Intervention de Alain Richard

Réunion du 5 novembre 2014 à 14h30
Adaptation de la procédure pénale au droit de l'union européenne — Adoption en procédure accélérée d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Alain RichardAlain Richard :

Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous voilà de nouveau réunis pour examiner un texte visant à adapter la procédure pénale française au droit de l’Union européenne, afin de rendre plus efficaces à la fois les poursuites et les sanctions à travers les frontières.

Il s’agit de faciliter la « transitivité » des décisions de probations et les mesures de contrôle judicaire, ainsi que la coordination et la régulation des procédures pénales partagées, les mesures de protection des victimes et, certains l’ont rappelé, l’ajustement de la liste des droits des personnes demandant le statut de réfugié.

M. le rapporteur a parfaitement décrit le contenu et la justification de ces mesures, qui ont été heureusement mis en perspective par Mme la garde des sceaux. Ce texte est l’occasion d’échanger entre nous quelques réflexions pour savoir où nous en sommes de la construction de l’Europe judiciaire et de porter quelques appréciations sur elle. C’est l’un des nombreux domaines où le verre européen est à moitié plein. Pourtant, il existe une certaine propension dans l’opinion française, ainsi que sur ces travées, à le caractériser comme étant essentiellement à moitié vide…

Je veux souligner, au contraire, le mérite d’une construction graduelle, négociée entre États souverains, d’un espace judiciaire. En effet, cela demande des efforts : tous les systèmes judiciaires ont leur originalité et ne sont pas assimilables les uns aux autres, même s’il existe heureusement dans toutes nos sociétés une exigence de plus en plus poussée en matière de droits de la personne, de régularité et de transparence des procédures, ainsi que d’efficacité des systèmes judiciaires.

Nous n’avons pas souvent l’occasion de remettre à plat la situation. Mme la garde des sceaux a rappelé très justement que le processus avait commencé avec le traité d’Amsterdam, c'est-à-dire il y a dix-sept ans, lui-même négocié pendant je ne sais combien d’années avant d’être ratifié, puis avec la première grande décision du Conseil européen de Tampere en 1999.

Néanmoins, nous sommes toujours dans le cadre d’une absence de partage de souveraineté. Les domaines de partage de souveraineté en matière judiciaire sont extrêmement étroits. Dans la plupart des décisions que nous avons à conclure, puis que nous retrouvons ici pour les transposer, c’est l’unanimité qui est requise, ce qui veut implique négociations, recherche d’accords et, parfois, compromis sur une base minimale.

Malgré tout, le mécanisme fonctionne, et quand on fera le bilan, on constatera en effet que beaucoup de progrès ont déjà été accomplis, et cela pour plusieurs raisons. Tout d’abord, il y a l’attente légitime de l’ensemble des professions de la justice, face à laquelle nous ne pouvons pas maintenir en place des systèmes totalement cloisonnés, qui ne communiquent pas. Ensuite, il existe une réelle attente des sociétés civiles – j’y ai déjà fait allusion –, qui font le constat que nous vivons dans un espace partagé et que nous ne pouvons pas avoir des systèmes judiciaires totalement étanches.

Il faut rendre hommage à tous les artisans de la construction de l’Europe de la justice, qui exige beaucoup d’efforts de compréhension et d’échanges entre les professionnels. Nous avons, comme tous nos partenaires de l’Union européenne, un nombre croissant de professionnels, notamment bien sûr de magistrats, qui sont impliqués dans les dispositifs de dialogue européen, dans la préparation de nos positions de négociation, puis dans leur application.

Nous le savons, le passage dans les cellules de coordination ou de travail partagé entre Européens est un enrichissement pour tous les professionnels de la justice ; c’est en particulier le cas s’agissant de notre présence au sein de l’unité de coopération judiciaire de l’Union européenne, l’Eurojust, mais je pourrais citer bien d’autres exemples.

L’Europe, c’est d'abord une routine, ce sont des gens qui s’habituent à travailler ensemble, qui créent une continuité, qui commencent à partager des méthodes de travail, alors qu’ils partent d’approches nationales peu aisées à conjuguer. Ce travail nécessairement lent a abouti à l’adoption par les vingt-huit pays associés de nombreuses dispositions pratiques qui rapprochent les méthodes et les moyens effectifs d’action de nos autorités judiciaires respectives.

Cela se fait avec une certaine lenteur, du fait même de la nature du processus que j’ai décrit sommairement. À l’instant, je n’ai pas pu entendre sans sourire l’expression significative de la garde des sceaux, qui nous a dit que nous allions transposer l’une des directives avec une année d’avance...

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