Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens tout d’abord, à l’instar des orateurs m’ayant précédé, à déplorer les conditions d’urgence dans lesquelles le Sénat examine ce texte qui a été ajouté tardivement à l’ordre du jour de la session extraordinaire et doit, si j’ai bien compris, être impérativement adopté avant la fin du mois. Le Gouvernement avait-il oublié ce texte ? Je n’ose le croire, compte tenu de l’importance du sujet, qui touche aux droits fondamentaux, ce qui rend d’ailleurs encore moins admissible cette précipitation.
Je ne mets bien entendu nullement en cause notre rapporteur, Jacky Le Menn, qui a effectué un travail sérieux dans un délai très contraint et dont nous partageons par ailleurs les conclusions.
La proposition de loi présentée aujourd’hui modifie la loi du 5 juillet 2011 qui a réformé de manière substantielle le régime de l’hospitalisation sous contrainte afin, notamment, de se conformer aux termes d’une décision rendue par le Conseil constitutionnel, qui a exigé un contrôle juridictionnel.
Avant même l’adoption de la loi du 5 juillet 2011, il était écrit que nous aurions à y revenir ! Les ajustements, notamment par lettre rectificative du Gouvernement, auxquels elle a donné lieu au cours même de son élaboration, montraient déjà combien la réforme était mal préparée et mal ficelée. L’imbroglio qui a suivi au Sénat, avec notamment la démission du rapporteur, ce qui vient de nous être rappelé, laissait aussi percevoir un certain malaise dans la majorité d’alors.
De fait, nous avons abouti à un texte aussi alambiqué qu’inachevé : des procédures complexes, voire contradictoires, qui accordaient la prépondérance aux décisions administratives ; une réflexion loin d’être aboutie sur l’étendue du contrôle judiciaire et la gestion de la contrainte à l’extérieur de l’hôpital psychiatrique.
Enfin, comment ne pas relever l’inspiration sécuritaire de cette loi ? Personne, dans cet hémicycle, ne peut avoir oublié qu’elle fut décidée dans l’urgence et en réaction à une série de faits divers dramatiques largement médiatisés.
Déjà, en 2008, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, la CNCDH, avait déploré que la question de la maladie mentale ait été évoquée dans le débat public à l’occasion de la discussion de textes dont la nature alimentait une confusion avec la délinquance, la violence et la dangerosité. Je pense notamment au projet de loi relatif à la prévention de la délinquance ou au projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour trouble mental.
En instaurant une sorte de « garde à vue psychiatrique », période de soixante-douze heures au cours de laquelle les patients sont privés de tous droits, et un « casier psychiatrique » pour certains d’entre eux, la loi de 2011 confirmait tristement cette dérive populiste et sécuritaire.
Les troubles psychiques recouvrent certes des réalités complexes et diverses. Ceux qui en souffrent doivent avant tout être considérés comme des personnes malades : notre devoir est donc de prendre en compte leur vulnérabilité et de les accompagner.
Cependant, le malade peut représenter un danger, pour lui-même bien sûr, mais aussi pour les autres. Nous avons donc la responsabilité de trouver un juste équilibre entre les libertés individuelles, les soins et l’ordre public.
À la suite de l’adoption de cette loi de 2011, il a fallu la mobilisation exceptionnelle, au cœur de l’été, des juridictions comme des établissements psychiatriques pour éviter ce qui apparaissait alors comme une « catastrophe annoncée », selon les propres mots des députés Guy Lefrand et Serge Blisko, dans leur rapport de suivi rendu en février 2012.
À moyens constants, le monde médical et le monde judiciaire, alors qu’ils n’avaient pas l’habitude de travailler ensemble, ont appliqué dès le 1er août 2011 des textes sur lesquels ils avaient de sérieuses réserves, dont ils ne voulaient pas et avec lesquels ils ont dû se familiariser en urgence.
Néanmoins, le rapport de nos collègues députés, de même que le rapport d’étape rendu en mai dernier par la mission d’information « Santé mentale et avenir de la psychiatrie » de l’Assemblée nationale, ont révélé des difficultés importantes dans la mise en œuvre de cette loi.
Ces difficultés ont été en partie rappelées au début de notre discussion d’aujourd’hui : lourdeur des procédures, notamment le nombre de certificats médicaux à produire, ce qui constitue une activité administrative chronophage pour les psychiatres et se heurte au faible nombre de médecins disponibles pour effectuer ces tâches ; inadaptation des conditions d’accueil des patients au tribunal et en même temps réticence de la hiérarchie judiciaire au principe même de la tenue d’audiences foraines ; conséquences mal anticipées de la suppression du dispositif de sortie de courte durée non accompagnée qui nécessite, à la fin de chaque sortie, de réinitialiser une procédure d’admission en soins.
Il est clair que le concept de « soins sans consentement hors de l’hôpital » portait en lui-même un risque sérieux de dérives et d’échecs : dérives, parce que l’on peut, par exemple, placer un malade sous ce régime pour échapper aux garanties prévues en cas d’hospitalisation complète, tout en organisant la plus grande part de sa prise en charge au sein de l’hôpital ; échecs, parce que l’offre de soins en ambulatoire n’est pas à même de répondre aux besoins réels et parce que les lourdeurs du passage d’une prise en charge à l’autre ne militent pas vraiment en faveur des soins hors les murs.
Indépendamment de ces difficultés, une réponse était attendue du législateur à la suite de la décision rendue par le Conseil constitutionnel le 20 avril 2012.
Nous souscrivons largement à la philosophie du texte qui nous est présenté. Qu’il s’agisse de la suppression du régime dérogatoire de sortie des personnes ayant séjourné en UMD, de la définition d’un régime pour les personnes déclarées pénalement irresponsables prenant en compte le degré de gravité des faits commis, de la réduction du délai d’intervention du juge, du rétablissement des sorties d’essai, de l’assistance obligatoire d’un avocat ou encore de la réduction du nombre de certificats, de la suppression de la visioconférence : toutes ces dispositions vont dans le bon sens et correspondent, d’ailleurs, à des amendements défendus par le groupe du RDSE lors des débats sur la loi du 5 juillet 2011.
En ce qui concerne le déroulement des audiences du juge des libertés et de la détention au sein même de l’hôpital, nous avions émis des réserves à l’époque, mais j’admets volontiers que les patients gagneraient à être entendus par le juge dans un environnement qu’ils connaissent. À condition de doter les juridictions des moyens permettant aux juges de se déplacer, cette option semble justifiée : elle évite une promiscuité regrettable entre malades et délinquants dans les couloirs du palais de justice, respecte leur dignité et garantit l’effectivité du contrôle.
Par ailleurs, le rôle des avocats reste à consolider, car ils ont toute leur place dans le contrôle des conditions d’hospitalisation de la personne malade mentale ; pour autant, les questions de leur formation et de leur très faible rémunération lorsqu’ils sont commis d’office, ce qui est pratiquement toujours le cas, constituent des obstacles non négligeables qui devront être levés.
Enfin, je salue le travail de la commission des affaires sociales, qui a cherché à renforcer la dimension médicale des soins sans consentement et à mieux garantir le respect des droits fondamentaux des personnes malades.
D’autres questions auraient mérité d’être abordées dans ce débat, notamment le cadre territorial d’exercice de la psychiatrie. Nous attendons avec impatience que la santé mentale constitue un volet à part entière de notre politique nationale de santé. Dans cette attente, le groupe du RDSE votera sans hésiter cette proposition de loi qui se fonde sur une philosophie, une approche nouvelle, qui place clairement le patient au cœur de la démarche : il s’agit d’une rupture avec la loi précédente et nous nous félicitons !