Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 15 octobre 2014 à 14h30
Lutte contre le terrorisme — Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur :

Cette disposition permettrait de poursuivre l’apologie et la provocation au terrorisme en dehors du régime procédural contraignant, car protecteur de la liberté d’expression, de la loi du 29 juillet 1881.

Dès lors que ces délits seraient transférés dans le code pénal, les techniques spéciales d’enquête applicables à la criminalité organisée, comme l’infiltration, la sonorisation, la captation de données informatiques, notamment, pourraient être mises en œuvre. Sans compter, bien entendu, la garde à vue de quatre-vingt-seize heures…

Toutefois, le texte proposé par le Gouvernement présente plusieurs inconvénients.

D’abord, il va créer un précédent de sorte que la loi de 1881 risque d’être progressivement vidée de son contenu. Je vous rappelle que l’apologie de crime contre l’humanité et la provocation à la discrimination raciste, notamment, figurent dans la loi de 1881. Mais cela n’empêche pas que ce soient des délits, ne mélangeons pas les choses ; il s’agit plus d’une question de procédure que d’une question de fond.

Ensuite, tous les faits d’apologie et de provocation seraient concernés, y compris un simple message par lequel l’auteur exprimerait son accord avec le djihad, ce qui paraît tout de même disproportionné. Sans parler de l’inévitable encombrement des juridictions spécialisées, qui ont déjà fort à faire.

Enfin, monsieur le ministre, votre projet de loi a été complexifié par l’Assemblée nationale. Les modifications apportées par nos collègues députés rendent le dispositif particulièrement complexe, avec une procédure à géométrie variable en fonction de la nature de l’infraction, apologie ou provocation. Or ces notions sont proches. Cela ne me paraît pas de bonne méthode en matière de droit pénal et de procédure pénale.

Dès lors, la commission a décidé de ne transférer dans le code pénal que les faits commis par la voie d’internet. Les autres faits d’apologie et de provocation au terrorisme resteraient traités dans le cadre de la loi de 1881.

Il s’agit surtout d’appréhender des animateurs de sites internet djihadistes. Comme les juges d’instruction nous l’ont fort bien expliqué, ce sont en effet des réseaux extrêmement organisés et financés par des spécialistes.

De plus, internet a des spécificités qui justifient ce traitement particulier : interactivité, persistance des messages, possibilité d’organisation, etc.

Nous pouvons également nous référer au rapport récent et très approfondi du procureur général Marc Robert, souvent cité, intitulé Protéger les internautes, rapport sur la cybercriminalité, qui a inspiré plusieurs dispositions du projet de loi. Son auteur nous a indiqué que la loi sur la presse n’était plus adaptée à internet, et a préconisé de manière générale de faire sortir internet de la loi de 1881 pour le faire entrer dans le code pénal. C’est une question intéressante à laquelle nous devrons réfléchir.

La création d’une infraction relative à l’entreprise individuelle de préparation d’un acte terroriste à l’article 5 est l’un des apports majeurs du projet de loi.

L’association de malfaiteurs ne permet pas toujours d’appréhender l’autoradicalisation. Nous pourrions citer plusieurs exemples qui ne font pas apparaître d’association de malfaiteurs. D’où cette nouvelle incrimination d’actes préparatoires effectués de manière solitaire.

Telle que renforcée par les députés, la rédaction prévoit trois conditions : une volonté terroriste, le fait de rechercher ou de se procurer des substances dangereuses et un autre fait matériel tel que recueillir des renseignements sur une personne, s’entraîner au maniement des armes, consulter habituellement des sites djihadistes, etc.

Compte tenu de ces précisions, la commission a approuvé la création de ce nouveau délit. Toutefois, elle a ajouté les préparatifs logistiques, tels que la location d’un box ou de véhicules, à la liste des éléments alternatifs contribuant à la constitution de l’infraction.

Par ailleurs, monsieur le ministre, nous avons supprimé la mention de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité, source de confusion. C’est bien une nouvelle infraction terroriste devant figurer au titre II du livre IV du code pénal consacré aux actes de terrorisme que nous nous efforçons ici de créer, et non une incrimination qui mêlerait des éléments de terrorisme et de crime contre l’humanité ou de crime de guerre. Tous les juges que nous avons entendus ont d'ailleurs souligné cette bizarrerie introduite dans le projet de loi.

Les articles 7 et 7 bis prévoient l’extension de la compétence concurrente de la juridiction de Paris en matière de terrorisme. Ce sont des dispositions extrêmement importantes pour l’efficacité de nombreuses procédures.

Ainsi, l’article 7 bis, ajouté par les députés, permettra à la Cour d’appel de Paris de se saisir de l’examen des demandes d’exécution d’un mandat d’arrêt européen ou d’une demande d’extradition lorsqu’elles concernent des auteurs d’actes de terrorisme.

Il s’agit de tirer profit de l’expertise particulière et reconnue de la juridiction parisienne dans le suivi judiciaire des auteurs d’actes de terrorisme. En l’état actuel, il lui est impossible de se saisir. Ainsi, une récente demande d’exécution d’un mandat d’arrêt européen émis par la Belgique a été examinée par le parquet de Versailles, territorialement compétent mais non spécialisé, et non par le pôle antiterroriste. Il s’agit de lui offrir cette possibilité, dans le cadre de la compétence concurrente.

D’autres dispositions concernent des aspects plus ponctuels de notre législation. Vous avez défendu l’article 15, monsieur le ministre. Mon corapporteur n’a pas évoqué cet article, mais nous aurons l’occasion d’en reparler ultérieurement. Je ne résiste pas à la tentation de noter la belle continuité qui existe en la matière, de la part des gouvernements comme de la part des ministères…

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