La loi de 1988 a maintenant un quart de siècle et il est bien naturel que l'on s'interroge sur la possibilité d'en améliorer l'efficacité.
En effet, son bilan indique que les moyens d'action qui ont été attribués à la Commission pour la transparence financière de la vie politique n'ont pas permis de faire toute la lumière sur un certain nombre d'enrichissements, dont la commission a elle-même relevé qu'ils étaient inexpliqués.
Lorsque la commission a transmis au parquet ces dossiers, il est exact que ce dernier n'a pu, sur la base des éléments qui lui avaient été communiqués, engager de poursuites, même si, par ailleurs, les personnalités qui ont fait l'objet de ces transmissions ont souvent été poursuivies devant les tribunaux pour d'autres motifs.
On peut dès lors comprendre que cette loi de 1988 suscite aujourd’hui des interrogations. Je rappelle incidemment que l'initiative en revient au Premier ministre de l’époque, Jacques Chirac, et que l'opposition alors ne l’avait pas votée. Toutefois, celle-ci a bien évidemment le droit de considérer aujourd’hui cette loi comme un texte fondateur, qu’il convient sans doute de revisiter.
Revisiter ce dispositif, c'est précisément la tâche à laquelle s’est attelé, voilà deux ans, le groupe de travail sur les conflits d’intérêts présidé par Jean-Jacques Hyest, alors président de la commission des lois. Ce groupe de travail, composé de représentants de tous les groupes politiques du Sénat, a adopté dans son rapport un certain nombre de recommandations, pour la plupart excellentes.
Je veux bien que nous tâchions de nous abstraire des conditions dans lesquelles la préparation de ce texte a été enclenchée par le Président de la République pour discuter du fond, en ayant à l’esprit le seul intérêt de la progression de la transparence de la vie publique et de la confiance de nos concitoyens à dans les responsables politiques qu’ils ont eux-mêmes désignés.
Relevons tout de même que, dans sa déclaration du 3 avril dernier, le Président de la République n'a pas trouvé de mots assez forts pour fustiger le comportement de son ex-ministre du budget : « Stupéfaction », « colère », « tromperie », « faute impardonnable », « outrage fait à la République », « faits intolérables », « choc », « grave manquement à la morale républicaine »…
Or il s’agissait des actes d'un ministre, et voici que nous discutons d'un texte qui concerne tous les responsables politiques, si bien que les collègues qui ont interprété ce projet de loi comme une façon d’éloigner l'œil du cyclone de l'exécutif ont vu juste, selon moi, même si l’on ne peut se contenter de cet argument.
Acceptons de ne pas voir seulement ce texte comme un leurre destiné à détourner l'attention d'une fraude fiscale commise par un ministre et à faire peser sur l'ensemble des responsables politiques une sorte de culpabilité en raison de la faute commise par l’un des leurs ; il n’en comporte pas moins, peut-être en raison de son improvisation, de nombreuses insuffisances, qui expliquent le rejet de son article 1er.
Toutefois, dès lors que cet article 1er est tombé, il ne reste plus dans le texte que les deux points dont nous débattons aujourd'hui, à savoir la transparence de la réserve parlementaire et les incompatibilités.
La transparence de la réserve était facile à réaliser : elle ne gêne en réalité personne et ne met pas en jeu des sommes qui figurent dans les comptes personnels des parlementaires, puisqu’il s’agit en réalité de crédits du ministère de l'intérieur, que les parlementaires se bornent à affecter à un certain nombre d'opérations d'investissements des collectivités locales.
En revanche, s’agissant des incompatibilités, il me semble que le texte fait fausse route. Il prend en tout cas le risque de l’inconstitutionnalité en décidant par principe que toute activité nouvelle sera interdite. Le renversement du principe de la liberté d'exercer, à titre secondaire et accessoire, des activités professionnelles, sauf celles qui doivent par nature être interdites, va beaucoup trop loin. Il me semble même que cette disposition est de nature à créer une inégalité fondamentale entre parlementaires, voire entre citoyens. En effet, ce n’est plus la nature de l'activité qui est visée, mais la date à laquelle elle est entreprise.
Il me semble que le Conseil constitutionnel ne manquera pas, s'il en est saisi – il le sera nécessairement si le texte est adopté, puisqu’il s'agit d'une loi organique –, de censurer une disposition qui porte atteinte de façon disproportionnée à la liberté d'exercice d'une activité professionnelle, alors même que l'incompatibilité a pour seul objectif de protéger l'indépendance du parlementaire. Or toute activité professionnelle commencée après le début du mandat n'a pas ipso facto pour effet de mettre en péril cette indépendance.
Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe UMP ne pourra pas voter ce texte. Je ne pourrais pas le voter non plus, non seulement comme membre du groupe UMP, mais aussi en tant que sénateur de la Manche, soucieux des progrès de la démocratie, mais désireux de ne pas être dupe d'un certain nombre de dispositions qui ne me paraissent pas de nature à faire progresser celle-ci.