Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi est la bienvenue aux yeux des sénateurs de l’UDI-UC, car, dans un contexte de crise de confiance entre la population et nos institutions, l’élu local reste le garant du bon fonctionnement de notre démocratie de proximité. Il doit donc pouvoir s’engager librement et sans « étiquetage » particulier, s’il le souhaite, ce qui n’est plus vraiment le cas depuis l’entrée en vigueur des lois organique et ordinaire du 17 mai 2013.
En mars dernier, les électeurs de toutes les communes de plus de 1 000 habitants ont élu leurs conseillers municipaux selon le mode de scrutin proportionnel. Dans de nombreuses communes, ces évolutions répondaient à une attente forte des élus, qui souhaitaient la mise en place d’une majorité claire à l’issue d’une campagne dans laquelle le projet électoral primerait sur les considérations personnelles.
Mais un autre changement induit, à caractère réglementaire, auquel nous ne nous attendions pas, a suscité un réel malaise : les candidats dans les communes de 1 000 à 3 499 habitants ont dû, pour la première fois et à leur plus grand étonnement, remplir une liste d’informations partisanes destinées à constituer un « fichier des élus ».
Concrètement, les candidats peuvent attribuer à leur liste une « étiquette », c’est-à-dire désigner leur formation politique. Cette étiquette, si elle est librement indiquée, doit cependant être choisie au sein d’une nomenclature fixée par le ministère de l’intérieur.
Dans le même temps, la préfecture a, elle, l’impératif d’affecter une « nuance » aux candidats, soit, pour être plus clair, de les rattacher à un courant de pensée politique.
Cette nuance est attribuée de manière discrétionnaire par les services de la préfecture, sur la base d’un faisceau d’indices, ce qui est profondément choquant et entraîne des erreurs manifestes pouvant susciter l’incompréhension, pour ne pas dire plus, comme l’a indiqué tout à l’heure le rapporteur.
La nomenclature de l’administration est exhaustive. Parmi les choix possibles figure, outre les partis traditionnels, la mention « divers », regroupant par défaut les autres sensibilités politiques : partis anti-fiscalistes, religieux, socioprofessionnels, régionalistes, pour ne citer que ces exemples. En revanche, la nuance « sans étiquette », pourtant tout à fait légitime, ne figure nulle part, alors même que de nombreux candidats ne se reconnaissent dans aucune des sensibilités que j’évoquais, car ils sont avant tout animés par une volonté d’agir au service de leur territoire. Cette position se conçoit d’autant mieux, il faut bien le reconnaître, que les partis politiques ne bénéficient pas à l’heure actuelle d’une très bonne image dans l’opinion, c’est le moins que l’on puisse dire ! Tous les sondages d’opinion le démontrent : une cote de confiance inférieure à 10 %, c’est tout de même faible…
Ce fichier des élus n’est pas une nouveauté. Il existait déjà pour les communes de 3 500 habitants et plus et suscite, depuis l’origine, des incompréhensions.
Les élections de mars 2014, avec l’élargissement du champ du mode de scrutin proportionnel aux communes de 1 000 habitants et plus, ont permis de souligner nettement les dysfonctionnements liés à la constitution de ce fichier.
De nombreuses voix se sont élevées, notamment dans les communes rurales, pour dénoncer une situation qui, d’une certaine façon, nuit à la libre expression de l’action publique, et les associations nationales d’élus se sont largement mobilisées.
Deux problèmes se posent clairement : celui des « étiquettes » et « nuances » répertoriées ; celui du caractère arbitraire des « nuances » attribuées par l’administration aux candidats.
S’agissant des notions d’étiquette et de nuance, elles ont peu de sens pour les 6 659 communes désormais elles aussi concernées par le fichier des élus. En effet, beaucoup de candidats de petites communes forment des listes fédérant des sensibilités politiques extrêmement diverses. Ces personnes s’engagent et se rassemblent dans l’optique d’œuvrer pour le bien commun de leur village ou de leur ville et de ses habitants. Les listes sont constituées majoritairement sans considérations politiques et, le plus souvent, une liste d’entente se forme au-delà des clivages partisans pour présenter une candidature unique. Jean-Patrick Courtois l’a très bien rappelé : lors du scrutin de mars 2014, cela a été le cas dans 41 % des communes de 1 000 à 3 499 habitants et dans près de 50 % des communes de 1 000 à 2 000 habitants. La proportion est sans doute beaucoup plus importante encore dans les communes de moins de 1 000 habitants.
Ces listes ne peuvent donc être classées sous la rubrique « divers », un tel classement supposant en effet une revendication politique, celle-ci étant difficile à répertorier au regard de l’échiquier politique traditionnel.
En revanche, la mention « sans étiquette » traduit le caractère apolitique et non partisan de la liste conduite. Autrement dit, et pour reprendre les propos de notre rapporteur, les listes « sans étiquette » « n’ont pas de sensibilité politique revendiquée ».
Bien souvent – de plus en plus souvent, dirais-je –, ce n’est pas l’appartenance à un parti qui suscite la confiance des électeurs lors des scrutins locaux. Bien au contraire, c’est la qualité de l’engagement, la présence sur le terrain et la volonté d’agir pour le mieux-vivre ensemble, pour le territoire, au-delà de toute considération partisane, qui sont récompensées par les citoyens.
La reconnaissance de cette capacité de rassemblement des forces vives par la création d’une catégorie « sans étiquette » participerait donc, à sa mesure, à la rénovation de notre démocratie locale. Elle répondrait en effet à une réelle attente des électeurs et à un mouvement croissant, éloigné des clivages partisans. Tel est le sens de la notion du « sans étiquette » qu’introduit cette proposition de loi.
Le second problème soulevé lors des élections de mars dernier a trait à l’obligation faite aux préfets d’attribuer des nuances aux candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants dès lors que ces derniers n’en revendiquent pas une eux-mêmes.
De fait, les listes dites « d’intérêt général » sont très difficiles à classer. Cette attribution autoritaire d’une nuance politique, fondée sur un faisceau d’indices – la déclaration du candidat et son éventuelle « renommée » sur le terrain–, est assortie d’une importante marge d’erreur. J’en veux pour preuve les réclamations formulées par de nombreux maires qui se sont vu attribuer des « nuances » sans aucun lien avec la réalité de leur engagement, citoyen et politique.
À cet égard, cette proposition de loi, qui vise aussi à supprimer l’obligation faite à l’administration d’attribuer une « nuance » pour les candidats dans les communes de moins de 3 500 habitants, va dans le bon sens.
Comme pour les étiquettes, chaque candidat doit pouvoir décider librement quelle « nuance » lui correspond : qu’elle puisse lui être attribuée arbitrairement par l’administration est, pour le moins, mal vécu par les intéressés. Mais attention : a contrario, cette nuance, lorsqu’elle est revendiquée par le candidat, doit aussi être cohérente avec la réalité ; le préfet doit y être attentif, pour éviter toute manipulation de l’opinion. Ce sujet est donc plus complexe qu’il y paraît.
Malheureusement, en février dernier, le ministère de l’intérieur a décidé de ne pas prendre en compte les remarques de l’Association des maires de France et de l’Association des maires ruraux de France sur la création de la catégorie « sans étiquette », qui relevait pourtant du bon sens.
Ce refus de reconnaître la distinction évidente entre une liste classée « divers » et une liste « sans étiquette » pour les communes de 1 000 à 3 499 habitants nous oblige aujourd’hui, ici au Sénat, malgré le caractère réglementaire d’un tel sujet, à nous saisir de cette question sensible qui ne saurait rester sans réponse.
La réalité, sur le terrain, ce n’est pas l’étiquette politique ; la réalité, sur le terrain, c’est l’engagement pour la République d’hommes et de femmes qui, bien souvent, ne se préoccupent pas de savoir si leur vision et l’ambition qu’ils ont pour leur territoire sont de droite, de gauche ou de toute autre tendance. C’est bien dans ces conditions que se constituent des équipes unies, dont la seule préoccupation est d’agir efficacement pour la commune. J’ajoute que c’est ce qu’attendent nos concitoyens.
Nous voterons donc, telle qu’elle nous a été présentée par le rapporteur, cette proposition de loi qui s’inscrit dans la lignée du combat que nous menons depuis des années en faveur de l’avènement d’une démocratie rénovée, loin de tout clivage dogmatique. Mes chers collègues, le parti de la très grande majorité des élus, c’est d’abord leur territoire ! §