Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a un peu plus de trois ans, le Sénat engageait la discussion relative à la réforme de la taxe professionnelle. L’ampleur de cette réforme, les conséquences profondes qu’elle a entraînées pour nos territoires et la complexité des dispositifs concernés nécessitent, à l’heure où nous souhaitons débattre des perspectives, que nous dressions un bilan étayé de la suppression de la taxe professionnelle.
Il y a trois ans, un de nos collègues avait eu cette phrase, au moment d’aborder l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010, qui portait suppression de la taxe professionnelle : « Cette réforme, née par surprise à l’Élysée, n’a connu que les couloirs de Bercy pour grandir. Or ce sont bien les territoires qui, demain, mourront de votre fausse réforme ! »
Alors que des rapports comme celui remis en novembre 2012 au Parlement par le Gouvernement établissent désormais des bilans objectifs, réfléchis et fondés sur les trois années d’exercice qui ont suivi réforme, je ne peux résister à l’envie de vous rappeler la réponse de Philippe Marini, alors rapporteur général de la commission des finances : « Tout ce qui est excessif est insignifiant ! »
Citer Talleyrand n’est pas toujours opportun, et cet échange semble aujourd’hui bien douloureux pour la majorité de l’époque. Cependant, cette douleur est éprouvée par l’ensemble des acteurs locaux, les départements comme les régions, les communes comme les intercommunalités.
De fait, dans cette réforme, tout a été excessif.
Tout d’abord, l’impréparation était manifeste, pour une mesure annoncée par surprise, un soir de février, par Nicolas Sarkozy ; aucune concertation, aucune simulation n’ont accompagné la suppression de la taxe professionnelle.
Quant à la précipitation, elle était évidente s’agissant d’un texte déposé en toute hâte à l’Assemblée nationale, puis transmis au Sénat et discuté dans des conditions indignes du Parlement, dont beaucoup d’entre vous se souviennent.
La taxe professionnelle représentait une masse de plus de 30 milliards d’euros en 2009, soit près de 18 % des recettes de fonctionnement de l’ensemble des collectivités locales. Cela équivaudrait, pour l’État, à remplacer l’impôt sur le revenu, qui lui procure près de 17 % de ses recettes fiscales.
Nous pouvons le dire, maintenant que nous sommes aux responsabilités et que nous avons la charge de redresser ce qui a été cassé : il y a eu une part d’irresponsabilité dans la manière de mener la réforme fiscale des territoires. Or, dans le cas qui nous intéresse, ce qui est excessif est loin d’avoir été insignifiant.
Bien entendu, l’effet de ciseaux que subissent les finances départementales depuis plusieurs années s’explique en partie par le rythme de croissance des dépenses sociales que les conseils généraux doivent assumer.
Toutefois, cette réforme a largement aggravé la possibilité pour les départements de se ménager des marges de manœuvre : levier fiscal étouffé, ressources peu dynamiques, dispositifs de péréquation tardant à voir le jour. À ce titre, la réforme territoriale de 2010 a constitué un leurre dès lors qu’était abordée la clause de compétence générale des collectivités locales. Quel département peut, aujourd’hui, envisager sérieusement de mener des actions sur des projets dépassant son « cœur de métier », à savoir les prestations de solidarité ?
Dans quelques instants, François Patriat évoquera le sort des régions. Sur ce sujet, je ne ferai qu’un constat : les impositions sur lesquelles les régions peuvent moduler les taux ne portent plus que sur un peu plus de 10 % de leurs ressources, contre 30 % avant la réforme. Soyons sérieux ! Quelle est l’autonomie fiscale, quel est l’avenir pour des collectivités locales dont le pouvoir de déterminer et de moduler l’impôt porte presque exclusivement sur les cartes grises ?
Et le bloc communal n’a pas été épargné : dans mon département, les Pyrénées-Atlantiques, j’ai eu l’occasion de suivre la progression des discussions relatives au schéma départemental de coopération intercommunale, le fameux SDCI. Chacun d’entre nous a son expérience de ces négociations. Toutefois, force est de constater que les discussions entre les intercommunalités et les communes achoppent bien souvent sur les facteurs financiers et fiscaux. L’épouvantail de la réforme fiscale de 2009 est dans tous les esprits lorsqu’il s’agit d’imaginer les mariages censés aboutir à cette fameuse rationalisation de la carte intercommunale.
La réforme de la taxe professionnelle a rendu illisibles les enjeux et les relations financières entre l’intercommunalité et les communes, là où elle était censée permettre une simplification de l’ensemble. À ce titre, je ne citerai que deux exemples.
D’une part, il convient d’évoquer le basculement généralisé vers la fiscalité touchant les ménages : pour les collectivités de proximité que sont les communes et les intercommunalités, le lien qui existait avant la réforme entre l’entreprise et le territoire a pour partie disparu. Aujourd’hui, pour ces territoires, ce sont les zones résidentielles qui paient, et non plus les zones d’activité accueillant des entreprises. Pour une réforme intervenue en pleine crise, et qui avait notamment pour objet de remettre au centre du jeu les acteurs économiques, le constat est cruel !
D’une part, la réforme territoriale, lancée dans la foulée de la suppression de la taxe professionnelle, s’est révélée un véritable jeu de dupes : en bouleversant les équilibres financiers entre collectivités, entre territoires, la droite ne pouvait que transformer les discussions sur les périmètres intercommunaux en batailles rangées. Celles-ci se sont déroulées dans un épais brouillard, qui, aujourd’hui, n’est pas encore dissipé. Chaque année, les « clauses de revoyure » que la droite nous avait tant vantées, ont en réalité fourni le prétexte de dizaines d’ajustements techniques, parfois essentiels, qui n’avaient pu être opérés au moment de la réforme.
Chers collègues de l’opposition, le bilan est une étape obligée. À ce stade, nous n’adoptons pas une posture, nous avons suffisamment eu l’occasion de vous faire part de nos critiques à l’encontre de cette réforme bâclée : les faits nous donnent hélas largement raison aujourd’hui.
Comme dans d’autres domaines, nous avons l’ambition de redresser ce qui avait été mal conduit ces dernières années, par des mesures contre lesquelles nous nous étions érigés. Depuis l’élection de François Hollande, de nombreuses mesures ont d’ores et déjà été prises, discutées et votées par le Parlement, dont certaines sur l’initiative du groupe socialiste du Sénat.
Pour les centaines de milliers de petites entreprises, qui, à l’automne dernier, ont été les victimes collatérales d’un énième épisode de la fin de la taxe professionnelle et qui ont subi des hausses d’impôt injustifiées, nous avons pris l’initiative de faire voter une disposition permettant aux collectivités de réparer cette injustice.
Pour les territoires, nous avons appelé de nos vœux la révision des valeurs locatives, que nous avons fait progresser, en décembre, dans cet hémicycle. Ce serpent de mer est une réforme majeure puisqu’elle touchera la substance même de l’ensemble des ressources fiscales perçues par les collectivités. Cependant, alors que la réforme fiscale de 2009 avait été menée en quelques semaines, nous souhaitons pour notre part un calendrier réaliste, raisonnable et efficace, qui laisse la place à l’expérimentation et à la concertation.
Enfin, pour les collectivités territoriales, les débats que nous avons consacrés, à l’automne dernier, à la péréquation des ressources entre territoires, continueront tout au long de 2013. Là encore, le but est de combattre des injustices qui ont été figées par la suppression de la taxe professionnelle.
La précédente majorité n’a eu de cesse de nous rappeler ce mot de François Mitterrand qualifiant la taxe professionnelle d’« impôt imbécile ». Bien entendu, cette taxe exigeait une vaste réforme de la fiscalité locale ! Qui le nierait, pour une imposition qui avait été modifiée près de soixante-dix fois par voie législative ? Mais cet impôt imbécile n’appelait pas une réforme ratée.
Bref, il faut rendre justice aux territoires. Cette valeur cardinale est au cœur de notre engagement socialiste, a fortiori au sein de la chambre des collectivités locales.
À l’injustice fiscale qui transparaît désormais, accrue par la réforme, succéderait, si rien n’était fait, la restriction des libertés locales. C’est contre le fatalisme d’une réforme bâclée que nous travaillons, que nous alimenterons le débat et que nous défendrons nos propositions durant les prochains mois, au sein de la Haute Assemblée. §