gouvernement a annoncé un projet de loi consacré à la famille, qui abordera des questions non traitées par le présent projet de loi, notamment l'adoption et la filiation. Il reviendra au législateur de se prononcer sur ces sujets. Préjuger aujourd'hui de ses choix, en tirant argument d'une évolution irrémédiable engagée, dès à présent, par le texte qui vous est soumis, est méconnaître le pouvoir souverain de la loi. D'ailleurs, l'observation des pays européens qui ont autorisé le mariage homosexuel montre la palette des solutions retenues par chacun. Aussi important qu'ait été le débat qui a précédé ces réformes, celles-ci se sont déroulées sans heurts et ont été assimilées sans difficulté par la société.

L'exemple français du pacte civil de solidarité enseigne que le temps est l'allié le plus précieux des réformes de société. Le débat qui a précédé l'adoption de la loi du 15 novembre 1999 fut particulièrement vif, et les craintes alors exprimées furent les mêmes que celles formulées aujourd'hui. Pourtant le succès de cette législation ne se dément pas et le dispositif est prisé au point d'être salué par ceux qui s'opposent au mariage des personnes de même sexe et souhaitent désormais la mise en place d'un Pacs amélioré ou d'une union civile conçue sur son modèle. L'histoire du Pacs est-elle prémonitoire de celle du mariage homosexuel ? Les exemples des États européens qui l'ont autorisé peuvent conduire à le penser. L'étude de législation comparée réalisée à la demande de la commission montre que six États européens ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe : les Pays-Bas (2001), la Belgique (2003), l'Espagne (2005), la Suède (2009), et le Portugal (2009). L'Angleterre s'est depuis engagée dans cette voie. Aucun n'a depuis remis en cause l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, en dépit des alternances politiques : la réforme s'est progressivement enracinée. Les différentes cours constitutionnelles ont validé les dispositifs concernés.

L'ouverture du mariage aux couples homosexuels n'est pas seulement légitime, elle est aussi nécessaire, pour deux raisons. Elle rend enfin le droit conforme aux évolutions de la société et elle garantit aux familles homoparentales la même protection et la même reconnaissance sociale que la loi accorde aujourd'hui aux familles traditionnelles.

Certains évoquent une dénaturation de l'institution du mariage. Mais n'est-ce pas renverser l'ordre des choses ? Car le texte proposé sanctionne plutôt l'évolution de l'institution elle-même, qui s'est abstraite du modèle cristallisé pendant plusieurs siècles sur lequel elle reposait, pour revenir aux principes de liberté et d'universalité qui la caractérisaient à l'origine : institution de protection plus que seul modèle de filiation possible. « Une affirmation de la liberté de l'homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c'est, pour l'ordre terrestre, l'essentiel du message français », rappelait le doyen Jean Carbonnier. Cette affirmation, qui renoue avec l'esprit consensualiste du droit romain du mariage, s'est trouvée confirmée successivement par l'article 7 de la Constitution du 3 septembre 1791 ou l'article 146 du code civil, inchangé depuis 1804.

Cet esprit de liberté s'appuie sur l'universalisme de l'accès au mariage : tout citoyen majeur peut y prétendre. La Révolution a ici opéré une rupture avec le mariage religieux de l'Ancien régime et confirmé l'égalité de tous devant le mariage. En consacrant la liberté de mariage et en la rattachant à la liberté personnelle découlant des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel a marqué qu'elle a partie liée avec l'universalisme républicain. L'évolution du mariage vers plus de liberté et d'égalité s'est poursuivie au dix-neuvième siècle, puis au vingtième, avec le rétablissement du divorce et, surtout, la fin du monopole du mariage pour l'établissement de la filiation : la loi du 3 janvier 1972, inspirée par le doyen Carbonnier, a engagé l'abolition de la distinction entre les enfants légitimes, adultérins et naturels.

Parallèlement, les formes de conjugalité ont évolué : s'il reste majoritaire, le mariage n'est plus la seule union possible. Une étude de l'Insee montre qu'en 2011, en France métropolitaine, sur 32 millions de personnes majeures déclarant être en couple, 72 % sont mariées et partagent la même résidence que leur conjoint, 22,6 % sont en union libre et 4,3 % sont pacsées. Cette évolution des conjugalités s'est répercutée sur les filiations. Depuis 2006, il naît plus d'enfants hors mariage qu'au sein du mariage : en 2012, presque 57% des naissances totales. Il n'est dès lors plus aujourd'hui possible de considérer le mariage comme l'unique institution de la filiation, indissociable de la filiation biologique.

Le sens du mariage a évolué, exprimant avec plus d'intensité ses ressorts libéraux et égalitaires. Le texte qui vous est soumis accompagne cette dynamique plus qu'il ne la crée. L'institution du mariage a ainsi sensiblement changé de sens et de but : elle n'est plus un mécanisme de légitimation sociale des familles, mais la garantie de leur protection. Chacun investit le mariage d'une signification qui lui est propre et emprunte à ses convictions religieuses, philosophiques ou civiles. Mais, quel que soit le sens qu'on lui donne, le mariage n'est jamais moins que le plus haut degré de protection juridique que peuvent se vouer librement deux personnes qui s'aiment. Cette protection transparaît à chaque moment du mariage. Surtout, elle s'étend aux enfants, car il est de leur intérêt que chacun de leurs parents soit suffisamment protégé. Elle se manifestera, notamment, par le fait qu'un juge se prononcera obligatoirement, en cas de séparation, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.

Ainsi compris, rien ne peut justifier de tenir encore à l'écart de la protection de la loi les familles homoparentales qui souhaiteraient se placer sous son égide. Cette demande est légitime, parce qu'il s'agit d'une demande de reconnaissance et de protection juridique, à l'égal des autres. La réforme proposée parachèverait une évolution engagée depuis plusieurs années, d'acceptation sociale de l'homosexualité et d'affirmation en parallèle des familles homoparentales. Le projet de loi sur le mariage ne doit pas faire oublier, qu'avant même que se posent les questions de reconnaissance civile des couples homosexuels, la première victoire a été celle de l'abrogation de toute prohibition pénale de l'homosexualité par la loi du 27 juillet 1982, avec l'abrogation des délits spécifiques d'homosexualité. Le combat s'est ensuite déplacé du plan pénal au plan civil, de l'acceptation à la reconnaissance civile engagée par le Pacs - ouvert à tous pour éviter d'enfermer les couples homosexuels dans un statut à part. Pour autant, il s'est limité à des effets patrimoniaux : ne confèrant aucun droit en matière de filiation ni même d'autorité parentale, il facilite la vie des couples, mais pas celle des familles. Une étape séparait donc encore les familles homoparentales de l'égalité avec les familles hétérosexuelles : le présent texte prétend la franchir.

Nombreux furent ceux qui ont évoqué, au cours des auditions, la question de l'intérêt supérieur de l'enfant, parfois pour s'étonner, comme M. Baudis, qu'elle n'ait pas été plus présente dans l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, ou pour évoquer la question de l'adoption par un conjoint du même sexe, comme Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente du conseil supérieur de l'adoption. L'argument est majeur, parce qu'il vise notamment la procédure d'adoption intrafamiliale de l'enfant du conjoint. L'approche doit être pragmatique : ces familles et ces enfants ont droit à la protection de la loi. Or, elles sont fragilisées par le fait que l'un des deux parents n'a aucun lien juridique avec l'enfant qu'il élève pourtant aussi bien qu'un autre parent. Pour y remédier, il est nécessaire d'autoriser l'adoption de l'enfant de l'autre parent. Or l'adoption de l'enfant du conjoint n'est possible que dans le mariage. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe est ainsi permettre à leurs enfants de profiter de la protection que leur garantira cette adoption. Cette protection, d'ailleurs, s'étend au-delà du simple lien de filiation, pour atteindre la protection mutuelle des époux, car il est de l'intérêt des enfants que leurs parents voient leur propre situation assurée face aux accidents de la vie ou du sentiment.

Je n'ai pas souhaité étendre le champ couvert par le présent texte à d'autres questions comme la PMA ou l'extension des possibilités d'adoption, qui seront débattues dans le cadre du projet de loi à venir sur la famille.

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