Les valeurs de la République peinent à se faire entendre, parce qu’elles ne s’adressent plus à tous les Français. Cet échec est celui de la France, il est aussi celui de l’Europe, incapables d’offrir une vie décente à leurs immigrés, puis à leurs descendants.
Hélas, le fanatisme religieux s’est érigé pour certains en noble cause, même si la mort aveugle en est l’unique horizon. Hier, on partait en Espagne soutenir les républicains, en Amérique latine faire la révolution. Aujourd’hui, quelle perspective s’offre donc aux énergies bridées d’une jeunesse sans repères ? Celle du djihad, malheureusement ! Le désespoir de ceux qui partent doit être bien grand, quoi qu’ils en disent et quoi que nous en pensions.
Cela étant, que les choses soient bien claires ! Le groupe écologiste a toujours été et reste convaincu que la lutte contre toute forme de violence doit être menée sans relâche. Cette conviction, j’ai ici pour mission de la rappeler, de même que notre rejet de toute forme de terrorisme, de même que notre attachement inconditionnel aux valeurs humanistes, que certains tentent précisément de ruiner.
Il n’en est que plus indispensable de se donner les moyens d’inventer des solutions pratiques, et non de pur principe, à l’école, en prison, dans la vie de tous les jours, pour que la laïcité ouverte qui nous rassemble prenne à nouveau tout son sens.
Il est tout aussi impératif, monsieur le ministre, de remédier sans délai, par une action concertée, énergique et efficace, aux effets délétères du grippage de notre ascenseur social et à l’abandon de nos quartiers populaires.
J’ai la certitude que, sans une prise de conscience de ces problèmes, notre combat contre le terrorisme pourrait être perdu d’avance, quel que soit le nombre de projets de loi dont nous pourrions encore être amenés à débattre.
Par ailleurs, dans son avis du 14 septembre dernier, la Commission nationale consultative des droits de l’homme affirme avec force que les États « ne sauraient prendre, au nom de la lutte contre le terrorisme, n’importe quelle mesure jugée par eux appropriée, dès lors que cela aboutirait à saper, voire détruire la démocratie au motif de la défendre ».
Mes chers collègues, je souscris totalement à ces propos. La question qui se pose est de savoir si le texte proposé atteint le juste équilibre entre efficacité de la lutte contre le terrorisme et protection des libertés individuelles qui fondent notre démocratie. Pour y répondre, revenons donc au texte, qui n’a pas vocation à réformer notre arsenal juridique en matière de lutte contre le terrorisme, déjà très important, mais qui entend lutter contre deux phénomènes.
Le premier est le départ de personnes isolées ou en bandes organisées pour les camps d’entraînement au djihad, situés le plus souvent aujourd’hui en Syrie ou en Irak. Monsieur le ministre, vos services font état d’environ 800 Français et résidents français se trouvant en Syrie, en étant revenus ou souhaitant s’y rendre ; 300 participeraient aux combats.
Le second phénomène est la radicalisation de ressortissants français par le biais de sites internet incitant au terrorisme ou en faisant l’apologie.
La lutte contre ces deux phénomènes est organisée dans le projet de loi autour de quatre mesures phares.
D’abord, l’article 1er crée un dispositif d’interdiction de sortie du territoire.
À première vue, il peut sembler urgent d’empêcher nos concitoyens de rejoindre des groupes terroristes à l’étranger. Il y va de leur protection comme de la nôtre.
La décision d’interdiction de sortie du territoire, telle qu’elle est prévue dans le texte, serait prise par le ministre de l’intérieur pour une durée de six mois renouvelable. Elle impliquerait le retrait immédiat du passeport et de la carte d’identité de la personne concernée, contre remise d’un récépissé.
Une telle mesure constitue une atteinte à la liberté d’aller et venir, à la liberté de circulation dans l’espace Schengen, et ne prévoit ni débat contradictoire en amont ni contrôle du juge judiciaire…
L’article 5 crée une infraction d’entreprise terroriste individuelle. Cette disposition, qui vise à répondre au phénomène des « loups solitaires », selon l’expression consacrée, permettra de condamner à des peines allant jusqu’à dix ans d’emprisonnement des individus projetant de commettre seuls des actes terroristes.
Toute la difficulté réside ici dans l’imprécision qui entoure cette disposition. Peut-on vraiment parler de « loups solitaires » ? Part-on un beau matin au djihad sans s’y être préparé, sans avoir noué des liens, sans avoir intégré un réseau, quel qu’il soit ?
En outre, cette mesure pourrait bien aboutir à une pénalisation de l’intention. Or le principe, en droit français, n’est-il pas celui de l’absence de répression des actes préparatoires et de l’exigence d’un commencement d’exécution ?
Par ailleurs, l’article 4 détache les délits de provocation directe à des actes de terrorisme non suivie d’effet et l’apologie de ces actes de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, pour les intégrer au code pénal. Ainsi, les dispositions relatives à la liberté de la presse ne s’appliqueront plus à des écrits vantant les exploits du PKK en Irak publiés sur internet mais le demeureront si ces mêmes écrits paraissent sur support papier. Pourquoi une telle différence de traitement ? La loi de 1881, et plus particulièrement son régime procédural, a sûrement besoin d’être réformée, mais cela mérite certainement réflexion, concertation, et impose surtout d’agir avec beaucoup de précaution.
L’article 9, enfin, prévoit la possibilité de blocage administratif des sites faisant l’apologie du terrorisme. Le moins que l’on puisse dire est que cette disposition a fait l’unanimité… contre elle !
Si l’on considère que le blocage de sites internet relève d’une importante restriction à la liberté d’information, une telle mesure doit être envisagée avec prudence, être proportionnée et efficace. Or il est difficile de considérer que le dispositif de cet article, qui ne prévoit pas l’intervention du juge judiciaire, …