Intervention de Patrice Gélard

Commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale — Réunion du 20 mars 2013 : 1ère réunion
Ouverture du mariage aux couples de personnes de même sexe — Examen du rapport et du texte de la commission

Photo de Patrice GélardPatrice Gélard :

Je salue le travail du rapporteur. J'avais moi aussi procédé à de nombreuses auditions - il s'agissait d'ailleurs assez largement des mêmes personnes.

Le Président de la République avait pris l'engagement de lancer, sur les grands problèmes de société, une vaste concertation impliquant l'ensemble de l'opinion publique. Je constate que ce n'est pas le cas. Il y a même un refus de concertation ! Heureusement que la commission des lois de l'Assemblée nationale, et surtout celle du Sénat, ont mis en place un tel débat. Ce refus transparaît nettement dans le caractère rapide et fort discutable de l'étude d'impact qui accompagne le projet de loi : elle est tout simplement bâclée, ne va pas au fond des choses, et traite avec légèreté d'éléments fondamentaux. Le débat part donc sur de mauvaises bases, par la faute du Gouvernement.

Je pense que le rapporteur a fait siennes les thèses des gender studies... Ce n'est pas mon cas : je tiens, à la suite du doyen Hauriou, qu'il y a en France une constitution sociale à côté de la constitution écrite, dont font partie les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République, ainsi que les parties du droit civil consacrées à la famille, comme le disait le doyen Carbonnier. Le droit de la famille ne peut pas se manipuler comme d'autres aspects du droit. Il s'agit d'un élément fondamental de notre contrat social. Il est possible de le remettre en cause, mais avec précaution et non par une procédure législative ordinaire, sans concertation avec l'opinion publique...

Notre conception du mariage diffère de celle des pays dans lesquels les études de droit comparé nous montrent que le mariage pour les couples de même sexe a été adopté. Dans les pays protestants, le mariage est dépourvu de la solennité que nous y mettons : le code civil le revêt chez nous d'une valeur sacramentelle, renforcée par la difficulté d'y mettre fin. Vous me direz que l'Espagne n'est pas un pays protestant, mais c'est un cas à part : une décision récente de la Cour constitutionnelle a simplement reconnu le bien-fondé de la loi, puisque la Constitution espagnole prévoit que le législateur peut intervenir sur le sujet - encore a-t-il fallu près de sept années pour que cette décision soit rendue. Notre conception du mariage est héritée de la Révolution française, et même du droit romain, et n'est pas analogue à celle des pays scandinaves ou nordiques.

En ce qui concerne l'adoption, la loi aboutira à une inégalité foncière entre les enfants. Certains ne seront pas adoptables, d'autres le seront par adoption simple, d'autres par adoption plénière : il ne s'agit pas d'égalité mais bien d'une inégalité totale de statuts ! Ce problème n'est pas résolu par les amendements de notre rapporteur. Il en va de même pour d'autres sujets : rien n'est dit sur la situation du beau-parent dans les couples homosexuels, comme dans les couples hétérosexuels. Déjà, pour le Pacs, Mme Guigou avait promis que ce problème serait traité, cela n'a jamais été fait ! Depuis longtemps il y a des enfants qui sont élevés par une ou deux femmes, ou un ou deux hommes. L'adoption plénière par une seule personne a été mise en place après la première guerre mondiale pour reconnaître des situations de fait causées par le manque d'hommes. Pourquoi l'adoption simple est-elle délaissée ? Parce que son régime fiscal lui ôte tout intérêt... C'est une anomalie de notre droit.

D'autres pistes mériteraient d'être étudiées et ne l'ont pas été. Le parrainage civil a été rétabli - à juste titre. Pourquoi ne pas l'utiliser dans ces situations ? Certains cas ne sont pas traités par la loi. Prenez par exemple le cas d'un homosexuel qui aurait un enfant avec une homosexuelle par insémination artificielle. Le conjoint de chacun des deux parents pourra souhaiter l'adopter, ce qui ferait quatre parents en tout ! C'est impossible, car l'enfant a déjà un père et une mère. Cela illustre bien la nécessité de revoir de fond en comble le problème de l'adoption, qui est mal traité par notre droit - ou plutôt traité en fonction des problématiques de transmission de patrimoine et de nom. Nous avons tué l'adoption simple, qui résoudrait tous les problèmes.

La délégation de l'autorité parentale est encore exceptionnelle. La question se pose dans les couples hétérosexuels aussi. Il faudrait l'étudier en profondeur.

Nous ne voterons pas ce texte. Nous proposons une union civile, qui garantit les mêmes droits que le mariage mais qui n'entraîne aucune conséquence en matière de filiation et d'adoption.

L'adoption doit être réexaminée. Dans ce texte, cette question est bâclée. De plus ne soyons pas hypocrites. Chacun sait qu'aujourd'hui, dans les faits, il est impossible d'adopter : aucune adoption depuis six ans en Belgique ; aux Pays-Bas seuls des enfants hollandais peuvent être adoptés. Certains pays, comme la Russie, ou le Viet-Nam, qui autorisaient l'adoption pour une personne seule envisagent de l'interdire désormais pour les couples homosexuels.

Une modification aussi brutale de notre contrat social aurait nécessité une réflexion plus large. Nous sommes favorables à une évolution, mais les propositions du rapporteur apparaissent prématurées, insuffisamment concertées et décalées par rapport à l'opinion publique.

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