Le Gouvernement a transmis au Sénat, en application de l'article 88-4 de la Constitution, une proposition de règlement portant création d'un système d'enregistrement automatique des entrées et sorties des ressortissants des pays tiers franchissant les frontières extérieures de l'espace Schengen. Le risque d'une modification ultérieure des finalités du fichier à des fins répressives doit être analysé, d'autant qu'il s'agirait de recueillir des données biométriques. A la suite des positions exprimées par notre commission sur la protection des données personnelles, je vous propose que nous nous saisissions de ce texte, ainsi que des deux textes l'accompagnant, comme nous y autorise l'article 73 quinquies, alinéa 2, du Règlement du Sénat. Nous pourrions désigner un rapporteur lors de notre prochaine réunion.
La commission examine tout d'abord le rapport et le texte qu'elle propose pour le projet de loi n° 349 (2012-2013), adopté par l'Assemblée nationale, ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe.
Nous avons procédé à des auditions pendant une quarantaine d'heures au total. Un grand nombre d'entre nous y ont participé, elles se sont déroulées dans un climat de travail serein, approprié à ce sujet sensible que nous avons ainsi pu aborder au fond, en échangeant des arguments dans le respect des convictions des uns et des autres.
Nous sommes saisis en première lecture du projet de loi qui ouvre le mariage aux personnes de même sexe, voté par l'Assemblée nationale le 12 février 2013. En offrant aux couples homosexuels la faculté d'accéder au mariage, ce projet de loi consacre l'exigence d'égalité entre les couples, sans distinction de sexe ni d'orientation sexuelle. Nous avons procédé à une quarantaine d'heures d'auditions, auxquelles une centaine de sénateurs ont participé, et qui ont été diffusées sur Public Sénat. J'en ai effectué moi-même une dizaine. Toutes se sont déroulées dans un climat serein et attentif, comme il convenait à la dignité et à l'importance du sujet abordé. Toutes les personnes qui le souhaitaient ont été entendues, pourvu qu'elles présentent des garanties de sérieux et de représentativité suffisantes.
Ce texte introduit dans le code civil un changement symbolique important, qui répond à une triple exigence : la reconnaissance sociale des couples homosexuels et des familles homoparentales, l'égalisation des droits et des devoirs avec les autres familles et celle de la protection que l'État doit leur assurer. L'égalité, des droits comme des devoirs, est le maître-mot de la réforme : Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice a déclaré que « le projet de loi est marqué du sceau de l'égalité ». Les auditions que nous avons conduites ont confirmé cette volonté de reconnaissance des couples homosexuels et d'égalité des droits avec les couples hétérosexuels, y compris parmi les associations ou les courants religieux minoritaires au sein des grandes Églises.
Ce voeu d'égalité est conforme aux principes qui fondent notre République. Il a cependant été dénoncé à plusieurs reprises lors des auditions : certaines des personnes entendues, et certains sénateurs, ont fait valoir que l'égalité n'est pas l'identité, et qu'elle n'impose de traiter également que des personnes placées strictement dans la même situation. L'argument mérite d'être entendu, mais s'applique-t-il vraiment à la situation visée par le présent projet de loi ? Le texte écarte toute assimilation des couples homosexuels aux couples hétérosexuels pour ce qui regarde la filiation biologique. Mais lorsqu'il s'agit de protection mutuelle, fondée sur l'amour que l'on se porte, quelle différence entre un couple homosexuel et un couple hétérosexuel ? Lorsqu'il s'agit de la protection d'un enfant par la reconnaissance juridique des liens qui l'unissent à ceux qui l'éduquent et l'élèvent, quelle différence entre l'enfant de parents de même sexe et celui de parents de sexe différent ? Faut-il que les enfants fassent les frais des orientations sexuelles de leurs parents ? Pourquoi réserver aux uns le mariage et ses effets, et tenir les autres à l'écart de ce statut protecteur ? L'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen n'indique-t-il pas que « la loi doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ?
L'idée est souvent avancée, par ceux qui s'opposent au mariage des couples de personnes de même sexe, que l'égalité des droits pourrait être assurée par un statut spécifique, distinct du mariage, et propre aux couples homosexuels. Cette union civile s'ajouterait au pacte civil de solidarité (Pacs), ou s'y substituerait, les droits et les obligations ouverts par ce dernier étant alors renforcés. Une telle proposition ne peut être retenue, car elle contredit l'esprit qui anime la présente réforme, en perpétuant l'inégalité ou la différence de traitement appliquée à des situations pourtant identiques. Bien sûr, si l'union civile s'ajoutait au mariage et s'appliquait à tous les couples, comme le propose un des trois amendements déposés, ce serait acceptable - quoique cela ne rentre pas dans l'objet de ce texte. Sinon, soit l'union civile offre aux couples homosexuels exactement les mêmes droits et les mêmes garanties que le mariage, ce qui reviendrait à créer un doublon du mariage, qui n'aurait d'autre intérêt que de priver les couples de personnes de même sexe d'une reconnaissance sociale symbolique, en réservant la dénomination « mariage » à l'union d'un homme et d'une femme, soit l'union civile est en retrait par rapport au mariage, et les couples homosexuels seraient alors privés de droits - en dehors de ceux relatifs à la filiation biologique - reconnus aux couples hétérosexuels. De plus, un statut à part cantonnerait les homosexuels à une place à part dans notre société, ce qui ne correspond pas aux fondements de l'universalisme républicain. Maître Jacques Combret, s'exprimant devant votre commission au nom du conseil supérieur du notariat, a d'ailleurs écarté l'intérêt de régimes juridiques spécifiques supplémentaires. Les notaires se sont ainsi prononcés très clairement contre un nouveau statut de type union civile.
et vous aussi, en toute bonne foi.
Aucune norme constitutionnelle ni conventionnelle ne proscrit le mariage de deux personnes de même sexe, ni l'adoption par un célibataire ou un couple homosexuel. Au contraire, le principe d'égalité et le droit à une vie familiale et personnelle peuvent fonder l'accès des intéressés à ces deux institutions. En la matière toutefois, la décision ne peut venir que du législateur. C'est ce que la Cour de cassation a laissé entendre dans l'affaire du mariage de Bègles et ce que le Conseil constitutionnel a rappelé le 28 janvier 2011. En effet, après avoir constaté que la Constitution n'imposait ni n'interdisait de réserver le mariage aux couples hétérosexuels, il a indiqué qu'il ne lui appartenait pas de substituer son appréciation à celle du législateur sur la prise en compte, en cette matière, de la différence de situation entre les couples homosexuels et les couples de sexe différent. Cette dernière mention correspond, dans la jurisprudence constitutionnelle, à la limite que la Haute instance donne à son propre contrôle, et à la marge d'appréciation discrétionnaire qui relève de la compétence souveraine du législateur. Le Conseil reconnaît donc que le choix d'ouvrir ou non le mariage aux couples de personnes de même sexe n'appartient qu'au législateur et qu'aucune norme constitutionnelle ne s'y oppose.
Les engagements internationaux de la France ne présentent pas davantage un obstacle à la décision du législateur en la matière, qu'il s'agisse de la convention européenne des droits de l'homme ou de la déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 ainsi que du pacte international relatif aux droits civils et politiques des Nations unies, le 16 décembre 1966. Aucune norme supérieure ne s'oppose donc à ce que la loi ouvre le mariage aux couples de personnes de même sexe. Certains des principes qui les inspirent peuvent au contraire utilement guider le législateur dans son choix : la liberté, l'égalité et le droit de mener une vie familiale normale plaident tous trois pour que le droit dont bénéficient aujourd'hui les couples hétérosexuels soit ouvert aux couples homosexuels.
Sous cette lumière, si la décision peut être débattue, l'avancée sociale apparaît plus que jamais nécessaire. Nos auditions rendent compte du débat que suscite, au sein de la société française, la reconnaissance, au profit des homosexuels, du droit se marier et d'adopter ensemble. Les inquiétudes ou les observations suscitées par cette réforme méritent d'être entendues, lorsqu'elles restent respectueuses de chacun, parce qu'elles rendent compte de conceptions partagées par nombre de nos concitoyens. En revanche, elles ne peuvent être retenues : compte tenu du périmètre limité de la réforme, le bouleversement symbolique allégué n'est pas avéré.
Les opposants à la réforme lui font porter le poids d'évolutions sociales ou psychologiques qu'ils contestent. Or, l'ouverture du mariage et de l'adoption conjointe aux couples de personnes de même sexe ne crée ni la conjugalité homosexuelle, ni l'homoparentalité. Au contraire, ces familles lui préexistent et le projet de loi se limite à leur offrir le cadre légal et protecteur qu'elles sont en droit d'attendre de la Nation.
Plusieurs des intervenants entendus par votre commission - représentants des grandes Églises, pédiatres, psychologues... - se sont inquiétés des conséquences psychologiques ou symboliques de la réforme proposée sur l'ordre social ainsi que sur les enfants des familles homoparentales. Leurs affirmations ont toutefois été contredites à plusieurs reprises dans la suite des auditions, notamment par d'autres psychologues. Par exemple, la présidente de l'association française des magistrats de la jeunesse et de la famille, Mme Hourcade, a observé que les juges des enfants ne font pas état de signalements portant sur des enfants qui seraient en danger en raison de l'homosexualité de l'un de leurs parents.
Les enfants élevés par des parents de même sexe ne le sont ni mieux ni moins bien que ceux élevés par des parents de sexe différent. Je souligne en outre que le droit actuel autorise, sans discrimination, les homosexuels à adopter un enfant, en tant que célibataires, même si cela leur est souvent refusé ; de tels refus ont toutefois été jugés discriminatoires par la Cour européenne des droits de l'homme.
La question est d'admettre ou non l'adoption conjointe pour les couples de même sexe et d'établir ainsi la parenté effective sur une filiation juridique reconnue. Le débat est biaisé lorsque des arguments psychologiques sont mobilisés pour contester la reconnaissance juridique complète de l'homoparentalité, alors même que le droit établit la possibilité d'une filiation qui ne repose pas sur le modèle hétérosexuel du père et de la mère et que le fait consacre l'existence de ces familles. Plaçant le débat actuel dans le temps long de l'anthropologie, Mme Françoise Héritier a d'ailleurs nié qu'on puisse invoquer une « vérité anthropologique » pour refuser le mariage aux couples homosexuels.
L'ouverture du mariage et de l'adoption conjointe aux personnes de même sexe est parfois dénoncée à raison de ses conséquences pour le mariage traditionnel et pour la filiation. L'argument ne peut être reçu, compte tenu du champ limité du présent projet de loi. Les couples homosexuels accéderaient à l'adoption conjointe et au mariage sans en changer les règles, en dehors de la dévolution du nom de famille pour l'adoption. Rien n'est ôté au mariage que connaissent aujourd'hui les couples hétérosexuels. Les règles et les effets de la filiation biologiques demeurent inchangés. La présomption de paternité du mari est maintenue et ne concernerait pas les époux de même sexe. Aucune modification n'est apportée aux principes régissant l'autorité parentale. Le régime juridique de l'adoption plénière et de l'adoption simple resterait le même s'agissant de la possibilité pour l'enfant de maintenir une filiation préétablie ou d'accéder à ses origines personnelles. Chaque forme de famille conserverait ainsi la place que lui fait le droit dans la société, et une nouvelle serait admise à leur côté.
Certains, au cours des auditions, ont craint que la réforme ouvre la voie à d'autres qui engageraient notre société sur une pente dangereuse. L'argument de l'inexorabilité d'une évolution mue par la revendication d'égalité, à laquelle plus aucun principe ne pourrait être opposé, repose cependant sur une prémisse contestable : la revendication d'égalité serait sans freins, parce qu'elle serait sans guide. Or, il appartient au législateur de décider, conformément à l'idéal républicain, sous quel rapport la différence de situation qui existe entre deux individus justifie, ou non, qu'ils soient traités différemment. La différence entre un couple constitué d'un homme et d'une femme, et un couple constitué de deux hommes ou de deux femmes peut ainsi être jugée pertinente pour ce qui intéresse la filiation biologique, mais sans effet pour ce qui concerne l'exercice des droits parentaux ou l'établissement d'une filiation adoptive conjointe. Déjà, le législateur a pu réserver l'accès aux techniques de procréation médicalement assistée aux couples constitués d'un homme et une femme dans le seul cas d'une infertilité médicalement constituée, sans l'ouvrir à ceux qui ne présentent pas cette infertilité. Même, parmi les couples infertiles, il a opéré une distinction entre ceux dont l'infertilité peut faire l'objet d'un traitement procréatif qu'il a autorisé, et ceux dont l'infertilité, due à une impossibilité pour la femme à porter l'enfant, ne peut trouver un remède que dans la gestation pour autrui, qu'il a prohibée. Le législateur a donc posé des freins à la revendication d'égalité.
Le Gouvernement a annoncé un projet de loi consacré à la famille, qui abordera des questions non traitées par le présent projet de loi, notamment l'adoption et la filiation. Il reviendra au législateur de se prononcer sur ces sujets. Préjuger aujourd'hui de ses choix, en tirant argument d'une évolution irrémédiable engagée, dès à présent, par le texte qui vous est soumis, est méconnaître le pouvoir souverain de la loi. D'ailleurs, l'observation des pays européens qui ont autorisé le mariage homosexuel montre la palette des solutions retenues par chacun. Aussi important qu'ait été le débat qui a précédé ces réformes, celles-ci se sont déroulées sans heurts et ont été assimilées sans difficulté par la société.
L'exemple français du pacte civil de solidarité enseigne que le temps est l'allié le plus précieux des réformes de société. Le débat qui a précédé l'adoption de la loi du 15 novembre 1999 fut particulièrement vif, et les craintes alors exprimées furent les mêmes que celles formulées aujourd'hui. Pourtant le succès de cette législation ne se dément pas et le dispositif est prisé au point d'être salué par ceux qui s'opposent au mariage des personnes de même sexe et souhaitent désormais la mise en place d'un Pacs amélioré ou d'une union civile conçue sur son modèle. L'histoire du Pacs est-elle prémonitoire de celle du mariage homosexuel ? Les exemples des États européens qui l'ont autorisé peuvent conduire à le penser. L'étude de législation comparée réalisée à la demande de la commission montre que six États européens ont ouvert le mariage aux personnes de même sexe : les Pays-Bas (2001), la Belgique (2003), l'Espagne (2005), la Suède (2009), et le Portugal (2009). L'Angleterre s'est depuis engagée dans cette voie. Aucun n'a depuis remis en cause l'ouverture du mariage aux couples homosexuels, en dépit des alternances politiques : la réforme s'est progressivement enracinée. Les différentes cours constitutionnelles ont validé les dispositifs concernés.
L'ouverture du mariage aux couples homosexuels n'est pas seulement légitime, elle est aussi nécessaire, pour deux raisons. Elle rend enfin le droit conforme aux évolutions de la société et elle garantit aux familles homoparentales la même protection et la même reconnaissance sociale que la loi accorde aujourd'hui aux familles traditionnelles.
Certains évoquent une dénaturation de l'institution du mariage. Mais n'est-ce pas renverser l'ordre des choses ? Car le texte proposé sanctionne plutôt l'évolution de l'institution elle-même, qui s'est abstraite du modèle cristallisé pendant plusieurs siècles sur lequel elle reposait, pour revenir aux principes de liberté et d'universalité qui la caractérisaient à l'origine : institution de protection plus que seul modèle de filiation possible. « Une affirmation de la liberté de l'homme, dans la formation comme dans la dissolution du lien matrimonial, c'est, pour l'ordre terrestre, l'essentiel du message français », rappelait le doyen Jean Carbonnier. Cette affirmation, qui renoue avec l'esprit consensualiste du droit romain du mariage, s'est trouvée confirmée successivement par l'article 7 de la Constitution du 3 septembre 1791 ou l'article 146 du code civil, inchangé depuis 1804.
Cet esprit de liberté s'appuie sur l'universalisme de l'accès au mariage : tout citoyen majeur peut y prétendre. La Révolution a ici opéré une rupture avec le mariage religieux de l'Ancien régime et confirmé l'égalité de tous devant le mariage. En consacrant la liberté de mariage et en la rattachant à la liberté personnelle découlant des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789, le Conseil constitutionnel a marqué qu'elle a partie liée avec l'universalisme républicain. L'évolution du mariage vers plus de liberté et d'égalité s'est poursuivie au dix-neuvième siècle, puis au vingtième, avec le rétablissement du divorce et, surtout, la fin du monopole du mariage pour l'établissement de la filiation : la loi du 3 janvier 1972, inspirée par le doyen Carbonnier, a engagé l'abolition de la distinction entre les enfants légitimes, adultérins et naturels.
Parallèlement, les formes de conjugalité ont évolué : s'il reste majoritaire, le mariage n'est plus la seule union possible. Une étude de l'Insee montre qu'en 2011, en France métropolitaine, sur 32 millions de personnes majeures déclarant être en couple, 72 % sont mariées et partagent la même résidence que leur conjoint, 22,6 % sont en union libre et 4,3 % sont pacsées. Cette évolution des conjugalités s'est répercutée sur les filiations. Depuis 2006, il naît plus d'enfants hors mariage qu'au sein du mariage : en 2012, presque 57% des naissances totales. Il n'est dès lors plus aujourd'hui possible de considérer le mariage comme l'unique institution de la filiation, indissociable de la filiation biologique.
Le sens du mariage a évolué, exprimant avec plus d'intensité ses ressorts libéraux et égalitaires. Le texte qui vous est soumis accompagne cette dynamique plus qu'il ne la crée. L'institution du mariage a ainsi sensiblement changé de sens et de but : elle n'est plus un mécanisme de légitimation sociale des familles, mais la garantie de leur protection. Chacun investit le mariage d'une signification qui lui est propre et emprunte à ses convictions religieuses, philosophiques ou civiles. Mais, quel que soit le sens qu'on lui donne, le mariage n'est jamais moins que le plus haut degré de protection juridique que peuvent se vouer librement deux personnes qui s'aiment. Cette protection transparaît à chaque moment du mariage. Surtout, elle s'étend aux enfants, car il est de leur intérêt que chacun de leurs parents soit suffisamment protégé. Elle se manifestera, notamment, par le fait qu'un juge se prononcera obligatoirement, en cas de séparation, sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale.
Ainsi compris, rien ne peut justifier de tenir encore à l'écart de la protection de la loi les familles homoparentales qui souhaiteraient se placer sous son égide. Cette demande est légitime, parce qu'il s'agit d'une demande de reconnaissance et de protection juridique, à l'égal des autres. La réforme proposée parachèverait une évolution engagée depuis plusieurs années, d'acceptation sociale de l'homosexualité et d'affirmation en parallèle des familles homoparentales. Le projet de loi sur le mariage ne doit pas faire oublier, qu'avant même que se posent les questions de reconnaissance civile des couples homosexuels, la première victoire a été celle de l'abrogation de toute prohibition pénale de l'homosexualité par la loi du 27 juillet 1982, avec l'abrogation des délits spécifiques d'homosexualité. Le combat s'est ensuite déplacé du plan pénal au plan civil, de l'acceptation à la reconnaissance civile engagée par le Pacs - ouvert à tous pour éviter d'enfermer les couples homosexuels dans un statut à part. Pour autant, il s'est limité à des effets patrimoniaux : ne confèrant aucun droit en matière de filiation ni même d'autorité parentale, il facilite la vie des couples, mais pas celle des familles. Une étape séparait donc encore les familles homoparentales de l'égalité avec les familles hétérosexuelles : le présent texte prétend la franchir.
Nombreux furent ceux qui ont évoqué, au cours des auditions, la question de l'intérêt supérieur de l'enfant, parfois pour s'étonner, comme M. Baudis, qu'elle n'ait pas été plus présente dans l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi, ou pour évoquer la question de l'adoption par un conjoint du même sexe, comme Mme Marie-Anne Chapdelaine, présidente du conseil supérieur de l'adoption. L'argument est majeur, parce qu'il vise notamment la procédure d'adoption intrafamiliale de l'enfant du conjoint. L'approche doit être pragmatique : ces familles et ces enfants ont droit à la protection de la loi. Or, elles sont fragilisées par le fait que l'un des deux parents n'a aucun lien juridique avec l'enfant qu'il élève pourtant aussi bien qu'un autre parent. Pour y remédier, il est nécessaire d'autoriser l'adoption de l'enfant de l'autre parent. Or l'adoption de l'enfant du conjoint n'est possible que dans le mariage. Ouvrir le mariage aux couples de même sexe est ainsi permettre à leurs enfants de profiter de la protection que leur garantira cette adoption. Cette protection, d'ailleurs, s'étend au-delà du simple lien de filiation, pour atteindre la protection mutuelle des époux, car il est de l'intérêt des enfants que leurs parents voient leur propre situation assurée face aux accidents de la vie ou du sentiment.
Je n'ai pas souhaité étendre le champ couvert par le présent texte à d'autres questions comme la PMA ou l'extension des possibilités d'adoption, qui seront débattues dans le cadre du projet de loi à venir sur la famille.
Merci. Je vous propose d'avoir un débat général avant de discuter des amendements.
Je salue le travail du rapporteur. J'avais moi aussi procédé à de nombreuses auditions - il s'agissait d'ailleurs assez largement des mêmes personnes.
Le Président de la République avait pris l'engagement de lancer, sur les grands problèmes de société, une vaste concertation impliquant l'ensemble de l'opinion publique. Je constate que ce n'est pas le cas. Il y a même un refus de concertation ! Heureusement que la commission des lois de l'Assemblée nationale, et surtout celle du Sénat, ont mis en place un tel débat. Ce refus transparaît nettement dans le caractère rapide et fort discutable de l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi : elle est tout simplement bâclée, ne va pas au fond des choses, et traite avec légèreté d'éléments fondamentaux. Le débat part donc sur de mauvaises bases, par la faute du Gouvernement.
Je pense que le rapporteur a fait siennes les thèses des gender studies... Ce n'est pas mon cas : je tiens, à la suite du doyen Hauriou, qu'il y a en France une constitution sociale à côté de la constitution écrite, dont font partie les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ainsi que les parties du droit civil consacrées à la famille, comme le disait le doyen Carbonnier. Le droit de la famille ne peut pas se manipuler comme d'autres aspects du droit. Il s'agit d'un élément fondamental de notre contrat social. Il est possible de le remettre en cause, mais avec précaution et non par une procédure législative ordinaire, sans concertation avec l'opinion publique...
Notre conception du mariage diffère de celle des pays dans lesquels les études de droit comparé nous montrent que le mariage pour les couples de même sexe a été adopté. Dans les pays protestants, le mariage est dépourvu de la solennité que nous y mettons : le code civil le revêt chez nous d'une valeur sacramentelle, renforcée par la difficulté d'y mettre fin. Vous me direz que l'Espagne n'est pas un pays protestant, mais c'est un cas à part : une décision récente de la Cour constitutionnelle a simplement reconnu le bien-fondé de la loi, puisque la Constitution espagnole prévoit que le législateur peut intervenir sur le sujet - encore a-t-il fallu près de sept années pour que cette décision soit rendue. Notre conception du mariage est héritée de la Révolution française, et même du droit romain, et n'est pas analogue à celle des pays scandinaves ou nordiques.
En ce qui concerne l'adoption, la loi aboutira à une inégalité foncière entre les enfants. Certains ne seront pas adoptables, d'autres le seront par adoption simple, d'autres par adoption plénière : il ne s'agit pas d'égalité mais bien d'une inégalité totale de statuts ! Ce problème n'est pas résolu par les amendements de notre rapporteur. Il en va de même pour d'autres sujets : rien n'est dit sur la situation du beau-parent dans les couples homosexuels, comme dans les couples hétérosexuels. Déjà, pour le Pacs, Mme Guigou avait promis que ce problème serait traité, cela n'a jamais été fait ! Depuis longtemps il y a des enfants qui sont élevés par une ou deux femmes, ou un ou deux hommes. L'adoption plénière par une seule personne a été mise en place après la première guerre mondiale pour reconnaître des situations de fait causées par le manque d'hommes. Pourquoi l'adoption simple est-elle délaissée ? Parce que son régime fiscal lui ôte tout intérêt... C'est une anomalie de notre droit.
D'autres pistes mériteraient d'être étudiées et ne l'ont pas été. Le parrainage civil a été rétabli - à juste titre. Pourquoi ne pas l'utiliser dans ces situations ? Certains cas ne sont pas traités par la loi. Prenez par exemple le cas d'un homosexuel qui aurait un enfant avec une homosexuelle par insémination artificielle. Le conjoint de chacun des deux parents pourra souhaiter l'adopter, ce qui ferait quatre parents en tout ! C'est impossible, car l'enfant a déjà un père et une mère. Cela illustre bien la nécessité de revoir de fond en comble le problème de l'adoption, qui est mal traité par notre droit - ou plutôt traité en fonction des problématiques de transmission de patrimoine et de nom. Nous avons tué l'adoption simple, qui résoudrait tous les problèmes.
La délégation de l'autorité parentale est encore exceptionnelle. La question se pose dans les couples hétérosexuels aussi. Il faudrait l'étudier en profondeur.
Nous ne voterons pas ce texte. Nous proposons une union civile, qui garantit les mêmes droits que le mariage mais qui n'entraîne aucune conséquence en matière de filiation et d'adoption.
L'adoption doit être réexaminée. Dans ce texte, cette question est bâclée. De plus ne soyons pas hypocrites. Chacun sait qu'aujourd'hui, dans les faits, il est impossible d'adopter : aucune adoption depuis six ans en Belgique ; aux Pays-Bas seuls des enfants hollandais peuvent être adoptés. Certains pays, comme la Russie, ou le Viet-Nam, qui autorisaient l'adoption pour une personne seule envisagent de l'interdire désormais pour les couples homosexuels.
Une modification aussi brutale de notre contrat social aurait nécessité une réflexion plus large. Nous sommes favorables à une évolution, mais les propositions du rapporteur apparaissent prématurées, insuffisamment concertées et décalées par rapport à l'opinion publique.
Que de discussions auraient été évitées si cette loi s'était intitulée « ouvrir le mariage civil aux personnes de même sexe » ! Nous ne demandons pas une consécration par les autorités religieuses ...
Le rapport omet la notion de « parent social ». Or il s'agit d'une notion essentielle au regard de la filiation.
Nous voterons le texte même si nous défendrons nos amendements sur l'adoption, la filiation ou la notion de parent social, car nous craignons que le projet de loi sur la famille, que Mme Bertinotti prépare, ne soit repoussé aux calendes grecques.
Notre société a changé, en effet. Notre législation doit être plus respectueuse des droits des personnes homosexuelles. Toutefois une modification aussi profonde du mariage tel que le concevait Portalis ou le doyen Carbonnier n'est pas justifiée.
Monsieur le rapporteur, vous n'avez avancé, pour défendre ce texte, que deux arguments, tout en vous contredisant. L'égalité, tout d'abord. Mais le mariage est fondé sur l'altérité. De plus l'égalité a ses limites : quid des pères privés de la garde de leurs enfants ? Quid également de la différence des sexes au nom de laquelle Portalis justifiait, en 1804, le mariage ? Enfin le texte aboutit à la coexistence de deux mariages différents, puisque le mariage entre personnes hétérosexuelles demeure inchangé. Ils ne sont donc pas égaux. Autre argument, le périmètre de ce texte serait limité. Mais une autre loi est annoncée régulièrement, pour satisfaire les uns ou effrayer les autres. Le périmètre n'est donc pas fixé.
Ce texte change la définition du mariage : celui-ci qui était un acte à la fois individuel et collectif devient simplement un acte individuel. Je suis partisan d'un texte qui accorderait plus de droits aux personnes de même sexe, leur reconnaissant un droit au « mariage », avec toute la dimension symbolique que cela comporte, même si nombreux sont ceux qui ne souhaitent pas que la loi leur impose des règles, mais sans inclure la filiation, qui relève d'une autre dimension. En tant qu'élu j'ai souvent accordé l'autorisation d'adopter à des personnes homosexuelles, parfois en toute connaissance de cause : il vaut mieux, en effet, être adopté par un couple homosexuel bien éduqué et aisé que par un couple hétérosexuel alcoolique qui le battra. Mais ne généralisons pas !
Nous sommes prêts à travailler à un statut des personnes de même sexe. Toutefois ce texte va bien au-delà car, avec l'article 143 du code civil, il modifie profondément la filiation.
Je suis satisfaite des auditions menées par notre commission. Chacun a pu s'exprimer et donner son avis.
Nous soutenons ce texte. Il ouvre simplement l'accès au mariage aux personnes de même sexe qui le souhaitent et constitue une avancée dans le sens de l'égalité.
Nos amendements reprennent ceux déjà déposés par Mme Buffet à l'Assemblée nationale. Nous ne souhaitons pas tant élargir le champ de ce texte que prendre date en vue de prochain projet de loi sur la famille et faire en sorte qu'il ne soit pas repoussé aux calendes grecques. Nous défendrons nos amendements, sans conditionner notre accord à leur adoption. Il serait en effet naïf et hypocrite de se satisfaire de ce texte en ignorant les discussions qui traversent la société. La revendication d'un certain nombre de couples homosexuels est devenue une avancée progressiste alors que certains considéraient il y a peu le mariage comme une institution bourgeoise...
Le marxisme consiste justement à savoir s'adapter ! Le mariage a partie liée avec la transmission de la vie et la construction d'une famille. Des avancées sont nécessaires.
Je félicite le rapporteur pour la qualité de son travail et ce n'est pas un compliment de simple politesse ! Notre commission a su organiser des auditions dans un climat bien différent de celui qui a prévalu à l'Assemblée nationale, en particulier lorsque les représentants des cultes ont été entendus !
Si ce texte avait eu uniquement pour objet l'élargissement du mariage aux personnes de même sexe, je l'aurais soutenu. : le mariage n'étant pas un contrat mais une institution, il est normal qu'il soit ouvert à tous. Mais l'intitulé du projet de loi ne correspond pas à la réalité. Il implique aussi, qu'on le veuille ou non, l'homoparentalité et la banalisation de la procréation médicalement assistée (PMA) ou de la gestation pour autrui (GPA) que la jurisprudence de la CEDH rendra inévitable, comme l'expliquent les professeurs de droit, si le principe du mariage pour tous est adopté.
Je ne crois pas, à la différence d'Élisabeth Badinter, à une « GPA éthique », qui relève de l'angélisme. Aussi, en dépit de mon accord sur le titre de ce projet de loi, je ne le voterai pas.
Le rapporteur a choisi une approche juridique, elle était nécessaire. Chacun a pu se forger son opinion : nos positions divergent mais nul ne peut prétendre que le débat n'a pas eu lieu. Autre motif de satisfaction : le rapporteur n'a pas élargi le périmètre. Une loi sur la famille nous donnera l'occasion de poursuivre l'adaptation de notre droit aux attentes de la société.
Je regrette qu'en dix ans le législateur n'ait pas fait évoluer le Pacs. Aussi le mariage civil constitue-t-il, aujourd'hui, le meilleur cadre de protection des intérêts des partenaires.
À titre personnel, je considère que le principe d'égalité n'était sans doute pas le meilleur argument à invoquer à l'appui du texte. Mieux aurait valu considérer le mariage pour tous comme une liberté nouvelle, susceptible à ce titre d'être encadrée par le législateur. Bien des critiques auraient été évitées.
Je partage l'avis du rapporteur : nous devrons réfléchir à l'adoption. Un point fait l'objet de consensus : il faut s'attacher en priorité à l'intérêt supérieur de l'enfant.
Vous avez cité Mme Chapdelaine, mais en tronquant ses propos ; selon elle, le Conseil supérieur de l'adoption était très partagé. Je regrette également que les représentants minoritaires des religions n'aient pas été auditionnés.
Vous invoquez l'égalité. Mais on ne peut appliquer l'égalité qu'à des situations égales. Or le mariage est fondé sur l'altérité. Le texte ne se contente pas d'ouvrir le mariage aux couples de même sexe, il bouleverse l'institution du mariage, il la subvertit. La notion de « genre » s'est déjà répandue dans les conventions internationales. Peu à peu la notion de personne dotée d'une orientation sexuelle se substitue à la notion de sexe. Les difficultés apparaissent si l'on creuse.
Lors de la création du Pacs, la garde des sceaux de l'époque nous avait affirmé que l'on n'irait pas plus loin, réaffirmant que le Pacs se différenciait du mariage défini par l'union d'un homme et d'une femme. La situation a évolué !
Certains ont déposé des amendements sur la PMA, qui devient la procréation socialement assistée... Un texte à venir concernera la famille, dit-on. Mais l'adoption relève déjà du droit de la famille, et les objections juridiques abondent.
C'est avec les amendements de coordination que le bât blesse. Comment appliquer les notions du mariage du code civil aux couples homosexuels ? Le projet de loi initial avait sa logique : il supprimait les termes de « père » et de « mère ». Les résistances ont été vives. Mais la solution retenue depuis se révèle problématique.
Je ne soutiendrais que la création d'une union civile. Je n'irai pas au-delà.
Monsieur Hyest, il est vrai que la garde des sceaux avait indiqué lors du débat sur le Pacs qu'il n'était pas question d'instaurer un droit au mariage pour les personnes de même sexe. Mais ceux qui, à l'époque, s'opposaient au Pacs en font aujourd'hui l'éloge et souhaiteraient le transformer en une union civile. Tout le monde évolue car la société évolue !
Les personnes homosexuelles ont été vilipendées, stigmatisées pendant des siècles, accusées de commettre un grave péché par certaines religions, un crime par certaines sociétés. Ces indignités étaient couvertes par un prétendu consensus social.
Je voterai ce texte pour deux raisons. D'une part il constitue une reconnaissance. Beaucoup de personnes homosexuelles considèrent, alors même qu'elles ne souhaitent pas se marier, que l'égalité des droits est un signe de reconnaissance. D'autre part, comment justifier que deux personnes de même sexe ne puissent pas adopter, alors que des personnes vivant seules en ont le droit ?
Ma position, en revanche, est plus réservée sur la PMA et la GPA. Je ne serais pas prêt à voter un texte les banalisant. L'argument selon lequel, si une mesure a été adoptée à l'étranger, elle devrait être obligatoirement adoptée en France, ne tient pas. Supprimons le Parlement dans ce cas ! La circulaire de la garde des sceaux concernant les enfants nés dans ce cadre à l'étranger répond à une situation de fait. Ces enfants ne doivent pas être apatrides. Elle ne modifie pas le droit. À cet égard, rien ne changera tant que nous ne l'aurons pas décidé.
La ligne de fracture entre nous tient à la définition du mariage. Celle-ci n'est pas gravée dans le marbre d'une réalité biologique mais correspond à une notion sociale.
Je ne partage pas l'avis de M. Lecerf. L'arrêt de la CEDH rendu en février concernant l'Autriche n'implique pas un élargissement de la PMA. Les couples homosexuels auront les mêmes droits que les autres, sans plus. Or la PMA est soumise à des conditions très restrictives qui ne sont pas modifiées.
On peut en revanche s'interroger sur l'opportunité de l'élargissement des conditions d'accès à la PMA car il suffit aux couples de se rendre en Belgique pour en bénéficier. Accepterons-nous que les couples puissent se rendre en Belgique, concevoir un enfant grâce à la PMA puis revenir en France pour le légitimer grâce à l'adoption ? La clef de voûte est l'adoption.
Je regrette que les articles 343 et 360 du code civil concernant l'adoption, ou 310 sur la filiation, n'aient pas été réécrits. Le Conseil constitutionnel risque de considérer qu'il existe des contradictions entre ce texte et le code civil.
Je soutiens les amendements du rapporteur sur la pluriparentalité qui permettront d'éviter la multiplication des parents par le biais d'adoptions successives. En revanche, la création proposée par Mme Benbassa d'une présomption de parentalité accordée au conjoint ou à la conjointe d'un parent me semble problématique. À ces réserves près je suis favorable au texte.
Je suis satisfait que le Sénat, à la différence de l'Assemblée nationale s'empare de ce sujet difficile dans une ambiance calme et sereine.
Un consensus existe sur la nécessité d'adapter le statut des personnes qui vivent ensemble dans des règles fixées par la société, alliance ou mariage, pour qu'ils bénéficient des mêmes droits. Je regrette qu'une opportunité d'apaiser le débat dans l'opinion publique n'ait pas été saisie. La solution que nous proposons pourrait être acceptée aussi bien par Mme Benbassa que par Mme Tasca : une alliance pour les personnes de même sexe et le mariage pour les personnes de sexe différent.
L'égalité est brandie pour défendre le mariage pour tous. Mais au prix de quels sophismes ! L'égalité, c'est l'égalité des droits : il suffisait de créer une autre institution. Mais ceux qui réclament aujourd'hui l'égalité ne revendiquaient-ils pas naguère le droit à la différence ?
En outre, le mariage, à la différence d'une alliance, implique la parentalité, l'apparition d'un troisième être, l'enfant, titulaire de droits qu'il ne faut pas négliger. À cet égard le texte est ambigu.
J'aurais volontiers voté ce texte, mais il ne résout pas toutes les ambiguïtés sur les droits de l'enfant, qui sont différents de ceux des parents. Tout enfant a le droit inaliénable de connaître ses origines. Je m'opposerai à tout dispositif qui le nierait. Je refuse que le droit à l'enfant l'emporte sur les droits des enfants.
Pourquoi s'opposer à ce texte qui ne modifie pas la situation des couples hétérosexuels, mais permet aux couples homosexuels de vivre leur amour en bénéficiant de la même reconnaissance institutionnelle et symbolique ? Telle n'est pas la question. L'enjeu n'est pas d'ordre compassionnel ou humaniste mais juridique. Il s'agit de tenir compte non seulement des aspirations individuelles mais aussi de l'intérêt général. La ligne de fracture ne sépare pas les protagonistes selon le respect qu'ils portent aux individus. L'enjeu est social.
L'évolution des mentalités ne saurait constituer un argument : bien des évolutions ne nous conduisent pas à légiférer.
Ne vidons pas le concept d'égalité de son sens. L'égalité, c'est accorder les mêmes droits à des personnes placées dans une même situation. Justifier le mariage pour tous de la sorte aboutit à frayer la voie à tous les amalgames dans tous les domaines de notre droit.
Enfin ce texte consacre encore davantage les droits des adultes au détriment des droits des enfants. Dans son blog, M. Rosenczveig, juge pour enfants au tribunal de Bobigny, peu suspect de conservatisme, s'alarme de cette évolution qui s'étend à de nombreux domaines.
Je comprends la logique de ceux qui souhaitent tirer toutes les conséquences de la recherche de l'égalité, selon lesquels le mariage conduit à la PMA et à la GPA pour tous. Je comprends moins la position de ceux qui souhaitent accorder l'égalité par paliers en ne se déclarant favorables qu'au mariage ou à l'adoption. Comment justifier alors l'absence de PMA et de GPA ? Des inégalités entre couples de lesbiennes et homosexuels masculins existeront. En outre, ce cadre juridique ne permettra pas de répondre aux situations de fait qui surgiront. La logique du « ni-ni » conduira à des évolutions au cas par cas, comme l'illustre la circulaire de Mme Taubira qui cherche à résoudre le cas inextricable de quelques enfants - entre 15 et 20 - nés de mères porteuses à l'étranger, dont la mère biologique n'est pas reconnue et dont la mère sociale n'est pas la mère biologique.
Aussi ayons un débat franc entre partisans de cette logique, avec toutes ses conséquences, et ceux qui considèrent qu'une autre voie est possible, dans le respect des personnes, y compris d'un point de vue symbolique, sans remettre en cause le droit des enfants et notre socle social.
Selon le rapporteur, lorsque l'on a un but, le droit s'adapte. M. Vial - qui a dû s'absenter momentanément - m'a demandé de faire part de sa réaction à la commission. Il s'étonne que le rapport fasse croire qu'il n'est pas question de GPA ou de PMA, alors qu'elles constituent la conséquence logique du droit au mariage pour les personnes de même sexe.
Pour ma part, je considère que la suppression de l'altérité dans le mariage fragilise cette institution. Bientôt - le président du conseil français du culte musulman ne m'a pas contredite -, c'est la condition du nombre qui pourra évoluer puisque le mariage aura perdu son caractère sacré.
Comme MM. Pillet et Lecerf j'aurais soutenu cette mesure si elle ne consistait qu'en une reconnaissance symbolique. En revanche les dispositions sur la filiation n'ont pas fait l'objet d'une réflexion suffisamment approfondie. Le principe d'égalité n'oppose aucune barrière à l'extension de la PMA et de la GPA. Cette loi conduit à une réification de l'enfant, dont les droits sont relégués au second plan derrière le désir d'enfant. À terme elle s'accompagnera du développement de la commercialisation du corps humain, de sa marchandisation, et de la négation du lien particulier qui unit la mère à l'enfant qu'elle a porté.
Monsieur Gélard, c'est vrai, il y a une constitution écrite et une constitution sociale, mais la principale évolution de notre constitution sociale s'est produite lorsque le père d'un enfant né hors mariage s'est vu reconnaître le droit de le légitimer, sans même l'accord de son épouse. Cette révolution fondamentale a sonné le glas du mariage fondé sur la paternité, la transmission du nom, l'héritage.
Effectivement, il ne faut pas mettre sur le même plan les pays nordiques et les pays de tradition judéo-chrétienne. Dans les premiers, pays protestants, le mariage n'est pas un sacrement et les Églises procèdent aux mariages civils et religieux, pour tous les couples, de sexes différents ou non, et tiennent l'état civil. Dans les pays à dominance catholique, en Amérique du sud, au Portugal, en Espagne, la situation est différente. Mais nous ne pouvons pas nous appuyer sur la conception catholique du mariage. Le texte d'ailleurs ne fait pas mention du mariage religieux et n'oblige pas les Églises à marier religieusement ceux qui auront été mariés civilement.
La question du parent social trouve ici un début de solution, puisque nous reprenons la définition qu'en a donnée l'Assemblée nationale, en la déplaçant au sein du texte, pour plus de lisibilité, et que nous ajoutons une garantie contre son éviction éventuelle, auprès de l'enfant, par le nouveau conjoint du parent légal.
Notre législation sur l'adoption n'est plus adaptée. D'une part, il n'y a presque plus d'enfants adoptables en France. D'autre part, l'adoption plénière a été conçue après la guerre de 1914-1918 : à cette époque, des bébés étaient concernés, il était facile de gommer leurs origines. Cela n'est plus vrai aujourd'hui, car les enfants sont généralement plus grands lorsqu'ils sont adoptés, en France ou à l'étranger.
Si un couple homosexuel a la chance d'adopter à deux un enfant étranger, celui-ci comprendra immédiatement qu'il n'est pas issu de ce couple : il sera peut-être différent par sa couleur de peau, et surtout, il comprendra très tôt qu'il faut un homme et une femme pour faire un enfant.
Je suis absolument favorable à ce que les enfants connaissent leurs origines et leur histoire. La personnalité ne se construit pas sur le mensonge : nous connaissons tous des exemples d'adoption cachée à l'intéressé, nous en savons les conséquences...
Les auditions ont été riches, et j'ai retenu ce que nous a dit Mme Chapdelaine, présidente du Conseil supérieur de l'adoption. Nous cherchons une formule autre que l'adoption afin que les enfants, lorsqu'ils ne sont pas adoptables parce qu'ils reçoivent une carte postale par an, ne soient plus brinquebalés d'une famille d'accueil à l'autre.
Il serait bon de trouver une solution juridique afin que ces enfants restent dans la même famille d'accueil.
À partir du moment où les couples homosexuels sont autorisés à se marier, il est logique de leur ouvrir, dans un cadre qui est à revoir, l'adoption simple ou plénière. Les adoptions plénières intra-familiales deviendront possibles, ce qui règlera également le problème du beau-parent. Aujourd'hui, on peut avoir trois parents, deux biologiques et un adoptif. Cela ne changera pas ! Nous avons su éviter l'écueil de la pluri-parentalité. Je m'en réjouis : adoption sur adoption ne vaut.
Devons-nous traiter inégalement les enfants des couples mariés et les enfants des couples homosexuels ? Non ! Mais l'égalité, monsieur Mercier, n'est pas le seul fondement de la loi. Je vous le concède, l'étude d'impact, l'exposé des motifs, ne sont pas fantastiques. La loi repose aussi sur le principe de la liberté, que le projet de loi encadre, pour éviter les dérives. La liberté ne consiste pas à faire tout et n'importe quoi ; et c'est au législateur qu'incombe la responsabilité de mettre le holà. J'ajoute qu'il y a aujourd'hui des discriminations volontairement établies par la loi pour la PMA, tous les couples ne sont pas traités à égalité.
Madame Cukierman, nous traiterons de la famille ultérieurement. J'en profite pour rendre hommage aux améliorations du texte apportées à l'Assemblée nationale par Mme Marie-George Buffet. Elle a été une des premières au parti communiste à soutenir le Pacs et le droit des homosexuels. Nous retiendrons les amendements qu'elle a présentés en séance et qui ont été adoptés.
J'ai répondu en partie à M. Lecerf, ainsi qu'à Mme Tasca : le législateur doit fixer des limites. Ici, il n'enlève rien aux uns, mais donne aux autres. Nous verrons dans un texte ultérieur ce qu'il convient de modifier pour tous.
Monsieur Hyest, les homosexuels peuvent d'ores et déjà adopter en tant que célibataires. Quant aux minorités cultuelles, j'ai entendu quatre groupes de minorités, catholique, protestant, israélite et musulman la semaine dernière ; je regrette que le compte rendu de ces rencontres ne puisse figurer en annexe du rapport. J'avoue avoir été très surpris par l'association des musulmans progressistes, favorable au mariage pour tous et à toutes les avancées concernant la filiation.
Ce sont les minorités qui font les avancées sociales, en droit du travail, dans le droit civil... Elles proposent, essuient des refus, jusqu'au jour où elles obtiennent satisfaction.
Monsieur Anziani, si certains professeurs de droits et magistrats en mal de reconnaissance ont vaticiné sur le risque de censure, ni les décisions antérieures du Conseil constitutionnel ni le droit européen ne permettent de présumer que les dispositions seront jugées inconstitutionnelles.
À M. Pillet, je dirai que je n'ai pas la prétention de convaincre, mais que je suis totalement partisan de la connaissance des origines.
S'agit-il d'une remise en cause de la signification du mariage ? « Le mot est le meurtre de la chose », disait Jacques Lacan. Or la chose est là : les couples homosexuels demandent à pouvoir se marier, à participer à cette institution républicaine. Le mot n'est pas sacré, le mariage est inscrit dans le code civil et nous devons accepter qu'il s'applique à des situations différentes de celles que nous connaissons.
Monsieur Béchu, la circulaire de la garde des sceaux dit simplement que les enfants nés de GPA à l'étranger auront la nationalité de leur père. C'est l'intérêt de l'enfant qui est ici considéré. Je l'ai dit à mon ami Jean-Pierre Rosenczveig : il ne s'agit pas de faire droit au désir d'enfant des parents mais de protéger l'enfant. Pourquoi supporterait-il les conséquences de l'infraction commise par ses parents ? Les enfants nés d'une PMA ou d'une GPA à l'étranger, sur les conseils de bons gynécologues français, ont-ils ou non droit à la même protection que ceux qui sont nés en France d'un homme et d'une femme ? Si vous répondez oui, la question est réglée.
Finalement, il suffit donc d'avoir de l'argent et d'aller à l'étranger...
À Mme Joissains, je réponds que certes, le texte n'aborde pas toutes les questions de filiation.
Le professeur Hauser, qui lors de la création du Pacs proposait une union civile dans un rapport remis à la ministre, nous enjoint à prendre aujourd'hui nos responsabilités : si nous acceptons la demande des couples homosexuels de rentrer dans la même institution que les autres, et d'être placés sur un pied d'égalité, nous nous engageons à revoir, dans une loi sur la famille, tous les types de filiation et à définir les conditions dans lesquelles le citoyen, qu'il soit célibataire, père adoptif, parent homosexuel ou hétérosexuel, marié, pacsé ou en union libre peut avoir un enfant.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Articles additionnels avant l'article 1er
De nombreux homosexuels revendiquent l'égalité des droits mais ne souhaitent pas se marier : ils trouvent seulement anormal de ne pas avoir les mêmes droits sociaux, fiscaux, successoraux. D'autres veulent se marier par idéologie, ils entendent que leur couple soit reconnu comme les autres. Certains jeunes choisissent d'aller se marier à l'étranger et s'installent dans un pays où ils peuvent épouser leur conjoint de même sexe. Enfin, comme l'a rappelé le doyen Gélard, faute d'enfants à adopter, il n'y a pas d'adoptions par des couples homosexuels - la Belgique, qui les a autorisées il y a dix ans, n'en pas connu une seule !
La question des enfants à venir ne se pose donc qu'en théorie. En revanche, il faut résoudre le problème des enfants existants, nés d'un des parents homosexuels. Sur ce point, le Pacs ne suffit pas ; du reste, à sa création, j'avais voté contre pour cette raison et la suite des événements m'a donné raison. C'est l'objet de mon amendement n° COM-1, qui s'ajoute au texte sans s'y substituer. Je me distingue ainsi de mon groupe UMP, puisque je voterai le texte du Gouvernement - non par conviction, car je suis plutôt contre. Ma position se fonde sur le réel besoin de légiférer dans ce domaine.
Entre un contrat d'union civile et le mariage, je suis convaincu que le contrat d'union civile l'emportera, auprès des homosexuels comme des hétérosexuels, car il est bien plus simple. Un pays dans lequel les gens sont heureux est plus puissant qu'un pays d'insatisfaits. Devant mon mandat de législateur, mes convictions personnelles s'effacent et j'invite le rapporteur à accepter cet amendement, qui élargit la gamme pour satisfaire tout le monde.
Je suis très sensible à votre intervention. Cependant, je vous invite à retirer votre amendement, et à déposer ultérieurement une proposition de loi dans lequel ce statut, au lieu de s'ajouter au Pacs, s'y substituerait. Le Pacs est très insuffisant, c'est vrai, et vous apportez ici toutes les corrections nécessaires. Mais ce sujet n'entre pas dans le périmètre de ce projet de loi.
Vous pouvez également déposer à nouveau votre amendement en séance, pour prendre date sur une réforme du Pacs. Mme Benbassa propose l'adoption pour les couples pacsés. Le groupe CRC-SPG avait aussi déposé une proposition de loi en ce sens. Pourquoi pas ? Je soutiendrai les évolutions nécessaires, dans une loi famille, voire dans une proposition de loi du Sénat, que je suis disposé à rapporter. Mais ici, tenons-nous en au texte.
J'ai déjà déposé une proposition de loi, mais le système en effet, ne se substitue pas au Pacs. Je retire mon amendement et le déposerai en séance, pour que la réponse du rapporteur résonne dans l'hémicycle...
Je partage l'analyse du rapporteur : votre contrat est une amélioration du Pacs existant. J'en suis partisan, mais dans un autre cadre, par conséquent, je m'abstiendrai.
Je souscris également à la position du rapporteur, avec une interrogation : si ce nouveau type de contrat était adopté, qu'adviendrait-il des couples déjà pacsés ?
L'amendement que je présenterai tout à l'heure comprend non un contrat mais une union.
L'amendement n° COM-1 est retiré.
L'amendement n° COM-2 réécrit la totalité des dispositions consacrées au mariage pour lui substituer une union civile. La seule différence entre cette union civile et le mariage inscrit dans votre texte, c'est que l'adoption et la filiation ne sont pas abordées. Les droits et les devoirs sont exactement les mêmes.
Merci pour ce travail important et constructif de l'opposition sénatoriale, qui fait honneur à notre Haute Assemblée - notamment en comparaison de l'Assemblée nationale. Votre proposition va cependant à l'encontre de nos principes, car elle est réservée aux homosexuels. L'union civile, déconnectée de l'adoption et de la filiation, n'est pas identique au mariage. Avis défavorable.
Cet travail tranche en effet avec certaines attitudes consistant à vilipender le texte sans faire de contre-propositions.
Pour les raisons que j'ai déjà évoquées, je m'abstiendrai.
L'amendement n° COM-2 est rejeté.
La notion de mariage est subjective : institution pour les uns, changement de civilisation pour la garde des sceaux, tandis qu'à entendre notre rapporteur le mariage pour tous ne changerait pas grand-chose... Le terme de « mariage » a pour chacun de nous un sens particulier, qui peut d'ailleurs varier au cours de la vie. Le législateur de 1804 a été quelque peu présomptueux en voulant en donner une version universelle et définitive. Sans doute s'agissait-il, à l'époque, de protéger l'épouse.
Quelle sera la portée de notre vote en séance publique ? Nous ne partageons pas votre point de vue sur les liens de parentalité, mais il est évident que les liens de conjugalité sont à repenser et que le mariage tel qu'il figure dans le code civil ne correspond plus aux attentes. Nous continuons à penser que le mariage doit concerner des personnes de sexe différent. La filiation et l'adoption se déduisent de ce postulat, même si nous sommes d'accord pour une refonte de la législation sur l'adoption. D'où notre proposition, un peu différente de celle du groupe UMP. L'union civile de notre amendement n° COM-4 n'est pas un contrat, mais un engagement entre deux personnes, que nous ne réservons pas à celles du même sexe, cela serait discriminatoire.
Si nous adoptons le projet de loi en l'état, nous allons accentuer la perte de repères, chez les jeunes en particulier. Après le vote, chacun choisira son union à la carte, et cela m'inquiète d'autant plus que certaines religions prônent des unions peu compatibles avec notre droit.
Concernant la filiation et l'adoption, le texte n'est même pas au milieu du gué, il est resté sur la rive, rien n'a été fait. Il faut s'attendre néanmoins à très bientôt devoir examiner un projet de loi sur la PMA et la GPA. Notre commission ayant développé une expertise (et pas seulement juridique) sur ces questions, j'estime qu'elle devrait se saisir, au minimum pour avis, des textes à venir.
Je partage tout à fait ce point de vue. Notre commission se saisira de tout texte sur la famille, la PMA ou la GPA.
Monsieur Zocchetto, votre amendement n° COM-4, soit déborde l'objet du texte et je vous demanderai de le retirer, soit se substitue au mariage et je ne peux qu'y être défavorable.
Nous nous abstiendrons : cet amendement est incomplet et ne nous convient pas - je songe à la dissolution devant un notaire.
C'est ce qui me plaît ! Je voterai cependant contre l'amendement parce qu'il se substitue et non s'ajoute à l'actuelle rédaction.
Je ne voterai pas cet amendement. Ma formation politique propose le mariage pour tous depuis longtemps, aussi je n'ai pas d'états d'âme. Ne compliquons pas les choses : le mariage pour tous va inéluctablement déclencher la refonte de la filiation, de la GPA et la PMA, qui soulève d'énormes difficultés. Il est quelque peu hypocrite de se concentrer sur le mariage en renvoyant le reste à plus tard, sachant bien qu'il faudra y venir... N'ajoutons pas au millefeuille territorial le millefeuille familial : mariage, union civile, Pacs, concubinage...
Prenons notre parti des évolutions : elles sont là, et ceux qui hier refusaient le Pacs veulent aujourd'hui l'améliorer. De même, ceux qui ne voulaient pas de la pilule ont changé d'avis. Notre rôle de législateur consiste précisément à accompagner ces évolutions.
L'amendement n° COM-4 est rejeté.
Les amendements n°COM-16 et n°COM-14 ouvrent l'accès à l'assistance médicale à la procréation aux couples de femmes. Des évolutions sont inéluctables. Mais du fait des inégalités biologiques, nous ne traitons pas pareillement toutes les situations de couple de femmes et d'hommes.
Faisons un peu de marxisme : les peuples décident de leur avenir, rien n'est écrit à l'avance...
J'indique tout de suite que nous allons retirer les amendements n°COM-16 et COM-14 en commission, mais les redéposerons en séance pour susciter le débat.
Les amendements n° COM-16 et COM-14 sont retirés.
Article 1er
Avis défavorable aux amendements de suppression n° COM-3 et COM-5.
Les amendements de suppression n° COM-3 et COM-5 sont rejetés.
Articles additionnels avant l'article 1er bis A (nouveau)
L'amendement n° COM-26 permet la transcription à l'état civil français des actes de naissance des enfants nés à l'étranger par GPA. Il protège uniquement les enfants nés ou à naître.
Je n'y suis pas favorable, nous en rediscuterons. Êtes-vous disposée à le retirer ?
Oui, mais je le déposerai en séance
L'amendement n° COM-26 est retiré.
L'amendement n° COM-27 concerne les couples de femmes, pacsées ou non, qui ont recours à la PMA à l'étranger. Une fois né, l'enfant n'a qu'une mère légale, l'autre n'ayant aucun droit. Ayons recours pour combler ce vide à la possession d'état.
Je suis contre. La possession d'état a relève de la filiation biologique : retrait ou défavorable.
Je le retire, mais le déposerai en séance.
L'amendement n° COM-27 est retiré.
L'amendement n° COM-28 est le même que celui déposé par mes camarades communistes. Je le retire, mais le déposerai en séance, et ferai de même pour l'amendement n° COM-29.
L'amendement n° COM-28 est retiré, de même que l'amendement n° COM-29.
L'amendement n° COM-30 instaure une présomption de parenté au profit de la conjointe de la mère d'un enfant issu d'un projet parental commun et qui n'a pas de filiation paternelle connue. L'enfant aurait une filiation établie à l'égard de ses deux parents, qui auraient les mêmes droits et devoirs envers lui. En pratique, mon amendement concernera les enfants issus d'une PMA à l'étranger.
Je le retire, mais le déposerai en séance.
L'amendement n° COM-30 est retiré.
L'amendement n°COM-31 ouvre le droit à l'adoption aux couples liés par un pacte civil de solidarité. Contrairement à l'argument avancé selon lequel seul le mariage serait source de sécurité affective pour l'enfant, je rappelle que les célibataires peuvent adopter, qu'un enfant sur deux naît hors mariage, et qu'un mariage sur deux se solde à Paris par un divorce. Nos concitoyens ont été plus de 205 000 en 2010 à opter pour le Pacs, dont 9 143 pour se lier avec une personne de même sexe. Le droit à l'adoption doit leur être ouvert.
À titre personnel, je ne suis pas défavorable à l'amendement, mais le rapporteur que je suis émet un avis défavorable : ne parlons pas du Pacs dans ce texte.
Les intentions sont bonnes, mais n'oublions pas que le Pacs peut être dissous par la volonté d'une seule des parties : les conséquences sur les enfants seraient insurmontables. Dans l'état actuel de notre droit, ce dispositif est prématuré.
L'amendement n° COM-31 est rejeté.
Article 1er bis B (nouveau)
L'amendement n° COM-15 précise que le choix par les époux du lieu de célébration du mariage ne dépend pas des parents, comme le laissait entendre la rédaction de l'Assemblée nationale. C'est également un amendement de coordination.
Tout le monde : c'est une raison supplémentaire pour voter l'ensemble du projet de loi !
Cette mesure est absolument nécessaire. Le code civil date d'une époque où les jeunes filles vivaient encore chez leurs parents au moment où elles se mariaient.
Je rappelle que le Conseil constitutionnel a annulé comme cavalier une disposition que nous avions adoptée à l'unanimité, autorisant le mariage au domicile des parents. Heureusement, une directive non officielle du garde des sceaux demande aux procureurs de faire preuve de souplesse sur ce point. Cela me paraît logique.
L'amendement n° COM-15 est adopté.
Article additionnel après l'article 1er bis (nouveau)
L'amendement n° COM-17 tend à supprimer la lecture des dispositions du code civil concernant le crédit à la consommation lors de la cérémonie du mariage.
La cérémonie doit rester une fête !
L'amendement n° COM-17 est adopté.
L'amendement rédactionnel n° COM-18 est adopté.
Article 1er bis (nouveau)
L'amendement n° COM-19 évitera les adoptions plénières successives qui, intervenant sur une filiation biologique établie, créerait des situations de pluri-parentalité.
Les adoptions plénières successives sont impossibles au sein des couples hétérosexuels, sauf cas exceptionnels, décès du conjoint ou déchéance de l'autorité parentale par le juge. La même règle doit effectivement s'appliquer aux couples homosexuels. Restons-en à la situation actuelle.
L'amendement n° COM-19 est adopté.
Cet article, introduit par l'Assemblée nationale, autorise expressément une personne à demander l'adoption plénière d'un enfant que son conjoint a antérieurement adopté seul sous la forme plénière. Nous y sommes opposés en l'état actuel du droit. Par cohérence, l'amendement n° COM-6 supprime cet article.
À ce stade de la discussion, je n'ai pas arrêté définitivement ma position...
La rédaction retenue par les députés autorisait, en cas de séparation du couple, le nouveau conjoint du second parent adoptif à adopter l'enfant, ce qui aurait fait disparaître la filiation biologique. Nous y avons remédié avec l'amendement n° COM-19.
Article 1er ter (nouveau)
L'amendement n° COM-20, dans la même logique que l'amendement n° COM-19, interdit les adoptions simples successives.
Je signale un risque d'impossibilité matérielle ! L'adoption simple peut être révoquée...
Il sera tenu compte de votre remarque.
L'amendement n° COM-20 est adopté.
Avec l'amendement n° COM-7, nous demandons la suppression de l'article, en raison de notre position, exposée précédemment, sur l'adoption par deux personnes de même sexe.
L'avis est le même que précédemment...
L'amendement n° COM-7 est rejeté.
Article 1er quater (nouveau)
Inverser le principe général selon lequel l'adoption simple conserve au parent d'origine l'exercice de l'autorité parentale est contraire à la logique de ce type d'adoption. Je vous propose de supprimer l'article.
Tout à fait ! J'ai d'ailleurs proposé un amendement n°COM-8 identique.
Les amendements identiques n° COM-21 et COM-8 sont adoptés.
Mes amendements n° COM-32 et COM-34 autorisent l'adoption simple de l'enfant au sein des couples pacsés ou vivant en concubinage.
Je m'incline, mais je les redéposerai en séance, comme les précédents.
Les amendements n° COM-32 et COM-34 sont retirés.
Article additionnel après l'article 1er quater (nouveau)
Le but de l'amendement n°COM-33 est d'élargir la délégation partage de l'autorité parentale qui peut être faite en faveur du conjoint ou de l'ancien conjoint du parent. Cela garantira des droits au parent non biologique.
L'amendement que nous examinerons ensuite vous donnera partiellement satisfaction. Nous sommes d'accord pour régler le cas du parent social, mais non pour lui permettre de solliciter de lui-même une délégation de l'autorité parentale. Celle-ci, dans notre droit, est consubstantielle à la filiation.
L'amendement n° COM-33 est rejeté.
Article 1er quinquies (nouveau)
L'amendement n° COM-22 insère la définition du parent social ou du beau-parent, votée par l'Assemblée nationale, à l'article 371-4 du code civil.
Quelle est la difficulté ? Imaginons deux femmes qui, vivant ensemble, auraient porté ensemble un projet parental. L'un d'elle aurait recouru à une PMA, peu importe que ce soit en France ou à l'étranger. En cas de séparation, l'autre, parce qu'elle n'est pas la mère biologique, verrait son lien rompu avec l'enfant qu'elle avait espéré, accueilli et éduqué. Je propose, en reprenant une jurisprudence de la Cour de cassation, que le juge aux affaires familiales ait la faculté d'accorder à cette femme un droit de garde ou de visite.
Imaginons ensuite que la mère biologique de cet enfant se remarie avec un homme ou une femme et que ce conjoint veuille adopter l'enfant. Le juge de l'adoption devra obligatoirement être prévenu du jugement antérieur donnant droit de garde ou de visite à la femme qui est le parent social. Si tel n'est pas le cas, l'adoption pourra être annulée.
Et que se passera-t-il si une femme a un enfant à partir de l'ovule de sa compagne et du spermatozoïde d'un tiers ? Cela nous promet de beaux débats lors du prochain texte sur l'adoption...
Cela ne colle pas ! Le système ne fonctionnera pas pour les couples hétérosexuels. Prenons une mère qui se sépare du conjoint avec lequel elle a élevé l'enfant jusqu'à ses dix ans puis se remarie. Son ex-compagnon voudra continuer de voir l'enfant, dont le nouveau mari s'occupera au quotidien. Si le nouveau mari veut adopter le petit, il ne le pourra pas ! Que faire ? Mieux vaut régler ces situations très complexes dans la future loi sur l'adoption.
Je proposerai une disposition plus globale pour un statut de celui qu'on appelle communément le beau parent.
La difficulté signalée par M. Gélard peut être levée puisque l'amendement n° COM-22 offre une simple possibilité au juge. Ce dernier aura toute liberté pour prendre les mesures adaptées à la situation de l'enfant.
Mon amendement s'inspire d'une jurisprudence de la Cour de cassation visant à protéger les droits des grands-parents. Les juges aux affaires familiales attendent une telle évolution ; Mme Anne Bérard, présidente de chambre au tribunal de grande instance de Paris, l'a confirmé lors de son audition.
L'amendement n° COM-22 est adopté.
Article additionnel avant l'article 2
Profitons de ce texte pour clarifier, enfin, les règles qui gouvernent le nom d'usage entre époux. Tel est l'objet de l'amendement n° COM-13.
L'avis est favorable à condition d'une modification rédactionnelle. Le nouvel article 225-1 du code civil serait mieux rédigé ainsi : « Chacun des époux peut porter, à titre d'usage, le nom de l'autre époux, par substitution ou adjonction à son propre nom dans l'ordre qu'il choisit. »
Ce sera l'amendement n° COM-13 rectifié.
L'amendement n°COM-13 rectifié est adopté.
Article 2
L'amendement n° COM-23 concerne le nom de l'enfant, pour tous les couples. Je propose une solution plus équilibrée que celle trouvée à l'Assemblée nationale : l'enfant prendra le nom de ses deux parents en cas de désaccord exprimé entre eux. Si aucune volonté particulière n'est exprimée, il prendra le nom du père.
Vous proposez d'accoler les deux noms selon l'ordre alphabétique. Or les associations généalogiques s'inquiètent, à juste titre, d'une concentration des noms de famille dans la première moitié de l'alphabet. Je proposerai un amendement en séance pour varier le classement des deux noms selon la période du mois : pendant un temps, l'ordre alphabétique ; ensuite, le sens contraire.
Le problème est sérieux : il y a de plus en plus de Schmidt en Allemagne !
Le phénomène est statistiquement inéluctable dans un siècle ou deux. Il n'a rien d'amusant.
Je continuerai de m'opposer, comme je l'ai toujours fait, aux mesures qui encourageront la tendance naturelle à la concentration des noms sur les treize premières lettres de l'alphabet. Quelle est ma proposition ? De procéder par tirage au sort !
M. Zocchetto défend avec le talent qu'on lui connaît la lettre Z. Cela étant, l'amendement réduit la faculté de donner les deux noms de famille à l'enfant aux seuls cas de désaccord manifeste. Cela correspond à une situation très minoritaire ; du moins, on peut l'espérer.
Si nous résolvons ainsi la difficulté envisagée, nous appliquerons la même solution dans d'autres circonstances.
L'amendement n° COM-23 va dans le sens de Mme Lipietz puisqu'il restreint le texte des députés. Le tirage au sort, franchement...
Depuis la loi sur les noms de famille, une immense majorité des enfants ont continué à recevoir le nom du père. L'Assemblée nationale, posant une obligation de donner un nom double, va trop loin. La solution du rapporteur est moins mauvaise. Je m'abstiendrai.
Un détail pratique : les machines, qui effectuent dorénavant le tri postal, ne parviennent pas à lire le nom des rues lorsqu'il est très long. Cela va m'obliger à débaptiser une rue dans ma commune. L'allongement des noms risque de multiplier les erreurs de distribution de courrier.
L'amendement n° COM-23 est adopté.
La suppression de l'article 2 ne se motive pas seulement par des considérations sur l'ordre alphabétique et les noms... Je l'ai dit : nous sommes opposés à l'adoption par les couples de même sexe en l'état actuel du droit. Tel est l'objet de l'amendement n° COM-9.
Article 3
Article 4
L'Assemblée nationale a adopté un dispositif balai pour reconnaître l'égalité de traitement des époux et parents de même sexe, à l'exclusion des dispositions relatives à la filiation biologique. Mieux vaut pour un principe général de traitement égal le placer en tête du code civil, dans les principes généraux, en excluant cependant de son champ les dispositions relatives à la filiation biologique. La loi doit être lisible, dit notre cher Conseil constitutionnel.
Certes ! Et ce principe de lisibilité de la loi est surtout important pour les juges. Cet amendement n° COM-24 est adossé à un amendement du Gouvernement demandant une habilitation à légiférer par ordonnance pour procéder à toutes les coordinations nécessaires dans les autres textes que le code civil.
C'est un dispositif d'ouverture plutôt qu'un dispositif balai. Les amateurs d'opéra apprécieront !
Quand bien même, le texte restera bancal. Initialement, le Gouvernement projetait d'abandonner les termes de père et mère pour ceux de parents, indifférenciés, dans tout le code civil ; nous n'en voulions pas. La solution proposée, je le reconnais, est plus subtile que celle des députés ; elle butte pourtant sur la même réalité. Je ne la voterai pas.
Les couples homosexuels n'auront pas les mêmes droits, quoi qu'on en dise. Certains enfants seront adoptables, d'autres ne le seront pas en raison de leur filiation biologique.
L'amendement concerne les rapports de filiation entre parents et enfants, non les enfants eux-mêmes.
Chacun aura le temps de progresser dans la réflexion et d'apporter des améliorations d'ici la prochaine réunion de la commission puis la séance publique.
L'amendement n° COM-24 est adopté.
Il aurait été plus logique d'examiner mon amendement n° COM-12 de suppression de l'article avant celui de M. Michel.
C'est une règle constante de notre commission : les amendements du rapporteur, puis ceux des commissaires. Nous l'avons appliquée ici article par article, cela nous semblait plus judicieux.
Je comprends mieux. Avec cet article 4, nous touchons très clairement les limites de ce projet de loi : en créant de nouvelles inégalités, il donnera du travail aux juges. Mais nous avons encore le temps d'améliorer le texte...
Remplacer les termes de père et de mère par la notion de parents est dangereux. La notion de mère, universelle, n'a pas besoin d'être précisée ; le père est clairement défini dans le code civil. La signification du mot parent, elle, est singulièrement floue ; elle varie selon les pays et les usages. Je suis le parent de ma cousine, mais non son père... Votre proposition sèmera le trouble au-delà du champ juridique.
L'amendement n° COM-24 répond précisément à la préoccupation de notre honorable collègue Zocchetto.
Nous conservons les termes de père et de mère, tout en plaçant les dispositions sur l'égalité de traitement pour les couples de même sexe en tête du code civil. Au juge d'en tirer les conséquences.
L'amendement n° COM-12 est rejeté.
Article 4 bis (nouveau)
L'amendement n° COM-35 du Gouvernement, suggéré par votre rapporteur, correspond à une habilitation à légiférer par ordonnance pour procéder aux coordinations nécessaires, à l'exclusion du code civil.
Il n'y aura pas de coordination dans le code civil, où les notions de père et mère sont maintenues.
J'accepte l'habilitation pour les adaptations indispensables à l'outre-mer, le 2° de l'amendement. Sur le 1° en revanche, j'attends de voir...
Nous ne pouvons rectifier l'amendement du Gouvernement ! Mais peut-être celui-ci souhaitera-t-il l'améliorer.
Je me souviens d'un certain président de la commission des lois qui protestait, il y a deux ans, contre les ordonnances d'habilitation en matière de droit civil...
L'amendement n° COM-35 est adopté.
L'amendement de suppression n° COM-11 est rejeté.
Article 23
L'amendement n° COM-25 rectifie l'application outre-mer du texte.
L'amendement n° COM-25 est adopté.
Nous allons passer au vote sur l'ensemble du texte. Le débat fut sérieux, serein et approfondi.
L'ensemble du projet de loi est adopté dans la rédaction résultant des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
La commission examine ensuite le rapport et le texte qu'elle propose pour la proposition de loi n° 3 (2012-2013), présentée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collègues, visant à l'abrogation du délit de racolage public.
Je cède la parole à Mme Virginie Klès pour son rapport sur la proposition de loi déposée par Mme Esther Benbassa et plusieurs de ses collèges visant à abroger le délit de racolage public.
J'espère un débat serein et approfondi sur cette proposition de loi de notre collègue Esther Benbassa. Sans vous dresser l'évolution de cette infraction depuis 1939, dont vous trouverez le détail dans le rapport écrit, je vous rappelle simplement qu'en 2003, le racolage est passé de la catégorie des contraventions à celle des délits, ce qui permet de placer la personne interpellée en garde à vue. La même loi a étendu la définition de l'infraction aux faits de racolage dit « passif ».
Saisi de cette disposition législative, le Conseil constitutionnel a admis sa constitutionnalité. Cependant, cette modification législative n'a pas été sans poser des problèmes de caractérisation de l'infraction. Progressivement, cette difficulté s'est traduite par des consignes plus strictes des parquets pour mieux circonscrire les éléments constitutifs de l'infraction, ce qui a abouti à une forte baisse des interpellations et des condamnations.
Je relève que cette infraction n'est pas sans soulever une question quant à sa constitutionnalité en raison d'un changement des circonstances de fait et de droit. En effet, le racolage qui est puni lorsqu'il est accompli sur la voie publique ne l'est pas lorsqu'il se pratique sur Internet, qui est pourtant accessible à tous. Cette différence de traitement pénal de situations identiques conduit, à mon sens, à se demander si le principe d'égalité n'est pas rompu et donc sur la constitutionnalité du dispositif actuel depuis la décision du Conseil constitutionnel.
En 2003, un double objectif était poursuivi par l'instauration de ce délit : donner aux forces de l'ordre de nouveaux outils pour assurer, d'une part, la tranquillité publique, et d'autre part, la lutte contre le proxénétisme.
Or, ce délit a abouti à un déplacement des personnes prostituées hors des centres urbains vers des zones de plus grande insécurité pour elles. Parallèlement, comme me l'ont indiqué les policiers que j'ai rencontrés, les plaintes des riverains sont tout aussi nombreuses et virulentes. Sur ce point, l'objectif de tranquillité publique n'a pas été atteint, le délit ne donnant qu'une illusion de tranquillité. En outre, l'existence de cette infraction entretient une confusion dans les esprits puisqu'il laisse à penser que la prostitution est illégale, ce qui n'est pas le cas sur le plan pénal.
S'agissant de l'action contre les réseaux de prostitution, les sources diffèrent et il peut y avoir difficulté à croiser totalement les données. L'estimation des personnes prostituées en Ile-de-France oscille ainsi entre 300 et 800.
Une certitude cependant : le nombre d'interpellations a chuté puisqu'en 2003, il y en avait à Paris entre 6 000 et 7 000 par an alors que ce nombre a chuté actuellement à environ 1 500 par an. Ceci s'explique largement par l'éloignement des personnes prostituées dans des zones périphériques.
De même, seule une minorité des personnes interpellées pour ce délit sont déférées devant le parquet, ce qui montre la difficulté à établir les éléments constitutifs de l'infraction. De surcroît, à Paris, seulement sept personnes interpellées étaient en état de récidive, ce qui relativise grandement l'efficacité du dispositif. La raison en est simple : les réseaux se sont adaptés. Ils « déménagent » les personnes prostituées qui ont été interpellées, sans compter que la prostitution se déporte sur Internet pour échapper à cette incrimination. L'objectif de démantèlement des réseaux de prostitution n'est donc pas plus atteint que le précédent.
Enfin, la garde à vue est l'occasion d'une intervention à double titre des forces de l'ordre. Tout d'abord, l'interpellation est effectuée par les policiers chargés de la sûreté sur la voie publique, policiers en uniforme donc, qui interrogent la personne prostituée. Si l'intéressée est susceptible de donner des informations sur les réseaux de prostitution, ils préviennent alors leurs collègues en civil de la brigade de répression du proxénétisme. Cette transmission n'est pas systématique car la personne prostituée n'est pas toujours en état de donner ces éléments, les réponses étant souvent stéréotypées et apprises à l'avance pour la simple raison qu'elles sont préparées à l'interpellation par leur réseau. Ce processus démontre que la personne interpellée pour racolage a un double statut : tantôt auteur d'une infraction, tantôt victime susceptible de livrer des informations sur les personnes tirant profit du réseau auquel elles appartiennent. Telles une « bonbonne secouée » - si vous me permettez l'expression -, elles sont pressées de dire tout ce qu'elles savent.
A Paris, sur 1 600 interpellations environ, 800 personnes seulement sont déférées et sur ces 800 personnes, seules 320 ont été vues l'an dernier par la brigade de répression du proxénétisme. Seules quelques unes, entre 10 et 25 % - les chiffres varient selon les sources - auraient fourni des renseignements utiles mais pas indispensables à l'enquête. Ce dernier point est important : les informations recueillies à l'occasion de ces gardes à vue sont versées à l'enquête mais nul n'est en mesure de nous indiquer ce qui a été indispensable à sa résolution. Ce sont des instructions longues et difficiles et ces informations sont comme des petites pièces qui viennent trouver place dans un vaste puzzle. L'apport réel de ces renseignements arrachés aux prostituées placées en garde à vue est donc difficile à établir. Cela étant, cela reste un outil parmi d'autres et je pense qu'il ne faut rien négliger en matière de lutte contre le proxénétisme.
En conclusion, on a créé une situation extrêmement confuse au moment de l'instauration de ce délit de racolage sur la voie publique. Le droit français est construit en vue de protéger la victime, a fortiori lorsqu'elle est vulnérable. Or l'avis est unanime : les prostituées sont des victimes particulièrement vulnérables, et ce délit les a encore fragilisées en les renvoyant vers la périphérie, en les éloignant des médecins, des associations et des services sociaux capables de les aider. En tant que législateur, je ne peux supporter l'idée que le droit fragilise davantage des victimes vulnérables au lieu de les protéger. Je vais donc vous proposer d'adopter la proposition de loi qui nous est soumise.
Il est vrai cependant qu'on va faire disparaître un outil bancal, dont on ne connaît pas la réelle efficacité même si elle existe, sans proposer d'outils pour s'y substituer. Cela est déjà arrivé avec l'abolition du harcèlement sexuel par le Conseil constitutionnel. Mais cette fois-ci nous disposons de davantage de temps, celui de la navette en tout cas, pour y remédier.
Je vous proposerai donc d'adopter cette proposition de loi tout en sachant que la tâche n'est pas achevée. Il nous faut insister de manière forte auprès du Gouvernement afin de remplacer cet outil par un outil plus juste, plus efficace. Il y a des choses à faire en matière de coopération internationale et auprès des opérateurs de téléphonie et des fournisseurs d'accès à Internet que les réseaux de proxénétisme ont envahi. Il faut une approche globale de ce phénomène de proxénétisme et de traite des êtres humains.
Je veux remercier Virginie Klès qui s'est acquittée de sa tâche de rapporteur avec efficacité et conviction. Je passe à présent la parole à Mme Esther Benbassa, auteure de la proposition de loi.
Je veux tout d'abord exprimer mes remerciements à notre rapporteur pour m'avoir permis de participer aux auditions ainsi qu'au déplacement qu'elle a menés.
Je suis très attachée à cette proposition de loi. L'institution du délit de racolage n'a fait que fragiliser davantage des prostituées déjà vivement stigmatisées. L'objectif du groupe écologiste est d'agir sur ce point précis, de remédier à cette injustice qui touche des personnes précaires et vulnérables, de manière urgente, sans pour autant oublier qu'il y a un travail important à faire en matière de prostitution, sans tomber dans l'idéologie ou les préjugés.
Nous avons visité des quartiers où vivent et travaillent les prostituées, nous avons entendu des préjugés sur les Roms, les Chinoises... J'interpelle indirectement la ministre : il y a un travail à faire pour la réinsertion de ces personnes, il faut leur trouver des métiers dignes qui leur permettent de sortir effectivement de la prostitution. Il y a également à faire en matière de santé, de prévention et de sensibilisation des intervenants du secteur. Et il faut naturellement agir contre les réseaux de prostitution.
Si j'approuve l'objectif de cette proposition de loi, je ne partage pas la démarche : quand on supprime un outil, il faut le remplacer simultanément par un autre.
Je vais vous faire partager ma propre expérience. Quand je viens à Paris, je réside au faubourg Saint-Denis ; la ligne la plus droite pour me rendre au Sénat est donc la rue Saint-Denis. Jusqu'en 2003, j'étais obligé de faire des détours pour éviter les sollicitations incessantes des prostituées. Depuis l'instauration du délit, je peux de nouveau emprunter cette rue. Mais depuis quelques temps, les prostituées « sortent du bois », si vous me permettez l'expression, le racolage a repris.
Il faut changer d'outil car celui que nous avions imaginé n'a pas eu les effets escomptés, mais on ne peut le supprimer sans le remplacer. Je ne peux voter ni pour ni contre ce texte : je m'abstiendrai donc.
Cette proposition de loi est un premier pas dans le sens de ce que nous souhaitons. Ces femmes et ces hommes sont des victimes et non des coupables, il en va de la responsabilité de l'ensemble de la société. Ce n'est qu'un début car il faut continuer à lutter contre les réseaux de proxénétisme. Mme Najat Vallaud Belkacem s'est exprimée le week-end dernier en faveur d'un texte plus général sur la prostitution. Ce n'est qu'un début, mais nous voterons ce texte.
Il faut voter ce texte mais on ne va pas jusqu'au bout de la démarche. Si on ne pénalise plus le racolage, il faut en tirer les conséquences et pénaliser le client. Je comprends la dimension sociale, la question des réseaux, de la traite. Mais il nous faut nous poser la question de la responsabilité pénale des clients.
Notre rapporteur nous a apporté des éléments d'évaluation d'un texte qui avait porté certains espoirs mais les a semble-t-il déçus.
Je m'interroge pour ma part sur la nécessité de la pénalisation du client. Cela a été dit : ce sont des victimes sur lesquelles s'abat la sanction. En imaginant ce partage de responsabilité, on se soulage à bon prix de notre obligation de lutter contre les réseaux. Le mérite de cette abrogation est de nous amener à chercher à mettre en place les vrais moyens de lutter contre le proxénétisme dont ce délit nous détournait.
Tout d'abord, je félicite Virginie Klès pour la qualité de son rapport et je remercie Esther Benbassa d'avoir déposé cette proposition de loi. L'adoption des dispositions de la loi du 18 mars 2003 était une erreur. Elles n'ont rien réglé, tout en fragilisant encore des prostituées déjà victimes. Le Président de la République s'est engagé, pendant la campagne, à abroger ce texte. Toutefois, cette abrogation ne doit en aucun cas être considérée comme un encouragement à la prostitution. Nous restons abolitionnistes et la lutte contre le proxénétisme doit encore être renforcée. A cet égard, des parlementaires réfléchissent actuellement, à l'Assemblée nationale et au Sénat, aux mesures qui pourraient être adoptées pour mieux réprimer le proxénétisme et les réseaux de prostitution. Il est également nécessaire de travailler à l'amélioration de la prise en charge des prostituées, en vue de leur réinsertion dans notre société. Toutes ces questions impliquent, parallèlement à l'abrogation du délit de racolage, un travail approfondi. L'objectif ultime reste la disparition de la prostitution dans notre société.
Christian Cointat a déjà tout dit. Les dispositions de la loi du 18 mars 2003 n'ayant pas eu d'effet, le dépôt de la présente proposition de loi est une bonne chose. Mais comme rien n'est proposé à la place, nous nous abstiendrons.
J'appelle notre commission à la modestie sur ce sujet. Il importe de ne pas donner l'impression que nous pensons avoir réglé le problème grâce à la seule suppression du délit de racolage. De même, de nombreuses personnes demandent à Mme Christiane Taubira de supprimer les peines plancher et la rétention de sûreté, mais il serait préférable que cette suppression, que je souhaite, prenne place dans un dispositif pénal d'ensemble. Les arrêtés municipaux d'interdiction de la prostitution sur la voie publique sont hypocrites : les prostituées se déplacent dans la ville voisine, puis dans la suivante. Au terme du processus, on les retrouve sur Internet, dans les forêts ou les faubourgs, de sorte que les associations ne peuvent plus les suivre. Je saluerai le ministre ou la majorité qui saura prendre des mesures efficaces contre les trafics et débloquer les moyens nécessaires pour aider les personnes prostituées à trouver un emploi.
Dès lors qu'une disposition législative est inutile, il faut l'abroger. Mais cela ne suffira pas à régler le problème. Il convient également de prendre garde à ne pas donner le sentiment que le Parlement français souhaite donner libre cours à la prostitution.
Je vous remercie pour vos interventions qui enrichissent le débat. En tant qu'enseignante à l'Université, je voudrais par ailleurs attirer votre attention sur ces étudiantes qui sont contraintes de se prostituer deux ou trois fois par mois pour payer leur loyer. La prostitution est polymorphe. La plupart des prostituées françaises sont en auto-entreprise et n'appartiennent à aucun réseau. La loi du 18 mars 2003 a permis d'expulser de nombreuses prostituées étrangères. En outre, n'oublions pas que les femmes peuvent être aussi « consommatrices » de prostitution, notamment dans le cadre de voyages à l'étranger. Enfin, de nombreux transsexuels se prostituent parce que personne ne veut les embaucher en raison de leur état-civil : il faut donc leur permettre de changer de prénom sans avoir pour cela à subir une opération.
Même ceux qui ne sont pas d'accord pour adopter ce texte le sont pour dire que le délit de racolage a créé davantage de problèmes qu'il n'en a résolus. Nous sommes également d'accord pour dire qu'il y a un problème de calendrier. Cette proposition de loi n'est qu'un premier pas. Des questions se posent pour lesquelles je n'ai pas de réponse : faut-il lutter contre la prostitution en elle-même, pénaliser les clients ? Nous avons le devoir de travailler sur ce sujet.
AMENDEMENTS PORTANT ARTICLES ADDITIONNELS
Mes deux amendements ont pour but de procéder aux coordinations nécessaires et de permettre l'application de la proposition de loi outre-mer.
Les amendements n° 1 et 2 sont adoptés.
La commission adopte la proposition de loi ainsi modifiée.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :