Monsieur le président, mesdames les ministres, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la branche accidents du travail et maladies professionnelles du régime général devrait clore l’année 2013 avec un excédent de 300 millions d’euros, excédent que l’on devrait constater à nouveau en 2014, mais pour moins de 70 millions d’euros.
La situation de la branche est donc fragile, d’autant qu’elle doit rembourser une dette de plus de 2 milliards d’euros actuellement portée par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS. Cela nous incite à une vigilance particulière sur les moyens dont la branche AT-MP dispose et sur les charges qu’elle supporte.
L’essentiel des charges est lié aux dépenses de réparation des trois types de sinistres que couvre la branche : les accidents du travail, les accidents de trajet et les maladies professionnelles.
On peut noter avec satisfaction que le nombre d’accidents du travail en 2012 a atteint un niveau historiquement bas, avec moins de 950 000 sinistres recensés. Cette baisse est réelle, car elle se traduit par une baisse tant de l’indice de fréquence – 35 accidents pour 1 000 salariés – que de la gravité.
On peut cependant regretter, comme l’année dernière, que les statistiques présentées par la Direction de la sécurité sociale ne couvrent que les salariés du régime général et laissent dans l’ombre la situation des agriculteurs, exploitants et salariés, ainsi que des agents de la fonction publique. Le regroupement des données des régimes de sécurité sociale pour construire des indicateurs de surveillance communs reste lettre morte, faute de financement de la part de l’assurance maladie. Pourriez-vous, madame la ministre, inciter la Caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAM-TS, à boucler le tour de table mis en place par l’Institut de veille sanitaire ?
Les accidents de trajet connaissent une baisse significative en 2012, mais restent supérieurs en nombre à ce qu’ils étaient en 2008. Il me semble qu’une analyse plus détaillée des causes de ces accidents est nécessaire. Les explications actuellement proposées, à savoir l’influence du climat sur l’évolution de la sinistralité, sont peu satisfaisantes, surtout quand on prend en compte le fait que le trajet est un facteur de stress en lien direct avec les risques psychosociaux.
Enfin, le nombre de maladies professionnelles baisse également par rapport au pic atteint en 2011, mais sans retrouver le niveau de 2010. Le nombre de personnes atteintes de maladies professionnelles progresse de 5 % en moyenne chaque année depuis 2007 et une part croissante d’entre elles souffre de polypathologies.
Si l’on prend en compte le fait qu’une partie de la diminution de la sinistralité en 2012 est imputable à la conjoncture économique et à la faible croissance de la masse salariale, la situation du monde du travail au regard des trois risques accident du travail, accident de trajet et maladie professionnelle, paraît fragile. Il faut d’ailleurs noter que la France est toujours au-dessus de la moyenne européenne.
Cela ne doit pas aboutir à minimiser les progrès déjà accomplis, notamment pour la prévention des accidents du travail dans les branches les plus accidentogènes, comme le bâtiment. Toutefois, ce diagnostic doit nous amener à soutenir la volonté commune – j’insiste sur ce point – des partenaires sociaux à rompre avec la logique de simple réparation des dommages, pour nous engager pleinement dans une optique de prévention tendant à faire disparaître les risques ou, au moins, à protéger le mieux possible les salariés.
La signature, prévue à la fin de ce mois, de la nouvelle convention d’objectifs et de gestion de la branche AT-MP pour la période 2014-2017 doit marquer cette réorientation, qui n’est en fait qu’un retour aux principes de la loi du 30 octobre 1946 intégrant à la sécurité sociale le régime fondé en 1898.
Dès lors, les réductions d’effectifs prévues dans les caisses d’assurance retraite et de la santé au travail, les CARSAT, et à l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles, l’INRS, créé en 1947, ne peuvent que nous inquiéter. S’il est nécessaire de dégager des marges de productivité, il ne peut être question de réduire les postes affectés aux actions de prévention et à la recherche. Pouvez-vous nous préciser, madame la ministre, quelles sont les intentions du Gouvernement en la matière ?
La faiblesse des marges de manœuvre financières de la branche risque de limiter sa capacité à mettre en œuvre, à budget constant, ses actions de prévention. Or une augmentation des cotisations patronales n’est pas ou n’est plus envisageable à court et moyen terme. En effet, le compte de pénibilité, s’il est adopté par l’Assemblée nationale, créera, parallèlement à la branche AT-MP, un nouveau dispositif, avec un mode de financement très similaire.
Vous avez indiqué, madame la ministre, lors de votre audition à l’Assemblée nationale, que le compte de prévention de la pénibilité impacterait la branche AT-MP. Pourriez-vous nous apporter des précisions à ce sujet ?
La fragilité financière de la branche impose d’expliquer l’augmentation importante de la dotation de la branche au Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante, le FIVA – 435 millions d’euros cette année, contre 115 millions d’euros l’année dernière et 320 millions d’euros en moyenne sur les années précédentes.
Il ne fait aucun doute que le FIVA a besoin des sommes qui lui sont affectées. L’évolution de ses charges, telle qu’elle avait été présentée en 2012, s’est révélée largement sous-estimée, au point que le conseil d’administration du fonds a dû voter en octobre dernier un budget complémentaire d’urgence de 100 millions d’euros, puisés dans son fonds de roulement. Celui-ci atteint désormais moins de la moitié de la réserve prudentielle.
Si les charges du FIVA augmentent, c’est principalement parce que les dossiers des victimes et de leurs ayants droit sont réglés plus rapidement, et c’est là un point positif. Il ne saurait donc être question de réduire la dotation de la branche AT-MP.
Néanmoins, madame la ministre, l’absence totale de dotation de l’État au FIVA en 2014 ne nous paraît pas acceptable. Si elle pouvait, à la rigueur, se justifier l’année dernière, le contexte financier du Fonds a, on l’a vu, complètement changé. Dès lors, l’absence de dotation, qui est contraire au texte constitutif du FIVA, et qui revêt de surcroît une forte dimension symbolique, du fait de la double responsabilité de l’État dans l’affaire de l’amiante, en tant qu’employeur et en tant que régulateur, ne peut être cautionnée. J’estime qu’elle fait courir un risque non négligeable d’insuffisance de la dotation budgétaire globale du FIVA en 2014.
Je me concerterai donc avec le rapporteur de la mission « Santé » et les membres du groupe de suivi du rapport de notre commission sur l’amiante pour envisager un amendement au projet de loi de finances.
S’agissant du fonctionnement du FIVA, un autre problème, d’ordre administratif celui-là, me semble devoir trouver une solution. Le Fonds partage son agent comptable avec l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux, l’ONIAM, ce qui limite la capacité de règlement des dossiers. Peut-être, madame la ministre, serait-il opportun d’envisager l’affectation au FIVA d’un équivalent temps plein entier. Les conséquences pratiques d’un tel changement seraient certainement dans l’intérêt des victimes.
Je souhaite également, madame la ministre, vous poser de nouveau la question de l’ouverture d’une nouvelle voie d’accès personnelle à l’allocation de cessation anticipée d’activité des travailleurs de l’amiante, l’ACAATA. Celle-ci serait fondée sur les expositions subies, et non plus seulement sur les pathologies déclarées ou le fait d’avoir été employé dans l’un des établissements présents sur la liste prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
La loi de financement de la sécurité sociale pour 2013 prévoyait la remise d’un nouveau rapport sur cette question, rapport qui devait, dans notre esprit, entraîner un engagement du Gouvernement sur ce sujet très sensible pour les salariés exposés à l’amiante et non reconnus à ce jour. Or nous attendons encore ce rapport.
J’en viens maintenant à l’examen des dispositions relatives à la branche AT-MP dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2014.
Après passage à l’Assemblée nationale, le PLFSS comporte, outre les dispositions relatives aux contributions et aux objectifs de dépenses, les deux articles 53 et 53 bis, qui présentent un intérêt incontestable.
L’article 53 met le droit positif en conformité avec la jurisprudence constitutionnelle, en permettant aux marins d’obtenir réparation de la faute inexcusable de leur employeur dans les mêmes conditions que les victimes relevant du régime général. Lors de l’examen du PLFSS pour 2012, nous avions déposé un amendement tendant aux mêmes fins, mais limité dans sa rédaction en raison de l’article 40 de la Constitution. Nous ne pouvons donc que nous féliciter que le Gouvernement ait décidé de prendre cette mesure. Ce n’est que justice, le métier de marin étant particulièrement accidentogène.
L’article 53 bis est issu d’un amendement du Gouvernement adopté par l’Assemblée nationale. Il met fin à une iniquité, en supprimant l’obligation pour les non-salariés agricoles d’avoir un taux d’incapacité de 100 % pour pouvoir prétendre à la prestation complémentaire pour recours à tierce personne.
Même si la branche AT-MP est engagée dans une dynamique favorable, je rappelle que trois points suscitent notre inquiétude : le risque de briser dans son élan la démarche de prévention, les voies d’accès à l’ACAATA et, surtout, la nécessité d’une dotation de l’État au FIVA. Dans le rapport que nous avions, Gérard Dériot et moi-même, remis en 2005 au nom de la mission commune d’information sur le drame de l’amiante, présidée par notre collègue Jean-Marie Vanlerenberghe, nous avions estimé que la participation de l’État aurait dû être fixée autour de 30 %.
Si la branche AT-MP, mes chers collègues, est financièrement modeste – 13 milliards d’euros –, elle concerne des millions de travailleurs. Je vous remercie donc de l’attention que vous voudrez bien lui accorder, sachant que la commission des affaires sociales a émis un avis favorable sur le rapport que je viens de vous présenter.