Là encore, personne n’ignore que ce projet de loi a été décidé par quelques-uns, dans leur intérêt, à l’insu de tous les autres.
Cette « réforme d’en haut » est donc la parfaite illustration des contradictions du Gouvernement, partagé entre ses incantations girondines et ses réflexes jacobins. Or on ne peut pas à la fois, monsieur le secrétaire d’État, être girondin et jacobin, pousser les régions à se déployer et décider de tout à leur place, y compris du choix du siège de la capitale régionale.
Enfin, cette réforme s’inscrit dans une chronologie totalement incohérente. En effet, comment le Parlement peut-il examiner un projet de loi visant à délimiter les régions, alors même que nous ne savons rien des compétences de ces futures collectivités ?
Nous avions voulu, avec l’article 1er A, corriger cette incohérence en mettant en perspective chaque échelon de notre administration territoriale et, ce faisant, poser quelques principes sur les missions et fonctions de chacun d’eux. Mais vous l’avez refusé.
Cette initiative sénatoriale était d’autant plus fondée qu’elle venait tenter de conclure une période de cacophonie gouvernementale. Souvenez-vous, monsieur le secrétaire d’État, de la clause de compétence générale : à peine avait-elle été rétablie dans le texte sur les métropoles, que Mme Lebranchu annonçait sa suppression. Souvenez-vous de la déclaration du président Hollande en janvier 2014 devant les Corréziens, affirmant que le département était l’échelon de proximité par essence, tandis que le Premier ministre annonçait sa suppression trois mois plus tard.
La délimitation des régions dépend étroitement du sort qui sera réservé plus tard aux départements. Il est inenvisageable de vouloir, dans le même temps, supprimer l’échelon départemental et diviser par deux le nombre des régions...
Débattre de la taille des régions avant de fixer leurs domaines d’intervention et refuser de préciser comment elles fonctionneront demain, en lien avec les autres collectivités territoriales – je vous le dis comme je le pense, monsieur le secrétaire d’État –, relève au mieux de l’amateurisme, au pire, je le crains, de l’incompétence notoire.
La deuxième critique tient aux principes qui guident ce texte.
Pourquoi cette fixation, cette obsession, sur la taille des régions, comme si c’était l’alpha et l’oméga de leur puissance et de leur efficacité ? Alors que toutes les études européennes contredisent l’idée que la taille fait la puissance, le Gouvernement n’a eu pour seul horizon que la taille de ces futures régions.
Ainsi cette réforme va-t-elle engendrer des régions sans logique territoriale, sans logique économique, sans logique démocratique, avec des élus encore un peu plus éloignés des territoires et des électeurs. Quant à l’argument des économies d’échelle, il a fait long feu ; même vous, vous n’osez le reprendre !
Venons-en maintenant aux compétences elles-mêmes. Alors que chacun s’accorde à dire que les régions doivent avoir des missions stratégiques, vous voulez leur confier des tâches de gestion qui, tout naturellement, seraient exercées de manière plus pertinente au niveau départemental, niveau que vous voulez supprimer – ou que vous vouliez supprimer, tant il est vrai que l’on ne sait plus vraiment ce que vous voulez ; d’ailleurs, le savez-vous vous-même ?
Je ne peux que regretter, une fois encore, votre refus de prendre en considération l’article 1er A, lequel avait au moins le mérite, à défaut de répondre à toutes les questions, de donner un cadre et une perspective.
Enfin, la troisième critique tient au fond du texte, je veux parler du cœur du dispositif, de cette nouvelle carte régionale ignorante des attentes comme des besoins !
Nous sommes nombreux sur ces travées à avoir déjà dénoncé un découpage arbitraire, sourd aux réalités locales comme aux demandes des populations et des élus.
Cette volonté gouvernementale de proposer un texte qui institue un point de non-retour dans le découpage des régions est on ne peut plus antidémocratique. C’est pourquoi il est indispensable d’offrir la possibilité à deux départements de fusionner, et à un département de demander son rattachement à une autre région.
C’est ce que nous avons appelé le « droit d’option ». Quand vous avez écrit ce texte, pour vous, la cause était entendue : il n’y avait plus de départements et vous pouviez donc faire l’impasse sur cet échelon territorial. Vous vouliez jumeler des régions deux à deux – ou à trois –, mais refusiez d’imaginer que des départements puissent changer de région.
Nous avions ici, au Sénat, introduit un droit d’option qui permettait des évolutions. Mais, pour que ce droit d’option puisse fonctionner, encore fallait-il qu’il ne devienne pas un droit de veto. C’est en ce sens que nous avions assoupli les conditions dans lesquelles un département pouvait quitter une région pour en préférer une autre.
Alors que, pour ce qui est de quitter une région, il fallait que trois cinquièmes des membres des conseillers régionaux de la région de départ expriment un désaccord, vous avez préféré permettre à une minorité de blocage de deux cinquièmes de s’y opposer.
Vos discours sur la libre administration des collectivités territoriales, sur l’initiative locale, sur l’adaptation aux territoires, ou encore sur la concertation, se trouvent en totale contradiction avec vos actes. Je ne peux pas, à ce stade, ne pas évoquer le cas d’une région qui m’est chère : comme d’autres ont parlé ou parleront encore de l’Alsace, permettez-moi de dire deux mots de la Bretagne.
Alors que vous avez invoqué une taille critique de quatre à six millions d’habitants pour refuser à l’Alsace ce qu’elle souhaitait, vous n’êtes pas du tout gêné de laisser la région Bretagne à quatre départements, avec trois millions d’habitants. Où est la logique ?