Monsieur le président, monsieur le ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, je ne reviendrai pas sur les cas récents, que nous avons tous en tête, d’actes de terrorisme dramatiques perpétrés sur notre territoire national, ou même de Français partis rejoindre des groupes djihadistes, en vue de combattre notre État de droit et la liberté dans le monde.
Oui, la lutte contre le terrorisme est un impératif permanent pour les pouvoirs publics, et le contexte international, à savoir la guerre engagée par la coalition internationale contre l’État islamique en Irak, nous presse aujourd’hui de répondre aux nouvelles menaces qui pèsent sur la France.
La réponse que nous devons donner à cette occasion ne peut pas seulement se traduire par un durcissement de notre arsenal pénal. Elle doit également passer par l’adaptation de notre législation aux « nouveaux risques » à anticiper.
Ayant été rapporteur de la commission des lois pour plusieurs textes de lutte contre le terrorisme, je sais combien ce phénomène a évolué.
Voilà encore dix ans, nous devions faire face à des éléments terroristes formés, organisés en réseaux et aux moyens d’action relativement sophistiqués.
Mais l’« affaire Merah » a tragiquement inauguré l’ère nouvelle des « loups solitaires », ces individus marginaux, aux revendications confuses, à l’action spontanée, aux liens variables avec les nébuleuses terroristes étrangères, entretenus dans leur radicalisation par les moyens modernes de communication.
Ces individus, difficilement prévisibles, doivent donc être empêchés de sévir sur notre territoire, notamment après avoir rejoint, pour certains, des camps d’entraînement djihadistes à l’étranger.
À ce sujet, nous ne pouvons donc qu’approuver l’esprit général du texte, qui vise essentiellement à appréhender ce phénomène des « loups solitaires » et à interdire à ces individus de quitter le territoire pour rejoindre des groupes terroristes.
Nous approuvons également – les rapporteurs l’ont rappelé – le renforcement des mesures pénales, qu’il s’agisse du renforcement du dispositif de lutte contre la détention et l’usage de systèmes de traitement automatisés de données ou de l’aggravation des sanctions réprimant les infractions lorsqu’elles sont commises en bandes organisées.
Un autre point qui me paraît très important est le renforcement des moyens de police judiciaire, avec la possibilité ouverte aux officiers de police judiciaire de réquisitionner les techniciens compétents en matière de cryptographie, avec l’autorisation de la « cyber-infiltration » et avec l’élargissement du champ des données susceptibles d’être collectées sans l’autorisation de leur propriétaire.
Vous l’avez souligné, mes chers collègues, la rationalisation des moyens de la justice va permettre une action plus efficiente, en étendant les compétences du pôle antiterroriste en matière de poursuites, d’instruction et de jugement des infractions des actes terroristes lorsqu’ils font l’objet d’un mandat d’arrêt européen ou d’une demande d’extradition – à ce propos, il convient de féliciter les magistrats du pôle antiterroriste – et en centralisant les compétences à la cour d’appel de Paris pour l’examen des demandes de mandat d’arrêt européen ou les demandes d’extradition.
Nous approuvons et saluons l’excellent travail accompli par nos rapporteurs, Jean-Jacques Hyest et Alain Richard, notamment sur la question des infractions de provocation ou d’apologie des actes terroristes et sur les interceptions. En effet, sur leur proposition, la commission des lois a judicieusement modifié le texte.
Afin de ne pas extraire l’ensemble de ces délits de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, la commission a prévu de n’incriminer ces faits au sein du code pénal que lorsqu’ils sont commis par le biais d’internet. Nous avons estimé que ce moyen de communication présentait des caractéristiques objectives exigeant l’usage de moyens d’enquête plus performants, alors que le régime spécial de la loi de 1881 doit continuer à s’appliquer pour la commission des mêmes infractions sur les supports de presse traditionnels.
Par ailleurs, nous avons limité les cas dans lesquels le délai de conservation des interceptions de sécurité pourra être porté de dix à trente jours, afin de permettre à l’administration de surmonter des difficultés techniques sans porter une atteinte excessive au secret des correspondances.
Mais que de temps perdu du fait que, après l’élection présidentielle de 2012, la nouvelle majorité a accepté de travailler seulement a minima, et en le dénaturant, sur le projet de loi que le gouvernement de Nicolas Sarkozy devait présenter à la suite de l’affaire Merah !
Nous voulons aujourd’hui accomplir un travail législatif constructif, mais nous avons également besoin de réponses, monsieur le ministre : des réponses auxquelles les Français ont droit, surtout quand leur sécurité est en jeu.
Les services secrets français pourront-ils encore compter longtemps sur la chance ? En effet, il y a deux semaines, la DGSI s’est retrouvée dans une situation très inconfortable : trois djihadistes présumés, de retour de Syrie via la Turquie, sont entrés sur notre territoire en passant la frontière à l’aéroport de Marseille alors que les services français les attendaient à l’aéroport d’Orly, à la suite d’un changement intervenu lors de l’embarquement en Turquie, détail qu’aurait omis de transmettre la police de l’air et des frontières turque.
Vous avez expliqué aux Français qu’il n’y avait pas eu de dysfonctionnement des services français. Soit ! Je tiens d’ailleurs à exprimer à nouveau toute notre confiance envers ces hommes et ces femmes qui veillent en permanence sur la sécurité nationale et nos intérêts. Mais comment expliquer, malgré tout, que ces djihadistes présumés aient pu passer l’étape des contrôles à l’aéroport de Marseille ?
La réponse réside tout de même dans un problème franco-français : une défaillance, au moment des faits, du système informatique CHEOPS, qui permet le fonctionnement des principaux fichiers de police. Les syndicats de police dénoncent, depuis de nombreuses années maintenant, les carences de ce système. Alors ma question, monsieur le ministre, est simple : nous allons légiférer aujourd’hui pour mettre en place un nouvel arsenal – même si je goûte peu ce terme – de lutte contre le terrorisme, mais qu’en est-il de ce dispositif informatique, fondamental pour la sûreté de notre pays ?
Oui, jusqu’à présent, le dispositif antiterroriste s’est révélé plutôt efficace. Aucun attentat islamiste n’a été perpétré sur le territoire hexagonal entre 1996 et 2012. Nous pouvons tous nous en féliciter, mais la menace se rapproche depuis l’éclatement de la guerre civile en Syrie et l’intervention française en Irak.
Ce théâtre d’opérations attire, on le constate tous les jours, des jeunes. Vous nous avez rappelé, monsieur le ministre, que près de 1 000 personnes résidant en France sont concernées : plus de 350 combattraient sur place, plus de 180 seraient rentrées en France et plus de 230 auraient l’intention de partir. La « masse critique » serait atteinte.
Ces chiffres m’amènent à m’interroger sur les contrôles à nos frontières et à celles de l’espace Schengen.
Le rôle des services de l’État est aujourd’hui d’estimer la dangerosité de Français, ou de binationaux, partis combattre à l’étranger, dont tout le monde ignore les projets au retour. La législation européenne, le code frontière Schengen, interdit les contrôles systématiques des ressortissants de l’Union européenne ; c’est-à-dire que les vérifications effectuées à l’arrivée sur notre territoire sont aléatoires et à vocation migratoire. Le cœur du sujet qui nous préoccupe aujourd’hui se situe là : la vocation migratoire, et non pas policière, du contrôle.
Un outil pourrait être fort intéressant pour les services de police : le PNR, ou passenger name record. Il s’agit des données de réservation du transport aérien. Cette possibilité d’échange de données entre États, ainsi que l’utilisation de celles-ci, pose pour la CNIL et son homologue européen, le G29, un certain nombre de problèmes quant au respect de la vie privée.
Nous devons, comme la commission des lois l’a fait durant ses travaux, penser la lutte contre le terrorisme et la sûreté de notre territoire dans le cadre de nos libertés publiques, auxquelles nous sommes tous profondément attachés. Nous ne devons cependant pas exclure de réfléchir intelligemment et collectivement à cette piste européenne. Nous devons rompre avec la culture du cloisonnement et du secret, nuisible à la bonne conduite des enquêtes.
Sur ce sujet des enquêtes, je souhaiterais vous interroger, monsieur le ministre, sans pour autant empiéter sur les débats budgétaires que nous aurons prochainement, sur le Centre national des écoutes. Il a en effet pour mission de capter toutes les télécommunications susceptibles de constituer une menace potentielle pour la sécurité de l’État, avec pour première cible les mouvements terroristes pouvant agir sur le sol national. Étant donné l’amplification du problème, démontrée par les chiffres que vous annoncez, qu’envisagez-vous d’un point de vue budgétaire pour optimiser son opérabilité ?
Enfin, monsieur le ministre, vous avez mis en place un dispositif d’assistance aux familles et de prévention de la radicalisation violente par l’ouverture d’un « numéro vert », ce dont on ne peut que vous féliciter. L’objectif est de rompre la solitude de familles confrontées à des circonstances très difficiles et de mobiliser les moyens de l’État pour les aider à surmonter ces douloureux problèmes. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous faire un premier bilan de cette action positive pour nos concitoyens ?
À la suite de l’affaire Merah, l’UMP avait souhaité engager un débat de fond sur la lutte contre le terrorisme, qui n’avait pas pu prendre l’ampleur et la force souhaitées, notamment à cause d’un changement de politique au lendemain de l’élection présidentielle. Fort heureusement, il n’y a pas eu en France de répétition d’actes semblables depuis lors, mais la survenue d’un tel événement aurait sanctionné une grave erreur de votre majorité.
Désormais, nous n’avons plus de temps à perdre, mais une action urgente dans ce domaine ne doit pas être pour autant une action précipitée.
Les débats qui s’ouvrent ici ont vocation à faire en sorte que le dispositif que nous adopterons soit le mieux adapté aux réalités nouvelles, mais aussi le plus efficace possible pour les services opérationnels, car nous pourrions prévoir les sanctions les plus dures, les plus strictes, elles n’auraient aucune portée si elles n’étaient pas effectivement applicables.
Sous réserve de ces observations, le groupe UMP votera ce texte. §