Intervention de Claude Domeizel

Réunion du 13 septembre 2013 à 9h30
Droits et protection des personnes faisant l'objet de soins psychiatriques — Adoption en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié

Photo de Claude DomeizelClaude Domeizel :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c’est dans le cadre d’une procédure accélérée que nous débattons aujourd’hui de cette proposition de loi qui vise notamment à modifier certaines dispositions de la loi relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge.

Cette loi faisait suite au décès d’un étudiant poignardé par un malade en fuite, en novembre 2008, à Grenoble. Nicolas Sarkozy, alors président de la République, avait annoncé, dans le discours prononcé à Antony, son intention de revoir les mesures de contrôle des malades dangereux.

Cette loi, qui mettait l’accent sur des mesures sécuritaires, avait été fort critiquée par les professionnels et les familles, qui déploraient la mise au second plan des mesures sanitaires, pourtant primordiales. Nous-mêmes, au groupe socialiste, avions dénoncé la dérive sécuritaire de la loi et mis en doute sa constitutionnalité ; mais nos alertes n’avaient pas été entendues !

Non seulement cette loi soulevait la contestation, mais elle se révélait également difficilement applicable dans sa complexité.

Comme on pouvait s’y attendre, le Conseil constitutionnel, pour sa part, a censuré deux dispositions portant sur le régime spécifique de sortie, ou mainlevée, des personnes placées en unité pour malades difficiles et celles jugées irresponsables pénalement.

Le Conseil constitutionnel pointait également le manque de garanties légales suffisantes contre le risque d’arbitraire dans le cadre de ce régime particulier.

Sans qu’il y ait, pour le Gouvernement, obligation de légiférer, cette occasion a aussi été saisie pour aménager certaines mesures et les assortir d’améliorations faisant l’objet d’un large consensus, comme le démontre le rapport d’étape rendu par la mission d’information sur la santé mentale et l’avenir de la psychiatrie de l’Assemblée nationale dont une majorité de recommandations ont été reprises dans cette proposition de loi.

Je m’attacherai à n’évoquer que les mesures principales qui s’inscrivent dans une approche plus ouverte et plus constructive vis-à-vis de ces patients jugés difficiles de par leur pathologie mentale.

Il s’agit de poser un autre regard sur ces malades, de ne plus les considérer comme des fauteurs de trouble à l’ordre public mais avant tout comme des personnes souffrant physiquement et psychiquement, particulièrement vulnérables socialement.

Il est vrai que certains de ces malades atteints de troubles mentaux n’ont pas forcément conscience d’avoir besoin de soins, alors qu’ils peuvent représenter un danger pour eux-mêmes ou pour autrui. Nous savons tous qu’il n’est pas aisé de trouver un équilibre entre le respect des libertés individuelles et l’ordre public.

J’ouvre une parenthèse sur le respect des libertés individuelles et l’ordre public en pensant aux maires. Nous sommes nombreux dans cet hémicycle à avoir été quelquefois appelés à décider d’une hospitalisation d’office. Je peux en témoigner, c’est un moment difficile.

C’est une bonne chose que l’article 1er redéfinisse les soins sans consentement – l’hospitalisation d’office d’autrefois – en rappelant que la seule forme de contrainte qu’il est possible d’exercer sur un patient est une contrainte « morale » de respecter le programme de soins défini par le psychiatre de l’établissement d’accueil ou d’accompagnement. Le cas échéant s’applique alors le retour en hospitalisation complète.

Outre le mérite de redéfinir les grands principes s’appliquant aux soins sans consentement, cette proposition de loi s’attache également, en son article 4, conformément aux exigences posées par le Conseil constitutionnel, à redéfinir l’application du régime plus strict de « levée de soins sans consentement » pour la catégorie des personnes jugées irresponsables pénalement. Seuls ceux encourant une peine d’au moins cinq ans en cas d’agression à personne et dix ans en cas d’atteintes aux biens, sont désormais concernés par ce régime.

Les patients hospitalisés en unités de malades difficiles, quant à eux, réintègrent le dispositif de droit commun.

Cette mesure découle d’une réflexion menée à partir de la décision constitutionnelle, dans le cadre de la mission de l’Assemblée nationale, par le Gouvernement et le rapporteur, Denys Robiliard.

Les UMD sont assimilées à des services de soins intensifs répondant à des situations cliniques spécifiques sans rapport direct avec la dangerosité d’un patient. Il s’agit ainsi de redonner sa première place au processus thérapeutique et de lever la confusion entre malades difficiles et malades dangereux.

C’est bien pour cela que l’article 2 redonne la possibilité aux malades, avec toutes les précautions qui s’imposent, de bénéficier d’autorisations de sorties non accompagnées, de courte durée, dans un but thérapeutique reconnu, ce qui peut ainsi constituer une « étape » dans la perspective d’une autre forme de prise en charge que l’hospitalisation complète. Cette possibilité jugée, nous le savons, comme essentielle dans le bon déroulé du parcours des soins du patient. Et là, nous mesurons à la fois la responsabilité des médecins qui donnent cette autorisation et la forte attente des malades.

À ce propos, je voudrais citer Antonin Artaud écrivant au docteur Ferdière, à Rodez, en 1944: « N’oubliez pas de me signer cette autorisation de sortie que vous m’aviez promise jeudi dernier. Vous n’imaginez pas le bien que cela me fait de me promener en liberté ».

Par ailleurs, cette proposition de loi adapte, à juste titre, la procédure judiciaire aux spécificités de la maladie mentale, en réponse aux souhaits des professionnels de santé – soignants, psychiatres, directeurs d’établissements, associations, patients et familles Ainsi, elle améliore la procédure judiciaire en instaurant la possibilité du choix du lieu d’audience devant le juge des libertés et de la détention au sein même de l’établissement de santé.

Cette proposition de loi prévoit, en outre, la protection de la vie privée par le secret médical, avec la possibilité de demander que l’audience ne soit pas publique, l’assistance obligatoire d’un avocat et le recours limité à la visioconférence – supprimée par notre rapporteur. Autant de mesures, vous en jugerez, qui vont dans le sens d’une meilleure protection et d’une réelle prise en compte des personnes malades.

De même, l’article 5 ramènerait les délais d’intervention du juge des libertés et de la détention de quinze à douze jours dans le cadre du contrôle automatique des mesures d’hospitalisation complète en soins sans consentement. Ces nouveaux délais devraient permettre de trouver un équilibre entre les nécessités administratives, les nécessités judiciaires et les nécessités sanitaires – peut-être est-il encore possible d’ajuster cet équilibre.

Le titre II comprend un certain nombre de dispositions visant à rationaliser et à clarifier les mesures administratives requises en cas de soins sans consentement décidées par le représentant de l’État dans le département. Ainsi serait supprimé le « casier psychiatrique », tant décrié lors de l’examen de la loi de 2011. Nous verrons en détail ces mesures techniques dans l’examen des articles.

Je veux saluer l’article 10, seul article du titre III qui réaffirme le droit à une prise en charge psychiatrique adaptée des personnes détenues souffrant de troubles mentaux. C’est une avancée très nette d’amélioration des modalités de prise en charge en UHSA, des personnes détenues, y compris lorsqu’elles sont en soins libres, mais aussi une simplification qui permet de passer de soins sans consentement à des soins libres à la demande du détenu, sans retour en détention.

Dans ses grandes lignes, la proposition de loi de Bruno Le Roux et Denys Robiliard apporte une réponse au Conseil constitutionnel. De plus, elle corrige les imperfections et inadaptations de la loi de 2011

Elle introduit une prise en compte plus respectueuse des malades de troubles mentaux. Il était fortement souhaitable de revoir la philosophie de cette loi de 2011, dictée par des critères éminemment sécuritaires, élaborée précipitamment après un fait divers.

Le patient atteint de troubles mentaux doit redevenir avant tout une personne en souffrance, susceptible de bénéficier de soins spécifiques, une personne méritant protection et garantie de ses droits.

Mais je ne saurais achever mon propos sans remercier particulièrement la présidente de la commission des affaires sociales, les collaborateurs de la commission et notre rapporteur, Jacky Le Menn, qui a accompli un travail remarquable et qui a fait adopter par la commission 18 amendements de clarification et de précision dans la double ambition de renforcer la dimension médicale des soins sans consentement, mais aussi de garantir le respect des droits fondamentaux des citoyens.

La commission a également abordé l’accueil des mineurs rentrant dans le cadre des soins sans consentement.

En conclusion, le groupe socialiste votera cette proposition de loi, tout en affirmant que ce texte doit être considéré comme une étape dans l’attente d’une grande loi sur la psychiatrie. §

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