Intervention de François Trucy

Réunion du 26 novembre 2010 à 9h30
Loi de finances pour 2011 — Défense

Photo de François TrucyFrançois Trucy, rapporteur spécial :

Monsieur le ministre d’État, je limiterai mon propos à quelques considérations, questions ou réflexions que je souhaite vous adresser.

Je commencerai par évoquer quelques-uns des sujets de satisfaction. Ils ne sont pas mineurs.

J’aborderai tout d’abord la tenue de nos forces en Afghanistan, où elles affrontent depuis déjà longtemps un ennemi redoutable sur un terrain extraordinairement difficile. Le sang versé rend compte de la dureté des combats et force le respect.

N’en déplaise aux partisans du départ de la France de ce théâtre d’opérations, c’est au prix de tels sacrifices que notre pays peut encore conserver sa place au Conseil de sécurité des Nations unies, au moment où son poids économique relatif diminue proportionnellement face à celui de pays émergents de la taille de la Chine, de l’Inde et du Brésil, et où sa capacité à contribuer efficacement à la paix mondiale reste essentielle.

Face aux difficultés rencontrées sur ce terrain, je remercie votre prédécesseur d’avoir amélioré de manière significative les moyens de nos soldats, et pas simplement ceux de leur sécurité.

Ensuite, monsieur le ministre d’État, je vous félicite des efforts déployés par votre ministère et vos états-majors en faveur de tous les domaines concernés par la vaste réorganisation des armées. Aucune opération aussi gigantesque n’a jamais été imposée à un grand corps de l’État.

Cette réorganisation prévoit une réduction drastique des effectifs sans que soient affaiblies – c’est l’objectif – les capacités opérationnelles ; la réalisation de bases de défense, seule méthode qui permette une mutualisation sensible des moyens et de la logistique ; le maintien des objectifs et des moyens d’un recrutement dont la qualité garantit celle des unités et des écoles ; une programmation ambitieuse pour tous les matériels de la défense ; enfin, des économies, partout recherchées, qui doivent en principe être réinvesties dans l’équipement et le maintien en condition opérationnelle.

Que ce soit conformément à la loi relative à la programmation militaire, au Livre blanc fondateur ou à la très civile révision générale des politiques publiques, la RGPP, les armées produisent des efforts dignes d’éloges pour respecter une feuille de route particulièrement difficile.

Enfin, les récents accords franco-britanniques, sur lesquels vous nous donnerez certainement de plus amples détails, monsieur le ministre d’État, sont sources d’une autre satisfaction, qui est de taille. Nous espérons beaucoup de ces accords, mais que pouvons-nous en attendre ? Ils sont en effet un peu inespérés, tant on connaît le peu d’appétence des Anglo-saxons pour une coopération avec les Français.

Les quelques remarques qui vont suivre, monsieur le ministre, constituent en revanche d’importants sujets de préoccupation.

Je m’interroge avec inquiétude – je ne suis d’ailleurs pas le seul – sur les perspectives de ressources de la mission « Défense » d’ici à 2014.

Tout d’abord, je m’interroge sur les fameuses « ressources exceptionnelles ». La vente des fréquences hertziennes est-elle vraiment escomptable en 2011 ? En tout cas, l’est-elle plus qu’en 2010 ?

Les ressources exceptionnelles provenant de ventes immobilières du patrimoine de la défense, même revues à la baisse, vont-elles véritablement alimenter votre budget à la hauteur qui était initialement prévue ?

Face à ces difficultés à vendre – elles ne sont pas étonnantes dans le contexte économique actuel –, que devient le projet Balard d’un Pentagone à la française ? Je sais bien que ce projet ne doit pas être financé par le produit des cessions immobilières précédemment citées, mais est-on sûr que, si le ministère de la défense déménage à Balard en 2014, l’État ne se retrouvera pas pendant plusieurs années avec une partie importante du patrimoine actuel sur les bras ?

La question des ressources exceptionnelles n’est pas essentielle, car de telles ressources, si elles devaient être manquantes, peuvent toujours être compensées, comme on l’a vu en particulier l’an dernier.

L’essentiel, pour la commission des finances, c’est que le taux de croissance sera probablement nettement inférieur aux prévisions du Gouvernement – ce dernier prévoit un taux de 2 % l’année prochaine et de 2, 5 % de 2012 à 2014 –, de sorte que, pour ramener le déficit national à trois points du PIB en 2013, il faudra vraisemblablement prendre des mesures supplémentaires sur les dépenses et les recettes. Dans ces conditions, il est à craindre que la mission « Défense » ne serve de variable d’ajustement. Nous en avons un peu l’habitude !

Par ailleurs, si l’on souhaite se projeter au-delà de 2013, on ne trouve par définition rien, dans la programmation triennale 2011-2013, sur 2014 et sur ce qui servira de point de départ au calcul des ressources de la mission « Défense » cette année-là. Prendra-t-on en compte les ressources totales qui sont actuellement prévues pour 2013 ou les seuls crédits de paiement ?

Mais la question des ressources n’est pas tout. Parviendrons-nous à respecter « physiquement » la loi relative à la programmation militaire ? Disposerons-nous des effectifs et des matériels prévus ?

L’impression qui se dégage est que, du fait d’une sous-estimation initiale de la masse salariale et de la faible inflation en 2009, il existe un risque de « cannibalisation » des dépenses d’équipement par les dépenses de fonctionnement, potentiellement à hauteur de plusieurs milliards d’euros. Cela constitue un véritable sujet de préoccupation supplémentaire à l’horizon 2014.

À cela s’ajoutent les graves incidents industriels qui affectent certains programmes ou l’entretien de très grosses unités de la marine nationale. Je pense ainsi au récent accident d’entretien du Charles de Gaulle – je ne parle pas de la première hélice –, qui a ridiculement retardé, et peut-être en partie compromis, le succès d’une campagne internationale très prometteuse, dont nous attendions beaucoup.

On peut surtout s’inquiéter des retards de l’A400M et de ceux du NH90 ; mais d’autres évoqueront sûrement ces sujets, qui plus est mieux que moi.

Enfin, je regrette, monsieur le ministre d’État, qu’un récent rapport de la Cour des comptes sur la gestion des hôpitaux militaires ait cloué au pilori la direction centrale du service de santé des armées, la DCSSA, pour sa gestion des établissements, oubliant les contraintes exorbitantes qui pèsent sur ceux-ci et les efforts exceptionnels que la direction déploie jour après jour pour constituer les antennes chirurgicales avancées, les ACA, lesquelles non seulement assurent efficacement la sécurité sanitaire de nos troupes lors des opérations extérieures, mais aussi se déploient au profit des populations locales, comme tout le monde en est le témoin.

Certes, la direction centrale du service de santé des armées doit sûrement faire plus d’efforts de gestion, engager des réformes importantes et développer d’autres formes de coopération et de complémentarité avec le secteur civil ; mais lorsqu’un rapport est injuste avec une institution, il peut y perdre une part importante de son efficacité. Je le regrette.

Monsieur le ministre d’État, sur le papier, le projet de budget de la défense pour 2011 est sincère et équilibré. Si l’on prend en compte les prévisions de ressources exceptionnelles, il est conforme, à l’épaisseur du trait, aux prévisions de la loi relative à la programmation militaire.

Nos inquiétudes concernent plutôt les années suivantes, à l’horizon 2014, je le répète, et plus encore à l’horizon 2020, comme mes collègues ne manqueront pas de le souligner. Certes, la réserve de budgétisation prévue dans la loi de programmation des finances publiques pour la période 2009-2012 est en principe susceptible d’abonder les plafonds de crédits prévus par cette même loi, mais l’ensemble des ressources de la mission « Défense » risquent d’être nettement inférieures à la programmation.

Peut-être pourrez-vous nous apporter des éléments de nature à nous rassurer, monsieur le ministre d’État, en particulier en ce qui concerne la révision de la loi relative à la programmation militaire, qui doit avoir lieu en 2012 ?

En conclusion, Charles Guené et moi-même avons proposé à la commission des finances, en tant que rapporteurs spéciaux, d’approuver les crédits de la défense, ce qu’elle a fait. Nous proposons aujourd'hui au Sénat de faire de même.

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