Intervention de Pierre Jarlier

Réunion du 6 février 2014 à 10h00
Débat sur l'évolution des péréquations communale intercommunale et départementale

Photo de Pierre JarlierPierre Jarlier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette initiative parlementaire d’organiser un débat en séance publique sur l’évolution de la péréquation est bienvenue. En effet, le Sénat n’a pas eu l’occasion de se pencher sur cette question lors de l’examen des projets de loi de finances pour 2013 et pour 2014.

Avec la réforme de la taxe professionnelle, la crise qui se prolonge, le gel puis la baisse des dotations de l’État, nos finances locales ont subi des bouleversements répétés au cours des dernières années.

Dans ce contexte particulièrement tendu, la question de la réduction des écarts de richesse entre les collectivités devient incontournable. Une raison essentielle, à tout le moins, justifie cette priorité : les collectivités les plus fragiles subissent de plein fouet ces nouvelles contraintes et risquent d’être confrontées à de graves difficultés si la solidarité nationale ne joue pas en leur faveur.

Le chantier de la péréquation est donc capital, d’autant que la diminution des dotations inscrite dans la loi de finances pour 2014 est appelée à se poursuivre en 2015, sans parler des 50 milliards d’euros d’économies nouvelles qui s’annoncent et risquent de peser sur les budgets des collectivités…

Qu’en est-il aujourd’hui de la péréquation au sein du bloc communal ?

La part de la péréquation verticale dans la dotation globale de fonctionnement a fortement augmenté entre 2004 et 2013. Elle atteint aujourd’hui 25 %, ce qui est assez considérable. Néanmoins, l’efficacité de la péréquation verticale reste à prouver, car sa performance a reculé depuis 2001 pour les communes, ainsi d’ailleurs que pour les départements.

Plusieurs facteurs concourent à cette situation.

Tout d’abord, en l’absence d’augmentation de la DGF, les montants affectés à la péréquation dépendent désormais directement d’un prélèvement sur une partie des dotations. Autrement dit, le financement de la solidarité nationale en faveur des collectivités les plus fragiles est assuré par la baisse d’une partie des ressources de celles-ci ! La péréquation verticale n’est donc aujourd’hui rien d’autre qu’une redistribution interne d’une part de la DGF.

Concrètement, le renforcement de la péréquation verticale s’est traduit par la baisse du complément de garantie. Entre 2012 et 2013, le nombre de communes concernées par cette diminution est passé de plus de 3 800 à plus de 14 000, et cette tendance devrait au moins se maintenir en 2014.

Je rappelle que le complément de garantie peut constituer jusqu’à 50 % de la dotation de base d’une commune. En outre, il varie considérablement selon les communes, sans être réellement lié à leur niveau de richesse actuel, dans la mesure où il est assis sur des éléments historiques. Pour financer la péréquation verticale, l’État reprend donc d’une main ce qu’il a donné de l’autre.

Il existe une deuxième raison à ce manque d’efficacité de la péréquation verticale : la dilution des montants qui lui sont affectés et son ciblage insuffisant, malgré des évolutions positives à cet égard.

En ce qui concerne la dotation de solidarité rurale, la DSR, sa part issue de la péréquation a profité, en 2013, à 34 590 communes, à hauteur de 490 millions d’euros seulement, soit moins de 2, 15 % de la DGF communale. Son effet péréquateur reste donc à démontrer. Cela a d’ailleurs conduit le Sénat à créer en 2011, sur ma proposition et celle de François Marc, une part de la DSR ciblée sur les 10 000 communes les plus pauvres de France.

La loi de finances pour 2013 a considérablement amélioré les modalités d’attribution de la DSR, en introduisant parmi les conditions d’éligibilité un critère de revenu par habitant. Cette mesure, qui prend en compte la fragilité du territoire, associée à celle de la commune, a permis de renforcer le caractère péréquateur de la DSR.

J’ajoute – quand les choses vont dans le bon sens, il faut le dire – qu’en 2013, à l’issue du vote de la loi de finances et des choix du Comité des finances locales, la DSR « cible » a augmenté de près de 58 %, ce qui en fait déjà une dotation de péréquation efficace.

Concernant la DSR « bourg-centre », qui prend en compte les charges de centralité, 4 057 communes en ont bénéficié en 2013, pour un montant global de 361 millions d’euros. Les chefs-lieux de canton et les petites villes sont très attachés à la prise en compte de ces charges, parce qu’ils assurent très souvent des services de proximité qui profitent à l’ensemble de leur bassin de vie.

Sur ce point, madame la ministre, nous avons besoin d’être rassurés, même si le problème ne se posera pas avant 2017 : beaucoup d’élus nous ont interpellés au sujet du sort de la DSR « bourg-centre » lorsque leur commune, intégrant un nouveau canton plus vaste, ne sera plus considérée comme un chef-lieu de canton. Cette évolution pourrait provoquer la suppression pure et simple de cette dotation, alors même que les dépenses de centralité resteraient à leur charge. Sur ma proposition et celle de Jean Germain, la commission des finances du Sénat avait présenté une disposition permettant son maintien au-delà de 2015. L’occasion est propice, madame la ministre, pour vous interroger sur cette question, qui inquiète à juste titre de très nombreux élus.

J’en viens à la fameuse péréquation horizontale, qui a suscité de si nombreux commentaires et qui monte en charge au même rythme que le mécontentement de ses contributeurs.

Pour 2014, malgré la baisse annoncée des dotations, la montée en puissance de cette solidarité financière entre les collectivités a été maintenue.

Dans le même temps, une augmentation du poids du critère de revenu par habitant dans le calcul des prélèvements a permis une meilleure prise en compte de la fragilité de certains territoires, notamment en zones rurales. Cette mesure, qui se révèle donc efficace, correspondait à une proposition du Comité des finances locales, que j’avais défendue. Il faudra néanmoins s’interroger sur l’opportunité d’aller plus loin ou, à tout le moins, d’éviter les effets de seuil produits par le déclenchement du prélèvement à partir d’un potentiel financier agrégé supérieur à 0, 9 fois la moyenne nationale. La brutalité de ce processus pose problème et mérite, à mon sens, d’être corrigée.

De la même façon, une autre question essentielle se pose au regard des modalités de mise en œuvre du FPIC : celle de l’effort fiscal. Comment, en effet, prétendre bénéficier de la solidarité de son voisin si l’on ne fait pas déjà l’effort de mobiliser, ne serait-ce que modérément, la solidarité sur son propre territoire ? Il faudra donc veiller à maintenir la progression de l’effort fiscal déjà prévue pour 2015 dans la dernière loi de finances.

Enfin, la question de la répartition du FPIC au sein de l’intercommunalité et entre communes mérite d’être posée. En effet, le nouveau mode d’élection des conseillers communautaires va conduire à la représentation des minorités issues des conseils municipaux. S’il s’agit d’une excellente chose pour notre démocratie locale, les règles actuelles de répartition du FPIC, notamment celle de l’unanimité, devront sans doute évoluer afin d’éviter les blocages.

Je conclurai cette première partie de mon propos par une remarque et deux suggestions.

Tout d’abord, dans la perspective de la baisse des dotations de l’État aux collectivités, la montée en puissance de la péréquation horizontale sera de plus en plus incertaine, dans la mesure où le consensus nécessaire à son augmentation sera difficile à trouver. Dans ce contexte, ne faudrait-il pas à l’avenir moduler la baisse des dotations au regard de la capacité contributrice des collectivités ? Cette question mérite d’être posée, si nous voulons éviter que ne se creusent encore les écarts de richesse entre les communes.

En outre, c’est peut-être aussi au sein même des composantes de la DGF qu’il faut trouver les moyens de mieux prendre en compte les territoires et leurs spécificités.

Je pense à la dotation de base des communes, dont la méthode de calcul, qui fait intervenir un coefficient logarithmique, pourrait être utilement revue.

Je pense aussi à la dotation superficiaire, qui est restée très faible et n’est pas aujourd’hui en mesure de compenser équitablement les charges d’entretien de l’espace auxquelles ont à faire face les communes, particulièrement en montagne.

Je pense enfin à la dotation d’intercommunalité, qui pourrait également être revue tant les écarts entre communautés d’agglomération et communautés de communes ne correspondent nullement à la réalité des compétences exercées.

Je souhaiterais maintenant évoquer brièvement la péréquation départementale.

Madame la ministre, vous le savez, les changements des critères d’éligibilité au fonds national de péréquation des DMTO, qui ont amené l’introduction de la notion de « revenu par habitant pondéré par la population », ont profondément ému les élus.

Cette disposition, inadaptée à la prise en compte de la diversité des territoires, a fortement pénalisé les départements ruraux. Dans le même temps, les départements se sont trouvés confrontés à un effet de ciseaux, entre l’augmentation de leurs dépenses à caractère social et une tension sur leurs ressources, due notamment aux effets de la réforme de la taxe professionnelle. Devant la vive émotion des élus, le Gouvernement a mis en place des mécanismes compensatoires en prolongeant le fonds d’urgence, en créant un prélèvement de solidarité et en affectant une nouvelle recette de 827 millions d’euros dans le cadre de la loi de finances pour 2014.

Il faut toutefois reconnaître que, si certains départements s’y retrouvent, d’autres, au contraire, revendiquent encore une meilleure prise en compte de leur situation particulière. Le compte n’y est donc pas, si je puis dire.

Le prélèvement de solidarité issu du déplafonnement des DMTO pose à nouveau la question des inégalités de situation entre les territoires et fait peser sur le contribuable un risque de double peine pour les départements ruraux à faible base fiscale. Dans ces conditions, il serait plus équitable de ne pas soumettre au prélèvement ces départements, déjà pénalisés par leurs handicaps.

Par ailleurs, la question du changement des critères injustes retenus pour l’attribution du fonds « historique » de péréquation des DMTO reste d’actualité, tout comme celle de la simplification et de la clarification nécessaires de ces dispositifs de solidarité. Malgré toutes les explications fournies aux élus, ceux-ci ont en effet encore du mal à s’y retrouver !

Un nouveau potentiel fiscal a été défini pour le calcul du prélèvement de solidarité. Je salue cette avancée sur une question qui avait suscité la mobilisation de nombre d’entre nous. La définition de ce nouveau potentiel fiscal, issue de la réforme de la taxe professionnelle, avait engendré un bouleversement dans le classement des départements selon la richesse. Il est donc urgent de la revoir pour le calcul de l’ensemble des dotations de péréquation. J’avais déposé une proposition de loi en ce sens, cosignée par mes collègues du groupe UDI-UC. Il s’agit d’un élément essentiel pour répondre aux préoccupations des territoires les plus fragiles.

Concernant, enfin, la répartition des 827 millions d’euros, si le critère du reste à charge est sans doute légitime, il demeure insuffisant. En tout état de cause, l’évaluation des efforts consacrés par le département à la maîtrise de ses dépenses d’aide sociale devrait aussi être prise en compte pour la répartition du fonds. Avec les critères actuels, en effet, un département « vertueux » en matière de gestion de ses charges à caractère social se trouve pénalisé.

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