Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en tant qu’élu du Tarn-et-Garonne, où se trouve la ville de Montauban, dans laquelle Mohamed Merah a perpétré l’un de ses sinistres forfaits, je mesure combien la création du délit d’entreprise terroriste individuelle, qui permet d’élargir la définition de l’acte terroriste et de sanctionner les actes préparatoires à caractère terroriste de personnes agissant seules, et non plus seulement les actes commis en bande organisée, va dans le bon sens.
Mohamed Merah avait été inscrit au fichier des personnes recherchées après ses séjours en Afghanistan et au Pakistan. Il avait fait l’objet d’une surveillance dès janvier 2011, et avait même été convoqué par la Direction centrale du renseignement intérieur, la DCRI. Pourtant, cela ne l’a pas empêché d’agir. Ce cas de figure pose la question des moyens humains et matériels dont disposent nos services pour mener les investigations, ainsi que celle de la nécessaire coopération entre police et justice.
Il y a lieu aussi de s’interroger sur le dispositif prévu à l’article 1er, qui instaure une procédure permettant, par la confiscation du passeport et de la carte d’identité, d’interdire la sortie du territoire des ressortissants français susceptibles de se rendre à l’étranger pour rallier des théâtres d’opérations de groupements terroristes ou participer directement à des activités terroristes. Qu’en est-il pour les étrangers ou les binationaux ? Une telle mesure n’appelle-t-elle pas une coopération entre les pays membres de l’espace Schengen ?
Certaines dispositions du projet de loi visent à lutter contre le terrorisme à l’âge d’internet. Il faut bien évidemment éviter la diffusion des incitations à partir vers des zones de combat, et plus généralement renforcer la lutte contre la propagande à caractère terroriste. L’amendement n° 18, adopté en commission sur l’initiative des rapporteurs, permet de préserver la portée des dispositions contenues dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse et de concilier les deux impératifs que sont la sécurité et le respect des libertés publiques.
À l’évidence, les pays démocratiques comptent de plus en plus sur les méthodes de filtrage, de blocage de sites et de censure pour contrer l’extrémisme, mais il faut bien voir que ces modes opératoires ont, par nature, leurs propres limites. En effet, ils peuvent se révéler potentiellement contreproductifs, dans la mesure où la plupart des arrestations pour actes de terrorisme en France s’appuient sur des informations trouvées sur internet, permettant de mener les enquêtes et de fournir des preuves en cas de mise en examen.
Dès lors, le fait de bloquer l’accès aux sites ou de censurer les contenus « non désirés » risque de faire disparaître des informations utiles sans que la source soit supprimée.
D’aucuns expliquent qu’il est assez facile de créer un autre site, de republier l’information ou d’utiliser le dark web, cet internet parallèle dont les sites ne sont pas répertoriés par les moteurs de recherche traditionnels, si bien qu’il est difficile d’en réguler l’accès et d’y contrôler le contenu des informations.
Toujours est-il que je suis de ceux qui se réjouissent du chemin parcouru par de nombreux membres de notre assemblée. En effet, du côté gauche de l’hémicycle, certains n’avaient pas approuvé la loi relative à l’antiterrorisme ni les dispositions antiterroristes de la loi de 2011 d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure. J’en retiens que tout le monde a le droit de s’amender !
Comme beaucoup d’autres orateurs, je voudrais saluer le caractère équilibré de ce projet de loi, qui répond au double souci d’adapter les moyens de lutte contre le terrorisme et de préserver nos libertés fondamentales. Alors, bien sûr, comme chaque fois en pareil cas, les « ligues de vertu » n’ont pas manqué de crier aux « mesures liberticides », faisant même une comparaison avec les dérives de la NSA américaine, qui ont abouti à l’espionnage de toute la population mondiale. Derrière les dispositions qui nous sont soumises aujourd’hui, il y aurait l’« obsession sécuritaire » de l’État, dont nous serions naturellement les complices consentants. Je crois qu’il y a surtout des obsédés de l’obsession sécuritaire… Certains ont même convoqué le philosophe Michel Foucault à l’appui de leurs préjugés. Il vaut mieux laisser les philosophes dans leur domaine d’excellence !
Je passe donc rapidement sur cette antienne. En définitive, depuis trente ans, chaque nouvelle avancée ou adaptation de l’antiterrorisme pour faire face à une recrudescence du terrorisme ou à une modification de ses formes suscite les mêmes réactions. On a l’impression que, pour certains, le risque n’est jamais suffisamment avéré, ou du moins jamais assez important, pour que l’on puisse envisager d’adapter notre arsenal.