Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 15 octobre 2014 à 21h30
Lutte contre le terrorisme — Article 4, amendement 7

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, rapporteur :

L’amendement n° 7 rectifié tend à proposer une autre définition de l’infraction d’apologie et de provocation au terrorisme que celle qui a été retenue par la commission, même si l’intention de ses auteurs est similaire, à savoir éviter un transfert intégral de l’apologie et de la provocation au terrorisme dans le code pénal.

Si sa visée est légitime, la définition ne comporte toutefois pas des termes assez clairement définis pour être utilisables par les juridictions. Il existe en effet un continuum entre la simple participation à une expression apologétique sur internet et le fait d’animer un forum faisant partie d’une organisation terroriste : il serait donc difficile pour les juges de déterminer à partir de quel degré d’implication l’incrimination proposée est applicable.

La commission a donc émis un avis défavorable sur votre amendement, cher collègue.

Madame Benbassa, l’amendement n° 42 vise à abroger l’article 421-2-4 du code pénal qui incrimine le recrutement terroriste. Or, contrairement à ce que vous avancez, chère collègue, cette incrimination n’est pas rendue caduque par l’incrimination de l’apologie et de la provocation au terrorisme. En effet, si le recrutement peut parfois être rattaché à l’association de malfaiteurs, ce n’est pas toujours le cas, et la création de la présente infraction a bien comblé un vide juridique. La commission a donc émis avis défavorable sur cet amendement.

L’amendement n° 44 tend à n’introduire dans le code pénal que la répression de la provocation au terrorisme, l’apologie restant dans la loi du 29 juillet 1881. Or les juges nous ont indiqué que, dans la pratique, il était très difficile de distinguer apologie et provocation et que, souvent, seule l’utilisation conjointe des deux notions permettait de poursuivre les actes concernés. Il ne paraît donc pas pertinent de faire cette distinction. En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.

Monsieur le ministre, nous vous remercions pour les longues explications que vous nous avez données sur le retour au texte, non pas de l’Assemblée nationale – je note qu’il y a une petite distinction –, mais du Gouvernement. Le texte de l’Assemblée nationale pose en effet problème : on ne sait pas très bien quelle procédure sera utilisée ; en outre, des choses quelque peu curieuses ont été intégrées, comme l’apologie privée.

Monsieur le ministre, je ne serai pas aussi complet que vous. Je tiens simplement à vous expliquer pour quelles raisons nous avons fait, après mûre réflexion et de nombreuses consultations, une distinction entre abus de la liberté d’expression et provocation, le but étant d’être efficace en matière de lutte contre le terrorisme.

Ce qui relève de l’excès de liberté d’expression peut faire l’objet de poursuites. Il y a ainsi des gens qui font l’apologie du racisme, et cela peut aller très loin, d’autres des crimes contre l’humanité. Cela relève de la loi sur la liberté de la presse. Certes, on pourrait faire évoluer la législation, mais les abus de la liberté de la presse sont déjà traités.

Quand il s’agit de provocation au terrorisme, c’est complètement différent. Pour être clairs, monsieur le ministre, nous avons cherché la solution la plus objective possible. Tous les juges que nous avons auditionnés nous ont dit qu’ils avaient affaire à des professionnels, qui disposent de moyens de communication colossaux et qui financent des réseaux sur internet. Ce sont eux qui irriguent les réseaux sociaux. Nous verrons comment il est possible de les empêcher d’agir, mais ce sont eux qui sont le plus à craindre. Des moyens existent et sont utilisés contre les autres, contrairement à ce qui a été dit.

Je relève d’ailleurs, monsieur le ministre, que l’interprétation que vous faites de la jurisprudence constitutionnelle n’est pas tout à fait la mienne– cela m’étonne, d’ailleurs.

En effet, pour le Conseil constitutionnel, il faut utiliser des moyens proportionnés. Dans le cas d’une personne qui publie un bulletin faisant l’apologie des djihadistes en Syrie, en soulignant combien ils sont formidables, faut-il utiliser les moyens lourds prévus dans le code pénal, notamment les techniques spéciales d’enquête ? Je rappelle que le Conseil constitutionnel juge que celles-ci ne devraient être mises en œuvre que pour des infractions très graves et complexes.

Vous avez cité plusieurs décisions du Conseil constitutionnel, monsieur le ministre. Je vous rappelle toutefois à titre d’exemple que, dans sa décision relative à la loi sur la fraude fiscale, ce dernier a censuré la garde à vue de quatre jours pour les faits de corruption et de trafic d’influence associés à des fraudes fiscales et douanières. Le Conseil reste donc toujours soucieux de proportionner les moyens employés à la gravité des infractions.

En l’occurrence, les infractions les plus graves relèveront de la compétence de la juridiction parisienne : cela nous semble très utile, mais le texte prévoit aussi la surveillance, l’infiltration, l’interception des correspondances, la sonorisation, la captation de données informatiques, ainsi que des mesures conservatoires sur les biens saisis.

C’est sans doute d’ailleurs parce que vous vous êtes aperçu qu’il ne fallait pas exagérer, monsieur le ministre, que vous avez écarté l’application de la prescription de vingt ans, qui prévaut généralement pour ce genre d’infractions, mais aussi de la garde à vue de quatre jours et des perquisitions de nuit. On sent donc bien une certaine hésitation de votre part.

Nous voulons quant à nous que le dispositif soit imparable, et le plus important nous semble de lutter efficacement contre les réseaux djihadistes sur internet. Nous ne voulons nullement affaiblir la possibilité pour la justice de poursuivre ces actes, mais nous souhaitons un maximum d’objectivité.

Nous avons arrêté notre position après mûre réflexion, monsieur le ministre : j’en suis désolé, mais la commission n’est pas favorable à l’amendement n° 74, en attendant la suite de la discussion à l’Assemblée nationale.

Il nous importe d’avoir une procédure incontestable sur le plan constitutionnel et de lutter contre ce qui nous semble le plus dangereux aujourd’hui, à savoir les réseaux sur internet, qui constituent une menace parfaitement objective.

La commission a également émis un avis défavorable sur l’amendement n° 45, de Mme Benbassa, qui vise à exclure du champ des procédures de convocation par procès-verbal et de comparution immédiate le délit d’apologie du terrorisme. Vous avez bien compris, ma chère collègue, que nous souhaitions, au contraire, que la comparution immédiate puisse être utilisée dans ce cas.

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