Monsieur le président, madame, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, ce week-end, j’ai pris connaissance d’un sondage très proche de vos préoccupations : quelque 68 % des Français auraient une opinion négative de la société de consommation. Ce que nous indique une telle enquête d’opinion, à nous, représentants politiques, c’est que, face à une société de marché, les Français aspirent de plus en plus à une société de valeurs.
Les Français ne veulent pas seulement consommer, ils veulent consommer autrement. Ils veulent de plus en plus transformer l’acte de consommation en un geste citoyen, voire, pourquoi pas, en un geste politique.
À cet égard, le projet de loi que M. Hamon et moi-même présentons aujourd’hui au Sénat traduit une triple ambition.
Première ambition : engager une réforme structurelle des rapports économiques entre les agents, avec pour objectif de soutenir la consommation et le pouvoir d’achat des ménages. Pour les Français, l’économie, ce n’est pas le PIB, le taux de croissance ou les grands équilibres ; c’est le pouvoir d’achat de tous les jours, ce sont les petits chiffres de la vie quotidienne. C’est à ces chiffres-là que ce projet de loi répond.
Deuxième ambition : participer pleinement à la politique du Gouvernement pour le soutien aux petites et moyennes entreprises, en offrant aux fournisseurs et aux sous-traitants de nouveaux moyens de négocier à armes égales avec les grands donneurs d’ordre.
Troisième et dernière ambition : offrir au consommateur de nouveaux pouvoirs, et lui permettre ainsi d’exercer pleinement ce qui participe de la citoyenneté d’une société moderne, à savoir la citoyenneté économique. Le présent projet de loi ouvre aux Français de nouveaux droits, directement en lien avec leur vie quotidienne.
Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de laisser mon collègue Benoît Hamon, qui a élaboré l’essentiel de ce texte – même s’il s’agit d’un travail interministériel –, présenter ses dispositions en détail, je reviendrai un bref instant sur ces trois ambitions.
Tout d’abord, il s’agit de soutenir la consommation et le pouvoir d’achat des ménages. §Vous le savez, la consommation est l’un des éléments fondamentaux de la reprise économique naissante dans notre pays. Si nous avons enregistré, au deuxième trimestre 2013, une reprise, un rebond de l’activité de l’ordre de 0, 5 %, c’est non seulement grâce à l’amélioration de la situation dans la zone euro, grâce à l’amélioration de la situation des entreprises, qui reconstituent leurs stocks, mais aussi et avant tout grâce à la solidité de la demande intérieure. À cet égard, le présent texte comporte plusieurs mesures directement favorables au pouvoir d’achat des ménages.
Ainsi, ce projet de loi contribue notamment à la lutte contre les rentes ou contre certains monopoles de situation. En termes simples, il existe dans notre économie des situations où le consommateur, ou bien la partie à un contrat, est en quelque sorte « captif » de cette relation : il est dans l’impossibilité de la faire évoluer ou tout simplement de la faire cesser, parce que les arrangements contractuels sont rigides ou non respectés. Notre objectif est donc bien de casser certaines rentes de situation pour les redistribuer aux ménages.
Je prendrai quelques exemples.
Grâce à ce projet de loi, les consommateurs pourront désormais résilier leurs contrats d’assurance en cours d’année. C’est une mesure qui est bonne pour la concurrence, bonne pour le pouvoir d’achat. Je précise d’emblée à ses détracteurs – je sais qu’ils existent – que nous n’allons pas ainsi encourager les Français à ne plus assurer leur véhicule ou leur habitation ! Toutes les dispositions sont prises pour éviter ces conséquences dommageables. Simplement, et on le comprendra aisément sur chacune de ces travées, un libre choix est offert par la loi.
La création de ce que l’on appelle le « fichier positif » constitue un autre exemple. Pour Benoît Hamon et moi-même, ainsi que pour le Gouvernement tout entier, il s’agit là d’un sujet majeur. En effet, ce fichier est l’un des piliers de la politique du Gouvernement contre le surendettement des ménages. Ce sera une conquête tout à fait majeure, une réalisation extrêmement importante. Mais ce sera également un instrument efficace pour stimuler la concurrence entre établissements financiers : ce fichier contribuera, j’en suis sûr, à ouvrir davantage à la concurrence le secteur du crédit à la consommation dans notre pays. Les consommateurs ne peuvent que bénéficier d’une telle mesure, et s’en féliciter.
Là aussi, je tiens à rassurer d’emblée certains ici : nous avons pris toutes les précautions nécessaires pour que ce fichier soit constitué dans le respect des libertés individuelles. Cela allait sans dire, mais cela va encore mieux en le disant, évidemment ! La création de ce fichier positif était un engagement fort du Gouvernement. Nous l’avons assumé lors des débats organisés, notamment, dans le cadre de la conférence nationale de lutte contre la pauvreté. Parole tenue !
Par ailleurs, j’ai pris connaissance des amendements déposés par les membres de la Haute Assemblée : je constate avec plaisir que certains d’entre eux participent de cette ambition de rendre du pouvoir d’achat aux ménages. Je songe notamment à un amendement qui tend à permettre la libre commercialisation de certains produits sous monopole. Voilà une piste intéressante pour rendre du pouvoir d’achat aux ménages, et dont vous aurez à débattre.
J’en suis convaincu, la lutte contre les rentes est un combat pour le pouvoir d’achat, donc un combat pour la majorité, mais ce doit être aussi un combat pour la Haute Assemblée tout entière !
Ensuite, le présent texte a pour ambition de soutenir les petites et moyennes entreprises françaises. À ce titre, il comporte plusieurs avancées importantes pour les PME. Il participera, à n’en pas douter, à un véritable rééquilibrage entre les grandes donneurs d’ordre et leurs fournisseurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les négociations commerciales entre la grande distribution et ses fournisseurs débutent en ce moment même. Chaque année, elles donnent lieu à des tensions, et parfois à des affrontements : vous le savez, pour l’éprouver au sein de vos territoires. Aussi souhaitons-nous, à travers ce texte, favoriser plus de solidarité économique au sein des filières et plus d’équilibre dans les relations commerciales.
Aujourd’hui – pourquoi ne pas le dire, puisque c’est la vérité ? – des pratiques abusives persistent. Par exemple, certains distributeurs refusent de répercuter les hausses de prix demandées par les industriels qui finissent étranglés par de fortes augmentations des prix des matières premières, dans les secteurs du lait, de la confiserie, ou de la charcuterie, notamment. Ce projet de loi impose donc à la grande distribution – entre autres ! – une clause de renégociation obligatoire des prix dans les contrats portant sur certains produits alimentaires, afin de faire face à la volatilité des prix des matières premières.
L’idée est la même : éviter que de petites structures, notamment des PME de taille modeste, dont le pouvoir de négociation est limité, ne se voient imposer des contrats léonins qui déséquilibrent profondément les relations économiques. Il s’agit là d’un combat à la fois économique et de justice !
Au demeurant, l’équilibre des relations commerciales entre distributeurs et fournisseurs est une préoccupation constante du Gouvernement, au-delà même du champ du projet de loi que vous examinez aujourd’hui.
Il y a quelques semaines, certaines fédérations professionnelles ont alerté le Gouvernement et le médiateur inter-entreprises quant à la captation abusive du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, par de gros acheteurs. Ces derniers exigeraient de leurs fournisseurs qu’ils en répercutent directement les bénéfices sur leur politique de prix. J’ai immédiatement réagi, de même qu’Arnaud Montebourg, et écrit à l’ensemble des fédérations professionnelles. Par ailleurs, mes services ont largement communiqué aux entreprises les voies de recours qui leur sont ouvertes.
Je le dis à cette tribune : en la matière, nous ne tolérerons aucun abus, aucun excès de position dominante, aucune forme de racket ! Ces difficultés constituent certes un phénomène marginal, mais nous n’en serons pas moins parfaitement intraitables sur le sujet !
Cela étant, l’examen par le Sénat sera sans doute l’occasion d’aller encore plus loin. À cet égard, je tiens à saluer, en toute objectivité, le rapport que l’un des rapporteurs, Martial Bourquin, a remis avant l’été au Premier ministre, consacré aux relations de sous-traitance.
Monsieur le sénateur du Doubs §les conclusions de votre rapport, qui seront transposées dans le cadre de l’examen par le Sénat du présent projet de loi, seront l’occasion d’avancées majeures, notamment pour une meilleure organisation des rapports entre filières.
En outre, je suis convaincu que nous pouvons réaliser, ensemble, des progrès essentiels dans la lutte contre les délais de paiement. Il s’agit là d’un combat microéconomique essentiel : dans notre pays, 10 milliards d’euros peuvent être rendus aux PME et aux entreprises de taille intermédiaire, les ETI. Toutefois, veillons à éviter de fragiliser des secteurs entiers par des évolutions trop massives de la réglementation. Sur ce sujet, je m’en remets sans la moindre crainte à la sagesse de la Haute Assemblée. J’en profite pour remercier également M. Fauconnier ainsi que l’ensemble des rapporteurs pour avis de leur travail constructif sur ce texte.
Enfin, troisième ambition, le présent projet de loi a pour but de donner de nouveaux droits aux consommateurs. En effet, il fait des consommateurs des acteurs de la relance, par la confiance, sans laquelle l’économie n’est rien. C’est une évidence, les ménages sont d’autant plus enclins à consommer que le cadre contractuel dans lequel ils s’engagent est transparent et leur assure des voies de recours efficaces. En clair, ce projet de loi garantit aux citoyens une information effective et engage l’État à leur côté pour restaurer leur confiance et leur permettre de consommer.
C’est cette volonté de conférer de nouveaux pouvoirs aux consommateurs et d’atteindre un juste équilibre dans les relations économiques qui sous-tend la mesure phare du texte : l’action de groupe. Il ne s’agit pas là, bien entendu, d’ouvrir la boîte de Pandore et de susciter des comportements de chasseurs de primes. Aussi le présent texte pose-t-il plusieurs garde-fous pour que les dérives constatées dans d’autres pays, que nous avons tous à l’esprit et qui feraient sourire si elles n’emportaient parfois de graves conséquences pour les entreprises, n’apparaissent pas en France.
Pour autant, ce n’est pas une action de groupe pâlichonne ou délavée que nous proposons ici : c’est une véritable conquête démocratique, une avancée essentielle qui fait de ce projet de loi un texte extrêmement important. D’autres, avant nous, avaient promis cette mesure, sans jamais la mettre en œuvre. C’était l’un des engagements de campagne de François Hollande lorsqu’il était candidat à l’élection présidentielle, et c’est sous sa présidence, sous ce gouvernement, que cette réforme voit le jour.
Je m’en tiendrai là. Je signale simplement que ce projet de loi a été élaboré dans un esprit de concertation, sous la houlette de Benoît Hamon, qui s’est énormément investi, et dans un souci constant de privilégier le consensus. Ce texte est le résultat, non d’une visée idéologique – cela ne l’empêche pas d’être étayé par des idées et par une volonté politique ! – mais bel et bien d’une construction pragmatique et ambitieuse.
Ce texte est le fruit de plusieurs mois de travaux avec les associations de consommateurs et les représentants des entreprises, permettant d’atteindre le juste équilibre indispensable pour chaque mesure.
Ce projet de loi est au surplus pleinement assumé au niveau politique : nous savons tous à quel point certains lobbies se sont déchaînés contre ce texte, mais Benoît Hamon et moi-même avons pris nos responsabilités. Je réfute en bloc l’accusation, fausse, selon laquelle ce projet de loi serait « anti entreprises » ou nuirait à l’activité. §On me reproche même parfois l’inverse, …
Le 15/09/2013 à 17:20, Justine (juriste) a dit :
Plusieurs points méritent d’être soulignés dans les propos du ministre :
D’abord, ce projet de loi (qui introduit notamment l’action de groupe) s’est heurté au déchaînement des lobbies. En tant que citoyens, on s’interroge sur la possibilité de légiférer sereinement face à des groupes de pression « déchaînés ». N’est-il pas devenu indispensable de modérer leur influence excessive ?
Ensuite, selon un sondage « 68 % des Français ont une opinion négative de la société de consommation ». Le ministre considère néanmoins que la «consommation est l’un des éléments fondamentaux de la reprise économique ». N’est-ce pas contradictoire ? En effet, si les Français sont de plus en plus nombreux à prendre conscience des limites de la société de consommation, n’est-il pas illusoire de compter sur une croissance infinie, tirée par la consommation (souvent à crédit) ?
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