Monsieur le président, monsieur le ministre d’État, mes chers collègues, mes collègues rapporteurs spéciaux et moi-même avons décidé cette année de nous écarter de notre logique sectorielle habituelle pour poser clairement la question aujourd’hui essentielle des perspectives budgétaires des crédits de la mission « Défense », dans le contexte de la nécessaire réduction du déficit public.
Notre collègue François Trucy vient de présenter le cadre programmatique du présent projet de loi de finances : la loi relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense, dont les perspectives d’exécution suscitent certaines inquiétudes.
Je vais maintenant présenter les grands équilibres du présent projet de loi de finances. Mon collègue Jean-Pierre Masseret s’intéressera ensuite aux perspectives de la mission « Défense » à plus long terme. Cela nous permettra de mettre en évidence le fait que des choix politiques essentiels, qui vont bien au-delà des seuls enjeux de finances publiques, devront être faits ces prochaines années.
Les crédits de paiement de la mission « Défense » proposés pour 2011 s’élèvent, je le rappelle, à plus de 37 milliards d’euros. Je n’entrerai pas dans les détails des différents programmes, car nos collègues rapporteurs pour avis le feront avec talent tout à l’heure.
Pour ma part, je m’efforcerai de répondre à trois questions.
Tout d’abord, le montant global des ressources prévues pour 2011 est-il conforme à la loi relative à la programmation militaire ?
Ensuite, dans quelle mesure ces crédits permettront-t-ils d’exécuter « physiquement » ladite loi ?
Enfin – cette question est essentielle –, dans quelle mesure les objectifs opérationnels seront-ils atteints ?
En ce qui concerne le montant global des ressources prévues pour 2011, les ressources pour la mission « Défense » sont, à l’épaisseur du trait près, conformes à ce que prévoit la loi de programmation militaire.
Selon le Gouvernement, les ressources seraient inférieures de seulement 50 millions d’euros au montant fixé par la loi de programmation militaire. En effet, les crédits de paiement seraient de 500 millions d’euros de moins, mais, en contrepartie, les ressources exceptionnelles qui auraient dû être perçues en 2009 et en 2010 le seraient de manière décalée, d’où 450 millions d’euros de ressources supplémentaires.
Ce serait seulement ensuite, en 2012 et surtout en 2013, que, si l’on ajoute les ressources exceptionnelles aux crédits de paiement fixés par le projet de loi de programmation des finances publiques 2011-2014, les ressources totales de la mission « Défense » seraient nettement inférieures à ce que prévoit la loi de programmation militaire.
Cette affirmation selon laquelle les ressources globales seraient en 2011 inférieures de seulement 50 millions d’euros à ce que prévoit la loi de programmation militaire doit cependant être nuancée.
Tout d’abord, comme cela a été expliqué dans le rapport, il nous semble que le Gouvernement minore d’une trentaine de millions d’euros le montant des ressources qui découleraient en 2011 de l’application stricte de la loi de programmation militaire. Le manque de ressources globales serait donc non de 50 millions d’euros, mais de 80 millions d’euros. On peut bien entendu discuter ce chiffre, mais ce qu’il montre, c’est que l’on se situe bien dans l’épaisseur du trait, 80 millions d’euros représentant 0, 2 % de la mission « Défense ». Il ne s’agit donc pas d’un montant significatif.
Le montant attendu des ressources exceptionnelles constitue un sujet plus important. Il s’élève à plus d’un milliard d’euros en 2011, dont 850 millions d’euros de ressources hertziennes. L’enjeu n’est peut-être pas si essentiel que cela en lui-même. En effet, si le Gouvernement veut garantir à la mission « Défense » les ressources prévues, il peut toujours compenser les ressources exceptionnelles manquantes, comme il l’a fait en 2009.
Ce qui nous préoccupe, c’est plutôt que d’éventuels manques à gagner en 2011, voire au cours des années suivantes, ne soient pas compensés, alors que nous sommes sortis de la logique du plan de relance pour entrer dans celle d’une réduction forte du déficit public.
Par ailleurs, pour atteindre l’objectif de déficit public de 6 points de PIB en 2011, l’effort discrétionnaire de réduction du déficit risque de devoir être plus important que celui qui est actuellement prévu, ce qui pourrait impliquer une contrainte plus forte sur la mission « Défense ».
Monsieur le ministre d’État, dans quelle mesure les montants prévus pour 2011 permettront-ils d’exécuter « physiquement » la loi de programmation militaire ?
Les ressources de la mission « Défense » devraient donc être, en 2011, globalement en ligne avec ce que prévoit la loi de programmation militaire, si l’on excepte les aléas des ressources exceptionnelles et d’un éventuel effort supplémentaire qui pourrait être demandé à la mission « Défense ».
Une deuxième question est de savoir dans quelle mesure ces ressources permettront l’exécution « physique » de la loi de programmation militaire. En effet, ce n’est pas tout d’avoir l’argent, encore faut-il qu’il permette de disposer des effectifs et des équipements prévus !
De ce point de vue, la situation paraît préoccupante du fait de la « cannibalisation » des dépenses d’équipement par les dépenses de fonctionnement. Ainsi, en 2011, selon la programmation révisée du Gouvernement, les dépenses d’équipement seraient réduites de 500 millions d’euros par rapport à la loi de programmation militaire pour permettre le financement du « dérapage » des dépenses de fonctionnement.
Comme mes collègues rapporteurs spéciaux et moi-même l’avions déjà souligné lors de l’examen du projet de loi de programmation militaire, cette situation s’explique notamment par le fait que, contrairement aux lois de programmation militaire précédentes, la loi actuelle programme en euros constants non seulement les dépenses d’équipement, fortement dépendantes de l’inflation, mais aussi l’ensemble des dépenses. Celles de personnel sont ainsi concernées alors qu’à court terme elles ne dépendent pas de l’inflation.
L’inflation ayant été quasiment nulle en 2009, le pouvoir d’achat de la mission « Défense » se trouve réduit de plusieurs centaines de millions d’euros par an. À cela s’ajoute le fait que certaines dépenses de personnel dérapent en euros courants. Ainsi, un projet de décret d’avance récemment transmis à la commission des finances tend à accroître les dépenses de personnel de la mission « Défense » de 200 millions d’euros en 2010, hors opérations extérieures, ou OPEX.
Non seulement les dépenses de personnel sont supérieures à ce que prévoit la loi de programmation militaire, mais, de plus, elles ne permettent pas d’avoir le niveau d’effectifs prévu. En effet, la loi de programmation militaire définit deux objectifs en la matière : un en niveau et un en évolution par rapport à l’année précédente.
L’objectif d’évolution par rapport à l’année précédente est à peu près respecté, mais les effectifs ayant été plus faibles que prévu en 2008, on observe dès lors un écart significatif en 2009 et en 2010 en équivalents temps plein travaillé, ou ETPT.
En outre, certaines dépenses d’équipement viendront se substituer à d’autres, jugées sinon plus utiles, du moins plus urgentes. Ainsi, en conséquence de l’absence de contrat à l’exportation du Rafale, la mission « Défense » va devoir acquérir onze de ces avions en plus sur la période 2010-2012, dont quatre en 2011.
Pour terminer, j’en viens aux perspectives relatives aux objectifs opérationnels.
Mes chers collègues, je vous rappelle que la loi de programmation militaire fixe non seulement des objectifs de moyens, mais aussi – c’est évidemment l’essentiel – des objectifs de capacités opérationnelles. Ces derniers sont repris par les contrats opérationnels des différentes armées ainsi que par les projets annuels de performance annexés aux projets de lois de finances.
L’indicateur du projet annuel de performance le plus important aux yeux de mes collègues rapporteurs spéciaux et de moi-même est celui qui est intitulé : « Capacité des armées à intervenir dans une situation mettant en jeu la sécurité de la France ». Depuis l’année dernière, il est d’ailleurs l’un des quatre indicateurs principaux de la mission « Défense ».
Cet indicateur concerne notamment les capacités de projection de l’armée de terre qui, je vous le rappelle, mes chers collègues, doit notamment pouvoir projeter 30 000 combattants à 8 000 kilomètres dans un délai de six mois. Pour la première fois, le présent projet de loi de finances prévoit que cet objectif de l’armée de terre ne sera pas parfaitement atteint en 2011, puisqu’il ne le serait qu’à 95 %, et à 90 % en 2013. Les auteurs du projet de loi de finances expliquent cette évolution défavorable par une précision laconique : « Les prévisions tiennent compte des contraintes budgétaires de la période ».
Il serait donc illusoire de s’imaginer que les contraintes budgétaires n’auront pas de conséquence sur les capacités opérationnelles. On commence déjà à le voir pour 2011. En l’absence d’une volonté politique forte de préserver les capacités opérationnelles, cette tendance pourrait être encore plus nette en 2014, voire en 2020. Ce sont donc des choix importants qui devront être faits ces prochaines années, comme notre collègue Jean-Pierre Masseret va maintenant l’expliquer.