Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous reprenons aujourd’hui, en deuxième lecture, le débat sur la reconnaissance du vote blanc au sein de notre démocratie représentative, plus de cent cinquante ans après la proclamation du suffrage universel, en 1848.
La démocratie est un idéal qui n’est jamais atteint et les règles de notre système électoral sont encore perfectibles.
Nos collègues députés ont souhaité revenir à la version qu’ils avaient adoptée en première lecture. La commission des lois du Sénat l’a approuvée et recommande désormais un vote conforme. Nous en prenons acte, même si nous pouvons nous interroger sur l’opportunité réelle de ce texte, ainsi que sur sa réelle capacité à réformer notre système électoral. En clair, ce texte n’est pas mauvais, mais est-il pour autant utile ?
Je rappelle que le vote blanc se définit comme le fait de « déposer dans l’urne un bulletin dépourvu de tout nom de candidat (ou de toute indication dans le cas d’un référendum) ». II s’agit d’une sorte d’« abstention civique » puisque l’électeur manifeste la volonté de participer au scrutin en même temps que celle de ne choisir aucune des offres électorales proposées. Cette forme d’expression s’est développée ces dernières années et constitue certainement, il faut bien le reconnaître, un signe de défiance vis-à-vis de l’offre politique.
Les élections présidentielles de 1995 et de 2012 ont connu un fort taux de votes blancs et nuls, atteignant respectivement 6 % et 5, 8 % des suffrages. Et, triste record, en 2012, cela représentait plus de 2 millions de bulletins.
L’abstentionnisme, le vote blanc, le vote nul, mais aussi le vote extrême, constituent l’expression paroxystique d’un malaise politique ressenti par nos concitoyens envers ceux qui gouvernent ou qui aspirent à gouverner. Cette forme de protestation a notamment conduit, en 2002, à l’éviction du candidat socialiste au second tour. Peut-être nos amis députés auraient-ils dû méditer plus longuement ce fait.
Pour certains, la reconnaissance du vote blanc pourrait permettre de stabiliser la participation électorale, qui connaît des soubresauts importants. Je parle notamment de ces « électeurs intermittents », comme on en compte tout particulièrement dans les jeunes générations. Ces « intermittents de l’élection » se caractérisent par la perplexité et l’hésitation devant l’offre électorale. Ils ne votent que de temps en temps, selon le scrutin et la conjoncture politique. Relevant de l’abstentionnisme protestataire et représentant les deux tiers de l’abstention, ils témoignent d’une grande sophistication politique. Loin de manifester un désintérêt pour la politique, cette abstention traduit plutôt un désenchantement.
Ce sont ces électeurs que le vote blanc doit pouvoir, paraît-il, « raccrocher », à défaut de l’instauration du vote obligatoire, qui est une solution extrême et, selon nous, peu souhaitable dans notre pays.
À l’issue de la première lecture, le désaccord avec l’Assemblée nationale portait sur la définition exacte du vote blanc. Cette discussion ne constitue en rien une vaine querelle théologique. De notre capacité à définir clairement le vote blanc dépendra l’impact de cette réforme sur notre démocratie.
Il faut, en la matière, des règles claires et précises, imparables, permettant de donner une portée réelle à cette nouvelle loi. Or, sur ce plan, certains membres du RDSE nourrissent encore quelques doutes...
Un vote blanc, pas plus qu’un vote nul, ne peut être apparenté à une erreur. Toutefois, il nous semble que la proposition de loi n’a pas réellement réglé la difficulté technique suivante : de quel format devra donc être ce fameux bulletin blanc, qui ne sera pas mis à la disposition des électeurs, pour pouvoir être comptabilisé comme un vote blanc et non comme un vote nul ? Selon quels critères stricts pourront être distingués les votes blancs et nuls ? Les bulletins de couleur ont explicitement été écartés du décompte des bulletins blancs. Mais quid de tous ces bulletins blancs qui ne seront pas tout à fait blancs ? Comment l’électeur pourra-t-il s’assurer que son bulletin est conforme ? Aura-t-il une connaissance parfaite des normes du bulletin ?
L’enveloppe vide ne va-t-elle pas, à terme, constituer la forme majoritaire du vote blanc ?
Quoi qu’il en soit, la pédagogie devra être au rendez-vous, notamment dans les bureaux de vote.
Il reste que, par cette distinction du vote blanc et du vote nul, nous rendons au vote blanc son caractère délibéré et nous rendons le citoyen plus responsable de son vote. En refusant de l’infantiliser, nous préserverons peut-être le suffrage d’une brutale remise en question contestataire qui en menacerait la légitimité. Cependant, il faut bien le dire, quand on en est à se poser ce type de questions, on est à la frontière d’une évolution démocratique, au demeurant souhaitable.
Par ailleurs, l’Assemblée nationale a décidé de reporter au 1er avril 2014 l’entrée en vigueur de cette proposition de loi. Le Gouvernement avait pourtant, il y a un an, accepté que le texte soit applicable dès le 1er mars 2014. Les difficultés liées aux modalités pratiques d’organisation des prochaines élections municipales suffisent-elles à justifier ce report ? Nous nous interrogeons…
Enfin, nous sommes plusieurs à déplorer que ce texte n’aille pas au bout de sa logique, en n’intégrant pas le décompte des bulletins blancs parmi les suffrages exprimés. Un pas important aurait été alors franchi.
En dépit de ces réserves et dans l’esprit de conciliation qui a également guidé les travaux de la commission des lois, nous ne nous opposerons pas au texte proposé, qui constitue, pour certains d’entre nous, une avancée, certes timide, en faveur de la construction d’un système électoral moderne et perfectionné. D’autres sénateurs du RDSE sont plus réservés, voire franchement dubitatifs. C’est la raison pour laquelle, si notre groupe votera majoritairement la présente proposition de loi, quelques-uns préféreront s’abstenir.