Intervention de Pierre Jarlier

Réunion du 4 mai 2011 à 21h30
Lutte contre l'habitat indigne dans les départements et régions d'outre-mer — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Pierre JarlierPierre Jarlier :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans son seizième rapport sur L’état du mal-logement en France, « Carton rouge au mal-logement », la Fondation Abbé Pierre a dressé un état des lieux bien sombre, appelant chacun à s’interroger sur les limites des politiques du logement.

Selon ces informations et malgré les efforts consentis ces dernières années, plus de huit millions de Français seraient en situation de mal-logement ou de fragilité par rapport au logement. Les départements d’outre-mer sont concernés au moins autant, sinon plus, par ces situations préoccupantes que les départements de l’Île-de France, comme l’a rappelé M. le rapporteur.

Ces chiffres alarmants appellent évidemment des mesures urgentes permettant de répondre à ces situations dramatiques.

La proposition de loi soumise ce soir à notre examen va dans ce sens. Elle est importante, car elle vise à remplir un vide juridique qui concerne l’expropriation de personnes résidant dans des logements informels ainsi que les dispositions relatives à l’habitat indigne en outre-mer.

Il est certes difficile de quantifier l’habitat informel, qui correspond à un habitat sans droit ni titre, et l’habitat indigne, qui, lui, concerne des locaux d’habitation impropres par nature à cet usage ou expose ses occupants à des risques pour leur sécurité physique et leur santé.

Mais ce constat est intolérable et trop fréquent. Il suffit de parcourir la périphérie parisienne pour s’en convaincre.

La région d’Île-de-France étant particulièrement concernée, je regrette, à titre personnel, que la commission ait limité à l’outre-mer le champ d’application des mesures relatives à l’habitat informel. Il faut néanmoins reconnaître que c’est bien dans les territoires ultramarins que le phénomène est le plus présent.

Cette situation d’urgence a d’ailleurs été mise en évidence par notre collègue député Serge Letchimy dans son rapport de septembre 2009 : plus de 150 000 personnes habitent en Guadeloupe, en Guyane, en Martinique et à la Réunion, dans plus de 50 000 locaux insalubres – pour la très grande majorité, dans des habitats informels. Aussi, avant même d’en combattre les causes, est-il urgent d’adapter le droit de l’expropriation à ce phénomène d’ampleur qui touche les populations les plus pauvres.

L’outre-mer connaît une crise du logement plus préoccupante encore qu’en métropole, en raison notamment d’un grave déficit de logements sociaux. Cela entraîne naturellement la persistance, voire la multiplication des habitats informels, souvent insalubres, en raison des difficultés sociales que connaissent de nombreux départements d’outre-mer. Ce constat est aggravé sur certains territoires par un flux important d’immigrés clandestins. Rappelons que près de 10 % de la population ultramarine est en attente d’un logement social et que près d’un tiers des résidences principales dans les départements et régions d’outre-mer sont des logements précaires. Ces deux chiffres appellent une réaction forte du législateur.

La proposition de loi dont nous débattons aujourd’hui, en transcrivant dans la loi certaines recommandations du rapport de Serge Letchimy, permet de combler le vide juridique relatif à la définition des habitats informels et insalubres. Elle traite également du régime juridique applicable lors des opérations d’aménagement nécessitant l’expulsion de leurs occupants, pour une cause d’utilité publique.

Les collectivités disposeront donc avec ce texte d’une base juridique solide pour mettre en œuvre et accélérer les programmes de logement en outre-mer, tout en garantissant une certaine protection des populations concernées.

En effet, en l’état actuel du droit, l’expropriation ne s’applique pas à l’habitat informel, puisqu’elle ne concerne que les propriétaires munis de titres « en bonne et due forme ». Or, comme je l’ai rappelé tout à l’heure, dans les départements et régions d’outre-mer, nombreuses sont les personnes qui n’ont pas d’autre choix que d’occuper des habitats de fortune, sur des domaines publics ou privés, souvent sans autorisation.

Pour autant, ces occupants, sans droit ni titre, ne sont pas ignorés par les pouvoirs publics. En effet, beaucoup paient des impôts locaux sur ce type d’habitation. Ils méritent donc, comme tous les autres contribuables, qu’une attention particulière soit portée à leurs difficultés.

En pratique, la différenciation entre la propriété du sol et la possession du bâtiment édifié sur le même terrain est différente en outre-mer de ce qui existe sur le territoire métropolitain. Il est donc important que la loi puisse régler à titre principal, et non pas accessoire, ce problème d’une ampleur particulière dans les territoires ultramarins. Alors qu’en matière d’insalubrité et d’habitat indigne, nos lois s’appliquent indifféremment sur tout le territoire, la situation très préoccupante que connaît l’outre-mer dans ce domaine justifie les mesures particulières proposées par la proposition de loi. Cette approche territoriale mérite d’être soulignée, car elle constitue une forme de reconnaissance de la spécificité de certains territoires et de la particularité des mesures à adapter à leur diversité.

Quelle est la situation actuelle ?

À ce jour, les territoires ultramarins sont, juridiquement, dans une zone qui n’ouvre pas de droits individuels et collectifs aux populations concernées, puisque les dispositifs nationaux destinés à lutter contre l’habitat insalubre, comme le droit de l’expropriation, ne sont pas adaptés à la réalité ultramarine. La proposition de loi tend par conséquent à sortir de cette zone les occupants de logements informels et insalubres, et donc de les reconnaître juridiquement, mais aussi de reconnaître, par une indemnisation, une valeur au bien qu’ils occupaient.

De même, le texte permet d’adapter le droit en matière de police de l’insalubrité ou de procédures de péril, et surtout de terrains vacants, dans le cadre des procédures d’abandon manifeste.

Sur le fond, ce sont les valeurs mêmes de notre démocratie qui sont en jeu dans ce texte, et notamment la dignité des personnes occupantes « sans droit ni titre », soit des occupants qui ne sauraient subir systématiquement la double peine de l’habitat indigne et de l’expropriation sans droit.

Le groupe centriste se réjouit de cette proposition de loi qui fixe un cadre clair et pragmatique à l’indemnisation de ces personnes, d’autant que les conditions définies par le texte de la proposition de loi pour bénéficier de ces dispositions permettront aussi d’éviter que les marchands de sommeil ne profitent de ces situations de fragilité.

Les objectifs du texte, comme les éléments de procédure, nous semblent donc équilibrés. Nous sommes toutefois conscients que, s’il constitue une première mesure pragmatique pour traiter la question du logement indigne et informel en outre-mer, le texte n’en élimine pas les causes. Je pense non seulement à la forte immigration, mais aussi à la précarité d’une part importante de la population, notamment en Guyane et à Mayotte, ou encore à la mauvaise santé financière des collectivités d’outre-mer, qui ne facilite pas la mise en œuvre de programmes de logements sociaux… Il faudra se préoccuper de ces différents aspects.

Je tiens enfin à saluer le travail, sur ce texte, du rapporteur et de la commission, qui en a largement clarifié la rédaction, même si – je le répète – je regrette à titre personnel que les dispositions relatives à l’habitat informel en métropole n’apparaissent pas dans le projet, d’autant que ces mesures ne sont pas obligatoires.

Au demeurant, parce que ce texte constitue une avancée sociale significative pour l’outre-mer, les sénateurs de l’Union centriste se prononceront en faveur de son adoption.

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