Intervention de Jean-Claude Carle

Réunion du 17 juin 2014 à 14h30
Candidats aux élections municipales avec la nuance « sans étiquette » — Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Claude CarleJean-Claude Carle :

Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà un peu plus d’un an, le Parlement adoptait la loi du 17 mai 2013 relative à l’élection des conseillers départementaux, des conseillers municipaux et des conseillers communautaires, et modifiant le calendrier électoral.

À l’occasion de l’examen de ce texte, le Gouvernement a affirmé que l’objectif de l’abaissement à 1 000 habitants du seuil pour l’application de la proportionnelle était de favoriser une meilleure représentation de la diversité des opinions politiques et de mettre fin au système bipartite.

Pourtant, l’application de cette loi a entraîné un certain nombre de conséquences qui conduisent à une politisation accrue du scrutin municipal ; je vais m’en expliquer.

Le décret du 30 août 2001 prévoit la création d’un « fichier des élus », qui impose notamment aux candidats aux élections municipales de se rattacher à un parti politique, c’est-à-dire que ce décret impose à tous les candidats d’avoir une « étiquette politique ». S’ils n’en revendiquent pas une eux-mêmes, le préfet leur affectera alors une « nuance politique », appréciée au regard de la sensibilité qui les caractérise.

Théoriquement, ce décret ne concerne que les candidats aux élections municipales dans les villes de plus de 3 500 habitants, mais l’application combinée de deux articles de la loi du 17 mai 2013 rend de fait obligatoire ce rattachement politique pour tous les candidats, quelle que soit la commune où ils se présentent.

Les deux articles en question sont l’article 24, qui a abaissé le seuil d’application de la proportionnelle pour les élections municipales de 3 500 à 1 000 habitants, et l’article 25, qui oblige au dépôt de toutes les candidatures en préfecture, quelle que soit la population de la commune.

Voici donc comment le rattachement politique s’organise pour tous les candidats aux élections municipales : le candidat indique son étiquette politique, s’il en a reçu une ; il choisit une nuance politique parmi celles proposées dans une grille listant les nuances et les partis politiques se rattachant à chacune d’entre elles ; la préfecture valide ou corrige purement et simplement cette nuance en fonction de sa propre appréciation, le candidat pouvant néanmoins porter une réclamation pour faire modifier la nuance qui lui a été attribuée, sans qu’il y ait obligation pour la préfecture d’en tenir compte.

Il va de soi que les préfets exercent cette responsabilité avec intégrité et objectivité. Pour autant, quelle que soit leur diligence pour classer avec le plus de précision possible des élus et des listes dans des cases prédéfinies, ils se heurtent à l’impossibilité de rendre compte de ces étiquettes et nuances, parce qu’elles ne recoupent aucune réalité locale.

Au Sénat, dont la première des missions est d’assurer la représentation des collectivités territoriales de la République, nous nous devons donc d’agir pour mettre fin à ce qui constitue une contrainte, pour ne pas dire une entrave à l’expression des sensibilités politiques, qui se manifeste bien souvent dans les petites communes par une non-politisation des candidats.

Tel est l’objet de cette proposition de loi, qui vise à relayer l’inquiétude exprimée fortement en mars dernier par les élus municipaux et des candidats aux élections municipales dans les 6 765 communes de 1 000 à 3 500 habitants.

En effet, dans un courrier adressé à M. Manuel Valls, alors ministre de l’intérieur, les élus représentés au sein de l’Association des maires de France, l’AMF, avaient exprimé leur souhait de voir mettre fin à cette obligation masquée de rattachement à un courant politique pour les communes de moins de 3 500 habitants, obligation qu’ils estimaient contraire à la réalité de la vie locale, marquée par l’existence de listes d’union « fondées sur la mise en commun d’énergies au service de la collectivité ».

Comme eux, nous connaissons bien les réalités de la vie locale, et nous savons tous que, dans beaucoup de petites communes, l’engagement politique de nos concitoyens correspond avant tout à la volonté de défendre les intérêts locaux propres à chaque territoire, sans que cet engagement impose un rattachement à un parti politique.

Cédric Szabo, directeur de l’Association des maires ruraux de France, l’AMRF, précisait d’ailleurs que, « en partant du principe que toute la liste doit être de la même étiquette – en général, celle de la tête de liste –, des gens se retrouvent classés à droite alors qu’ils sont de gauche et inversement. C’est une source de confusion et de désinformation des citoyens et, parallèlement, cela produit des statistiques qui n’ont aucun sens. »

Malheureusement, dans sa réponse aux élus locaux, le ministre de l’intérieur a estimé que la neutralité des candidats « sans étiquette » est prise en compte, dans la grille de nuances, au travers du groupe « divers », lequel « a vocation à rassembler toutes les listes et tous les candidats qui ne manifestent pas d’engagement politique ».

Au-delà du fait qu’elle révèle un manque cruel de connaissance de la réalité territoriale, la réponse du ministre est insatisfaisante en ce qu’elle valide un statu quo où se trouvent englobés sous une même dénomination des partis aussi divers que le parti blanc, le parti pirate, le parti d’en rire ou encore le parti homme-nature-animaux, dont on peut dire qu’ils n’ont rien à voir avec la démarche des « sans étiquette ».

S’il est vrai que le dispositif du « rattachement » ou de la « nuance politique » préexistait à la loi du 17 mai 2013, s’il est vrai aussi que sa pertinence est reconnue pour les grandes villes ou les centres urbains afin de « permettre aux pouvoirs publics et aux citoyens de disposer de résultats électoraux faisant apparaître les tendances politiques locales et nationales et de suivre ces tendances dans le temps », de toute évidence, l’ajustement et la précision que nous proposons ici permettront, en excluant du champ de ce dispositif les communes de moins de 3 500 habitants, de faire vivre les sensibilités locales et de donner un véritable reflet des forces politiques en présence, qui ne peuvent pas forcément être rattachées à la droite ou à la gauche.

Afin de rétablir cette réalité, je propose d’introduire deux assouplissements pour les communes de moins de 3 500 habitants : il s’agit, d’une part, de permettre aux candidats de présenter des listes dénommées « sans étiquette », distinctes des listes relevant du groupe « divers », et, d’autre part, de supprimer l’obligation faite aux préfets d’attribuer des nuances politiques, dès lors que les candidats n’en revendiquent pas une eux-mêmes.

Concernant l’instauration d’une mention « sans étiquette », il aurait suffi d’une modification du décret du 30 août 2001 pour que la raison l’emporte. Mais tel n’a pas été l’état d’esprit du ministre de l’intérieur d’alors, pourtant alerté par les élus municipaux. Mes chers collègues, c’est donc par la loi que nous pourrons surmonter ce mur réglementaire.

Les articles de cette proposition de loi visent les déclarations de candidature et tendent à permettre que les candidats puissent se présenter « sans étiquette » dans le cas où ils ne souhaiteraient se rattacher ni à un parti ni à une nuance politique.

L’article 1er a donc pour objet de modifier l’article L. 255-4 du code électoral, qui concerne les communes de moins de 1 000 habitants, relevant du scrutin majoritaire, tandis que l’article 2 tend à modifier l’article L. 265 du code électoral, qui concerne les communes de 1 000 à 3 499 habitants, pour lesquelles s’applique dorénavant le scrutin proportionnel.

En ce qui concerne l’obligation faite aux préfets d’attribuer des nuances politiques aux candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants dès lors que ceux-ci n’en revendiquent pas une eux-mêmes, je soulignerai que le rattachement forcé à une nuance politique est incompatible non seulement avec la libre expression des sensibilités locales, mais également avec la démarche même des candidats « sans étiquette ».

En effet, la plupart des listes de ce type réunissent un certain nombre de candidats animés par la volonté de mettre leurs compétences au service de la municipalité ; beaucoup d’entre eux sont d’ailleurs issus de la société civile ou ont exercé des fonctions locales sans vouloir appartenir à un courant politique.

De plus, l’union locale permet, dans certaines circonstances, de réunir des sensibilités différentes jusque-là dispersées, de sorte qu’il est impossible que cette liste puisse être rattachée à un courant particulier sans que cela ne se fasse au détriment d’autres composantes de la liste.

Nous reconnaissons de manière unanime que les élus souffrent d’un déficit de confiance généralisé, qui se traduit par une abstention massive, un vote blanc ou un vote extrême relativement important. L’actualité nous en a encore fourni une preuve navrante, lors des récentes élections européennes.

Aussi, dans de telles circonstances, est-ce une force pour la République et pour la démocratie que de voir des femmes et des hommes s’unir dans un engagement commun au service de la chose publique. Les idées qu’ils défendent et les propositions qu’ils avancent sont une richesse inestimable, permettant de dépasser les a priori, les dogmatismes et les idéologies.

Voilà pourquoi il m’a semblé important de préciser que « le ministre de l’intérieur et le représentant de l’État dans le département ne peuvent attribuer une nuance ou la rectifier sans l’accord du candidat dans les communes de moins de 3 500 habitants ».

Mes chers collègues, tel est l’objet de la proposition de loi que je vous présente. Sa discussion nous permettra, je l’espère, de trouver un accord, au-delà de tout rattachement à une étiquette politique !

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion